Etude des mécanismes immunitaires des uvéites idiopathiques par une approche biologique et l’optique adaptative

Etude des mécanismes immunitaires des uvéites
idiopathiques par une approche biologique et l’optique adaptative

INTRODUCTION

Les uvéites sont définies comme une inflammation du tractus uvéal vasculaire dans l’œil, incluant l’iris, le corps ciliaire et la choroïde, cependant des structures adjacentes comme la rétine, le nerf optique, le vitré et la sclère peuvent également être affectées. De ce fait, en pratique toute inflammation intraoculaire endommageant la barrière hémato-oculaire est considérée comme faisant partie du même groupe de pathologies. Les infections sont l’une des causes les plus fréquentes d’uvéite. Elles peuvent envahir le tissu oculaire directement ou résulter d’un processus inflammatoire. Les causes infectieuses des uvéites possibles sont la toxoplasmose, la tuberculose, la syphilis, mais également les virus comme le CMV, le VZV et l’HSV. Sauf exception, l’évaluation clinique des patients qui développent une uvéite ne montre pas d’invation directe du pathogène dans l’œil. Les prélèvements d’AqH effectués dans l’œil lors d’une inflammation active vont permettre de retrouver des infiltrats inflammatoires comprenant des lymphocytes T, B et des macrophages. Ces analyses suggèrent des mécanismes actifs de régulation immunitaire, dont une apoptose des lymphocytes T induite par le FasLigand et une régulation de la fonction des cellules dendritiques par le cortisol. Cependant la question est : qu’est-ce qui initie ces processus inflammatoires dans l’œil? Malgré l’absence d’infection évidente dans certaines de ces uvéites, des données expérimentales suggèrent un rôle central des produits bactériens, mais pas seulement. L’étude des mécanismes immunitaires dans les uvéites pourrait répondre à cette question. Les uvéites sans étiologie retrouvée (ou uvéites idiopathiques) sont des pathologies intraoculaires inflammatoires potentiellement cécitantes, surtout lorsqu’elles touchent le segment postérieur de l’œil. Le traitement des uvéites, mal codifié, consiste en une corticothérapie continue, et lorsqu’il existe une dépendance ou une résistance à la corticothérapie, ce traitement est utilisé en association ou remplacé par un traitement immunosuppresseur (mycophénolate mofétil, méthotrexate, azathioprine…) prescrit de façon empirique. Il n’existe aucun marqueur de diagnostic et de suivi clinique ou biologique permettant de choisir individuellement le traitement immunosuppresseur ou la biothérapie à utiliser dans ces affections. L’introduction d’agents biologiques comme les anti-TNF-α et l’IFN-γ constitue une approche thérapeutique 9 efficace pour les uvéites réfractaires. D’autres agents administrés par voie orale ou souscutanée (anti-IL1β et anti-IL-6) ont fait l’objet d’essais cliniques au CHNO des QuinzeVingts (multicentriques, internationaux) pour le traitement des uvéites non infectieuses, avec des résultats prometteurs pour les maladies auto-immunes systémiques. A ce jour, le choix rationnel de ces diverses biothérapies, non dénuées d’effets secondaires, n’est pas établi selon les différentes présentations cliniques des uvéites. Des patients atteints d’uvéites sont d’ailleurs réfractaires à certains de ces traitements. Le choix de nouvelles stratégies thérapeutiques nécessiterait une justification par un rationnel objectif et, à cet effet, l’identification des médiateurs spécifiques permettrait éventuellement de mieux cibler leur administration. Il est en effet raisonnable de penser que l’expression des cytokines et chimiokines est élevée au cours des uvéites idiopathiques. De plus, leur profil hétérogène peut être en lien avec leur variabilité anatomique et clinique. Nous nous proposons de comparer, dans notre population, les profils cytokiniques obtenus dans les uvéites idiopathiques au spectre trouvé dans les uvéites infectieuses et autoimmunes (Behçet, sarcoïdose syphilis et toxoplasmose). Nous utiliserons la méthodologie Luminex® spécialement calibrée et validée pour les microdosages de cytokines et chimiokines dans les liquides intraoculaires (microcytométrie en flux alliant l’utilisation de microsphères fluorescentes reconnaissant des peptides et une double lecture après excitation par deux lasers) [1]. Pour mieux étudier les mécanismes immunitaires mis en jeu lors d’une uvéite idiopathique, nous avons comparé les profils cytokinique obtenus aux spectres observés dans des inflammations intraoculaires de diverses étiologies, infectieuses ou non. Un groupe de patients atteints de syphilis oculaire a été également étudié afin de servir de témoin positif et d’étudier cette pathologie peu explorée jusqu’alors au niveau immunologie intraoculaire. Ces profils immunitaires ont ensuite été confrontés aux présentations cliniques et aux aspects retrouvés en optique adaptative. Les uvéites avec vascularites ont un aspect caractéristique en optique adaptative, technique qui permet d’agrandir l’image que nous avons des vaisseaux rétiniens en précisant, de plus, les types anatomiques d’atteintes (artérielles ou veineuses), les variations de calibre vasculaire et les caractéristiques de parois vasculaires et des tissus adjacents. Les études histologiques rapportées dans la littérature décrivent des engainement périvasculaires 10 inflammatoires dans les uvéites (notamment dans la sarcoïdose), des amats cellulaires intrarétiniens et des modifications inflammatoires intravasculaires (dans la forme oculaire de la maladie de Behçet, par exemple). Nous chercherons en optique adaptative à préciser les caractéristiques spécifiques des vaisseaux enflammés dans les uvéites actives. Ces aspects ainsi définis seront alors comparés à nos résultats des cytokines du sérum et de l’humeur aqueuse afin de rechercher les corrélations entre profils cliniques en optique adaptative et profils immunitaires (chimiokines et cytokines) en biologie. Après un rappel sur les uvéites, nous décrirons les aspects cliniques retrouvés en optique adaptative dans les uvéites avec vascularites rétiniennes. Nous présenterons ensuite nos travaux sur les dosages de cytokines et chimiokines dans les uvéites de diverses étiologies afin de les comparer à ceux des uvéites idiopathiques. Nos résultats doivent nous permettre de dessiner des futures stratégies diagnostiques et thérapeutiques qui associent les présentations cliniques, les données de laboratoire et les traitements, ce qui sera discuté dans la dernière partie

GENERALITES SUR LES UVEITES

Le terme « uvéite » se rapporte classiquement à l’inflammation de l’uvée. L’uvée est située entre la sclérotique et la rétine, vascularisée, qui comprend l’iris, le corps ciliaire (élément anatomique auquel sont reliés les ligaments retenant le cristallin) et la choroïde. Les uvéites sont potentiellement cécitanteset leur prévalence est de 115 pour 100 000 [2]. Elles représentent l’une des causes majeures de cécité dans le monde. Bien que l’uvéite soit localisée à l’œil, elle représente une manifestion d’une maladie systémique immunologique et est considérée comme faisant partie d’un continuum de maladies immunologiques [3]. Les uvéites seraient la cause de 10 à 20% des Handicaps visuels sévères aux USA et en Europe chez les patients en âge de travailler [4]. Elles peuvent être causées par des infections et/ou une autoimmunité. La proportion relative est reliée à la géographie ; les uvéites causées pardes maladies autoimmunes sont plus fréquentes dans les pays développés, alors que les uvéites infectieuses sont plus fréquentes dans les pays en voie de développement. Approximativement 70 à 90% des uvéites cécitantes dans les pays développés sont non infectieuses. Classiquement, les uvéites comprennent 3 formes, les uvéites antérieures, intermédiaires et postérieures, les panuvéites étant l’association de ces 3 formes.

 Classification des uvéites

 Leur classification anatomique comporte les uvéites antérieures (situées en avant du critallin ou iridocyclites), les uvéites intermédiaires (inflammation du vitré), les uvéites postérieures (inflammation de la rétine et/ ou de la choroïde) et les panuvéites lorsque l’inflammation concerne l’ensemble des structures intraoculaires. Il existe une classification internationale basée sur des critères anatomiques [critères de l’International Uveitis Study Group (IUSG) et critères SUN (Standardization of Uveitis Nomenclature), [5]], qui est la suivante: (1) uvéites intermédiaires (pars planite) (2) uvéites postérieures (choroïdite multifocale avec recherche négative pour la sarcoïdose ou la tuberculose, choroïdite ponctuée interne, choriorétinite serpigineuse, choriorétinite pseudo-serpigineuse, épithéliopathie en plaque, rétinochoroïdite non infectieuse, neurorétinite, vascularite rétiniennes artérielles et/ ou 12 veineuses non infectieuses c’est-à-dire vascularite non secondaire à un désordre dysimmmunitaire) et panuvéites (inflammation de la chambre antérieure, du vitré, de la rétine et/ou de la choroïde). Dans notre étude, nous nous sommes limitée aux formes intermédiaires, postérieures et aux panuvéites.  Les uvéites intermédiaires L’uvéite intermédiaire est définie anatomiquement par une inflammation intraoculaire qui touche l’humeur vitrée, la rétine périphérique et la pars plana. Il s’agit d’une forme d’uvéite fréquente notamment chez les enfants, avec une prévalence de 1,4/100 000 [6]. Généralement le début est insidieux avec des symptômes à type de vision floue et de myodésopsies ; la rémission spontanée est peu fréquente et transitoire. La perte de vision associée est secondaire à l’œdème maculaire cystoïde chronique ou au glaucome secondaire [7]. Le diagnostic d’uvéite intermédiaire idiopathique s’applique lorsqu’il n’y a pas de mise en évidence d’infection ; la pars planite se réfère à un sous-groupe d’uvéites chez lesquels sont décrits la formation concomitante de snowballs (ou « œufs de fourmis » en français) ou d’une exsudation au niveau de la pars plana (appelée « banquise »). Ce phénotype clinique se rencontre également dans des causes infectieuses d’uvéites dont la syphilis, la tuberculose, la borreliose oculaire de Lyme, la maladie des griffes du chat, la toxoplasmose, la maladie de Whipple, le virus Epstein-Barr, le virus HTLV1 et le VIH (virus d’immunodéficience humaine) [8]. De plus les uvéites intermédiaires sont souvent associées à de multiples maladies du spectre des maladies immunologiques auto-immune auto-inflammatoires, comme la sarcoïdose, la sclérose en plaque et les maladies inflammatoires type Crohn (ou « inflammatory bowel disease ») [9].  Les uvéites postérieures Les uvéites postérieures regroupent également les entités cliniques suivantes : rétinopathie, rétinite et vascularite rétinienne. Quand l’inflammation est prédominante au segment postérieur (rétine et choroïde), l’appellation uvéite postérieure est utilisée ; la fonction visuelle est alors affectée en raison de l’atteinte des photorécepteurs. D’autres classifications se basent sur la répartition étiologique des uvéites selon 3 classes: les uvéites infectieuses (essentiellement herpétiques, mycotiques, ou associées à la tuberculose, à la toxoplasmose…), les uvéites associées à des pathologies générales et/ou dysimmunitaires (telles que la sarcoïdose, la maladie de Behçet, les spondylarthropathies, la polyarthrite 13 juvénile,…) et les formes idiopathiques, c’est-à-dire qui ne sont en lien ni avec un agent infectieux ni avec une pathologie dysimmunitaire et correspondent à 30 à 50% des uvéites. De façon plus détaillée la classification de l’IUSG distingue :  Les uvéites postérieures et intermédiaires infectieuses. Elles regroupent les uvéites virales, du groupe Herpes (Herpes simplex, Varicelle-zona, Cytomegalovirus), du VIH, HTLV1 et la dengue ; les uvéites d’origine bactériennes : tuberculose, lèpre, syphilis, borreliose de Lyme, brucellose, chlamydiose, ricksettiose, bartonellose, leptospirose et maladie de Whipple ; les uvéites d’origine fongique et parasitaire : toxoplasmose, histoplasmose, candidose, toxocarose et onchocercose.  Les uvéites postérieures et intermédiaires non infectieuses avec manifestations extraophtalmologiques (dont les pathologies dysimmunitaires). Elles sont associées à : HLA B27, entérocolopathies inflammatoires, polyarthrite rhumatoïde, arthrite chronique juvénile, maladie de Behçet, maladie de Vogt-Koyanagi-Harada, sarcoïdose, sclérose en plaque, néphrite tubulo-interstitielle et granulomatose avec polyangéite.  Les uvéites postérieures et intermédiaires non infectieuses sans manifestations extraophtalmologiques : rétinochoroïdites de type «birdshot » (ou inflammation granulomateuse chronique de la choroïde et de la rétine avec une forte association à l’antigène HLA A29) et le syndrome des « taches blanches évanescentes » (rare, avec remaniement maculaire et inflammation du nerf optique).  Les uvéites postérieures et intermédiaires idiopathiques isolées. Les uvéites d’étiologies indéterminées sont probablement d’origine auto-immune.  Les pseudo-uvéites. Celles-ci désignent des pathologies qui ressemblent cliniquement aux uvéites comme les lymphomes oculaires. L’atteinte oculaire des lymphomes malins non hodgkinien (LNH) peut être lié à une atteinte primitive, le lymphome oculaire et cérébral primitif (ou PIOL pour Primary Intra Ocular Lymphoma), ou être secondaire à la diffusion métastatique de cellules malignes d’un lymphome ganglionnaire, ou plus rarement être secondaire à un lymphome B 14 de la zone marginale de bas grade de malignité (lymphome de type MALT). Le diagnostic repose sur la présence dans le vitré de cellules lymphomateuses. L’un des éléments d’orientation est la ponction de chambre antérieure (et/ou de vitré) pour doser l’IL-10. Cette cytokine est sécrétée de façon massive par les lymphocytes tumoraux et est donc retrouvée à des taux élevée (>50 pg/mL par la technique ELISA) dans la chambre antérieure. Le dosage de l’IL-6 et le rapport IL10/IL-6>1 dans le cas des lymphomes est également utile pour le diagnostic différentiel avec une uvéite infectieuse ou auto-immune. Cette maladie est de diagnostic difficile en raison du peu de spécificité de ses signes cliniques ou paracliniques, surtout lorsque la localisation est exclusivement oculaire ce qui explique un retard diagnostique fréquent.  Définition des paramètres de diagnostic clinique dans notre pratique clinique (voir Méthodes) – uvéite intermédiaire ou pars planite avec hyalite (vitré : site principal de l’inflammation), « banquise inférieure » et/ou formation de condensations vitréennes en « œufs de fourmis » survenant en l’absence d’infection associée ou de maladie systémique, – uvéite postérieure (ou panuvéite).

LIRE AUSSI :  Biodiversité et maladies infectieuses

Table des matières

I. INTRODUCTION
II. GENERALITES SUR LES UVEITES
II-1 : Définitions
II-2: Classification des uvéites
II-3: Place des uvéites idiopathiques
II-4: Les vascularites rétiniennes
II-5 : Immunologie. Physiopathologie des uvéites chez l’homme
II-6: Profils cytokiniques des uvéites
II-7 : L’inflammasome dans les uvéites
III. OBJECTIFS
IV. METHODOLOGIE DES ETUDES
IV-1. Matériel
IV-2: Méthode d’analyses biologiques (dosage de cytokines, chimiokines)
IV-3. OPTIQUE ADAPTATIVE
IV-4. Plan d’étude
IV-5. Prélèvements
V. RESULTATS
VALIDATION DU RECOURS A L’OPTIQUE ADAPTIVE DANS LES UVEITES
V-1. IMAGERIE DES VASCULARITES RETINIENNES EN OPTIQUE ADAPTATIVE
V-2. ETUDE DU SUIVI DES VASCULARITES RETINIENNES EN OPTIQUE ADAPTATIVE
V-3. ETUDE DES CYTOKINES (DU SERUM ET DE L’HUMEUR AQUEUSE)
DANS LES VASCULARITES RETINIENNES
V-3.1. PROFILS CYTOKINIQUES DU SERUM ET DE L’HUMEUR AQUEUSE DES PATIENTS CONTROLES
V-4. PROFILS IMMUNITAIRES DANS LES VASCULARITES RETINIENNES AU COURS DE LA TOXOPLASMOSE, LA MALADIE DE BEHCET ET LA
SARCOIDOSE
V-4.1 : PROFILS CYTOKINIQUES DANS LES UVEITES AU COURS DE LA TOXOPLASMOSE, LA MALADIE DE BEHCET ET LA SARCOIDOSE
V-4.2 : PROFILS CYTOKINIQUES DANS UNE COHORTE D’UVEITES AU COURS DE LA TOXOPLASMOSE, LA MALADIE DE BEHCET ET LA SARCOIDOSE ET CORRELATION AVEC LEUR ASPECT EN OPTIQUE ADAPTATIVE
V-5. PROFILS IMMUNITAIRES DANS LES VASCULARITES RETINIENNES AU COURS DE LA SYPHILIS
V-5.1. PROFILS CYTOKINIQUES DANS LES VASCULARITES RETINIENNES AU COURS DE LA SYPHILIS
V-5.2 : PROFILS CYTOKINIQUES DANS UNE COHORTE D’UVEITES SYPHILITIQUES ET CORRELATION AVEC LEUR ASPECT EN OPTIQUE
ADAPTATIVE
V-7. PROFILS IMMUNITAIRES DANS LES VASCULARITES RETINIENNES AU COURS DES UVEITES IDIOPATHIQUES
V-7.1: PROFILS CYTOKINIQUES DANS LES UVEITES IDIOPATHIQUES
V-7.2 : PROFILS CYTOKINIQUES DANS UNE COHORTE D’UVEITES
IDIOPATHIQUES ET CORRELATION AVEC LEUR ASPECT EN OPTIQUE ADAPTATIVE
VI. DISCUSSION GENERALE
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
REFERENCES
Annexes
Liste des illustrations
Liste des tableaux
Résumé

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