Etude des risques dans les chaînes logistiques

Le concept de risque

Selon Villain-Gandossi (1990), le terme « risque » a émergé dans le domaine maritime en Europe occidentale au XIIème siècle (Mercantini et al., 2015). L’origine du terme a été largement discutée. Certains chercheurs considèrent que ce terme est d’origine latine du verbe « resecare » signifiant « couper » et qui est relatif à l’image du défi posé à un marin par une barrière de récifs et la possibilité d’y venir « découper » la coque de son navire.
Une deuxième origine possible viendrait de la langue Romane et du mot « rixicare » signifiant « se quereller » où on retrouve la notion du danger avec l’incertitude de l’issue de la querelle.
D’autres chercheurs pensent que le terme pourrait être d’origine Arabe, venant du mot « rizq » qui signifie « Don de Dieu » (Norman et Lindroth, 2004). Selon cette acception, le risque peut avoir des effets positifs ou négatifs. Il peut alors être perçu positivement comme un facteur d’opportunité, ou négativement sous la forme d’un danger à éviter.
Dans la littérature on s’intéresse souvent aux conséquences négatives des risques.

La notion de risque

Le risque est une notion complexe. Cette complexité peut être expliquée par le fait qu’il s’agit d’une construction sociale fondée sur la dimension culturelle de la société et des individus (Hennet et Mercantini, 2010). Il existe trois courants de pensée permettant d’appréhender le risque : les courants réaliste, représentationnel et hybride.
Selon le courant de pensée positiviste, le risque est considéré comme une catégorie ontologique ; il a sa propre existence (Rescher, 1983). Le risque est indépendant et externe au sujet percevant. Il apparaît comme une propriété de la nature, de la technologie, d’une substance ou d’une activité dangereuse. Il est appréhendé suivant une démarche scientifique désincarnée, faisant fi de ses processus sociaux et culturels (Pieret, 2012). Le risque est un phénomène qui existe en tant que tel, il fait partie du monde externe, indépendamment du sujet qui y est confronté. Le risque se définit ainsi comme la conjonction de deux éléments objectifs du monde extérieur : la possibilité de réalisation d’un événement et ses conséquences négatives (Kermisch, 2011).
Selon le courant de pensée représentationnel, le risque n’est pas une réalité extérieure puisqu’il n’existe pas indépendamment des procédures qui l’objectivent (Caeymaex, 2007). Le risque n’existe pas en soi. Ses représentations ne sont que le résultat de la compréhension humaine et non un reflet exact de la réalité (Pieret, 2012). Le risque est seulement une façon de percevoir et d’interpréter des phénomènes particuliers sans qu’il y ait nécessairement de relations entre eux. Le risque est une construction sociale, indissociable de contingences politiques et culturelles qui fondent son émergence, et qui seuls sont dignes d’analyses (Pieret, 2012).
Selon le courant de pensée hybride, les théories sur le risque visent à articuler à la fois les pensées réalistes et représentationnelles. Le risque est fondé sur la réalité, mais elle est multiple et non déterminée. Cette réalité n’est rendue visible qu’au travers de la perception du risque qui, elle, est une construction sociale et donc évolutive (Pieret, 2012). Dans son livre « World at Risk», Ulrich Beck (2009) affirme que « la réalité du risque est perçue de par sa nature controversée. Les risques n’ont pas d’existence abstraite en soi. Ils acquièrent une réalité dans les jugements contradictoires des groupes et des populations ».

Définitions de risque

Le sujet du risque a fait l’objet de plusieurs travaux de recherches menés dans différentes disciplines tels que les sciences sociales, les sciences du comportement, les sciences naturelles, les sciences de l’ingénieur, etc.
La première définition scientifique du risque date de 1657 avec les travaux de Huygens qui le définit comme « l’espérance mathématique d’une fonction de probabilité d’événements ». Bernouilli (1738) confirme cette définition dans le domaine économique, dans sa publication « Specimen theoriae novae de mensura sortis » (« Éléments d’une nouvelle théorie sur la mesure du hasard »). D’une façon générale, le risque est défini, aujourd’hui, comme une combinaison de la probabilité d’un événement et de ses conséquences (ISO/CEI73). D’un point de vue calculatoire, la définition de Huygens et Bernouilli est toujours utilisée pour l’évaluation quantitative des risques technologiques.
Dans le domaine des risques technologiques, la circulaire ministérielle n° DPPR/SEI2/MM-05-0316 reprend la définition de l’ISO/CEI73 en précisant le terme « conséquence » de sorte que le risque est désormais défini comme une combinaison de la probabilité d’un événement, de l’intensité des effets du phénomène dangereux induit par l’événement et de la vulnérabilité des enjeux considérés (Risque = Probabilité X Intensité
X Vulnérabilité). Cette définition présente l’avantage de faire apparaître de façon explicite la vulnérabilité des enjeux (les parties du système considéré qui doivent être préservées).
Une analyse linguistique, de même type que celle présentée au cours du chapitre précédent, nous a conduit à une représentation des définitions de cette circulaire sous la forme d’un réseau sémantique. La Figure 2-2 ci-après est un extrait de ce réseau sémantique, d’après (Mercantini, 2008).

Le management du risque

D’après la norme ISO/FDIS 31000 (2009), le management du risque est l’ensemble des « activités coordonnées dans le but de diriger et piloter un organisme vis-à-vis du risque».
Le processus de management des risques consiste à réaliser :
• L’établissement du contexte, qui consiste à définir l’ensemble des paramètres (internes et externes au système) à prendre en compte, de définir le domaine d’application ainsi que des critères de risque pour la politique de management du risque.
• L’identification des risques, qui consiste à décrire les sources de risques, les événements potentiels, leurs causes ainsi que leurs conséquences possibles en faisant appel à des données historiques, des analyses théoriques, des avis d’experts et autres personnes compétentes.
• L’analyse des risques, qui consiste à comprendre la nature des risques ainsi que leur niveau (qualitatif ou quantitatif). Pour cela, les méthodes classiques d’analyses sont les arbres de défaillances et de conséquences, l’APR (Analyse Préliminaire des Risques), l’AMDEC (Analyse des Modes de Défaillance, de leurs Effets et de leur Criticité), etc.
• L’évaluation des risques, qui consiste à comparer les résultats de l’analyse des risques avec les critères de risque afin de déterminer si les risques sont acceptables ou pas.
• Le traitement des risques, qui consiste à modifier les risques (éviter les risques, supprimer les sources de risque, modifier les vraisemblances des événements, modifier les conséquences, partager les risque avec d’autre parties prenantes, accepter le risque).
Ainsi, les mesures de traitement du risque se classent en trois grandes catégories :
– les mesures de prévention qui visent à réduire la probabilité d’occurrence de l’accident (voir Figure 2.2),
– les mesures de protection qui visent à réduire la gravité des conséquences des accidents (voir Figure 2.2),
– les mesures assurancielles qui visent à reporter sur un tiers une partie des conséquences financières des accidents.

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L’analyse des risques

L’analyse des risques se présente comme une démarche qui se construit sur la base d’un ensemble (théoriquement exhaustif) de scenarii d’accidents possibles. Chacun des scénario faisant l’objet d’une analyse probabiliste (liée à l’évaluation de la vraissemblance d’occurrence) combinée à une analyse déterministe (liée à l’évaluation de la gravité des conséquences). Le point de départ de l’analyse déterministe est la considération que chaque scénario se réalise.

L’approche probabiliste

Cette approche met l’accent sur l’estimation de la probabilité relative à la survenance d’un accident. On distingue les approches qui cherchent la probabilité d’occurrence d’évènements indésirables et les approches qui évaluent les probabilités des scénarios de risques (VAR3 , CVAR4 ).
En supposant que l’évènement suit une loi de probabilité, il s’agit de calculer les probabilités d’occurrence des différents accidents identifiés. Le système est maitrisable tant que les probabilités déterminées sont considérée comme acceptables.

Etude des risques dans le domaine des chaînes logistiques

Définitions du risque dans les chaînes logistiques

Les chaînes logistiques sont devenues plus complexes et par conséquent plus vulnérables aux différentes perturbations auxquelles elles sont confrontées (Chopra et Sodhi, 2004). L’étude du risque dans les chaînes logistiques n’est pas nouvelle et a été abordée par plusieurs domaines de recherches. Zsidisin (2003) indique que le terme « risque » peut être une source de confusion du fait qu’il est perçu comme un concept multidimensionnel. Jüttner et al. (2003) expliquent que ce terme est utilisé, d’une part pour désigner les incertitudes internes ou externes, qui réduisent les résultats prévisibles, dans ce sens le « Risque » fait référence à une source de risque et d’incertitude, tels que « les risques politiques », « les risques de marché » et « la volatilité de la demande des clients ». Selon la même source, le terme est utilisé pour désigner les conséquences de ces évènements. Selon Chopra et Sodhi (2004) il n’existe pas de consensus sur la définition des risques dans les chaînes logistique (« Supply chain risk » en anglais), ni sur ladéfinition de la gestion des risques dans les chaînes logistique (« supply chain riskmanagement » en anglais). Tout comme pour la chaîne logistique et le risque, le risque dans les chaînes logistiques a donné lieu à plusieurs définitions selon le domaine d’étude dont elles sont issues et le courant qui les constituent. Manuj et Mentzer (2008) présentent une classification des différentes définitions du risque selon sa dimension contextuelle. Selon Norrman et Lindroth (2004), la dimension contextuelle du risque est d’ordre financier, stratégique, opérationnel, commercial, et technique. Le tableau suivant résume quelques définitions qui sont principalement inspirés de (Manuj et Mentzer, 2008).

Le management des risques dans les chaînes logistiques

Le SCRM est une discipline en croissance exponentiel (Singhal P. et al 2011). L’exemple du feu qui a touché l’usine de Philips est souvent présenté dans la littérature pour souligner l’importance de la gestion des risques dans les chaînes logistiques. En effet, Philips a vu en 2000 son usine de semi conducteurs à New Mexico partir en fumée. Cette usine représente un fournisseur commun pour Ericsson et Nokia. Nokia a rapidement lancé des commandes auprès d’autres usines de Philips et d’autres fournisseurs japonais et américains. Ce drame a couté à Ericsson, une perte de 400 million de dollars de ses ventes (Chopra et Sodhi, 2004). Le SCRM devient si important du fait que la gravité des risques dépasse l’environnement de la firme et les répercussions peuvent être à une échelle mondiale.
Le but du management des risques des chaînes logistiques est de proposer une méthodologie permettant d’appréhender et de gérer les risques afin de mieux les anticiper. On trouve dans la littérature un grand nombre de méthodes qui décrivent le processus à suivre pour le SCRM suivant cinq phases : identification, analyse, évaluation, traitements et surveillance des risques résiduels (Harland et al., 2003; Hallikas et al., 2004; Kleindorfer et Saad, 2005). En particulier dans le cadre des chaînes logistiques mondiales, Manuj et Mentzer (2008) présentent trois processus pour le SCRM qui sont l’identification, l’évaluation du risque et la mitigation de ses effets. Jüttner et al. (2003) incitent à développer des nouvelles approches pour aider les décideurs à suivre les vulnérabilités de leurs chaînes logistiques. Selon Rao et Goldsby (2009), les approches du SCRM doivent se pencher sur la compréhension et la réduction des vulnérabilités d’une chaîne logistique dans son ensemble, plutôt qu’au niveau d’une seule entreprise.

Identification et classification des risques

L’identification des risques est la première étape de l’analyse des risque des chaînes logistiques (Liu et Wang, 2008). Elle peut être réalisée au moyen d’entrevues (Peck, 2005), de brainstorming (Jüttner, 2005; Asbjornslett, 2008), et/ou à partir de l’évaluation de la structure des chaînes logistiques (Bradley, 2014). Hennet et al. (2008) proposent d’identifier les risques des chaînes logistiques à partir d’un balayage minutieux des risques internes et externes aux chaînes logistiques.
Rao et Goldsby (2009) ont effectué une revue de littérature et affirment qu’en parallèle de l’évolution du concept de SCRM, peu de littératures s’intéressent à l’identification des risques. Les risques dans les chaînes logistiques sont difficiles à cerner et à appréhender à cause d’une part de leur complexité et d’autre part, parce qu’elles ne se ressemblent pas. Du fait que le risque est un concept multidimensionnel (Zsidisin, 2003), nous trouvons dans la littérature plusieurs types et classifications.
A partir d’une revue de littérature, Harland et al. (2003) identifient les risques stratégiques, les risques opérationnels, les risques d’approvisionnement, les risques dusaux clients, les risques de dépréciation d’actifs, les risques de compétitivité, les risques de réputation, les risques financiers, les risques fiscaux, les risques réglementaires, et les risques juridiques.
De leur coté, Chopra et Sodhi (2004) identifient neuf catégories de risques en fonction de leurs sources et proposent des solutions pour les atténuer. Ces catégories sont : la perturbation (« disruption »), le retard, la défaillance système, les prévisions, la propriété intellectuelle, l’approvisionnement (procurement), la livraison (receivables), la capacité de production, et le stock. En considérant également une classification en fonction de la source des risques, Manuj et Mentzer (2008) proposent huit classes : les risques liés à l’approvisionnement, les risques opérationnels, les risque liés à la demande, les risques liés à la sécurité, les macros risques, les risques politiques, les risque liés à la compétitivité, et les risques liés aux ressources. Ils finissent par dire que la majorité de ces risques n’existent pas tous seuls. Les quatre dernieres classes de risques peuvent se manifester sous la forme d’une combinaison des risques liés à l’offre, la demande, l’opérationnels et la sécurité. Selon Chopra et Sodhi (2004), les risques potentiels des chaînes logistiques comprennent les retards, les interruptions, les inexactitudes de prévision, les pannes des systèmes, les atteintes à la propriété intellectuelle, le risque des céances, les problèmes des stocks et les problèmes de capacité.

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