Etude du rôle du canal TREK-2 dans la douleur

RÔLE DU CANAL TREK-2 DANS LES NEURONES DE DRG

TREK-2 contribue majoritairement à la conductance potassique de fond dans les neurones de DRG (Kang and Kim, 2006). En premier lieu, nous avons donc voulu déterminer quel était l’impact de la délétion du canal TREK-2 sur l’excitabilité des neurones sensoriels de DRG. Pour cela, nous avons enregistré en patch clamp les potentiels de repos membranaires de neurones en culture de DRG de souris sauvages et TREK-2-/-. Les enregistrements ont été réalisés en configuration cellule entière, en courant imposé, et à température ambiante (~24 °C). Les neurones enregistrés sont de petit diamètre (<20 μm) et présentent un potentiel de repos stable pendant au moins deux minutes après la rupture du patch de membrane et le passage en configuration cellule entière.
Les neurones sauvages présentent en moyenne un potentiel de repos autour de -59mV et les neurones TREK-2-/-ont un potentiel de repos moyen d’environ -43mV (Figure 34). La délétion du canal TREK-2 dépolarise de près de 15mV les neurones (p<0,01, Mann Whitney). Cela suggère que lorsqu’il est exprimé dans les neurones de DRG, TREK-2 induit une hyperpolarisation susceptible de réduire l’excitabilité des fibres sensorielles.
Ces résultats sont cohérents avec les propriétés électrophysiologiques du canal ainsi qu’avec la littérature. Une étude récente a d’ailleurs rapporté que, dans les neurones de DRG de rat, la délétion du canal TREK-2 dépolarisait d’environ 10mV des cellules (Acosta et al., 2014).

Impact de TREK-2 dans la perception au chaud

Étude sur des neurones sensoriels de DRG par imagerie calcique

Les neurones de DRG sont prélevés sur animal euthanasié puis mis en culture pendant deux jours avant utilisation. Nous mesurons, à l’aide du FURA-2-AM, les variations de calcium intracellulaire des neurones suite à l’augmentation de température afin de déterminer leur thermosensibilité. L’activité basale, soit le niveau de fluorescence basale, des cellules est mesurée pendant environ 1min, puis nous perfusons directement sur les cellules une solution de capsaïcine à 10μM pendant ~1min, pour activer les canaux TRPV1, qui sont des senseurs du chaud (Caterina and Julius, 2001). Après rinçage de la capsaïcine, le milieu de perfusion des cellules estréchauffé, passant de 30°C à 48°C en moins d’une minute. Nous avons pu mesurer, pour chaque génotype, la fraction de neurones sensibles à l’augmentation de la température et sensible ou insensible à la capsaïcine.
La fraction de neurones sensibles à une augmentation de la température augmente significativement avec la délétion de TREK-2, passant de ~50% chez les neurones de souris sauvages à 60% pour les neurones de DRG de souris TREK-2-/- (Figure 35). La fraction de neurones sensibles au chaud uniquement, insensible à la capsaïcine, est significativement augmentée chez les souris TREK-2-/- (p<0,01, Test Chi2) et il en est de même pour la fraction de neurones sensibles à la fois au chaud et à la capsaïcine (p<0,05, Test Chi2). La délétion du canal TREK-2 révèle deux populations de neurones qui, lorsque TREK-2 est présent, ne sont pas activés par le chaud. L’une d’elles est sensible à la capsaïcine et donc exprime le canal TRPV1, tandis que l’autre ne semble pas l’exprimer.

Étude des fibres C nociceptives : enregistrements nerfpeau

Nous avons ensuite étudié par la technique de nerf peau les fibres nociceptives de type C activées par la température. Cette technique consiste à enregistrer l’activité de fibres nerveuses isolées en appliquant un stimulus directement sur son champ récepteur cutané (Reeh, 1986; Zimmermann et al., 2009). Pour identifier le champ récepteur de chaque fibre enregistrée, nous stimulons mécaniquement la peau jusqu’à déclencher la réponse d’une fibre. Nous isolons ensuite le champ récepteur de l’ensemble de la préparation à l’aide d’un cylindre métallique dans le but de perfuser directement le milieu SIF (Synthetic Intersticial Fluid) à une température donnée seulement sur cette zone de la peau. Nous stimulons ensuite électriquement les terminaisons sensorielles du neurone qui innerve cette partie de la peau pour déterminer leur vitesse de conduction. Les fibres cutanées dont la vitesse de conduction correspond est inférieure à 1,5m.s-1 sont des fibres C. Par ces différents procédés, nous enregistrons donc uniquement des fibres C mécanosensibles (C-M), qui représentent près de 90% des fibres C innervant la peau (Wetzel et al., 2007). Pour chaque fibre, nous mesurons le seuil de sensibilité mécanique avec des filaments de von Frey calibrés. Les fibres dont le seuil de sensibilité est supérieur à 4 mN sont des fibres à haut seuil, essentiellement des fibres nociceptives. L’activité basale des fibres est enregistrée pendant au moins 1min à 30°C puis nous appliquons une rampe chaude, en chauffant le milieu de perfusion de la peau jusqu’à 50°C en 1 minute avant un retour à 30°C (Figure 36). En parallèle, nous avons mesuré la sensibilité au froid des fibres C. Nous avons pu déterminer la fraction, dans chaque génotype, de fibres C-M activées par le froid (CM-C), le chaud (CM-H) ou par les deux stimuli (C-MHC) et mesurer l’activité des fibres en réponse à chacun des stimuli, ainsi que leur seuil de sensibilité thermique au chaud et/ou au froid.
Nous avons tout d’abord mesuré les seuils de sensibilité mécanique de chaque fibre enregistrée et nous n’avons noté aucune différence entre les deux génotypes, les valeurs médianes étant identiques pour les fibres sauvages et TREK-2-/- (valeur médiane 11,4mN pour les deux génotypes, WT n= 37 fibres ; TREK-2-/- n=43 fibres, p>0,05, test Mann Whitney).
Nous avons ensuite analysé la réponse induite par l’augmentation de température de 30°C à 50°C des fibres C-MH et C-MHC de chaque génotype (Figure 37). La fréquence de décharge de PAs en réponse au chaud est augmentée chez les souris TREK-2-/- par rapport aux souris sauvages (Figure 37 A). Les fibres sauvages déchargent en moyenne 47 PAs en 60s, les fibres TREK-2-/- ont une réponse moyenne de 57 PAs par minute.
De plus, les seuils de sensibilité au chaud des fibres sont plus bas chez les souris TREK-2-/- (Figure 37 B). Les fibres TREK-2-/- répondent à l’augmentation de température autour de 35,7°C tandis que les fibres sauvages sont actives en autour de 40,3°C (valeurs médianes).
La fréquence de décharge des potentiels d’action des fibres TREK-2-/- pendant la rampe de température est supérieure à celle des fibres sauvages pour des températures en dessous de 40°C (entre 30°C et 40°C) (Figure 37 B). Par contre, il n’y a aucune différence visible entre les activités des fibres sauvages et TREK-2-/- au-delà de 40°C (entre 40°C et 50°C) (Figure 37 D).
La fraction de fibres sensibles au chaud (C-MH et C-MHC), qui représente 56% des fibres C enregistrées chez les souris sauvages, est augmentée chez les souris TREK-2-/- à 68% (Figure 38 A).
Les fractions de fibres C-MH sont similaires pour les deux génotypes alors que la fraction de fibres C-MHC est fortement augmentée chez les souris KO. En effet, les souris sauvages comptent environ 15% de fibres CM-HC et cette fraction est doublée chez les souris TREK-2-/- (p<0,01, Test Chi2).
L’absence du canal TREK-2 dans les fibres C induit donc une augmentation de la fraction de fibres sensibles au chaud en augmentant la fraction de fibres sensibles à la fois au chaud et au froid. On observe donc une nette diminution de la sélectivité thermique des fibres. Si l’on observe dans le détail l’activité des fibres en fonction de la température, on remarque qu’il y a plus de fibres C actives dans des gammes de chaud modéré chez les souris TREK-2-/- par rapport aux souris sauvages. En effet, près de 80% des fibres C TREK-2-/- sont actives entre 30°C et 40°C alors que seulement 50% des fibres sauvages sont activées dans ces gammes de température (Figure 38).
L’absence du canal TREK-2, en plus d’amplifier la réponse des fibres à l’augmentation de la température, augmente la fraction de fibres activées par ce stimulus. Cependant l’effet de la délétion de TREK-2 sur l’activité des fibres n’est visible que dans des gammes de température modérées, soit entre 30°C et 40°C. L’ensemble de ces résultats montrent que le canal TREK-2 est un puissant modulateur del’activité des fibres C en réponse au chaud jusqu’à 40°C.

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Rôle du canal TREK-2 dans la perception du froid

Le canal TREK-2 est un canal thermosensible dont l’activité diminue avec la diminution de la température, nous avons cherché à déterminer si le canal est également impliqué dans la perception au froid. Pour cela nous avons utilisé les mêmes approches d’imagerie calcique et d’enregistrements nerf-peau que pour l’étude des effets du canal TREK-2 dans la perception de la chaleur par les neurones sensoriels et les fibres C-nociceptive.

Étude des réponses au froid des neurones sensoriels de DRG par imagerie calcique

Nous avons évalué par imagerie calcique la fraction de neurones de DRG de souris sauvages et TREK-2-/- qui sont sensibles au froid et/ou au menthol, l’agoniste des canaux TRPM8.
Les canaux TRPM8 sont des senseurs essentiels dans la perception du froid (Bautista et al., 2007).
Les neurones en culture ont été perfusés avec une solution de menthol à 500μM puis, après rinçage, la température du milieu de perfusion des cellules a été abaissée jusqu’à atteindre 10°C.
Environ 22% des neurones sauvages sont activés par le froid, comme le montre l’augmentation de la concentration de calcium cytosolique (augmentation de la fluorescence du Fura-2) lorsque la température de perfusion est abaissée à 10°C (Figure 39), Cette valeur correspond aux données précédemment publiées par le laboratoire (Noël et al., 2009). La fraction de neurones sensible au froid est augmentée chez les TREK-2-/- puisque plus de 28% des neurones répondent au froid. Le pourcentage de neurones sensibles au froid et au menthol est identique pour les deux génotypes et c’est la fraction de neurones sensibles au froid et insensible au menthol qui est augmentée chez les souris TREK-2-/- (P<0,05, Test Chi2). Ces observations indiquent que la délétion de TREK-2 révèle une population de neurones activés par le froid mais qui sont insensibles au menthol. Il est possible que ces neurones n’expriment pas, ou à très faible niveau d’expression, le canal TRPM8.

Étude de la sensibilité au froid des fibres C nociceptives : enregistrements nerf-peau

Nous avons ensuite mesuré l’activité des fibres C de chaque génotype, sauvage et TREK-2- /-, en réponse à une diminution de la température, de 30°C à 10°C. L’activité basale des fibres est enregistrée pendant au moins 1min à 30°C puis nous appliquons une rampe froide en abaissant la température jusqu’à atteindre 10°C en 1 minute 30 secondes pour rétablir rapidement la température de perfusion de la peau à 30°C.Un exemple de l’enregistrement d’une fibre C TREK- 2-/- en réponse au froid est présenté ci-dessous (Figure 40).
La réponse des fibres C-nociceptives au froid est augmentée en absence du canal TREK-2 par rapport aux fibres C-nociceptives sauvages (Figure 41 A). Lors d’un refroidissement de la température de 30°C à 10°C, les fibres sauvages déclenchent en moyenne 37 PAs en une minute alors que les fibres TREK-2-/- déclenchent en moyenne 73 PAs en une minute. La fréquence des PAs des fibres C TREK-2-/- est notamment supérieure à celle des fibres C sauvages pour des températures modérées entre 30°C et 21°C (Figure 41 C).
En accord avec de précédentes études (Koltzenburg et al., 1997; Noël et al., 2009), la fraction de fibres C des souris sauvages qui répondent au refroidissement est d’environ 35%. Les souris TREK-2-/- ont près de 50% de fibres activées par le froid (Figure 42 A). La fraction de fibres C-MHC est doublée chez les souris KO par rapport aux souris sauvages alors que la fraction de fibres C-MC est comparable dans les deux génotypes. De plus, il y a significativement plus de fibres C TREK-2-/- actives entre 30°C et 21°C, dans des gammes de froid modéré, que de fibres C sauvages (Figure 42 B).

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