Etude des relations entre la luminosité de
l’eau et le paludisme
Etat d’Amazonas et rôle de l’eau dans l’écologie du moustique Anophèles
En 2015 le Brésil compte 143.415 cas de paludisme dont 36 suivis de décès, un chiffre qui décroit d’année en année (World Health Organization 2015). Le paludisme est endémique de la région amazonienne située dans la région Nord du Brésil et qui concentre 99% des cas dans le pays. (Sampaio et al. 2015; Mourao et al. 2014; Oliveira-Ferreira et al. 2010; Braz et al. 2006; Katsuragawa et al. 2008). L’État d’Amazonas concentre 42% des cas de paludisme, suivi de l’État de l’Acre avec 25% (Brasil, Ministério da Saúde 2015). L’Amazonie brésilienne possède toutes les conditions pour la présence du paludisme (Stefani et al. 2013; Tadei et al. 1988; Santos et al. 1981). Cette maladie est transmise principalement par le moustique Anophèles darlingi. L’Anophèles se reproduit en milieu aquatique et est doté d’une importante adaptabilité à différents environnements présents dans cette région (Tadei et al. 2016). Les principales espèces de plasmodium responsables des infections dans l’État d’Amazonas sont P. falciparum (16%) et P. vivax (84%). Le paludisme entretient un lien étroit avec les fleuves Amazoniens et son cycle épidémiologique se calque sur le cycle annuel des eaux (Assis et al. 2008; Wolfarth et al. 2013; Tadei et al. 1988). La crue des fleuves du bassin Amazonien entre novembre et juillet fait monter le niveau de 10 à 15 mètres à Manaus, capitale de l’Etat d’Amazonas, située à la rencontre des eaux des deux grands fleuves Negro et Solimões. La plupart des centres urbains subissent des inondations annuelles dues à cette crue. Le Rio Negro, avec des eaux noires chargées de matière organique dissoute, prend sa source sur le plateau des Guyanes à 2250 km de Manaus. Le Rio Solimões, chargé d’alluvions et caractérisé par une teinte laiteuse qui lui vaut d’être le principal représentant des fleuves dits « d’eau blanche », prend sa source dans les Andes à 5400 km de Manaus. La saison de la crue provoque le débordements de ces fleuves sur les varzeas (lacs d’inondation d’eau blanche), et les igapós (lacs d’inondation d’eau noire)(Figure 1-1) et influence le cycle de vie d’une grande variété d’espèces animales et végétales (Ianniruberto et al. 2015; Gualtieri et al. 2015; Moquet et al. 2016). Les variations biogéochimiques modifient la bio-écologie des écosystèmes (de Barros et al. 2007; Barros & Honório 2007; Magris et al. 2007; Basurko et al. 2011; Confalonieri et al. 2014) et sont en grande relation avec la reproduction des Anophèles (Tadei et al. 2009). Figure 1-4 Niches écologiques de l’Anophèles: A) Varzea inondée ; B) Forêt d’igapós inondée (extrait de: Tadei et al. 2009) Les gites larvaires de l’Anophèles sont variés et peuvent se trouver dans des zones à ciel ouvert, dans des ruisseaux d’eau courante, en eaux stagnante et ombragée, sur des végétations aquatiques comme le Pistia sp., Ludwigia, Cabomba, Tonina, Miconia, et Rollini ou dans des flaques d’eau et fossés (Tadei, B. Thatcher, et al. 1998). On sait aussi que ce moustique est moins présent en saison sèche. Pendant cette période il cherche des niches plus fraiches proches des eaux plus profondes. On les retrouve ainsi souvent loin des berges dans les varzeas et igapos accrochés aux feuillages et aux troncs flottants (Deane, Causey, and Deane 1948). Les parties toujours en eau de ces lacs d’inondation sont ainsi des gites larvaires pour les Anophèles tout au long de l’année. Le cycle de vie depuis l’œuf jusqu’au spécimen adulte varie selon la température de l’environnement. En conditions normales, cela peut varier entre 12 et 16 jours (Forattini 1962; Santos et al. 1981). Cette période peut être de 7 jours à 31°C ou a 20 jours à 20°C (Williams & Pinto 2012). La température est relativement constante tout au long de l’année en bordure des fleuves (amplitude diurne d’une dizaine de degrés mais moins de 2° de variation sur la moyenne journalière sur l’année), et ne constitue pas une variable discriminante Plusieurs études relèvent que la pluie est une variable essentielle (Amanajás et al. 2011; Kar et al. 2014; Wolfarth et al. 2013; Gurgel 2006). Non seulement elle conditionne l’extension du milieu aquatique nécessaire à la phase larvaire du cycle de vie du moustique mais on observe aussi une plus grande longévité du moustique dans des conditions plus humides (Olson et al. 2009; Hahn et al. 2014). Il est intéressant de noter également que pendant le pic de crue les conditions nécessaires à la prolifération du moustique ne sont pas réunies, à cause de l’écoulement rapide de l’eau qui traine les larves de moustiques loin des lieux de ponte vers les fleuves. L’épidémie de paludisme débute en période de décrue, principalement à partir du mois d’aout (Confalonieri 2003; Motta 2015; Katsuragawa et al. 2010; Gil et al. 2003; Wolfarth et al. 2013), mais c’est après les premières grandes pluies que les taux de transmissions augmentent (Braz 2013; Angelo 2015) car les gites larvaires sont inondés progressivement faisant éclore les œufs alors que le courant est encore trop faible pour les arracher des lieux de ponte (Assis et al. 2008). Différentes études définissent qu’un pH de l’eau entre 6,5 et 7,3 constitue une niche écologique idéale pour les moustiques Anophèles darlingi (Hiwat et al. 2011), mais également qu’ils se reproduisent plus aisément dans des milieux plus alcalins (Tadei, B. D. Thatcher, et al. 1998). Ils sont néanmoins présents dans toutes les communautés du Rio Negro, un fleuve présentant un pH acide (Tadei et al. 2009; Cabral et al. 2010). I est avancé que la période des pluies peut produire des variations de pH importantes créant les conditions pour les gites larvaires de l’Anophèles darlingi dans des milieux jusque-là trop acides (Hiwat et al. 2011; Cabral et al. 2010; Giglioli 1938). Les études locales le long des fleuves indiquent qu’il existe différents modèles saisonniers du paludisme en Amazonie dû à la diversité de milieux qu’on y trouve (Becker 2013; Wolfarth et al. 2013; Confalonieri et al. 2014; Basurko et al. 2011). Selon la région et ses caractéristiques hydrologiques, l’épidémie de paludisme a des caractéristiques différentes. Chaque fleuve a sa propre dynamique. La plus grande présence de larves d’Anophèles est observée pendant la baisse du niveau des eaux pour l’amont du fleuve Amazone (Vittor et al. 2009). Pour le moyen Orénoque, on observe une augmentation de la présence des moustiques après le pic des pluies, quand le fleuve atteint son maximum de débit (Magris et al. 2007). Pour le Rio Purus, la plus grande concentration de cas de paludisme se trouve dans la région de la plaine où le fleuve perd de la vitesse et où la nature est plus préservée. Quand le fleuve Purus croise les routes entre l’Acre et le Pérou, le paludisme est caractérisé comme un paludisme de frontière, majoritairement importé d’autres états ou pays (Assis et al. 2008). Les routes faciliteraient le transport de la maladie dans cette région (Santos et al. 2007). Santos et al., (2007) montre en effet l’existence de différentes dynamiques de contagion et de transfert de l’agent contagieux du paludisme selon l’organisation territoriale des axes de transport. On peut observer aussi que la construction des usines hydroélectriques sont un cas à part de modèle de dispersion des épidémies car leurs chantiers génèrent un grand nombre de cas de paludisme comme a Santo Antônio ou Jirau sur le Rio Madeira (Katsuragawa et al. 2008; Katsuragawa et al. 2009), plus spécifiquement chez les migrants provenant de régions non-endémiques attirés par les opportunités créées par le chantier et qui sont souvent exposés à une situation sanitaire déficiente. Le manque d’immunité de ces populations peut contribuer à la forte parasitémie (grandes quantités de parasites par millilitre de sang) qui mène à des paludismes très graves (Parise 2009; Gomes et al. 2011; Fernandes et al. 2010).
L’eau dans l’État d’Amazonas
Le bassin amazonien est le plus grand bassin hydrographique au monde avec une superficie de 6.915.000 km2 et un débit total estimée à 209 000 m3 /s (Goulding et al. 2003). L’État d’Amazonas avec une surface proche de 1.571.000 km² est entièrement situé dans ce bassin (Figure 1-2). Cet État dispose d‘un réseau fluvial navigable de 22.000 kilomètres. Figure 1-5 Carte du bassin Amazonien brésilien et état d’Amazonas Ce réseau se substitue au réseau routier quasi-inexistant pour la plus grande partie du territoire. Les principaux affluents du Rio Amazonas dans l’État d’Amazonas sont le Rio Negro, le Rio Solimões, le Rio Madeira, le Rio Japurá, le Rio Juruá et le Rio Purus (Figure 1-3). Figure 1-6 Carte des principaux fleuves affluents du Rio Amazonas dans l’état d’Amazonas La composition des eaux des bassins de drainage sont le produit de l’interaction physique et chimique qui survient au long du processus d’infiltration et de ruissellement (Martinez et al. 2009; Kilham & Roberts 2011; Stallard & Edmond 1983). Sioli et Klinge (1962) et Sioli (1968), pionniers des études des fleuves amazoniens, classifient en trois grandes catégories les fleuves amazoniens selon leurs caractéristiques hydrographiques: fleuves d’eaux blanches, fleuves d’eaux noires et fleuves d’eaux claires. Le Rio Negro est l’exemple le plus connu de fleuve d’eaux noires du bassin amazonien et le Rio Solimões est celui connu pour ses eaux blanches. Ces deux fleuves se rencontrent devant Manaus pour former le fleuve Amazonas (Figure 1-4). Figure 1-7 Rencontre des fleuves Rio Negro et Rio Solimões. (Source: Wikimedia Commons par Mario Ortiz) Les eaux claires ne sont pas connues pour être présentes de façon significative dans l’état d’Amazonas (l’exemple typique est celui du fleuve Tapajos dans l’État de Pará). Le faible apport en nutriments et le pH acide des eaux font de la région du Rio Negro une région moins propice à la diversité biologique que le Rio Solimões et est, par conséquent, moins habitée par l’homme. Le Rio Negro – Le Rio Negro est le principal représentant des eaux noires du bassin amazonien. Il est l’un des trois plus grands fleuves du monde. Son débit est supérieur à tous les fleuves européens rassemblés. Il est aussi l’un des principaux affluents du Rio Amazonas, responsable de 15% du débit de celui-ci dans l’Atlantique. Le Rio Negro draine une surface qui correspond à 10% des 7 millions de kilomètres carrés du Bassin Amazonien. Le Rio Negro tient son nom de sa couleur qui s’apparente à un thé obscur. Avec une transparence entre 1,30 et 2,30 mètres, il provient du drainage du plateau des Guyanes. Les acides fulviques et humiques dissous qui donnent cette coloration sont issus de la lente décomposition de la biomasse pendant des milliers d’années sur les grandes étendues inondables qu’il baigne. Il a une grande quantité de Na+ (Sodium) et K+ (Potassium), ce qui lui confère un pH réduit (autour de 4.0) (Furch 1984; Walker 1987; Melfi et al. 2011). La matière organique est aussi produite dans l’eau par le phytoplancton dans la zone euphotique de la colonne d’eau. Le phytoplancton consomme les nutriments et les convertit en matière organique par la photosynthèse (production primaire). Le zooplancton consomme le phytoplancton et crée encore de la matière organique. Dans certains cas il peut y avoir une quantité suffisante de matière organique dissoute dans l’eau pour réduire considérablement la pénétration de lumière dans la colonne d’eau. Mais contre un fond de sable, en zone peu profonde, l’eau peut paraitre limpide car elle transporte peu de sédiments. La matière organique est principalement issue des zones inondées périodiquement. Ces zones inondées sont appelées par les populations autochtones « igapós » quand elles sont recouvertes de forêts. Les forêts des zones d’igapós sont appelées « caaigapó » (forêts inondées). Les forêts du bassin du Rio Negro sont parmi les moins peuplées et les mieux préservées au Monde. Les eaux noires du fleuve n’offrent pas les conditions nécessaires à l’agriculture. L’acidité des eaux ne favoriserait pas les insectes comme les moustiques, tenus comme bien plus présents dans les fleuves d’eau blanche. Les forêts du bassin du rio Negro sont aussi, en comparaison avec les autres, pauvres en animaux terrestres et aquatiques (Oliveira & Dalcy 2001; Junk 1983). Le Rio Solimões – Le Rio Solimões est le principal représentant des eaux blanches dans le Bassin amazonien. Ce fleuve est le tronçon du Rio Amazonas entre la triplefrontière Brésil-Pérou-Colombie et la ville de Manaus. Il possède des eaux navigables sur 1.620 km avec une profondeur comprise entre 8 et 20 mètres. Sa période de crue s’étale de février à juin. Les eaux du Rio Solimões, du Rio Purus et du Rio Madeira sont dites d’eaux blanches car elles sont chargées en sédiments. Elles proviennent des Andes, une chaine de montagne relativement jeune où les processus érosifs sont actifs, notamment grâce au climat régional. Le pH de ces eaux est proche de 7 et elles sont classées comme bicarbonatées car elles sont riches en Ca2+ (Calcium) et HCO3 (Bicarbonate) et pauvres en matières organiques (Sioli 1968; Konhauser et al. 1994; Gaillardet et al. 1997; Queiroz et al. 2009). Une autre caractéristique des fleuves d’eaux blanches est l’instabilité de leur cours naturels par l’action simultanée de la sédimentation et de l’érosion. Ce sont des fleuves en méandres qui coulent dans leurs plaines d’inondation. Ce mouvement constant érode les marges de terrains argilo-sableux mal consolidés qui provoquent pendant les crues des glissements de terrain qui, à leur tour, sont une des sources de matière argileuse rencontrée en suspension dans les eaux. Aux bordures des fleuves blancs on peut apercevoir des étendues de sols fertiles de plus en plus exploités pour l’agriculture. Ce sont les varzeas les plus élevées qui subissent l’inondation annuelle pour un temps moindre et permettent l’agriculture CHAPITRE 1 Contexte de la recherche 20 d’espèces de cycle court (niébé, riz, maïs, melon d’eau, etc.), les fibres (malva, jute) et des légumes (choux, concombres, etc.) (Fajardo et al. 2009). Les eaux claires – Les fleuves d’eaux claires ou limpides se caractérisent par leur faible charge en matières en suspension. Les principaux représentants de ce type d’eau sont le Rio Tapajós et le Rio Xingú qui proviennent des plateaux de la région centrale du Brésil, et se trouvent en dehors de l’État d’Amazonas. La région centrale du Brésil est une région plate et régulière avec une faible érosion. On observe pour ces fleuves une charge sédimentaire pendant la saison des grandes pluies, qui entraine des sols plutôt rocheux ou sableux avec peu d’argile et génèrent des plages pendant les périodes sèches. Ces trois catégories primaires de couleur d’eau sont accompagnées de diverses variantes issues des mélanges entre les eaux des fleuves provenant de différentes régions et par d’autres types de variation. Un exemple typique de cette transformation est ce qui se produit dans le cours supérieur du Rio Branco, grand affluent du Rio Negro. Il porte son nom car il descend des montagnes de la frontière avec le Venezuela et transporte pendant les périodes de crue une grande quantité de matériel en suspension, ce qui lui donne une teinte blanche. Pendant les périodes sèches ses eaux deviennent transparentes. Aussi, les petites rivières amazoniennes, les igarapés, subissent des variations importantes de la qualité des eaux. Leur composition est similaire à celles des grands fleuves néanmoins les variations sont beaucoup plus abruptes et peuvent être perçues dans un laps de temps d’une journée et même de quelques heures.
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