Etude des représentations sur la langue
pulaar chez un groupe d’étudiants
REPERES HISTORIQUES ET BIBLIOGRAPHIQUES SUR LA LANGUE, LA COMMUNAUTE ET LA CULTURE
« PULAAR » Pour rappel, la langue pulaar est la langue la plus répandue géographiquement en Afrique après l’arabe (colloque international de la société de linguistique du Maroc). C’est la langue d’une communauté que certains divisent en Peuls, Haalpulaar Toucouleurs, Foulbe, fula ou Fulani, même si cette division peut faire l’objet de critiques. Notons que la présence de ce peuple est attestée au moins depuis le huitième siècle au Sahara du Sud entre l’Adrar à l’Ouest, Tagant et Hodh à l’Est avant qu’il ne se répande sur le continent. On retrouve, de nos jours, une forte présence de ce peuple dans plusieurs pays ouest africains parmi lesquels figure en bonne place le Sénégal. Représentant, en effet, une grande partie de la population du Sénégal (environ 23,8% de la population sénégalaise estimée à 14 320 055 d’habitants en 2016), les Peuls se sont installés au Sénégal entre le milieu du IXème siècle et le XVème siècle. D’après les chroniques du Fouta sénégalais (par Siré-Abbas-Soh, 1913, note de Delafosse) : « La première vague migratoire étrangère à venir du Fouta est celle des Dia’Ogo en 850 (soit le milieu du IXe siècle). Mais il est fort probable que des pasteurs peuls nomadisaient déjà dans le nord du Sénégal. Après seront venues celle de Manna (assimilés au Soninkés) puis celle des Tondyon (assimilés au Sérères). Mais, c’est surtout avec celle des Termes (assimilés aux Peuls) que le peuplement peul du Fouta commença à s’implanter véritablement. Les Termes seraient venus vers le début du XVème siècle et s’établirent sur la rive droite du fleuve Sénégal de l’Assad ou ils vécurent à peu près indépendant ». Depuis les années soixante, et bien avant même, la langue pulaar a suscité la curiosité de plusieurs chercheurs et penseurs. Tout d’abord, à l’époque 7 coloniale, de nombreux auteurs dont les premiers ethnographes, voyageurs, administrateurs coloniaux et militaires français se sont penchés sur ce peuple et sa langue. Ainsi trouve-t-on dans la partie intitulée « Mise en discours des peuls et de leur langue par la bibliothèque coloniale » de la thèse d’Abdou A. Faty (2011) « le processus d’homogénéisation de la langue et de la culture pulaar », de nombreux discours émis sur ce peuple ainsi que sa langue, qui sont traversés par des représentations mettant en relation des idées linguistiques et des classifications de « race ». C’est dire que la « bibliothèque coloniale » est traversée tant par des discours épilinguistiques sur les Haalpulaar, que de nombreux clichés et stéréotypes linguistiques. C’est ainsi que des jugements ont été portés sur l’esthétique et la mélodie de cette langue. Le gouverneur Faidherbe est l’un des premiers à émettre des observations et des commentaires qui participent à l’élaboration d’un certain nombre de stéréotypes, de constructions idéologiques langagières et de représentations discursives sur cette langue (Faty, 2011). En effet, dans son étude sur la langue « poul », Faidherbe mettait déjà l’accent sur son « caractère » doux et harmonieux qui la différencie des autres langues africaines. Il fait même, à cet effet, une comparaison entre la langue pulaar du point de vue de son expression avec la langue française en prenant comme exemple « l’absence du kha », qui est une « lettre gutturale difficile à prononcer pour les français », qu’on retrouve par contre « en arabe, en berbère, en malinké » (Faidherbe, 1982:1). Mais le gouverneur Faidherbe ne reste pas le seul puisque d’autres comme le négociant, Lamiral (1789) considère à son tour que : « la langue de ce peuple est analogue à sa constitution physique ; elle manque d’expressions fortes : elle est cependant douce, agréable à entendre. La lettre F et l’R y sont rarement prononcées » (Lamiral, 1789 : 299). Pruneau de Pomme George (1789 :61), quant à lui, trouve la langue peulh « très douce, très facile à prononcer ; mais moins précise et moins énergique que la langue des Yolofs » tout comme 8 Mallien qui pendant sa longue traversée du Fouta Tooro, fut émerveillé par cette langue. Il a justement affirmé que « la langue peule, dont les finales sont presque toutes en e, ou en a, est extrêmement douce » (Mallien, 1818 :160) Maurice Delafosse n’est pas en reste dans cette fascination pour la langue pulaar. Il dit : « le peul a acquis une réputation de langue harmonieuse qui n’est assurément pas surfaite : on l’a appelé (un langage d’oiseaux, l’italien d’Afrique, etc.) ». Mais, en tant que linguiste, ce dernier, a insisté beaucoup plus sur l’aspect du peul à travers l’étude des classes nominales qui, selon lui, font l’originalité et la complexité de cette langue. De ce fait, Delafosse considère la langue peule comme la plus évoluée de toutes les langues négro-africaines (1912 : 412) et « l’une des langues africaines les plus difficiles à bien posséder et à manier avec précision » (ibid.) et ceci en montrant la complexité et l’originalité de la langue peule ou pulaar à travers une étude faite sur ses « classes et sous-classes ». Cette complexité de la langue pulaar sera évoquée par d’autres auteurs comme Paradis C. les marqueurs de classe en pulaar : state et syllabe 1986 b, Anderson S. On the description of consonant gradation in fula, 1976 etc. Si comme Delafosse, Paradis parle de marqueurs de classes, Anderson, lui ajoute, à la complexité déjà évoquée de la langue, l’alternance consonantique qui est aussi l’une des marques de fabrique du pulaar. Au vu de ces jugements, il apparait une catégorisation de la langue pulaar qui en fait une langue soit « belle » et « agréable à l’oreille », comme le seraient, en musique, des sons harmonieusement agencés, soit complexes. Ces discours sont, cependant, dépourvus d’autres représentations ayant trait à l’identité peule notamment la représentation de cette fameuse pulaagu ; image archétype du Peul : « cette manière d’être peul ou l’image peule » laquelle est fondée sur le courage, le stoïcisme, la pudeur, la réserve, la discrétion, etc.
PERSPECTIVES DE RECHERCHE
Notre travail part de questions de recherche ainsi formulées : quelles sont les représentations sur la langue pulaar ? Comment les Haalpulaar élaborent-ils des représentations sur leur langue qui solidifient le sentiment d’appartenance à une même communauté linguistique ? Comment la communauté pulaar se reconnait en tant que communauté linguistique et comment elle se distingue des autres communautés linguistiques ? Comment est perçue, jugée, évaluée la langue pulaar par les locuteurs des autres communautés ? Quelles sont les attitudes symboliques et les enjeux identitaires qui découlent des perceptions de la langue pulaar chez les différents groupes (Pulaar et autres) ? Ces questions de recherche trouvent leur pertinence dans le fait que la langue « comme tout système symbolique et comme tout fait de culture est l’objet de multiples représentations et attitudes individuelles, collectives, positives ou négatives, au gré des besoins et des intérêts » (G. Desbois et G. Rapegno, 1994 :3 ,4). Et « ces représentations qui trouvent leur origine dans le mythe ou la réalité du rapport de puissance symbolique, dictent les jugements et les discours, commandent les comportements et les actions » (Ibid.). Or, nous avons fait le constat d’une forte conjonction à la fois entre langue et culture pulaar mais aussi entre langue et locuteur pulaarophone. Par exemple, l’on a souvent accusé, à tort ou à raison, le Pulaar de « raciste » 1 , même si aujourd’hui l’on constate de plus en plus que cette accusation passe par l’expression « neddo ko banndum » qui signifie littéralement que « l’homme est son parent » mais qui veut plutôt dire que l’homme n’est rien sans son parent. 1 Raciste : il faut comprendre là que le mot est le plus pris dans le sens de refus de la langue des autres, et nous y reviendrons de manière plus précise dans le travail. 11 C’est fort, entres autres, de ces constats, que nous avons jugé qu’il sera peut-être fécond de nous pencher sur les représentations liées à cette langue dans une situation de diglossie ou de plurilinguisme du Sénégal. Et rappelons avec Henri Boyer que « tout bi ou plurilinguisme est […] le cadre d’une dynamique sociolinguistique plus ou moins fortement et ostensiblement conflictuelle » autrement dit « une concurrence plus ou moins violente et déloyale où une langue en position de force […] à tendance à occuper tous les secteurs de l’activité langagière au détriment d’une autre langue [ou de plusieurs] » (1991 : 9). Notre objectif sera de comprendre à travers les représentations de cette langue dans le contexte sociolinguistique actuel, le statut du pulaar et les enjeux de sa diffusion, de sa survie face à l’hégémonie du wolof, langue urbaine et véhiculaire et face au français occupant la position de langue officielle et administrative, et face enfin à la langue arabe qui est la langue liturgique de la religion musulmane. La principale hypothèse que nous formulons et qui sera validée ou invalidée par les résultats de notre recherche, est qu’il y a une forte divergence entre la manière dont les locuteurs haalpulaar se représentent leur langue et celle que les autres communautés linguistiques portent sur cette langue. En effet, nous pouvons dire que le rapport entre la communauté Peule et les communautés voisines est concurrentielle ou empreinte d’hostilités. Et, cela est dû, en grande partie, à ce que nous avons évoqué plus haut, à savoir, la forte conjonction qui ne passe pas inaperçue entre le locuteur pulaarophone et sa langue. Malheureusement, cette conjonction est, très souvent, perçue par les autres communautés comme un refus ou comme un rejet des autres langues. Car, en fait, « …les fonctions fondamentales du langage sont toujours doubles : il sert à la fois à la communication et à la démarcation. Les deux fonctions se réalisent toujours en même temps et de manière dialectique » (Kremnitz, 2007 :19). Par 12 conséquent, c’est cette tendance à se démarquer qu’ont les Peuls par l’usage fréquent de leur langue qui constitue le principal point de divergence entre ces derniers et leurs voisins immédiats. Mais, l’on peut penser que cet attachement à la langue est due à une vision particulière de la langue qui est différente de celle des autres groupes, du moment où l’on sait que le sentiment qu’un locuteur va éprouver pour une langue influera sur son rapport à cette langue et sur ses productions langagières. En ce sens, l’on peut croire, que ce sont les sentiments de valeur que les Haalpulaar ont de leur langue, constituant ainsi une représentation positive de la langue, qui seraient à l’origine de l’usage fréquent que ces derniers font de leur langue. Dans ces conditions, l’étude envisagée nous commande, afin de cerner toutes les représentations sur cette langue, de procéder à une enquête par entretien auprès des locuteurs de la langue pulaar mais aussi auprès des locuteurs qui appartiennent à d’autres groupes linguistiques. En sus, dans le souci d’entreprendre une recherche plus large ou plus exhaustive, et ainsi cerner toute la dynamique des représentations linguistiques, nous tenterons de viser un échantillon hétérogène avec des informateurs différents selon l’âge, la situation professionnelle, le sexe et le milieu social.
LES OPTIONS METHODOLOGIQUES
Les méthodes de recherche en sociolinguistique sont fortement conditionnées par l’une des spécificités de cette discipline qui est d’être une science de terrain. La diversité des approches méthodologiques est donc en grande partie motivée par l’hétérogénéité des terrains étudiés. Toutefois, on peut distinguer en sociolinguistique deux catégories de méthodes de recherche : les méthodes d’observation et les méthodes d’enquête. Dans la première catégorie, peuvent apparaitre des observations directes, indirectes et/ou participantes ; dans la deuxième catégorie, il est possible de rencontrer différents types d’enquête, à l’instar de l’entretien, du questionnaire, ou du focus group. Dans sa tentative de déterminer les méthodes les plus fréquemment employées en sociolinguistique, Maurer parle de cinq grands types d’études : • L’étude des composantes d’une situation plurilingue ; • L’étude de la variation sociolinguistique ; • L’étude du contexte sociolinguistique de la relation didactique ; • L’étude des phénomènes linguistiques relevant de l’interaction verbale ; • Et, enfin, l’étude des locuteurs face à une langue et de leurs représentations (Maurer, 1999). En ce qui nous concerne, notre étude est en cohérence avec la dernière proposition citée par Maurer. Par ailleurs, le recueil et l’analyse des représentations s’appuient sur un large éventail de techniques. Chaque méthode présente, du reste, des avantages, mais aussi naturellement des limites. Néanmoins, le sondage s’apparente plus, en sociolinguistique, à une étape préparatoire, c’est -à-dire à une prise de contact 15 ou de repères sur le terrain d’étude, qu’à une technique en tant que telle ; son but est de permettre d’effectuer un premier défrichage des données. Il permet en quelque sorte de déceler et de cibler les points que l’enquêteur peut éventuellement exploiter. L’observation participante constitue, quant à elle, une stratégie qui consiste à se fondre dans la masse étudiée, afin de recueillir des informations à l’intérieur même des individus ciblés sans se faire repérer comme enquêteur. Elle constitue donc un jeu de dissimulation qui nécessite que l’enquêteur soit membre de la communauté enquêtée ou qu’il ait un certain degré d’immersion et d’intégration dans cette communauté. On note, ainsi, une objectivation de la situation d’enquête qui permet de contourner, entre autres le paradoxe de l’enquêteur. Cependant, il y a, dans l’observation participante, une certaine fragilité des données qui ne peuvent ni être notées, ni être enregistrées. Le questionnaire dont l’avantage majeur est la relative facilité de sa réalisation permet de gagner plus de temps. Il est constitué le plus souvent de questions fermées qui sont liées de manière directe à la problématique du sujet. Le questionnaire permet donc de recueillir d’une façon, plus ou moins, objective des informations car il met l’informateur dans l’obligation de fournir une réponse très limitée. On peut remarquer dans ce type d’enquête l’absence de toute interaction. S’agissant de l’entretien ou interview (Bres, 1999), on en dénombre trois types dont l’entretien directif qui s’apparente beaucoup au questionnaire. En cela que tous les deux sont le plus souvent constitués de questions ouvertes ou fermées. Mais toujours est-il que ces questions, qu’elles soient ouvertes ou fermées, peuvent influencer de manière implicite les réponses des enquêtés en cela que toute question est pré-catégorisée par ce qu’elle présuppose. De ce fait, par la question qu’on lui pose, l’informateur présume déjà ce qu’on attend de 16 lui. Ainsi, dans ce cas de figure, l’enquêté peut soit chercher à se faire accepter en puisant au fond de lui un discours approfondi, soit à se dissimuler en cachant son arrière-pensée. Pour ce qui est de l’entretien non-directif que l’on peut aussi appeler entretien libre, il présente une seule question initiale dont le but est de laisser libre choix et libre court à la pensée de l’enquêté, sauf que là aussi on risque d’avoir plus de quantité d’informations que de qualité d’informations. L’entretien semi-directif quant à lui privilégie le travail interactionnel dans une plus large mesure que ce que l’on peut rencontrer dans le cadre d’un entretien directif. En effet, dans le contexte de l’entretien semi-directif, « loin de s’effacer derrière un questionnaire, l’enquêteur se présente en véritable inter-actant dont la présence est à prendre en considération par l’informateur qui trouve alors matière à co-construire ses représentations » (Maurer, 1999 : 183). Par conséquent, le chercheur peut éviter certains obstacles tels que les mécanismes de défense des interviewés, les discours factices, induits, inattendus, dissimulateurs, inattentifs, entre autres. L’entretien demeure, cependant, la méthode d’enquête la plus fréquemment utilisée dans l’étude des représentations en sociolinguistique. On peut noter son utilisation chez Py (1993), Py et Oesch-Serra (1993), Gajo (1997), Matthey et Moore (1997), Cavalli (2000), Pépin (2000), Py (2004) et bien d’autres. Pour mener à bien un travail, il incombe toujours de choisir une démarche claire et précise parmi plusieurs méthodologies possibles. Et bien qu’il n’existe pas de méthodologie parfaite, permettant d’appréhender de manière exhaustive le phénomène étudié, il est possible toutefois d’opter pour la méthode rendant, le plus possible, une approche complète de celui-ci. Par conséquent notre choix s’est porté sur l’entretien semi-directif.
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