L’importance des problèmes écologiques provoqués par l’activité humaine, ainsi que la réduction des énergies fossiles ont entraîné une prise de conscience mondiale sur la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre et d’économiser l’énergie. En grande partie responsables de la production de CO2, les secteurs de l’industrie et de la construction mettent au cœur de leurs recherches ces préoccupations environnementales en intégrant la notion de développement durable à leurs innovations technologiques et en mettant au point des modes de production économes. Le secteur de la construction routière ne fait pas exception à la règle et essaie d’apporter sa contribution à la réduction de la consommation d’énergie et des émanations polluantes.
Les matériaux bitumineux, majoritaires dans les structures de chaussées en France et dans le monde, sont dans la plupart des cas considérés comme de gros consommateurs d’énergie lors de leurs processus de fabrication. La technique dite des enrobés bitumineux à chaud, technique très utilisée pour les revêtements routiers, nécessite un chauffage des constituants (liant, granulats, filler) à des températures comprises entre 130 et 180°C selon le liant bitumineux utilisé. Mais la signature du protocole de Kyoto en décembre 1997 a marqué le début d’une nouvelle ère dans la fabrication et la mise en œuvre des enrobés à haute température. En effet, depuis le début des années 2000, les grandes entreprises routières axent leurs recherches sur l’abaissement des températures de fabrication et de mise en œuvre de ces enrobés à chaud (de 30 à 50°C), avec le souhait de ne pas impacter leurs caractéristiques performantielles. Ces nouveaux enrobés, appelés « tièdes » ou « semi-tièdes » [GNET 2015] selon que leur température de fabrication est supérieure ou inférieure à 100°C, représentent une étape importante et irréversible dans leur démarche de développement durable. Ils se fabriquent à des températures plus basses que les enrobés à chaud par un chauffage moins important des granulats (représentant environ 95% massique du mélange) mais en gardant en général les mêmes températures du liant bitumineux, selon les techniques.
De nombreux procédés « tièdes » (terme valable pour les tièdes et les semi-tièdes) ont ainsi été développés en visant en général trois objectifs communs :
• Economique : utilisation d’un matériel existant (centrale de fabrication, matériel de mise en œuvre…) avec éventuellement des adaptations,
• Technique : garantie de performances, immédiates et à long terme, équivalentes à celles des enrobés à chaud
• Environnemental : gain énergétique et réduction des gaz à effet de serre chiffrables).
Pour être viables, ces procédés doivent s’appliquer sur tout type d’enrobés, tant pour les assises de chaussées que pour les couches de surface régulièrement remplacées, fabriqués avec des liants de différentes natures (purs ou modifiés), et pouvant intégrer ou non des agrégats d’enrobés (provenant du fraisage de couches de roulement et du concassage de plaques d’enrobé ou de déchets). Les procédés tièdes actuellement proposés permettent d’agir soit sur le liant (utilisation d’additifs réducteurs de viscosité, double enrobage…) soit sur l’interface liant-granulat (additifs tensioactifs, matériaux granulaires humides ou mousse de bitume …) et permettraient ainsi d’assurer un enrobage satisfaisant et un enrobé suffisamment maniable à une température de fabrication et de mise en œuvre plus basse, tout en garantissant les propriétés classiques (compacité visée, sensibilité à l’eau, tenue à l’orniérage).
Si l’intérêt que représente le développement des enrobés tièdes est en grande partie énergétique, ils présentent également un intérêt pour les ouvriers en termes de confort grâce à des émanations moindres de fumée. Pourtant, malgré un développement de plus en plus important en France, les retours de chantier montrent une grande réticence de ces ouvriers lors de la mise en œuvre de ces enrobés tièdes. En effet, l’abaissement des températures de fabrication ont fait apparaître sur les chantiers routiers des problématiques qui n’existaient pas dans le cas des enrobés classiques à chaud, à savoir des problématiques de maniabilité lors de la mise en œuvre mécanisée, mais surtout manuelle, dues en grande partie aux propriétés visqueuses des liants bitumineux et à leur thermo susceptibilité. Ce travail de thèse s’inscrit dans une démarche de constructibilité en anticipant ces difficultés liées à la mise en œuvre. Dans cette thématique de la maniabilité des enrobés bitumineux tièdes, il vise à étudier leur comportement aux températures de mise en œuvre et à développer une démarche de caractérisation et d’évaluation de la maniabilité, évaluation que ne permet aucun des essais classiques de formulation pratiqués en France sur les enrobés à chaud. Actuellement les propriétés de compactibilité des enrobés sont déterminées en laboratoire par des essais à la Presse à Cisaillement Giratoire, outil indispensable pour la formulation des enrobés. Cet essai est sensible au squelette granulaire et à la teneur en liant mais non sensible aux abaissements de températures et /ou nature du liant bitumineux. La détermination de la maniabilité des enrobés, utile notamment pour développer les procédés tièdes, en fonction de la température nécessite donc un autre outil ou une autre approche.
D’un point de vue expérimental, le travail sur enrobés nécessite des moyens importants, notamment en quantité de matériaux. Par ailleurs il est démontré que les liants bitumineux jouent un rôle primordial dans le comportement de l’enrobé lors de sa mise en œuvre ; une approche du comportement de celui-ci aux températures de fabrication et mise en œuvre peut donc sembler intéressante, en s’étudiant à différentes échelles, à savoir le liant bitumineux, le mastic (mélange de fines et de liant) et l’enrobé (mélange de gravillons, de sable, de fines et de liant). Enfin, la thermo-susceptibilité des liants bitumineux, ainsi que la nécessité de les manipuler à des températures élevées, rendent leur utilisation en laboratoire compliquée (régulation maitrisée de la température, incidence du vieillissement dû à des réchauffages répétés, etc…). C’est pourquoi une approche avec des matériaux modèles remplaçant le liant bitumineux, tels que des huiles de silicone manipulables à température ambiante avec des viscosités comparables à celles du bitume à des hautes températures ciblées, a été utilisée pour multiplier les essais sur liant, mastic et enrobé, tout en retirant la contrainte température.
Les matériaux bitumineux sont des matériaux viscoélastiques thermo-susceptibles ayant des propriétés adhésives et cohésives, principalement utilisés dans la construction et l’entretien des chaussées. Ces matériaux sont composés principalement d’un liant hydrocarboné issu du raffinage du pétrole (généralement un bitume pur ou modifié) et de fractions minérales de différentes tailles (filler, sable, gravillons). Les caractéristiques et les propriétés mécaniques des mélanges varient selon la composition volumétrique du mélange et dépendent de la taille du grain maximal, de la teneur en liant et de la teneur en vide du mélange. Pour les matériaux de chaussées fabriqués avec un liant bitumineux, le bitume représente en moyenne 5% de sa composition massique (soit environ 13% volumique), alors que le squelette granulaire représente environ 95% (87% volumique). Grâce à ses propriétés viscoélastiques, de cohésion et d’adhésion, le bitume permet de lier durablement les granulats entre eux et de donner ainsi à la chaussée une rigidité et une portance suffisante pour supporter les charges générées par le trafic routier et les contraintes climatiques (températures, rayons UV, pluie, …).
Le squelette granulaire de l’enrobé est constitué des composants minéraux. Ils représentent environ 95% en poids de l’enrobé soit 85-87% en volume. Leur choix, tant en nature qu’en proportion, est important et affecte directement les caractéristiques mécaniques et autres performances visées du mélange bitumineux, en fonction du type d’enrobé (propriétés acoustiques, d’adhérence, de tenue à l’eau, fatigue, module …). Ces composants minéraux peuvent être classés selon leur provenance pétrographique en trois familles qui conviennent en général pour les usages routiers [USIRF, 2003] :
• Les roches éruptives qui proviennent de la solidification de la matière en fusion (granite, basalte, …) ;
• Les roches sédimentaires qui sont issues de la lente superposition des dépôts et dont la qualité est variable, parmi lesquelles les roches siliceuses (sables, grès, …) ;
• Les roches métamorphiques qui résultent du changement de la nature des roches sédimentaires sous l’effet de la pression et de la température. Les méthodes d’obtention des composants minéraux peuvent varier :
• Extraction à partir d’une roche mère compacte en carrière. Il s’agit alors de matériaux concassés.
• Creusage d’un gisement de type gravière, alluvion fluviale ou lacustre. On parle dans ce cas de matériaux roulés ou semi-concassés. Une fois extraits, les matériaux pierreux sont concassés et criblés afin de les fractionner en coupures granulométriques. Ils sont ensuite lavés dans le but de les rendre propres et de maîtriser la teneur en éléments fins (filler).
Les granulats sont classifiés en différentes classes granulaires selon la taille des éléments. Une classe granulaire (d/D) est répertoriée par la taille en millimètre du plus petit grain d et du plus gros grain D qui la composent. On peut distinguer les classes granulaires suivantes, exprimées en mm :
• Filler < 0,063
• Sables 0/2 ou 0/4
• Gravillons 2/4, 2/6, 4/6, 6/10, 10/14, 10/20, 14/20 .
Le filler est constitué des éléments très fins, de diamètre inférieur à 63 microns. Il provient du dépoussiérage de granulats ou de production industrielle par mouture de roche. Le filler a une surface spécifique très élevée et il absorbe une part importante du liant. Le mélange du filler avec le liant constitue le mastic qui confère sa stabilité à l’enrobé. L’épaisseur du film de mastic est caractérisée par le module de richesse. La propreté du filler, en particulier sa faible teneur en argile, est primordiale afin de garantir un bon comportement mécanique [Di Benedetto et Corté, 2005a].
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