Étude du transfert radiatif dans les milieux
ga- zeux
– caractéristiques de l’absorption d’une partie du rayonnement provenant du soleil par l’atmosphère terrestre – marque certainement les prémisses de l’étude du transfert radiatif dans les milieux gazeux. L’étude, l’analyse et la modélisation des interactions entre rayonnement et gaz vont alors connaître, essentiellement à partir de la seconde moitié du XIXème siècle, d’importants développements théoriques, expérimentaux et méthodologiques dans des champs applicatifs variés [Hulst, 1980, Siegel et al., 2011]. Historiquement, c’est l’étude de l’atmosphère terrestre qui motive les premiers travaux sur ce sujet [Fraunhofer, 1817, Langley, 1883, Arrhenius, 1896, Rayleigh, 1920]. Avec l’apparition de nouvelles méthodes et de technologies de calcul, l’étude du rayonnement dans l’atmosphère terrestre prendra une nouvelle dimension avec le développement de la climatologie, de la météorologie moderne ou encore de la paléoclimatologie [Kondratyev, 1969, Goody et al., 1989]. C’est essentiellement au sein de la communauté astrophysique que la théorie se développe ensuite, durant la première moitié du XXème siècle, avec l’étude de la propagation du rayonnement dans les atmosphères planétaires, dans les étoiles et dans les nuages de gaz interstellaires [Chandrasekhar, 1960, Chandrasekhar, 1963]. Par la suite, grâce à l’étude de fours verriers [Gardon, 1958, Robert, 1958], la prise en compte du rayonnement thermique prendra son essor dans un grand nombre d’applications industrielles où de fortes températures sont rencontrées : fours, moteurs à combustion, chambres de combustion, turboréacteurs, propulsion d’engins spatiaux, centrales solaires thermodynamiques, etc. [Viskanta et Mengüç, 1987, Siegel et al., 2011, Modest, 2013]. Malgré les importantes avancées réalisées depuis la fin du XIXème siècle et le développement récent de puissantes technologies de calcul, l’étude du rayonnement dans les milieux gazeux demeure encore aujourd’hui complexe à prendre en compte. Les besoins ayant évolué dans chaque domaine d’application, les spécialistes sont à la recherche de solutions toujours plus précises et de méthodes de calcul toujours plus efficientes. Parmi les problématiques et enjeux actuels pour lesquels une modélisation rigoureuse du transfert radiatif est essentielle, nous pouvons citer : • la simulation climatique et l’élaboration de scénarios. Le contexte actuel de réchauffement global pousse les climatologues à proposer des modèles et des scénarios climatiques pour tenter de quantifier les effets de l’activité humaine sur le climat. Tous les échanges d’énergie entre le système Terre/atmosphère et le reste de l’univers s’effectuant sous forme de rayonnement, il est crucial de modéliser avec précision ces interactions. Toutefois, les simulations complexes du climat (basées sur des modèles de circulation générale), couplant dynamique des fluides et transferts thermiques, sont souvent très coûteuses. Aussi, un compromis entre précision et temps de calcul est en permanence recherché dans ce champ applicatif. • les prévisions météorologiques. Les besoins croissants en termes de prévisions météorologiques orientent la communauté spécialisée à produire des modèles de plus en plus finement résolus (tant spatialement que temporellement), mais également de plus en plus fiables à long terme. Il est alors nécessaire de recourir à des modèles de plus en plus détaillés et des méthodes de calcul de plus en plus précises, tout en respectant les contraintes de temps de calcul qu’imposent en particulier les prévisions à court terme. • l’analyse des atmosphères extraterrestres. Le rayonnement des gaz étant fortement dépendant de leurs propriétés radiatives, les astrophysiciens cherchent, à partir d’observations spectrales, à identifier les propriétés (champs de température, de pression) et les compositions moléculaires des atmosphères stellaires ou exoplanétaires. Mais ces calculs, basés en partie sur des approches inverses, requièrent d’être capable d’estimer avec précision les observables radiatives d’intérêt. Ces axes de recherche sont de plus en plus motivés par des problématiques d’exobiologie ou d’habitabilité exoplanètaire. • la simulation du vieillissement de composants exposés à de hautes températures. Dans des contextes industriels, en particulier chez les motoristes, il est nécessaire de pouvoir garantir la durée de vie des composants soumis à de hautes températures et à d’importantes contraintes thermomécaniques. Pour ce faire, de longues périodes d’essais expérimentaux (pouvant durer plusieurs années) sont généralement réalisées avant la mise en production d’un nouvel élément. Ces industriels sont ainsi très demandeurs d’outils permettant de simuler avec précision la thermique des parois (et en particulier le transfert radiatif) afin d’écourter, en toute confiance, ces coûteuses phases de tests. • la simulation des phénomènes de combustion. La conjoncture environnementale actuelle encourage également les industriels à produire des systèmes de plus en plus économes énergétiquement et de plus en plus propres en termes de rejets. Lors de la conception de chambres de combustion, la prédiction des concentrations de substances dangereuses ou polluantes (NOx, suies, CO, etc.) fortement dépendantes de la température et l’efficacité de la combustion représentent deux enjeux importants. Les simulations numériques couplant cinétique chimique, dynamique des fluides et transferts thermiques demandent également, dans ces situations, d’être particulièrement précises.
Hétérogénéité et dépendance spectrale
Dans leur ouvrage [Siegel et al., 2011], considéré à l’heure actuelle comme texte de référence en transfert radiatif, les auteurs introduisent l’étude du rayonnement en milieu participant par : « Two major difficulties make the study of radiation transfer in absorbing, emitting and scattering media quite challenging. The first difficulty is the spatial variation in radiative properties throughout the medium […]. A second difficulty is that spectral effects are often much more pronounce in gases […] than for solid surfaces, and a detailed spectrally dependent analysis may be required. » Si la dépendance spatiale et spectrale des propriétés radiatives du milieu pose un problème majeur, quel que soit l’objet d’étude, c’est que pour décrire localement une observable radiative intégrée spectralement (ex : luminance ou bilan radiatif), il est nécessaire de connaître, pour tout point du milieu et pour toute longueur d’onde, ces propriétés radiatives. Or ces dernières, en particulier le coefficient d’absorption, sont à la fois très dépendantes de la pression, de la température et des concentrations des espèces moléculaires présentes, mais aussi, et de façon encore plus prononcée, de la longueur d’onde d’intérêt. Les milieux considérés (flammes, gaz chauds, atmosphères, etc.) étant de façon générale fortement hétérogènes et les coefficients d’absorption étant extrêmement variables d’une longueur d’onde à l’autre, il devient vite délicat de réaliser une description rigoureuse de la grandeur radiative observée. Face à cette importante complexité, les spécialistes du transfert radiatif développent depuis plusieurs décennies des méthodes et modèles approchés, de plus en plus précis et efficients. Ces derniers ont souvent pour vocation d’être implémentés et couplés avec d’autres phénomènes (mécanique des fluides, cinétique chimique, thermique, etc.) dans divers codes de calcul. Ces méthodes et modèles simplifiés sont usuellement validés par des solutions dites de référence, généralement trop coûteuses en termes de temps de calcul pour être compétitives en situation opérationnelle. Les modèles sur lesquels s’appuient ces solutions de référence sont généralement basés sur des descriptions quasi-déterministes (ex : approche raie-par-raie pour l’intégration spectrale, ou calcul d’épaisseurs optiques par une discrétisation spatiale des propriétés radiatives pour gérer les non-uniformités du milieu). Les travaux présentés dans ce manuscrit proposent de répondre, par une approche purement statistique, sans modèle quasi-déterministe sous-jacent, aux deux principales difficultés que représentent la non-uniformité et la dépendance spectrale des propriétés radiatives des milieux gazeux. Si une approche purement statistique est proposée, c’est parce que face à une telle complexité, ce type d’approche et les méthodes stochastiques qui en découlent (algorithmes de Monte-Carlo) ont, à de nombreuses reprises par le passé, permis de lever diverses limitations, d’offrir certains avantages et d’ouvrir de nouvelles perspectives. Parmi quelques récents travaux, nous pouvons citer ceux de J. Dauchet et d’O. Farges qui ont permis, par une approche statistique, de proposer d’intéressantes solutions originales. Dans [Dauchet, 2012], les approches statistiques ont permis le développement d’algorithmes de Monte-Carlo simulant les propriétés électromagnétiques de micro-organismes en géométrie tridimensionnelle ou encore de quantifier sans aucun biais statistique la production globale d’un photobioréacteur à partir d’une modélisation mésoscopique du transfert radiatif. Ces approches statistiques ont également conduit au développement, dans [Farges, 2014], d’un outil permettant d’optimiser l’agencement d’une centrale solaire thermodynamique par un calcul non biaisé de sa production énergétique sur toute sa durée de fonctionnement. Ces quelques résultats, difficilement imaginables auparavant, témoignent de l’intérêt réel de reposer un problème sous un angle purement statistique.