Etude du processus invasif de Crassostrea gigas en
Bretagne
Le changement climatique, responsable de l’invasion de Crassostrea gigas en Bretagne ?
Une fois l’espèce exotique introduite, le passage à l’étape suivante du processus invasif dépend de sa capacité à se reproduire dans ce nouvel environnement (figure i.1) (Occhipinti-Ambrogi 2007). Par conséquent, une bonne connaissance du processus de reproduction est un élément clé de la compréhension du succès de l’installation de l’espèce dans son nouvel environnement. Si la reproduction de Crassostrea gigas a été très étudiée depuis de nombreuses années en raison de son intérêt économique (Héral et al. 1986; Lubet 1991; Lango-Reynoso et al. 1999), les causes de l’expansion récente des populations sauvages en Bretagne n’ont jamais été établies. En effet, C. gigas a été introduite à la fin des années 70 sur tout le littoral français mais ce n’est que depuis les années 90 que le phénomène de prolifération s’est amplifié sur les côtes bretonnes. Ce temps de latence est classique dans le processus d’installation d’une espèce invasive (Williamson 1996; Mack et al. 2000) et peut avoir plusieurs causes : la fréquence et l’intensité des épisodes d’introduction, une sélection naturelle de génotypes adaptés au nouvel environnement ou une modification de l’écosystème hôte (figure i.2). La première hypothèse ne peut s’appliquer à C. gigas puisque des milliers d’individus cultivés étaient présents en permanence dans les sites ostréicoles sur les côtes bretonnes. La seconde hypothèse semble également peu probable, du moins au début de l’invasion, car les individus cultivés sur les côtes bretonnes provenant tous, jusque très récemment, des bassins ostréicoles d’Arcachon et de Marennes-Oléron, présentaient un pool génétique commun (Meistertzheim 2008). Dans cette étude, nous avons donc décidé de tester la dernière hypothèse et plus précisément, dans un contexte de réchauffement climatique global, l’hypothèse de l’augmentation de la température des eaux côtières en Bretagne. Cette hypothèse est d’ailleurs soutenue par Cognie et al. (2006) et Diederich (2005) pour expliquer la prolifération de C. gigas en Baie de Bourgneuf et Mer de Wadden, respectivement. Chez C. gigas, comme chez de nombreux bivalves marins, il est en effet reconnu que la température de l’eau est le principal facteur environnemental affectant le développement gonadique (Mann 1979; Muranaka et Lannan 1984; Fabioux et al. 2005). Différents paramètres de la reproduction de 1 deux populations localisées dans le nord du Finistère ont donc été suivis pendant deux ans. Le terme population que nous emploierons dans ces travaux n’a pas de valeur génétique, il distingue seulement des huîtres issues de lieux géographiques différents.
Matériel et méthodes
Sites d’études et échantillonnage
Les échantillonnages ont été réalisés sur le site de la Pointe du Château en Rade de Brest, où les huîtres se reproduisent régulièrement depuis une quinzaine d’années et le site de l’Aber Benoît, seule zone en Bretagne indemne de l’invasion de C. gigas alors qu’elle y est cultivée (figure II.1). Figure II.1 : Localisation géographique des sites d’études Les prélèvements d’huîtres ont été effectués de juin à octobre 2006 et de février à novembre 2007 excepté pour les huîtres cultivées de la Pointe du Château où l’échantillonnage n’a débuté qu’en avril. La fréquence des prélèvements était bimensuelle pendant la période estivale (de juin à septembre) et mensuelle le reste de l’année. En 2006 et 2007, les huîtres de l’Aber Benoît étaient des huîtres cultivées âgées de trois ans (70-110 mm), collectées dans le bassin de Marennes-Oléron et transférées à l’âge de 18 mois dans l’Aber. Sur le site de la Pointe du Château, en 2006, seules des huîtres sauvages ont été échantillonnées. La détermination de l’âge des huîtres sauvages par des méthodes non destructives étant impossible, nous avons fait le choix de sélectionner des spécimens de même taille que ceux de l’Aber Benoît (70-110 mm). En 2007, en plus des huîtres sauvages, des huîtres cultivées âgées de trois ans ont été échantillonnées sur le site de la Pointe du Château. Elles ont également été collectées dans le bassin de Marennes-Oléron et transférées à l’âge de 18 mois en Rade de Brest. Les poches ostréicoles des deux sites se situaient à un niveau bathymétrique d’environ 3m, correspondant à une durée d’émersion d’environ 8h par jour, auquel les huîtres sauvages de la Pointe du Château ont également été récoltées. Pour chaque date, une soixantaine d’individus étaient prélevés par situation : 60 huîtres cultivées de l’Aber Benoît (AB), 60 huîtres cultivées de la Pointe du Château (CPC) et 60 huîtres sauvages de la Pointe du Château (PC).
Mesure de la température
Des sondes thermiques (EBI 85-A, Ebro) placées dans les poches ostréicoles sur les sites de la Pointe du Château et de l’Aber Benoît, ont mesuré, toutes les 20 minutes, les températures de l’eau et de l’air supportées par les huîtres lors des phases d’immersion et d’émersion, du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2007. Le jeu de données a pu être décomposé à partir de la situation bathymétrique des poches et de l’oscillation des hauteurs d’eau journalières (SHOM) afin de dissocier les températures mesurées dans l’eau et dans l’air. Les températures mesurées par les sondes dans les poches ostréicoles peuvent être considérées comme similaires à celles supportées par les huîtres sauvages sur les rochers, étant donné que ces dernières étaient prélevées à proximité immédiate du parc ostréicole et se trouvaient au même niveau bathymétrique. Les températures maximales de l’air, enregistrées lors des marées basses ayant lieu l’après-midi en été, pourraient être toutefois supérieures pour les huîtres sauvages à celles mesurées par les sondes, du fait de la protection induite par les poches ostréicoles.
Indice de condition
L’utilisation d’un indice de condition (IC) permet une comparaison globale de l’état physiologique des animaux entre les différents sites. Ce type d’indice reflète l’embonpoint des individus. Il varie avec les facteurs du milieu (température, disponibilité trophique, etc.) ainsi qu’en fonction du cycle de reproduction. Cet indice permet, de caractériser globalement le cycle sexuel de l’huître (vitesse, intensité et date de ponte). L’indice de condition utilisé dans cette étude pour caractériser le cycle sexuel est celui proposé par Lucas et Beninger (1985): IC = (Masse de chair sèche) / (Masse de coquille sèche) x 100 Il a été calculé pour 30 huîtres de chaque prélèvement.
Analyse histologique qualitative de la gonade
L’étude histologique de la gonade permet de définir les stades de maturité. Parmi les 30 individus restants du prélèvement, l’observation au microscope d’un frottis de gonade nous a permis d’obtenir un échantillonnage représentatif de 10 mâles et 10 femelles. Une méthode classique d’histologie qualitative a ensuite été appliquée (Lango-Reynoso et al. 2000) sur des fragments de gonade d’environ 1 cm2 prélevés en avant de la cavité péricardique. Les échantillons de gonade sont fixés pendant 48h dans du fixateur de Bouin, déshydratés dans des bains successifs d’alcool et de xylène, inclus dans de la paraffine liquide et coulés en blocs de paraffine. Des coupes de 5µm d’épaisseur ont été réalisées avec un microtome puis déposées sur des lames porte-objets, colorées à l’hématoxyline-éosine et montées entre lames et lamelles avec une résine d’inclusion synthétique de type Eukitt (Kindler Gmbh & Co). La classification des stades de maturité à partir de l’observation microscopique des coupes histologiques est basée sur l’échelle établie par Mann (1979) (figures II.2 et II.3): Stade 0 : Sexe indéterminé. Repos sexuel Stade 1 : Prolifération des gonies dans les follicules Stade 2 : Maturation des cellules germinales Stade 3 : Gamètes matures, remplissage total du follicule Stade 4 : Ponte totale ou partielle Stade 5 : Résorption. Les gamètes non émis sont résorbés. Présence de nombreux macrophages Dans cette étude, le stade de résorption (stade 5) a été assigné aux huîtres qui n’avaient pas pondu, ou dont la ponte avait été trop partielle pour être visible sur les coupes histologiques, et dont la résorption des gamètes était signalée par la présence de macrophages. Les huîtres dont la ponte a été totale ou partielle ont été classées stade 4 malgré la présence ponctuelle de macrophages dans les follicules presque vides.
Quantification de l’effort de reproduction par ELISA (Enzyme-linked ImmunoSorbent Assay)
Une alternative aux méthodes histologiques a été testée dans cette étude. Elle s’applique aux femelles et consiste à quantifier les protéines des ovocytes en utilisant un anticorps polyclonal spécifique dans un dosage par ELISA (Kang et al. 2003; Royer et al. 2008). Elle permet d’obtenir la proportion exacte de la masse de la gonade sur la masse totale de chair et de quantifier réellement la modulation de la reproduction des individus femelles qui n’est pas accessible avec l’indice de condition. Les tissus des femelles échantillonnées en 2007 et conservés à -80°C, après prélèvement du fragment gonadique pour l’analyse histologique, sont pesés puis lyophilisés et broyés au broyeur à billes. Entre 50 et 100 mg de poudre par individu ont été dissous dans 500 µl de tampon d’extraction (150 mM de NaCl, 10 mM de NaH2PO4, 1mM de PMSF (phenylmethanesulfonylfluoride) dissous dans de l’isopropanol, pH 7,2.) puis homogénéisé avec un ultrasonicateur. Les échantillons sont centrifugés, puis le surnageant est placé dans une microplaque à ultra-titration. Les réactifs du kit de révélation des protéines sont ajoutés (Dc Protein Assay Kit Biorad) et la densité optique lue à 620 nm donne la quantité totale de protéines présente dans chaque échantillon (Lowry et al. 1951) à partir d’une gamme étalon. L’équivalent de 20 µg de protéines totales de chaque échantillon est déposé dans une microplaque ELISA. Le volume est complété à 100µl avec du PBS (phosphate buffer saline, 145 mM de NaCl, 2,5 mM de NaH2PO4, 7,5mM de Na2HPO4, pH 7,2.) et incubé toute la nuit (au moins 13h) à 4°C. Après incubation, la plaque est lavée 3 fois avec du PBS-Tween puis 150 µl d’albumine de bœuf à 1% sont ajoutés dans chaque puits comme agent saturant. La plaque est incubée 1h à température ambiante puis lavée 3 fois avec du PBS-Tween et 3 fois avec de l’eau. Successivement, 100 µl d’anticorps de lapin anti-protéine d’ovocytes puis d’anticorps de chèvre anti-lapin (SIGMA®) dilués au 1/1000 sont ajoutés dans chaque puits et incubés 1 h à température ambiante puis lavés de nouveau. Enfin, 100 µl de substrat pNPP (p-nitrophénylphosphate) préparés dans du tampon DEA (diéthanolamine, SIGMA®) sont ajoutés puis incubés 20 min à l’abri de la lumière. La réaction est stoppée avec 50 µl de NaOH 3N et la densité optique lue à 620 nm. La quantité de protéines d’ovocytes présente dans chaque échantillon est estimée à partir d’une gamme établie à partir d’une série de dilutions d’un échantillon d’ovocytes purs. L’indice gonado-somatique est calculé comme étant le rapport de la masse de protéines d’œufs sur la masse totale de tissu.
INTRODUCTION GENERALE |