Structure et composition chimique
Le caoutchouc se présente à l’état naturel sous la forme d’un liquide d’apparence laiteuse, appelé latex, qui est une dispersion de particules de caoutchouc dans un sérum aqueux contenant diverses substances organiques et minérales. L’extraction du caoutchouc du latex est alors réalisée par coagulation à l’aide d’une solution acide, pour obtenir de la « gomme crue ».
Structure de chaînes
Le caoutchouc naturel et les élastomères d’un point de vue général (de nos jours dans le langage courant, caoutchouc et élastomère sont souvent synonymes, ils désignent des polymères ayant des propriétés élastiques, capables de supporter de très grandes déformations sans se rompre) sont constitués de longues chaînes de monomères, ou macromolécules. Dans le cas du caoutchouc naturel issu de l’hévéa, celui-ci est composé à 99,9% de polyisoprène linéaire cis-1,4. La stéréorégularité de ce type de configuration va conditionner de manière importante les propriétés physiques et mécaniques. Il existe en effet d’autres formes naturelles de trans-polyisoprène, telle que le Gutta-percha, qui présentent des propriétés radicalement différentes. Les deux types de conformations cis-1,4 et trans-1-4 sont représentées Figure 1.1
Impuretés et réseau naturel
Le latex naturel contient des éléments constitutifs habituels de la matière vivante : principalement protides, glucides, lipides et sels minéraux. Une partie d’entre eux est entrainée avec l’hydrocarbure caoutchouc lors de la coagulation. Le caoutchouc cru est au final composé d’environ 94% en masse de macromolécules de cis-1,4 polyisoprène et de 6% d’ « impuretés » comme indiqué dans le Tableau 1.1.
La vulcanisation
L’ultime étape du processus d’élaboration est l’étape de vulcanisation, qui confère à l’élastomère la plupart de ses propriétés finales. A l’état cru, malgré l’existence du réseaunaturel vu précédemment, le caoutchouc n’a que de très médiocres propriétés mécaniques.
Le principe du mécanisme de vulcanisation est la création de liaisons chimiques établissant des « ponts » entre les chaînes macromoléculaires, constituant un réseau tridimensionnelqui empêche ces dernières de glisser les unes par rapport aux autres et assure la permanence des caractéristiques d’élasticité. Le nombre de liaisons créées (taux de réticulation)pilote dès lors le comportement global du matériau (cf. Figure 1.2). Ce procédé de réticulation nécessite un apport d’énergie, l’existence ou la création de sites réactifs sur les chaînes de l’élastomère et un agent de vulcanisation qui est le plus souvent du soufre, mais il peut également s’agir de peroxydes organiques. La vulcanisation par le soufre seul ne permet pas cependant de répondre aux exigences de productivité actuelles. Pour avoir des temps de vulcanisation compatibles avec des processus industriels, de bonnes propriétés mécaniques ou dynamiques et une durée de vie satisfaisante, on combine son action aux accélérateurs et activateurs évoqués précédemment.
Le noir de carbone
La silice et le noir de carbone (CB, pour « Carbon Black » en anglais) sont les deux principales charges renforçantes utilisées de nos jours dans l’industrie du caoutchouc. Nous choisissons de ne présenter ici que le noir de carbone, dans la mesure où il s’agit du renfort utilisé pour les mélanges de ce travail de doctorat. Ces charges permettent d’améliorer certaines propriétés mécaniques du caoutchouc (cf. partie 1.2.2) et d’étendre ainsi les do maines d’utilisation de ce dernier. Le noir de carbone est l’une des formes du carbone élémentaire, produit par combustion incomplète d’hydrocarbures. Il est utilisé en grande majorité dans l’industrie du caoutchouc (notamment l’industrie du pneumatique), mêmes’il est parfois également employé pour la fabrication de certains plastiques ou certaines encres. Il se présente classiquement sous forme de poudre dont les particules ont un dia mètre moyen de l’ordre de la dizaine de nanomètres (cf. Figure 1.3), et sont soudées de façon aléatoire formant ainsi des agrégats de taille comprise entre 100 et 200 nm. Ces amas sont insécables et ont des structures ramifiées assimilables à des chapelets connus sous le nom de structures primaires, comme le montre la Figure 1.4 obtenue par microscopie électronique en transmission (MET).
Comportement cyclique et effet Mullins
La Figure 1.13 met en évidence le comportement mécanique d’un caoutchouc naturel chargé au noir de carbone lors de cinq cycles de charge et décharge à une élongation maximale de λ = 4. On constate sur celle-ci une perte de raideur au cours des cycles, où pour une élongation donnée, le niveau de contrainte pendant la phase de charge décroit. On observe notamment une différence importante entre les contraintes des deux premières charges, puis une différence nettement plus faible entre les cycles suivants. Cet adoucissement des contraintes lors des premiers cycles, mis en évidence la première fois par Bouasse et Carrière (1903), a été étudié intensivement par Mullins (1948, 1969) qui a laissé son nom au phénomène : l’effet Mullins. Ce dernier a d’abord rapporté un adoucissement important dans le cas de caoutchoucs naturels chargés uniquement, avant de se rendre compte que ce phénomène était également présent dans le cas d’un mélange non chargé, mais cependant bien moins marqué à même niveau d’élongation. On retiendra donc que le noir de carbone a tendance à augmenter cet effet d’adoucissement, bien que déja présent dans une matrice de caoutchouc naturel non chargé (Harwood et al., 1966; Harwood et Payne, 1966). Le fait que la littérature ne rapporte pas d’effet Mullins dans le cas d’élastomères non chargés et non-cristallisables a d’ailleurs tendance à alimenter la thèse d’un lien probable entre la cristallisation sous tension et ce phénomène dans le cas du caoutchouc non chargé (Diani et al., 2009). A ce jour, les mécanismes physiques à l’origine de l’effet Mullins prêtent encore à discussion, et n’ont pas été identifiés de manière précise. Le lecteur pourra se reporter à l’article de revue très complet de Diani et al. (2009) pour de plus amples explications relatives à ce phénomène. Il convient d’ajouter par ailleurs que l’effet Mullins est quasiment réversible sur le long terme (de l’ordre de 90% de la raideur sont recouvrés en 150 jours, cf. Chagnon (2003)) et que le recouvrement est accéléré par la température (Bueche, 1962; Mullins, 1969). Un autre point notable réside dans la déformation résiduelle enregistrée par l’éprouvette après un cycle de chargement (cf. Figure 1.13), autrement dit lorsque les courbes de décharge ne reviennent pas à un déplacement nul lorsque l’effort est annulé.
Cette déformation rémanente est notamment à l’origine du flambement de l’éprouvette de traction lors du retour à déplacement nul, bien connu des expérimentateurs, durant un essai de fatigue piloté à déplacement imposé. Tout comme l’adoucissement des contraintes, ce phénomène est encore discuté dans la littérature, et peut être recouvré rapidement no-tamment après un maintien en température (Bueche, 1962).
Enfin, on observe toujours dans le cas du NR chargé la boucle d’hystérésis correspondant à l’énergie dissipée lors d’un cycle complet, déjà constatée dans le cas du NR non chargé. La forme et la taille de cette boucle d’hystérésis dépendent du niveau de sollicitation appliqué (Lion, 1997), et évoluent de façon significative au cours des différents cycles. Pour un niveau de déformation donné, l’aire de l’hystérèse diminue fortement entre le premier et deuxième cycle, puis diminue plus faiblement lors des cycles suivants jusqu’à se stabiliser pour un nombre de cycles important. Le taux de noir de carbone a également une influence significative sur le comportement hystérétique du caoutchouc naturel, comme le montre bien la Figure 1.14. L’aire de l’hystérèse mécanique est plus importante pour les mélanges les plus chargés faisant du noir de carbone une source importante de dissipation d’énergie.
Influence de divers paramètres sur la cristallisation sous tension
Influence d’un temps de relaxation
A température ambiante, lorsqu’un mélange de caoutchouc naturel est étiré à une extension lui permettant de cristalliser, puis maintenu à cette extension, la contrainte mesurée relaxe tandis que la cristallinité augmente au cours du temps, comme le montre la Figure 1.17. Selon Rault et ses collaborateurs (Trabelsi et al., 2003a; Rault et al., 2006b), ces deux phénomènes sont corrélés, la relaxation de la contrainte est alors en partie expliquée par la relaxation des chaînes amorphes suite au phénomène de cristallisation, comme le prédit la théorie de Flory (1953). La même évolution de la contrainte est rapportée dans l’étude de Choi et Roland (1997) sur des caoutchoucs naturels réticulés aux peroxydes. Tosaka et al. (2006), avec le même type d’expérience, ont par ailleurs montré que la cinétique de cristallisation et la relaxation de la contrainte étaient moins rapides dans le casd’un caoutchouc polyisoprène synthétique.
La Figure 1.18 montre l’évolution de la cristallinité, ici considérée comme proportionnelle à l’intensité de la tache de diffraction (120), en fonction du temps pour trois niveaux d’extensions appliqués au matériau. On observe notamment que la cinétique decristallisation dépend largement de l’extension imposée à l’éprouvette, cette dernière étantlogiquement plus rapide dans le cas des extensions les plus élevées, et évoluant presquelinéairement avec le logarithme du temps. Komura et al. (2008) ont plus récemment obtenudes résultats similaires sur le même type de matériau, par mesures RMN (pour « résonance magnétique nucléaire »).
Caractérisation de la propagation de fissures en fatigue
Connaissant maintenant le comportement mécanique uniaxial des cinq matériaux de l’étude, nous présentons et discutons à présent leur comportement en termes de propagation de fissure en fatigue. Toutefois, nous choisissons de débuter cette section par une discussion sur l’influence notable du protocole expérimental sur les mesures de vitesses de propagation. Dans la suite, les différents résultats sont classiquement représentés sur des graphes à échelle logarithmique donnant l’évolution de la vitesse de fissuration dc/dn en nm/cycle en fonction du taux de restitution d’énergie G en J/m2 . On notera également que, dans cette étude, nous nous focalisons uniquement sur le régime de Paris de la loi dc/dn = f (G), abordé dans la revue bilbiographique du chapitre 2. Par conséquent, nousne nous intéressons pas aux valeurs critiques de G qui entraînent la rupture des éprouvettesPS en quelques cycles.
Influence du taux de noir de carbone
Cette section permet de comparer les mesures CIN obtenues sur les quatre matériaux à matrice naturelle afin d’apprécier qualitativement et quantitativement l’influence du noir de carbone incorporé à la matrice sur les champs de déformation en pointe de fissure de fatigue. La Figure 6.12 révèle les champs de l’extension principale λ1 au voisinage d’une pointe de fissure de fatigue pour ces matériaux à même élongation globale λ = 1, 92, la surface grisée représentant toujours la matière dont l’extension locale mesurée λ 1,lim est supérieure à 2,1. La Figure 6.13 montre quant à elle l’évolution de cette extension dans l’axe de la fissure pour les quatre mélanges. Il se dégage de ces mesures que la taille de la zone déformée en pointe de fissure diminue avec l’addition de noir de carbone, la zone déformée à plus de λ 1,lim = 2, 1 étant plus importante dans le cas de la matrice non chargée et sa taille décroît avec le taux de noir de carbone incorporé. La différence entre les mélanges chargés apparaît toutefois faiblement marquée sur la Figure 6.13.
Table des matières
Introduction générale
I Contexte bibliographique et méthodes expérimentales de l’étude
1 Le caoutchouc naturel et la cristallisation sous tension
1.1 Généralités sur le caoutchouc naturel
1.1.1 Origines géographiques et historiques
1.1.2 Structure et composition chimique
1.1.3 Elaboration
1.1.4 Le noir de carbone
1.1.5 Le phénomène de cristallisation
1.2 Propriétés mécaniques du caoutchouc naturel
1.2.1 Caoutchouc naturel non chargé
1.2.2 Influence du noir de carbone
1.3 Influence de divers paramètres sur la cristallisation sous tension
1.3.1 Influence d’un temps de relaxation
1.3.2 Influence de la vitesse de déformation
1.3.3 Influence de la température
2 Fissuration en fatigue du caoutchouc naturel
2.1 Théorie de la rupture dans les élastomères
2.1.1 Les modes élémentaires de fissuration
2.1.2 Taux de restitution d’énergie : G, T et J
2.2 Propagation de fissure par fatigue dans les élastomères
2.2.1 Caractérisation de la vitesse de fissuration dans les élastomères
2.2.2 Comportement particulier du caoutchouc naturel
2.2.3 Cristallisation et fatigue
2.3 Facteurs qui influencent la propagation de fissure dans le caoutchouc naturel
2.3.1 Influence de la température et d’un vieillissement thermique
2.3.2 Influence du noir de carbone
2.3.3 Influence de la fréquence et du type de signal
2.3.4 Influence de conditions de chargement non relaxantes
3 Matériaux de l’étude et techniques expérimentales
3.1 Matériaux de l’étude
3.2 Mise en place des essais de mesure de vitesses de propagation
3.2.1 Machine de fatigue et éprouvettes
3.2.2 Protocole expérimental
3.2.3 Différences avec le protocole interne à l’entreprise Michelin
3.3 Mise en place d’un essai in situ au MEB
3.3.1 La microscopie électronique à balayage
3.3.2 Expérience de fatigue in situ
3.3.3 Mise en place d’essais ex situ
3.4 Mise en place d’un essai in situ au synchrotron SOLEIL
3.4.1 Montage expérimental
3.4.2 Essais quasi-statiques uniaxiaux
3.4.3 Essais de fatigue et mesures en pointe de fissure
3.4.4 Méthode d’analyse des clichés WAXD
II Résultats expérimentaux
4 Caractérisation des matériaux de l’étude
4.1 Comportement uniaxial
4.1.1 Caractérisation de la cristallinité lors d’un cycle charge-décharge
4.1.2 Sollicitations monotones à rupture
4.1.3 Sollicitations cycliques
4.2 Caractérisation de la propagation de fissures en fatigue
4.2.1 Discussion sur l’importance du protocole expérimental
4.2.2 Résultats de fissuration
4.2.3 Bilan
5 Observations MEB du fond de fissure de fatigue
5.1 Conditions d’observation
5.1.1 Observation in situ
5.1.2 Observation après propagation ex situ
5.1.3 Mise en évidence de l’influence du faisceau d’électrons incidents
5.2 Influence du type d’élastomère
5.2.1 Essais in situ
5.2.2 Essais ex situ
5.3 Influence du taux de noir de carbone
5.3.1 Essais in situ
5.3.2 Essais ex situ
5.4 Influence d’un chargement non relaxant
5.5 Influence de la température
5.5.1 Essais in situ
5.5.2 Essais ex situ
5.6 Discussion générale
6 Etude du voisinage de la pointe de fissure par corrélation d’image et diffraction des rayons X
6.1 Champs de déformation en pointe de fissure de fatigue
6.1.1 Champs de déformation dans le plan
6.1.2 Champs de déformation dans l’épaisseur
6.2 Cartographies de cristallinité en pointe de fissure
6.2.1 Représentation des résultats
6.2.2 Influence du niveau de sollicitation
6.2.3 Influence d’un vieillissement thermique préalable
6.2.4 Influence de l’émoussement de la pointe de fissure
6.2.5 Influence de conditions de sollicitation non relaxantes
6.2.6 Influence du taux de noir de carbone
6.3 Confrontation des résultats et discussion générale
7 Discussion générale – Influence de la cristallisation sous tension sur la résistance à la fissuration en fatigue
7.1 Résultats expérimentaux confirmant l’hypothèse
7.1.1 Influence de la matrice élastomère
7.1.2 Influence de conditions de sollicitation non relaxantes
7.2 Résultats expérimentaux infirmant l’hypothèse
7.2.1 Influence de la fréquence d’essai
7.2.2 Influence de la température
7.3 Résultats expérimentaux à discuter vis à vis de l’hypothèse
7.4 Discussion générale .
Conclusion générale
Références bibliographiques
Annexes
A Correction des clichés de diffraction
A.1 Correction du bruit expérimental et de la diffusion de l’air
A.1.1 Mesures sans éprouvette
A.1.2 Mesures avec eprouvette
A.1.3 Bilan
A.2 Calcul de l’épaisseur de l’éprouvette étirée
A.3 Bilan