Étude microphysique des nuages et des précipitations par radar polarimétrique et simulation numérique
Introduction à la physique des nuages et des précipitations Les nuages et les précipitations sont la partie condensée de l’eau atmosphérique, c’est à dire l’ensemble des ‘particules’ d’eau dans l’état liquide et solide. Ces dernières sont appelées, d’une manière générale, hydrométéore, contraction des mots » hydro » et » météore « , issus du grec » hudôr » et » meteôra » signifiant » eau » et » qui est en haut « , respectivement. L’expérience courante fournit de nombreux exemples : les cristaux de glace, la neige, la grêle et la pluie sont quelques illustrations qui traduisent clairement la richesse du milieu nuageux et des formes de précipitations, mais qui laissent aussi entrevoir le caractère complexe de la physique de ces systèmes. Ces derniers ont attiré très tôt l’attention des hommes, d’abord par la crainte qu’ils suscitaient, puis par la fascination et la curiosité dont ils devinrent l’objet. À l’origine uniquement philosophique et spéculative, leur étude n’est devenue objective qu’au XVII siècle lorsque la Physique prit naissance et commença son développement. Il est particulièrement intéressant de noter que, parmi de nombreux scientifiques, Descartes, Kepler, Volta, Poisson, Barlow ou encore Hertz, plus connus pour leurs travaux en mécanique, en optique ou en électromagnétisme, contribuèrent significativement à la compréhension de la physique des nuages et des précipitations. D’abord qualitatives, les connaissances acquises trouvèrent un soutien quantitatif à partir des années 1940, grâce notamment à l’apparition de nouvelles méthodes d’investigation : capteurs, avions, satellites, radars, ordinateurs, …. Par ailleurs, cette physique reçut une attention plus marquée lorsqu’il fut montré la possibilité de modifier artificiellement la structure des nuages, et donc de contrôler les types de précipitations qu’ils génèrent (Schaefer 1946). Actuellement, la microphysique des nuages et des précipitations est relativement bien comprise : pris individuellement, les différentes caractéristiques physiques des hydrométéores et les mécanismes impliqués dans leur formation sont assez bien connus. En revanche, dans le cadre plus large de l’ensemble d’un nuage, les études sont délicates : d’une part en raison du grand nombre d’hydrométéores en interaction à considérer, et d’autre part à cause des influences mutuelles entre la microphysique, qui implique des échelles de longueurs de l’ordre de quelques micromètres à quelques millimètres, et les mouvements atmosphériques qui se déroulent sur des échelles allant du millimètre à la dizaine de kilomètres (Mason 1971). Le travail du physicien spécialiste de l’atmosphère est justement de comprendre comment s’inscrivent les processus microphysiques dans le système complexe qu’est l’atmosphère. Chap. 1 : Physique des nuages et des précipitations 4 Nous proposons dans ce premier chapitre de donner quelques éléments de physique des nuages et des précipitations. Nous limitons notre présentation aux caractéristiques principales des nuages et des précipitations en illustrant le chapitre et en insistant sur les ordres de grandeurs; le but recherché étant de donner les rudiments nécessaires et suffisants à la compréhension des phénomènes étudiés dans cette thèse * . Seuls les nuages sont tout d’abord considérés: leur contenu, leur classification, leur mode de formation d’un point de vue thermodynamique et microphysique sont discutés. Les différentes formes de précipitations, leur apparition dans un nuage et les mécanismes microphysiques impliqués dans leur développement sont ensuite présentés dans une deuxième partie. Enfin, nous abordons dans une troisième partie, l’étude des nuages et des précipitations dans le contexte atmosphérique dans lequel les aspects macroscopiques (dynamique, thermodynamique) et environnementaux doivent être pris en compte.
CARACTÉRISTIQUES ET CLASSIFICATION DES NUAGES
Selon le Glossaire de météorologie (Glickman 2000), un nuage est un ensemble visible de petites gouttelettes d’eau et/ou de petits cristaux de glace en suspension dans l’atmosphère. La taille des hydrométéores nuageux varie en ordre de grandeur du micromètre au millimètre : pour des gouttelettes nuageuses, sphériques, le diamètre D est généralement inférieur à 100 µm, bien que les petites valeurs (D < 50 µm) sont largement majoritaires et qu’une limite de 200 µm est parfois utilisée; pour des cristaux, dont la géométrie est plus complexe, des tailles caractéristiques peuvent être observées jusqu’à 2 mm. Ces dimensions correspondent à des vitesses limite de chute vl dans le champ de pesanteur terrestre g bien inférieures à 1 m s -1 , ce qui est suffisant pour que les mouvements d’air ascendants, même faibles, maintiennent en altitude ces hydrométéores constitutifs ou assurent des durées de chute assez importantes sur des distances significatives pour satisfaire la condition de suspension. Pour des gouttelettes d’eau, une estimation raisonnable de vl est donnée en considérant qu’elles ne sont soumises, outre leur poids, qu’à la résistance de l’air exprimée par la loi de Stokes ; avec -3 ρ e ≈1000 kg m la masse volumique de l’eau liquide, -3 ρ a ≈1,29 kg m et ≈ 13,7 µPa s η a la masse volumique et la viscosité de l’air respectivement, et g = 9,81 m s -2 , il vient : 2 18 ( ) D g v a e a l η ρ − ρ = . * On consultera Pruppacher and Klett (1997), Rogers and Yau (1989) ou Mason (1971) pour de plus amples détails. Thèse de doctorat, Université Paul Sabatier, Toulouse 5 Si D = 50 µm, vl = 0,1 m s -1 ; si D = 100 µm, vl = 0,4 m s -1 . Pour des cristaux de glace, la figure 1 donne quelques indications sur les valeurs de vl selon le diamètre caractéristique D de quelques cristaux de formes différentes. Fig. 1- Vitesse limite de chute de cristaux de glace dans le champ de pesanteur terrestre en fonction du diamètre caractéristique D (d’après Kajikawa 1972). La condition de visibilité exprime la nécessité d’avoir un milieu dont la concentration volumique en hydrométéores est élevée. Ainsi, les nuages constitués uniquement d’eau liquide contiennent typiquement quelque 100 à 1000 gouttelettes d’eau par cm 3 ; en terme de contenu en eau (concentration massique), l’ordre de grandeur est de 0,1 à 1 g m -3 . Cependant, les nuages sont des milieux dispersés : la distance moyenne entre gouttelettes d’eau est environ 100 fois supérieure à leur diamètre moyen. Dans les nuages contenant des cristaux de glace, il est assez rare de rencontrer plus d’un cristal par cm -3 .
Classification
L’observation quotidienne montre une infinité de nuages d’apparence (forme, couleur, …) et d’altitude variées, certains donnant des précipitations plus ou moins intenses. Il est cependant remarquable que des formes caractéristiques se dégagent et qu’une classification soit par conséquent possible. Les premières tentatives datent du XVIII siècle par le naturaliste français J.B. Lamarck et par son contemporain L. Howard, pharmacien anglais (!), dont la classification (1803) est à la base de celle utilisée aujourd’hui et éditée par l’organisation météorologique mondiale (OMM). Elle considère dix genres de nuages correspondant chacun à une forme caractéristique et appartenant à un domaine d’altitude privilégié. Par ailleurs, elle tient compte de l’organisation stratifiée ou ramassée des nuages et de leur extension verticale. La double page suivante résume et illustre la classification actuelle.
FORMATION DES NUAGES
Aspects thermodynamiques: condition nécessaire à la formation d’un nuage L’étude de la formation des nuages relève de la thermodynamique de l’air humide, c’est-à-dire du système formé par un mélange d’air sec et de vapeur d’eau. Sa description complète nécessite trois variables d’états dont l’une est relative à la vapeur d’eau. Ainsi, outre la température T et la pression totale p, égale à la somme des pressions partielles d’air sec (pa) et de vapeur d’eau (pv), il est habituel de considérer : (i) le rapport de mélange r : mv ma r = , où mv et ma sont respectivement les masses de vapeur d’eau et d’air sec constituant le mélange. Comme mv << ma, r est le plus souvent très inférieur à 1. Aussi, par commodité numérique, mv est exprimé en gramme et ma en kilogramme, si bien que r est donné en g kg -1 . Notons que r dépend de pv ; en effet les gaz pouvant être considérés comme des gaz parfaits, il vient : r = 0,622 pv / (p-pv). (ii) l’humidité relative H : (%) 100 / ( ) H = pv pv,sat T , où, à la température T, pv, sat(T) est la pression de vapeur saturante, c’est à dire la valeur de pv correspondant à la quantité maximale de vapeur d’eau que le système peut contenir sans que celle-ci se condense (passage de l’état gazeux à l’état liquide). Plus précisément, il s’agit de la pression d’équilibre, à la température T, entre la vapeur d’eau et une surface d’eau liquide plane ; par la suite, cette précision sera indiquée par la notation ( ) pv,sat T ∞ . Si H = 0 % l’air est totalement sec alors qu’il est qualifié de saturé, ou nuageux, pour H 100 %. Ainsi, H quantifie la proximité d’une masse d’air humide à la saturation; sa mesure s’effectue avec un hygromètre. La formation d’un nuage nécessite de saturer en vapeur d’eau une masse d’air humide. La transformation thermodynamique impliquée est, pour la plupart des nuages, une détente adiabatique qui s’effectue au cours de l’ascension dans l’atmosphère d’une masse d’air humide initialement non saturé. Ces mouvements verticaux peuvent être provoqués par une différence significative de température entre une masse d’air et son environnement, on parle alors de convection thermique ; c’est notamment le cas en été pour les masses d’air proches du sol, fortement chauffé par le soleil. L’état thermodynamique d’une masse d’air évolue de la manière suivante : d’une part les variables p et T diminuent sans échange d’énergie par chaleur avec le milieu extérieur, et, d’autre part, en raison de Thèse de doctorat, Université Paul Sabatier, Toulouse 9 l’absence d’apport de vapeur d’eau, r reste inchangé. Il en découle un abaissement de ( ) pv,sat T ∞ (fonction croissante de T) et une diminution de pv dans le même rapport que p. Lorsque pv et ∞ v,sat p s’égalent, la saturation est atteinte. Remarques : (1) La détente adiabatique a été étudiée et formulée pour la première fois par Poisson en 1823 et appliquée à l’atmosphère en 1835 par le météorologiste américain J.P. Espy. Lord Kelvin en 1865 ainsi que Hertz en 1884 contribuèrent significativement à décrire la thermodynamique des masses d’air humides et nuageuses. (2) D’autres transformations thermodynamiques permettent d’amener une masse d’air humide jusqu’à saturation. C’est le cas pour le brouillard qui se forme par refroidissement isobare (diminution de température à pression constante) des basses couches atmosphériques, soit lors d’un refroidissement nocturne en air clair (brouillard de radiation), soit par contact d’air chaud maritime et d’air froid continental en hiver (brouillard d’advection). Il existe aussi un type de brouillard, dit d’évaporation, qui se forme lors du contact d’une masse d’air avec une étendue d’eau liquide. Dans ce cas, la transformation thermodynamique impliquée provoque une variation du rapport de mélange r de la masse d’air. Contrairement à un nuage, le brouillard est en contact avec le sol. Par ailleurs, selon la définition internationale il est associé à une réduction de visibilité à moins de 1 km. (3) Une masse d’air peut en outre s’élever par forçage orographique à l’approche de reliefs (cf. IV.3).
Formation de gouttelettes nuageuses microscopiques à partir de la vapeur d’eau
Ce processus microphysique (condensation) relève du mécanisme de nucléation, c’est-à-dire de la formation d’un noyau (« nucleus » en latin), ou germe, de la nouvelle phase, de dimension très inférieure au micromètre. Cette opération est énergétiquement défavorable car elle nécessite la formation d’une interface entre la vapeur et la phase liquide : à température T constante, la variation d’énergie libre impliquée est ∆F = γ A, où γ est le coefficient de tension superficielle de l’interface créée et A son aire (Landau and Lifschitz 1989). Par rapport à la vapeur, le germe formé est instable et son développement impose d’une part que la vapeur soit la phase métastable, c’est-à-dire qu’elle soit saturée ou sursaturée (H 100%), et, d’autre part, que le germe dépasse une certaine taille critique ; en dessous de celle-ci, il disparaît. Analysons la nucléation d’une gouttelette d’eau sphérique au sein d’une vapeur pure métastable (nucléation homogène). À l’équilibre, la différence de pression ∆p entre l’intérieur et l’extérieur de la gouttelette, au voisinage de l’interface, compense exactement l’effet de la tension superficielle qui tend à diminuer A : ∆p = pi – pv = 2γ / Re (formule de Laplace) où Re désigne le rayon Chap. 1 : Physique des nuages et des précipitations 10 de la gouttelette à l’équilibre. Dans ce contexte, la pression de vapeur saturante pv, sat pour une gouttelette est supérieure à celle relative à une surface d’eau plane ∞ v,sat p (Thomson, 1870) : exp( / ) v,sat v,sat C1 Re p p ∞ = où r T C vρ e 2γ 1 = , rv étant la constante des gaz parfaits pour une mole de vapeur d’eau et ρe la masse volumique de l’eau liquide. En notant ∞ = v,sat v,sat S p p la sursaturation de la vapeur, il vient : ln( ) 2 r T S R v e e ρ γ = . À T = 273 K, si Re = 0,1 µm, S = 1,012 (H = 101,2 %) ; si Re = 0,01 µm, S = 1,126 (H = 112 ,6 %). Les sursaturations importantes nécessaires à l’apparition de germes de tailles submicrométriques préalables à la formation de gouttelettes nuageuses microscopiques, ne se rencontrent pas dans l’atmosphère où S n’excède pas 1,02 (H < 102 %). L’existence de gouttelettes nuageuses est alors attribuée à la présence de particules solides (aérosols) qui, selon leurs tailles et leur caractère plus ou moins hydrophile, servent de noyaux plus ou moins efficaces (nucléation hétérogène). Le Français P.J. Coulier en 1875 et l’Anglais J. Aitken en 1880-1881 démontrèrent expérimentalement, à l’aide des premières chambres à nuages, leur rôle décisif dans la formation des gouttelettes d’eau ; notamment, Aitken souligna l’importance des particules très solubles de sels comme NaCl. H. Köhler fut ensuite le premier à poser les fondements de la théorie moderne de la condensation en donnant une expression théorique de pv, sat dans le cas de solutions aqueuses : (C R) R C p p v v 1 exp / 1 3 2 ,sat ,sat = − ∞ , où C2 est relative à l’aérosol (nature, masse dissoute). La figure 3 représente la variation de S en fonction de R, c’est-à-dire la courbe d’équilibre liquide – vapeur, ou courbe de Köhler, dans le cas d’une gouttelette d’eau où 10 -16 g de sulfate d’ammonium – (NH4)2SO4 – sont dissous. Sous la courbe, on a évaporation du germe formé alors qu’au dessus il y a condensation. Clairement, les aérosols, appelés dans ce contexte noyaux de condensation ou noyaux hygroscopiques, diminuent considérablement la pression de vapeur nécessaire à l’apparition de germes de la phase liquide. Celleci peut même se manifester avant que S soit égal à 1 : dans ces conditions, une augmentation (diminution) de S se traduit par une augmentation (diminution) de R ; une gouttelette évolue ainsi par une succession d’états d’équilibre. Au maximum de cette courbe, les coordonnées critiques sont atteintes : ici, le rayon critique et la sursaturation associée valent respectivement 0,13 µm et 1,006 (H = 100,6 %). Au-delà de ce point, un germe est dans un état instable car une modification aussi petite soit-elle de S tend à l’éloigner de son état d’équilibre : une augmentation de S entraîne une croissance continue du germe formé conduisant à une gouttelette microscopique. Cette croissance s’effectue par diffusion de la vapeur environnante, c’est à dire caractérisée par une évolution en racine Thèse de doctorat, Université Paul Sabatier, Toulouse 11 carrée du temps ; il s’ensuit que la formation d’une gouttelette nuageuse microscopique se compte en heures.
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