La multifonctionnalité de la forêt
Toutes les fois que l’on parle de la forêt, les pensées sont souvent fixées à son statut de ressource naturelle. Mais la forêt est plus que cela, au point qu’elle est susceptible d’être prise pour un bien culturel et un habitat. Considérée comme ressource, les principales activités pratiquées par les Mbuti de Mambasa sont : la chasse, la pêche, la récolte, le ramassage et la cueillette.
Pour la chasse, ils utilisent les instruments suivants : La lance appelé « mukuki » en swahili, « ekonga » en kibila, « tipé » en kilese. C’est l’instrument qui sert à tuer les animaux de grande taille ; La flèche appelé « kuya » en kibila et en kilese. C’est un instrument accompagné d’un arc qui sert à propulser la flèche. Il sert à tuer des animaux de taille moyenne. Sur la flèche, on peut observer une feuille appelée « sumu ya poli », c’est-à-dire la poison sauvage, qui pour les Mbuti sert à rassurer le chasseur de tuer réellement l’animal. Le filet appelé « nyavu » en swahili. Il sert à constituer une barrière pour les animaux afin que le chasseur les trouvent directement à l’endroit où il est installé et qu’il les abatte avec un instrument qui lui est disponible ; Le système de « eboso ». Il s’agit d’un trou creusé dans le sol pour que les animaux y tombent et soient capturés ; L’usage des bâtons peut se faire en cas d’une chasse à deux groupes : le groupe de capture qui est composé des hommes près des filets et les dérangeurs des gibiers qui sont souvent des femmes et des enfants appelées « Baswakayi » ; Pour les animaux qui restent dans les trous, on peut allumer le feu à l’entrée du trou pour que la fumée pousse l’animal à sortir. C’est à la sortie qu’il est capturé par les chasseurs. L’usage des chiens pour identifier les pistes suivies par les animaux ; Un lance-pierre fabriqué à l’aide du latex des papayers ou des lianes appelées « abuma ». Il est utilisé par des enfants pour la chasse d’oiseaux ; Les pièges surtout pour la capture des animaux nocturnes. L’usage des armes à feu est considéré comme punissable par les dieux et les ancêtres. Ce qui fait que la commercialisation de la viande de brousse ne soit pas une finalité pour les Mbuti. On pratique la chasse pour la recherche des protéines animales à consommer le jour, d’où une chasse durable.Pour le ramassage, les Mbuti produisent :
– Les « pumba » en kibila, une catégorie des champignons ;
– Les « iswa », ou « ndonge » en kibila et « ètsu » en kilese : c’est-à-dire des termites surtout au neuvième mois de chaque année. La termitière est privée au chef d’un campement ; le ramassage des termites est un rituel pour ce chef mais pour l’intérêt de tous. Vouloir ramasser sur une termitière d’autrui fait disparaitre les termites, car elles ne répondent qu’à l’appel du propriétaire. La termitière ayant un propriétaire porte des signes tels que : la propriété, les blessures des machettes sur les arbres proches et les traces du feu. Sans ces signes, la termitière n’appartient à personne et on peut se l’approprier par un rituel qui fait reconnaître la voix du propriétaire aux termites. Nous avons comparé ces signes d’appartenance d’objet chez les Mbuti avec ceux chez les Bantu dans la zone. Ces derniers font usage des épouvantails avec généralement le symbole de la mort. Les signes pour les Mbuti institutionnalisent la paix, car il n’est aucune conséquence macabre sur le violeur des normes de propriété, qui en principe est aussi bénéficiaire de la ressource. Mais chez les Bantu, violer les normes a des conséquences négatives sur la personne qui n’est pas du tout bénéficiaire de la ressource ;
– Les « kaso », une catégorie de fruits dont les Mbuti consomment le grain, sont ramassés généralement au sixième mois de chaque année ;
– Les « mbèlè », des fruits dont on consomme la chair ;
– Les « tupambu », les « ebombi », les « abomba » qui sont d’autres catégories de fruits consommés par les Mbuti ;
Pour la cueillette, les Mbuti obtiennent :
– Du miel, « boki » en kibila et « màya » en kilese surtout au sixième mois de chaque année. L’exploitation du miel répond à des rites imposés par le chef coutumier ;
– Les chenilles « mbinjo » ou « basoko », au septième mois de chaque année
– Les noix de palme « mbia » en kibila et « isa » en kilese. Pour la pêche, les Mbuti utilisent les filets, les paniers de pêche (nasse), à certains moments le « bututu », un poison qui asphyxie les animaux dans l’eau, ces Mbuti n’ayant qu’à ramasser les cadavres à la surface de l’eau. Pour la récolte on peut citer les ignames et autres racines ou tubercules tirés du sol. Pour les Mbuti, ce sont les produits de la forêt qui leur font dire qu’elle est bien gérée. Ainsi, ils ne détruisent pas l’écosystème là où ils sont passés, car à tout moment, ils peuvent y retourner. Outre le statut de ressource attribuable à la forêt, elle joue d’autres rôles : C’est un lieu de refuge et de loisir ; La forêt offre des moyens de protections contre les animaux féroces. Soit la personne monte sur l’arbre, soit elle se faufile entre les racines échasses de l’arbre appelé « éte la » etc. ; Elle est la source des produits de beauté pour les filles et les femmes. Le cas est celui de la poussière jaune des écorces de « epunga », ou la sève de certains fruits. La beauté est pour les femmes Mbuti exprimée par des signes divers sur le visage ; Elle est une pharmacie par excellence. Des maladies ordinaires aux maladies ayant des causes non biologiques, la forêt est le recours ultime des Mbuti. Ils sont généralement sollicités pour le traitement des maladies ayant des causes non biologiques. Ils sont également sollicités pour les maladies liées à la fécondité (impuissance sexuelle et toutes ses variétés) ; Elle indique les endroits dangereux ou fréquentables. Les arbres qui logent les serpents sont connus («gbama », « epokupoku »), les savanes aux léopards, éléphants sont identifiées, les aspects extérieurs d’un lieu donnent l’opportunité aux Mbuti de rester ou de sortir ;
Elle fournit des moyens de nouer des relations ou de rompre : la tige de « ngbongbo »jeter sur la hutte d’un homme provoque le divorce d’avec sa femme ; les feuilles de « lianga » sont utilisées pour envoûter les femmes, d’autres plantes empêchent la nuisance des sorciers ou de toute personne ayant des plans funèbres contre un Mbuti ; Le sel traditionnel des Mbuti n’est pas minéral comme pour les Bantu. Il est végétal. Il en est de même pour la plupart des instruments utilisés : pipe, chaises, habits traditionnels, fronde, etc. ; La forêt est un lieu de loisirs pour les couples : la sexualité est pratiquée en forêt et non dans les huttes au niveau du campement. C’est la raison pour laquelle les couples disparaissent du campement aux milieux des journées. Il nous a été difficile de savoir si la pratique est accompagnée des rites. C’est la diversité des fonctions jouées par les arbres et les herbes qui nous a plus marqué.
Depuis l’enfance, la personne est soumise à une série de formations, pour que l’intéressé puisse savoir: Grimper très vite sur un arbre ; Sauter en hauteur ; Courir très vite ; Identifier les traces sur le sol ; Marcher la nuit et en pleine forêt sans se perdre; Transmettre des informations au moyen des signes lors d’un passage (signaler un danger, la direction à suivre, les endroits où offrir des sacrifices aux dieux et aux ancêtres, etc.) tout en comprenant les messages des signes et savoir les sanctions prévues à celui qui va à l’encontre des exigences du message, car ces signes sont uniformes ; Les arbres ayant un rôle culturel, bien connaître ce rôle et les personnes directement y impliquées ; Les arbres ayant un message écologique, c’est-à-dire informant de certaines relations
entre les êtres biologiques et cela pour demander de fuir, de s’approcher, de faire attention ; Les animaux, leurs noms, un peu de leur écologie (régime alimentaire, niche écologique, langages, compétiteurs, etc.), le type de chasse adaptée, les espèces proches sur le plan de la morphologie, la place dans la culture, etc. ;
Utiliser le matériel de chasse, techniques de piégeage, si possible fabriquer le matériel ; Les rites se rapportant à la chasse, à la collecte du miel, au ramassage des termites ; Les lieux de retrait des dieux en forêt ; Les divers interdits, etc. A la complexité des fonctions de la forêt pour la vie des hommes, se greffe une complexité de missions éducatives des adultes sur les enfants et les jeunes, une complexité des rites et des symboles. La multifonctionnalité de la forêt produit ainsi chez l’homme l’équilibre à l’environnement, l’équilibre à ses semblables et l’équilibre à lui-même. La forêt est un tout pour les Mbuti et les Mbuti se font tout pour la forêt, institutionnalisent des pratiques sociales qui font que les ressources naturelles restent elles-mêmes. La valeur de la gestion de la forêt par une communauté dépend de l’intérêt global de l’écosystème, la masse des intéressés et le niveau des relations entre ces intéressés. Pour savoir qu’à une saison les productions seront abondantes ou pas, les Mbuti identifient les promesses par présence et les promesses par absence. La promesse par présence se réfère à la vue des éléments dans les environs, lesquels éléments indiquent qu’il y a présence abondante d’un produit dans la forêt. A titre d’exemple, l’abondance des fleurs sur les arbres (surtout sur l’arbre appelé « njingi » marquent qu’il y aura abondance du miel dans le mois indiqué pour sa cueillette. L’abondance des fourmis rouges est indicateur de l’abondance d’abeilles au septième mois et du miel dans l’année suivante. Une saison sèche est un facteur de peu de floraison et peu de fruits et de bons tubercules. La circulation intense des serpents est indicateur d’une mauvaise saison pour les termites.
En ce qui concerne la promesse par absence, les Mbuti donnent les exemples suivants : l’absence de certains oiseaux (éperviers, corbeaux, etc.) près des campements peut indiquer qu’il y a trop des chenilles dans la forêt. Les Mbuti ressentent que les saisons sèches s’amplifient ou que les pluies deviennent de plus en plus abondantes pendant leurs périodes. C’est la seule explication qu’ils ont de la compréhension du réchauffement climatique. Ils reconnaissent aussi que ce réchauffement a un impact négatif sur leur mode de vie en forêt. La forêt qui est pour eux la nourricière est en train d’être dégradée par les activités indiquées. Cette dégradation entraîne selon eux :
• Le réchauffement de l’air à cause de la disparition de l’ombrage, ce qui fait que les milieux dégradés perdent leur rôle en termes de loisirs ;
• La sècheresse au sol à cause d’un chaud soleil, ce que devient l’origine de la pollution des eaux et la perte de l’eau fraiche ;
• La disparition des termitières suite à leur destruction par les agriculteurs qui envahissent de plus en plus la région ;
• La raréfaction des oiseaux qui habitent dans les arbres (exemple du perroquet) et qui jouent des fonctions multiples (rites, porteurs des messages, symboles du pouvoir, totem de certains clans, etc.) ;
• L’éloignement des animaux, suite à la destruction des habitats par les exploitants artisanaux du bois et des minerais, la chasse armée, etc. ;
• L’élimination des arbres à chenilles ;
• La disparition des arbres dont les fleurs attirent les abeilles pour la constitution du miel ;
• La disparition des herbes utilisées pour le traitement des maladies ;
• L’aliénation des Mbuti pour les intérêts des Bantu ;
• La perturbation des cours d’eau qui étaient purifiées par le bon sol de la forêt.