Étude descriptive du dépistage de l’anorexie mentale en médecine générale
Introduction
L’anorexie mentale est une maladie rare mais grave. Avec une prévalence de 0.5% chez les adolescentes et 0.03% chez les adolescents en France en 2008(1) et une mortalité de 15 à 20% sur 20 ans de suivi(2–4), elle est la maladie psychiatrique qui engendre le taux de mortalité le plus élevé(5). Elle est définie dans le DSM-V comme le refus de maintenir son poids corporel au niveau ou au-dessus d’un poids minimum normal pour l’âge et pour la taille (6). Elle concernait en 2008 entre 30 000 et 40 000 personnes en France, si bien qu’une loi a été proposée cette année-là condamnant l’incitation à la maigreur(7). En 2010, la HAS a publié des recommandations de bonnes pratiques(8) (annexe 1). D’après la Haute autorité de Santé (HAS), il existerait un retard diagnostique(9). Les patients anorexiques consultent plus leur médecin traitant durant les 5 ans années précédant le diagnostic (10,11). C’est donc au médecin généraliste de dépister le plus précocement possible les troubles du comportement alimentaire tel que l’anorexie mentale. Dans l’étude qualitative réalisée par Morgane LECLERE en 2014, les médecins généralistes « définissaient le rôle diagnostique et de dépistage comme leurs fonctions principales » (12). Dans Family physician consultation patterns indicate high risk for early-onset anorexia nervosa publié en 2005, Lask et al concluait qu’une seule consultation concernant des préoccupations sur l’alimentation ou le poids était un élément prédicteur fort de l’émergence ultérieure d’une anorexie mentale(11). La Haute Autorité de Santé (HAS), le National Institute for Clinical Excellence (NICE), l’American Medical Association (AMA), et l’American Academy of Family Physician (AAFP) recommandent de dépister les troubles du comportement alimentaire en médecine générale. Seules l’AMA et l’AAFP recommandent de réaliser ce dépistage de façon annuelle et systématique au cours d’une consultation(13,14). Plusieurs outils sont à disposition des praticiens pour effectuer ce dépistage : des questionnaires simples d’utilisation comme le SCOFF, dont la version en français est validée, annexe 2. Depuis 2005, un réseau s’occupe d’aider les médecins, patients et familles pour la prise en charge des troubles du comportement alimentaire (TCA), il s’agit de l’Association Française pour le Développement des Approches Spécialisées des Troubles du Comportement Alimentaire (AFDASTCA)(15). Ce réseau recense les établissements et associations spécialisés dans les TCA(16). Plusieurs études ont montré que les médecins généralistes français se plaignent d’un manque de formation et de connaissance concernant les TCA(12,17–20). Notre étude avait pour objectif principal de décrire le dépistage de l’anorexie mentale par le médecin généraliste. L’objectif secondaire était d’évaluer les freins à ce dépistage.
Analyse de l’objectif principal
De notre étude, il est ressorti que 59% (n=113) des médecins interrogés ne pratiquaient pas de dépistage de l’anorexie mentale, figure 10. Il n’a pas été retrouvé d’étude antérieure décrivant le dépistage effectif de l’anorexie mentale. Les généralistes interrogés utilisaient majoritairement la mesure de l’IMC 93.7% (n= 179), et le suivi de la courbe staturo-pondérale 68% (n=130), dans le cadre du dépistage de l’anorexie mentale. Une partie des médecins interrogés utilisaient les interrogatoires orientés 48.7% (n=93) ou standards 48.7% (n=93), tableau 2. Il ne semblait pas y avoir de consultation dédiée à ce dépistage, les médecins interrogés pratiquaient le dépistage selon leur ressenti 44.4% (n=83), et devant des signes d’alarme, 36.4% (n=68), tableau 5. Quel que soit le cadre de dépistage de l’anorexie mentale, les outils utilisés par les médecins généralistes interrogés étaient ceux recommandés par la HAS, tout comme la population ciblée par ce dépistage(5). Les généralistes sont donc bien conscients du risque que représente l’anorexie mentale mais pourraient pratiquer un dépistage plus systématique avec les outils à leur disposition. Plusieurs études nous indiquent qu’un IMC normal n’exclut pas obligatoirement le diagnostic d’anorexie mentale(21–23). Kerem et al a montré en 2017 que les troubles alimentaires restrictifs avec perte de poids pouvaient avoir des complications médicales importantes même à un poids normal(21). Pour Mustelin et al en 2016, l’IMC n’apparaissait pas être le marqueur idéal de la sévérité(22). Selon Federico et al en 2017, il y avait une absence de corrélation entre IMC et psychopathologie(23). Les questionnaires à disposition des médecins étaient peu utilisés pour le dépistage de l’anorexie mentale, tableau 2. Le SCOFF, questionnaire en 5 questions, a été cité par de nombreuses études pour son apport au dépistage de l’anorexie mentale et sa facilité d’utilisation(12,24–31). Certaines études proposaient d’inclure ce questionnaire dans l’évaluation des adolescents(19,32).
Analyse de l’objectif secondaire
Les médecins interrogés déclaraient ressentir plusieurs freins au dépistage. Le plus important était le déni du patient 63.9% (n= 122), tableau 6. Cela avait déjà été montré par Leonard et al en 2005 dans Eating disorders in adults(33). Pour Layani, dans sa thèse d’exercice soutenue en 2012, le déni du patient était l’obstacle majeur à l’élaboration du diagnostic(18). Leclere en venait au même constat dans sa thèse(12). Les patients ont de nombreuses techniques pour dissimuler leur corps comme l’a décrit Vandereycken en 2008 dans Denial and concealment of eating disorder(34). D’après Marks et al dans GP’s managing patients with eating disorder publié en 2003, il arrivait que la famille s’associe involontairement au patient pour cacher le trouble. Les autres freins retrouvés étaient le fait que les adolescents consultaient peu leur médecin généraliste 44%(n= 84), la méconnaissance de la pathologie 39.8% (n= 76), des moyens de 25 dépistage 41.3% (n=79), et le manque de temps 36.1% (n= 69), tableau 6. A notre connaissance, il n’y a pas dans la littérature d’étude décrivant la fréquence de consultation des adolescents. La méconnaissance de cette pathologie et de ses moyens de dépistage ont été mis en évidence dans plusieurs études qualitatives sur l’anorexie mentale dont les thèses d’exercice de Layani(18), Doucet en 2011(20), Fabry-Ponrouch en 2011(19), Pauchet en 2016(31), et Leclere(12). D’après Wilfahrt, dans The Role of the Generalist in the Initial Treatment of Adolescent Anorexia Nervosa en 2015, beaucoup de médecins déclaraient manquer de connaissance pour traiter l’anorexie mentale(35). Le manque de connaissance est un frein au dépistage, car comme l’ a écrit Vandereycken « les patients en auraient parlé si leur médecin avait montré une connaissance suffisante des TCA »(34). Dans l’étude qualitative de Rives-Langes, en 2013, qui s’intéressait au point de vue des patients, ces derniers déclaraient être rassurés par la bonne compréhension et connaissance de la maladie par leur médecin psychiatre(36). Alors qu’en parlant des médecins généralistes, les patients évoquaient une mise en retrait avec un sentiment d’incompétence avouée amenant certains patients à ne pas continuer la prise en charge avec leur médecin de famille(36). La connaissance est donc un élément important dans la prise en charge de cette pathologie, tant du point de vue du soignant que du soigné. D’autre part, certains outils utiles au dépistage de l’anorexie mentale, IMC et courbe staturopondérale, étaient connus et utilisés, tableau 2. Les questionnaires n’étaient pas connus. Le SCOFF-F était connu par seulement 10.6%(n=20) de notre population, tableau 1. Les autres questionnaires étaient moins connus, tableau 1. Ces questionnaires n’étaient donc pas utilisés. Seulement 4.2%(n=8) des médecins interrogés déclaraient utiliser le SCOFF-F dans le cadre du dépistage de l’anorexie mentale, tableau 2. Pourtant une grande majorité 99.5%(n =190) jugeaient ces questionnaires utiles, tableau 3. Ces questionnaires ne sont donc pas utilisés car mal connus. Les généralistes connaissant les questionnaires déclaraient ne pas s’en servir car ils les jugeaient difficiles à réaliser en consultation de médecine générale 39.3%(n=75). Les médecins interrogés déclaraient ne pas maitriser les TCA 88%(n=169), figure 7, ce qui va dans le sens des études antérieures.
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