Etude du chromosome X et anomalies génétiques
Etat de l’art sur l’identification de polymorphismes et d’anomalies génétiques
Définitions des anomalies génétiques
Les anomalies génétiques se caractérisent par une série de symptômes définissant un tableau clinique rare dans une population dont la cause est d’origine génétique et non environnementale. (Boichard et al., 2016a). Les anomalies génétiques ne sont pas, à proprement parler, toutes délétères en élevage bovin. On peut citer par exemple l’absence de cornes (« polled ») qui est recherchée en tant que solution alternative à l’écornage ou l’anomalie de coloration « milka » en Montbéliarde, due à une dilution des pigments dans le poil (ONAB, 2014) et n’affectant pas la carrière productive des animaux. Dans ce chapitre, nous nous intéresserons principalement aux anomalies délétères. Les anomalies génétiques sont causées par des mutations de l’ADN qui, dans la plupart des cas, sont neutres, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas d’effet sur une fonction biologique. Lorsque ces mutations touchent une région codante ou régulatrice du génome, elles peuvent modifier la structure d’une protéine, altérer sa fonction, ou encore la quantité de protéine produite. Chaque individu possède plusieurs millions de variants génétiques qui le distinguent d’un autre individu pris au hasard dans la même espèce, et seulement quelques dizaines de ces variants proviennent d’événements de mutations « de novo ». Différents mécanismes peuvent influer sur la fréquence d’un variant génétique dans une population. Une mutation apportant une amélioration du succès reproducteur d’un individu est amenée à être sélectionnée de manière naturelle ou artificielle (activité humaine) augmentant ainsi sa fréquence. Un autre phénomène pouvant faire évoluer la fréquence d’un polymorphisme est la dérive génétique. Il s’agit de la variation aléatoire des fréquences alléliques au sein d’une population et au cours des générations, liée au nombre fini de reproducteurs. Plus l’effectif des reproducteurs est restreint, plus la fréquence d’un allèle est aléatoire entre deux générations (Boichard et al., 2016a). Or, les populations bovines sont génétiquement petites, avec un nombre d’ancêtres efficaces de seulement quelques dizaines d’individus en races laitières (cf. tableau 2 chapitre 1). La fréquence d’un allèle peut brutalement augmenter comme pour le variant responsable de l’anomalie Bovine Leukocyte Adhesion Deficiency (BLAD) passée de 0 à 6% dans la population Holstein française en 4 ans (Boichard et al., 2016a). Si un fondateur porteur d’une anomalie génétique récessive contribue pour 3% au pool génétique d’une race, il sera responsable d’une augmentation de fréquence de cette anomalie de 1,5 % (3 %/2). Le polymorphisme se propagera à l’état hétérozygote dans la population jusqu’à l’apparition des premiers individus homozygotes atteints. Les homozygotes sont issus de deux parents porteurs, eux-mêmes descendant du même ancêtre porteur. C’est donc la consanguinité qui induit cette apparition d’homozygotes. Le « star système » encourageant indirectement l’utilisation massive de quelques taureaux a ainsi favorisé l’émergence d’une quinzaine d’anomalies génétiques récessives en race Holstein depuis les années 1970. Dans les décennies 1990 et 2000 en France, les deux premières anomalies récessives qui ont nécessité un plan d’éradication, ont été BLAD et CVM (Complex Vertebral Malformation) respectivement (Shuster et al., 1992; Thomsen et al., 2006; Grohs et al., 2016). En plus Etude du chromosome X et anomalies génétiques 114 de la dérive, il existe un autre phénomène appelé surdominance, qui va concerner les polymorphismes récessifs délétères à l’état homozygote mais présentant un avantage à l’état hétérozygote. C’est le cas par exemple d’une mutation du gène KIF1C (Kinesin Family Member 1C) en race Charolaise qui a été sélectionné favorablement pendant de nombreuses années avant l’émergence des premiers cas homozygotes. Cette mutation améliore la conformation musculaire chez l’hétérozygote mais est responsable d’ataxie progressive chez l’homozygote et est létale pour l’animal (mort vers 18 mois ; Duchesne et al., 2018). Dans ces situations de sélection, la fréquence de l’anomalie atteint parfois des niveaux élevés, 13% pour l’anomalie décrite en race Charolaise, ce que l’on n’observe généralement pas en situation de dérive. Si les anomalies génétiques récessives sont, du fait de la structure des populations bovines, celles le plus fréquemment rencontrées et les plus délétères, il n’est pas rare d’observer également des anomalies avec des déterminismes génétiques différents, affectant la descendance d’un seul taureau. Il peut s’agir d’une mutation dominante associée à un mosaïcisme germinal, c’est-à-dire n’affectant qu’une partie des cellules du géniteur qui sera phénotypiquement sain, contrairement à la faible proportion de ses descendants qui auront reçu un gamète porteur de la mutation dominante et seront donc entièrement constitués de cellules porteuses de ce variant. Il peut également s’agir d’aneuploïdie (c’est-à-dire de monosomies et/ou trisomies partielles ou complètes) causées par des biais dans la ségrégation des chromosomes au moment de la gamétogénèse chez un individu porteur d’une translocation chromosomique équilibrée. Depuis le passage à la sélection génomique et l’arrêt du testage sur descendance des taureaux, qui agissait comme un filtre, l’ONAB recense l’émergence d’environ un à deux cas par an de taureaux porteurs de translocations équilibrées ou porteurs en mosaïque d’une mutation dominante. Les autres déterminismes génétiques (lié au sexe, dû à des mutations de l’ADN mitochondrial, oligogénique, etc.) ne sont presque jamais rencontrés, ou ne peuvent tout simplement pas être mis en évidence du fait du faible nombre de cas induits et de la structure des populations.
Méthodes d’identification des anomalies génétiques
On regroupe sous le terme génétique « classique » ou « forward », les approches génétiques partant d’un phénotype pour rechercher des variants causaux dans le génome des animaux atteints. La cartographie par homozygotie est une méthode utilisant le génotypage sur puce. Cette méthode repose sur la recherche de régions à l’état homozygote chez les atteints et rarement à l’état homozygote chez les autres (Charlier et al., 2008). Si une mutation « m » se produit chez un individu, il la transmet ensuite avec les régions qui l’encadrent de chaque côté. Au fur et à mesure des générations, des évènements de recombinaison vont « casser » et donc réduire l’haplotype entourant le polymorphisme (figure 26). Après un certain nombre de générations, des descendants consanguins et homozygotes pour ce polymorphisme émergent révélant la présence d’une anomalie génétique. Le suivi des haplotypes recombinés associés au polymorphisme chez les individus atteints et les descendants sains permet de réduire la fenêtre chromosomique dans laquelle se trouve le polymorphisme. Le variant est localisé dans le plus petit haplotype homozygote commun à tous ces descendants atteints et non homozygote chez les descendants sains. 115 Cette approche utilisée par Charlier et al. en 2008 dans l’article qui fait référence en la matière chez les espèces d’élevage permet de réduire l’intervalle de localisation du polymorphisme. Une fois la région identifiée, des variants candidats peuvent être identifiés en utilisant par exemple les données de séquençage d’un voire deux animaux atteints porteurs du segment commun à tous les atteints. L’accès à un grand nombre de séquences d’animaux sains grâce au projet 1000 génomes a permis de donner plus de puissance à l’identification de variants candidats en opposant les variants observés chez les atteints à ceux de la population contrôle et de réduire ainsi le nombre de variants candidats. L’accès aux séquences complètes d’un grand nombre de bovins, a également permis de développer d’autres approches de recherche de variants causaux. Depuis 2010, des approches de génétique « inverse » ont vu le jour et ont permis d’identifier des anomalies génétiques passées inaperçues et d’anticiper l’émergence de nouvelles anomalies génétiques. Le principe repose sur l’identification de variants a priori délétères pour le fonctionnement d’une protéine. Un gène est structuré en régions régulatrices, en exons (parties codantes) et en introns (non-codantes) et l’impact d’une mutation affectant ce gène dépendra directement de sa nature et de sa position (Figure 27). En règle générale, les variants les plus délétères sont ceux qui affectent la transcription ou la traduction. On peut citer par exemple des délétions de tout ou d’une partie d’un gène, des variants affectant les sites d’épissage, le gain d’un codon stop au milieu du gène (mutation non-sens) qui va arrêter la traduction, et les mutations dites « frameshift » qui décalent le cadre de lecture. Les substitutions d’un acide aminé par un autre ou mutations faux-sens ont souvent un effet phénotypique moins marqué que les précédentes sauf si elles changent les propriétés de la protéine dans un domaine fonctionnel important. Enfin, les variants localisées au niveau des régions régulatrices de l’expression de gènes conduisent à une augmentation ou à une diminution de la quantité de protéine produite et ont ainsi le plus souvent un effet phénotypique quantitatif (de type QTL) plutôt que qualitatif.