Etude expérimentale et approche locale de l’arrêt de fissure de clivage dans un acier bainitique
Modélisation de la propagation et de l’arrêt de fissure Dans ce paragraphe nous présentons, tout d’abord, de manière succincte, différentes méthodes numériques de propagation des fissures basées sur les éléments finis. Ces méthodes sont présentées indépendamment des critères de propagation et d’arrêt qui seront présentés par la suite. Ces critères peuvent être classés en trois grandes catégories : les approches globales, basées sur des paramètres globaux capables de caractériser l’état de sollicitation en pointe de fissure selon certaines hypothèses ; – les approches locales, basées sur l’étude des champs mécaniques à proximité de la pointe de fissure ; – les approches de zone cohésive, qui présentent une alternative en combinant les deux méthodes précédentes.
Méthodes numériques de propagation de fissure
L’augmentation croissante des capacités de calcul permet une utilisation de plus en plus importante des méthodes numériques pour modéliser la propagation de fissure. Elle font actuellement l’objet d’un important travail de recherche et de développement numérique. Le relâchement de nœud, qui suppose en général le trajet fissuration connu, est une des plus anciennes méthodes utilisées. Elle consiste à mailler le trajet de la fissure par une ligne de nœuds doubles initialement associés par des équations de déplacement qui sont successivement annulées pour représenter la propagation de la fissure. Le même résultat est obtenu avec des conditions de contact dans le cas d’une fissure se situant sur un plan de symétrie. On peut imposer la vitesse de fissuration ou un critère qui permet ainsi de faire des calculs prédictifs. Si le trajet de fissuration n’est pas connu à l’avance, il est nécessaire de calculer la propagation de la fissure et de remailler à chaque fois que la fissure se propage. Mais, comme l’ont montré Réthoré et al. (2004), l’utilisation de ces méthodes en dynamique ne permet pas de démontrer la conservation de l’énergie lors des opérations de remaillage et peuvent ainsi conduire à des longueurs et des vitesses de propagation dépendantes des techniques de remaillage utilisées. Les éléments finis joints ou d’interface sont des éléments finis qui ont été développés dans le cadre de la théorie des zones cohésives décrite au paragraphe II.3.5. Ils sont introduits à l’interface entre deux éléments finis et permettent d’exprimer une discontinuité de déplacement sur cette interface. Comme pour la méthode de relâchement de nœuds, l’utilisation de ces éléments nécessite en général la connaissance du trajet de fissuration. Les éléments finis joints sont ainsi placés sur le trajet de la fissure. Si le trajet de fissuration n’est pas connu, il est nécessaire d’utiliser une stratégie adaptative qui consiste à insérer des éléments cohésifs qui coupent l’ancien maillage quand la fissure se propage. Combescure et al. (2008) ont montré qu’une telle approche permet de conserver l’énergie même au cours des opérations de remaillage. La méthode des éléments finis étendus baptisée X-FEM (eXtended Finite Element Method) permet de s’affranchir des difficultés de maillage en utilisant le concept de la partition de l’unité. Cette technique permet d’enrichir une approximation éléments finis à l’aide de fonctions ad hoc tout en conservant le caractère creux de la matrice éléments finis globale. Moës et al. (1999) et Moës et Belytschko (2002) utilisent cette technique pour rendre le maillage indépendant des surfaces de discontinuités par le choix pertinent des fonctions Chapitre II : Etude bibliographique – 30 – d’enrichissement. Suite à cet enrichissement, un élément peut contenir un trou ou une surface de discontinuité. Si le maillage respecte les surfaces de discontinuité, on retrouve le cadre des éléments finis classiques. Ces éléments permettent eux aussi une conservation de l’énergie au cours de la propagation de la fissure (Combescure et al., 2008). Le processus de fissuration peut aussi être vu comme un endommagement critique de la matière. Dans ce cas, il peut être modélisé directement au sein de la loi de comportement : lorsque le niveau d’endommagement critique est atteint, la rupture est modélisée par la chute de la rigidité de l’élément fini ou son élimination de la résolution. Ces modèles d’endommagement volumique sont particulièrement adaptés à la modélisation de la déchirure ductile car ils permettent de prédire indifféremment l’amorçage et la propagation (Combescure et al., 2008), (Besson et al., 2004).
Approche globale
L’approche en ténacité, qui suit la démarche bien connu pour l’amorçage en statique, est la première utilisée historiquement. Le critère de rupture dynamique est généralement séparé en trois parties : un critère d’initiation dynamique, un critère de propagation et un critère d’arrêt. Pour chacun de ces critères, une ténacité est définie : ténacité dynamique à l’amorçage si le chargement est dynamique, ténacité dynamique de propagation et ténacité dynamique à l’arrêt. Ces trois ténacités sont définies comme des propriétés du matériau. Si on se place en mode I, la rupture s’initie quand le facteur d’intensité des contraintes dynamique, dyn KI , atteint, au temps, c t , une valeur critique appelée ténacité dynamique à l’amorçage, KId . Le critère d’amorçage d’une fissure pour une sollicitation dynamique s’écrit donc : ( ) , ( ) dyn dyn K t K T K I Id I < → pas d’initiation (II.18) ( ) , ( ) dyn dyn K t K T K I c Id I = → initiation (II.19) La dépendance de KId avec la vitesse de chargement, dyn KI , et la température, T , doit être déterminée expérimentalement à l’aide d’expériences permettant de bien représenter leurs plages de variation respectives. Selon Ravi-Chandar (2004), la dépendance en température viendrait de l’augmentation de la ductilité quand la température augmente et/ou de l’énergie dissipée plastiquement en pointe de fissure qui conduit à une élévation de température. La dépendance à la vitesse de chargement aurait deux origines possibles : la première viendrait d’une dépendance à la vitesse de déformation de la réponse inélastique du matériau en pointe de fissure ; la deuxième viendrait de la nature inertielle du développement du champ de contrainte en pointe de fissure. Afin de montrer les différences entre la ténacité à l’amorçage en statique, KIc , et en dynamique, KId , on peut reprendre l’analyse de Ravi-Chandar (2004) sur les résultats présentés par Wilson et al. en 1980. Ces auteurs ont déterminé, sur deux aciers différents, la dépendance en température de KIc (vitesse de chargement de 1 MPa.m1/2.s-1) et de KId (vitesse de chargement de 2.106 MPa.m1/2.s-1) (Figure II-24). On constate tout d’abord que la température de transition ductile-fragile est décalée d’environ 30°C entre les cas statique et dynamique. De plus, pour les basses températures, K K Id Ic < et c’est l’inverse pour les hautes températures. Enfin, bien que les matériaux soient différents, leur ténacité dynamique à l’amorçage est très proche sur toute la plage de température observée. Après l’amorçage de la fissure, un critère différent doit être utilisé pour tenir compte de l’avancée de fissure. Le champ des contraintes en pointe de fissure est représenté par le facteur d’intensité des contraintes dynamique, dyn KI , et celui-ci dépend maintenant aussi de la vitesse de propagation de la fissure , a . Le critère en propagation s’écrit donc : ( , ) , , ( ) dyn dyn K t a K a T K I ID I = (II.20) La ténacité dynamique de propagation, ( , , ) dyn K a T K ID I est ainsi introduite. Elle dépend de la vitesse de propagation de la fissure et, dans le cas général, de la température et de la vitesse de chargement. C’est un paramètre matériau qui doit être caractérisé expérimentalement. Or, cette détermination n’est pas aisée. Par ailleurs, on note que ( ) 1 0 lim ID d a K a K → ≠ et que KID est une fonction croissante de a (Ravi-chandar, 2004). Ce dernier résultat pourrait être dû à la viscosité du matériau qui n’est pas prise en compte dans ces analyses. La ténacité dynamique à l’arrêt, dyn KIa , est définie comme la plus petite valeur du facteur d’intensité de contrainte dynamique pour laquelle la propagation de fissure ne peut pas être maintenue. Le critère d’arrêt s’écrit donc : ( ) ( ) dyn dyn K t K T I Ia = (II.21) L’application de cette approche présente de réelles difficultés car il n’est pas aisé d’évaluer dyn KI , notamment quand les matériaux étudiés ont un comportement non-linéaire. De plus, les effets de la vitesse de déformation et de la dissipation interviennent dans la définition de la ténacité dynamique de propagation, ( , , ) dyn K a T K ID I , ce qui pose la question de la transférabilité éprouvette/structure si les conditions de propagation des fissures sont très différentes, d’autant que les valeurs sont fixées sur une théorie écrite dans un milieu semi-infini qui élimine les effets associés aux ondes émises par la pointe de fissure. Chapitre II : Etude bibliographique – 32 – Figure II-24 : Dépendance de la ténacité dynamique à l’amorçage avec la vitesse de chargement et la température (Ravi-Chandar, 2004) De la même manière que pour l’approche en ténacité, on peut utiliser une approche en énergie basée sur le taux de restitution d’énergie dynamique, dyn GI . La fissure se propage tant que l’énergie disponible pour propager la fissure est égale à une valeur critique, GID . ( , ) , , ( ) dyn dyn G t a G a T K I ID I = (II.22) Par contre, contrairement à l’approche statique, ce critère n’est pas équivalent au critère en ténacité car dyn GI est proportionnel à ( ) 2 dyn KI avec un facteur dépendant de la vitesse de la fissure. Un autre type d’approche en énergie, basée sur des simulations en statique, est proposé par Wadier (2007). Elle est basée sur la théorie de Francfort et Marigo (1998) qui généralise le critère de Griffith afin de prédire la phase d’amorçage de la fissure et des phases de propagation brutale à l’aide d’une approche statique. La fissure est modélisée par une entaille, semicirculaire de rayon, r (Figure II-25). La surface correspondant à la propagation de l’entaille, Ze , dépend de la distance propagée, ∆l . Le principe de minimisation de l’énergie totale de la théorie de Francfort-Marigo est appliqué en ajoutant les hypothèses suivantes : – la propagation de l’entaille se traduit par une annulation de l’énergie élastique, en tout point de la zone endommagée, Ze , – il n’y a pas d’évolution de la plasticité dans la zone, Ze , lors de la propagation, – la minimisation s’effectue à champ de déplacement fixé, ce qui signifie que l’on n’a pas l’ambition de résoudre le problème en obtenant la solution correspondant à la nouvelle Chapitre II : Etude bibliographique – 33 – position d’équilibre, mais simplement que l’on cherche une condition « sine qua non » de propagation, qui inclut d’éventuelles évolutions dynamiques (propagation brutale). La minimisation par rapport à la distance propagée, ∆l , est équivalente à la recherche du maximum du taux de restitution d’énergie moyen G l p (∆ ) , défini par l’équation (II.23). ( ). . e p e Z G l l w ds ∆ ∆ =(II.23) avec we : densité volumique d’énergie élastique. Quand le maximum est obtenu pour ∆ =l 0 , la propagation de la fissure est stable ; quand le maximum est obtenu en ∆ ≠l 0 , la propagation est instable. Figure II-25 : Schéma de l’entaille qui modélise la fissure, (Wadier, 2007) Une application de cette approche a été réalisée par Wadier (2008) sur un essai de choc thermique de Hajjaj (2006). Le saut de fissure prédit est cohérent avec le résultat expérimental, mais les effets dynamiques ne sont pas pris en compte. II.3.3 Approche locale de l’amorçage du clivage Nous nous intéressons maintenant aux modèles d’approche locale, basés sur l’état mécanique en pointe de fissure. Contrairement aux approches globales basées sur la ténacité, les approches locales prennent en compte les non linéarités du comportement. Ces approches étant bien établies pour l’amorçage des fissures en clivage, nous présenterons, dans ce paragraphe, les modèles les plus connus pour l’amorçage avant de présenter, dans le paragraphe suivant, les modèles pour la propagation et l’arrêt de fissure. Modèle RKR (Ritchie, Knott, Rice) Le modèle RKR est proposé en 1973 par Ritchie et al. (1973) : la rupture par clivage d’une fissure s’initie si la contrainte critique, σ c , est atteinte à une certaine distance c l de la pointe de fissure : c’est la distance nécessaire pour qu’un germe de clivage puisse se propager dans le grain voisin. Elle est donc reliée à la microstructure. Curry (1978, 1979) montre la difficulté de relier simplement cette distance caractéristique à la microstructure et souligne l’importance de la connaissance de la distribution des tailles de défauts potentiels pour pouvoir donner une signification physique à cette distance. Chapitre II : Etude bibliographique – 34 – Modèle de BEREMIN La notion de statistique est ensuite introduite dans les modèles décrivant la rupture par clivage. On présente dans ce paragraphe, le modèle de BEREMIN (1983), basé sur la théorie du maillon faible et reposant sur les hypothèses suivantes : – l’hétérogénéité micro-structurale du matériau conduit à l’apparition de micro-fissures dès le début de la plasticité à froid et les micro-fissures n’existent pas en dehors de la zone plastique ; – seule la contrainte principale maximale intervient dans la propagation des microfissures. La probabilité de rupture d’un volume plastifié Vp s’écrit donc : Pr 1 exp m w u σ σ = − − avec 1 0 p m m w I V dV V σ σ (II.24) où V0 est un volume de référence qui doit être choisi assez petit pour que l’indépendance statistique soit vérifiée et assez grand pour que la probabilité d’y trouver une micro-fissure de longueur critique soit raisonnable (en pratique V0 inclut quelques grains) et (m,σ u ) sont les paramètres du modèle. Le module m traduit la dispersion du matériau vis-à-vis de la rupture par clivage et σ u est la contrainte critique caractérisant la résistance du matériau vis-à-vis de la rupture fragile. Dans la détermination des paramètres, la valeur du volume de référence n’a pas d’importance, car il apparaît couplé au second paramètre de normalisation,σ u . La notion de volume de référence prend tout son intérêt lors du calcul de la rupture en présence de gradients mécaniques. Il s’agit alors de discrétiser le volume en volumes sollicités de façon homogène et statistiquement représentatifs, mais pas nécessairement égaux au volume V0 . La résistance de ces volumes est alors calculée en fonction de la statistique de rupture. Gao et al. (2005, 2006, 2010), ont étudié l’influence de la vitesse de sollicitation et de la température sur les paramètres du modèle et ils tirent les conclusions suivantes : – m est indépendant de la vitesse de sollicitation et de la température, – σ u diminue légèrement avec la vitesse de sollicitation (Figure II-26 (a)), – σ u augmente avec la température (Figure II-26 (b))
I INTRODUCTION |