Etude des mécanismes d’altération des verres nucléaires sous radiolyse alpha et en conditions environnementales
Altération du verre en eau pure
En conditions de stockage géologique profond, l’eau arrivera au contact du verre après quelques centaines à quelques milliers d’années. L’eau est le principal vecteur de migration des radionucléides dans l’environnement. De ce fait, les études réalisées, tout d’abord en eau pure, ont permis de décrire les cinétiques et d’identifier les mécanismes fondamentaux d’altération du verre.
Cinétiques et mécanismes d’altération du verre
De nombreuses études sur le verre SON68 (verre de référence non radioactif) ont été menées hors irradiation afin de mieux comprendre le comportement du verre en milieu aqueux. Une fois que l’eau sera en contact direct avec le verre, celui-ci va s’altérer suivant différents régimes cinétiques (Figure 1.4). Ces régimes seront détaillés dans la suite de ce chapitre. Figure 1.4 – Représentation schématique de l’évolution de la vitesse d’altération d’un verre silicaté.
L’interdiffusion
Au cours des premiers instants de mise en contact entre le verre et l’eau, l’eau pénètre dans le verre et un échange ionique entre les alcalins modificateurs du réseau vitreux et les protons de la solution a lieu. Ce processus est couramment appelé interdiffusion. Il entraine la désalcalinisation du verre en créant une couche de verre appauvri dit « verre hydraté » (Équation 1.1) (Godon et al., 2012). ≡Si-O-alcalin + H → ≡Si-OH + alcalin Équation 1.1 Cependant, il a été démontré que dans ce régime, la diffusion ne se limite pas aux alcalins, il y a aussi hydrolyse et relâchement en solution des éléments faiblement liés tels que le bore et le molybdène. En effet, l’échange alcalin-proton induit des modifications structurales locales, notamment par le Chapitre 1 – État de l’art et positionnement de l’étude 13 changement de coordinance de certains atomes formateurs (Chave, 2007; Geneste et al., 2006). Ce mécanisme de diffusion de l’eau dans le verre peut donc être qualifié de diffusion réactive. Le coefficient de diffusion apparent caractéristique de ces processus dépend de la température, du pH, de la composition de la solution lixiviante et du verre. Il est calculé en utilisant l’équation suivante : D = D × [HO ] × exp − E R × T Équation 1.2 Où, D est le coefficient de diffusion apparent de l’eau dans le verre hydraté, n le coefficient de dépendance en pH, Ea l’énergie d’activation et D0 la constante de diffusion. A titre indicatif, à pH 9, les valeurs du coefficient de diffusion de l’eau sont de l’ordre de quelques 10-22 m2 .s-1 à 50°C et de quelques 10-19 m2 .s-1 à 90°C (Godon et al., 2012). Il en découle que la vitesse d’interdiffusion décroit avec le pH et diminue avec l’inverse de la racine carrée du temps. De ce fait, dans la plupart des milieux, un autre mécanisme devient rapidement prépondérant : il s’agit de l’hydrolyse.
Vitesse initiale de dissolution V0 et hydrolyse
Le phénomène d’hydrolyse devient prépondérant dans le régime de vitesse initiale, bien que l’interdiffusion ne cesse pas complètement (Godon et al., 2012). Le phénomène d’hydrolyse correspond à la rupture des liaisons pontantes Si-O-Si par l’action de l’eau, ce qui conduit à la dépolymérisation du réseau vitreux. La forme générale de la réaction peut s’écrire comme suit : ≡Si-O-Si≡ + H2O → 2 ≡Si-OH Équation 1.3 Ce mécanisme se produit à l’interface couche hydratée/solution. La rupture des quatre liaisons pontantes du silicium est nécessaire pour la libération de l’acide orthosilicique (H4SiO4) en solution. Les liaisons Si-O-Al et Si-O-Zr sont aussi attaquées mais avec des barrières énergétiques différentes de celles des liaisons Si-O-Si (Godon et al., 2012). Cette étape de dissolution du verre entraîne une augmentation des concentrations de différentes espèces chimiques en solution, dont le silicium, ce qui conduit progressivement à l’atteinte de conditions de saturation dans la solution et ainsi à une diminution de la vitesse de dissolution du verre. La vitesse de dissolution initiale est la vitesse maximale d’altération du verre, dans des conditions de température et pH données. A titre indicatif, à un pH égal à 9, la valeur de la vitesse initiale du verre SON68 est de 4,7 g.m-2.j-1 à 90°C (équivalent à une épaisseur altérée d’environ de 1,6 µm.j-1) (Gin and Mestre, 2001). Lorsque la vitesse d’hydrolyse devient égale à la vitesse d’interdiffusion, les fronts d’hydrolyse et d’échange d’ions progressent en même temps et l’épaisseur du verre hydraté reste constante : un état stationnaire est atteint (Godon, 2004).
Chute de vitesse et formation d’un gel d’altération
Cette étape correspond à un régime transitoire, entre la vitesse initiale et la vitesse résiduelle d’altération. Ce régime est associé à la fois à l’atteinte de la saturation en silice de la solution et à la formation concomitante d’un gel devenant progressivement passivant et limitant le transport des espèces réactives vers la solution (Van Iseghem et al., 2009). « Gel » est le nom donné au matériau Chapitre 1 – État de l’art et positionnement de l’étude 14 amorphe, poreux et hydraté qui se forme à la surface du verre sain. Les mécanismes de formation sont encore discutés à l’heure actuelle : il se forme à la surface du verre par condensation (Godon et al., 2012) ou précipitation d’espèces dissoutes au niveau du front d’altération (Geisler et al., 2015; Hellmann et al., 2015), ou encore à partir d’espèces du réseau vitreux partiellement hydrolysées et d’espèces de la solution altérante (Valle et al., 2010). La prépondérance d’un mécanisme dépend également de la composition du verre et des conditions d’altération (Gin et al., 2016). Ce gel limite le transport des espèces hydrogénées de la solution vers la surface d’altération du verre. Les propriétés passivantes de ce gel peuvent s’expliquer par une densification et une fermeture de sa porosité (Cailleteau et al., 2008) ou la diminution de la capacité d’hydrolyse en milieu nanoconfiné (Gin et al., 2015).
Vitesse résiduelle
Même si la vitesse d’altération a diminué de plusieurs ordres de grandeur lors de la chute de vitesse, elle ne s’annule pas complètement : on atteint une vitesse dite résiduelle qui, si les conditions chimiques le permettent, devrait être prépondérante sur le long terme. Cette vitesse est aussi associée à l’atteinte de conditions de saturation dans la solution des éléments issus de l’altération du verre limitant l’affinité de la réaction de dissolution de la couche passivante. Les phases secondaires, thermodynamiquement plus stables que le gel, se forment au détriment de ce dernier ; elles ont donc tendance à maintenir la vitesse résiduelle à une valeur plus élevée que si elles ne se formaient pas (Godon et al., 2012). Elles proviennent de la précipitation d’éléments présents en solution, issus de la composition initiale de la solution, de l’altération du verre ou d’autres matériaux présents dans l’environnement (Godon, 2004; Valle et al., 2010). Ces phases possèdent des compositions et des caractéristiques structurales qui dépendent fortement des conditions d’altération, de la composition de la solution et de la composition du verre (Frugier et al., 2008). On trouve par exemple des phyllosilicates, des zéolites et des silicates de calcium hydratés. D’autres phases de types phosphates de terres rares, oxydes métalliques ou hydroxydes métalliques peuvent également se former mais elles ont moins d’influence sur l’altération du verre (Advocat et al., 1991). A titre d’exemple, la Figure 1.5 présente la couche d’altération d’un verre altéré dans l’eau pure : elle est composée d’une couche hydratée amorphe nommée « gel », et de phases secondaires de type phyllosilicates. Chapitre 1 – État de l’art et positionnement de l’étude 15 Figure 1.5 – Cliché en Microscopie Electronique à Balayage (MEB) d’un échantillon de verre R7T7 altéré dans l’eau pure à 150°C et montrant la pellicule d’altération du verre constituée d’un gel développé à la surface du verre sain et des phases secondaires de types phyllosilicates à la surface du gel (Feron et al., 2010). Il en résulte que, dans la plupart des conditions expérimentales pour lesquelles le pH reste inférieur à 10,5, la vitesse résiduelle est relativement constante au cours du temps et elle est de 3 à 5 ordres de grandeur inférieure à la vitesse initiale. Cependant, elle varie avec différents paramètres dont le pH, la température, la composition du verre et elle est sensible aux conditions environnementales. A titre indicatif, pour le verre SON68 altéré en eau pure, les vitesses résiduelles mesurées à 90°C oscillent autour de quelques 10-4 g.m-2.j-1 en fonction des conditions d’altération (équivalent à 0,1 nm.j-1) (Jollivet et al., 2012a). 2.1.5. Reprise d’altération Même si le régime de vitesse résiduelle devrait prédominer sur le long terme, une reprise d’altération est observée pour le verre SON68 dans certains cas particuliers (pour des pH supérieurs à 10,5 avec T ≤ 90°C ou à des températures très supérieures à 90°C) (Fournier et al., 2013; Gin and Mestre, 2001; Ribet and Gin, 2004). Ce phénomène de reprise est dépendant de la composition du verre et semble favorisé pour les compositions riches en alcalins (Fournier et al., 2014). Ce régime correspond à une brusque augmentation de la vitesse d’altération au cours du temps. La précipitation de certaines phases secondaires, les zéolites et parfois des silicates de calcium hydratés, sont à l’origine de ce phénomène (Fournier et al., 2018).
Impact de l’irradiation sur les cinétiques d’altération du verre
Il a été montré dans la littérature que l’irradiation a de nombreux effets sur la structure du verre. De plus, l’irradiation modifie la chimie de la solution par radiolyse de l’eau et des espèces solubilisées. Il est donc nécessaire d’étudier l’impact de ces modifications sur les cinétiques d’altération du verre. La suite du chapitre présente les différentes études qui ont été menées sur l’influence de l’irradiation lors de l’altération des verres en eau pure.
L’interdiffusion
Rappelons que lors de l’interdiffusion, un échange entre les protons de la solution et les alcalins de la surface du verre s’instaure (Équation 1.1, section 2.1.1.). Il a été constaté auparavant que l’irradiation peut, dans certains cas, induire la migration des alcalins et modifier ces échanges (Boizot et al., 2005). Il a été montré, en utilisant un modèle structural de barrière d’énergie développé par ailleurs (McGrail et al., 2001), que la vitesse d’échange d’ions augmente avec la dose et le débit de dose γ (Ojovan and Lee, 2004). Cette augmentation dépend de la température. Pour un débit de dose donné, il existe une température critique au-dessus de laquelle l’augmentation des échanges d’ions est négligeable. Dans ce cas, l’augmentation de la température diminue les effets de l’irradiation.
Vitesse initiale et hydrolyse
Des études sur l’influence de l’irradiation sur l’altération du verre en vitesse initiale ont été réalisées en mode dynamique par des tests Soxhlet à 100°C. Dans ces conditions, un fort taux de renouvellement de la solution permet d’assurer un contact permanent d’eau pure avec l’échantillon. Des expériences en mode statique, c’est-à-dire sans renouvellement de la solution, ont aussi été menées mais à faible rapport de surface du verre sur volume de solution (S/V = 0,1 cm-1) pour maintenir le milieu suffisamment dilué pendant la mesure. Une étude sur des verres complexes radioactifs émetteurs α/β/γ et des verres non radioactifs, a montré que l’altération du verre en vitesse initiale ne semble pas être modifiée par l’irradiation du verre (Advocat et al., 2001). Il a été démontré que l’énergie d’activation associée à la vitesse initiale de dissolution de différents verres radioactifs ou non radioactifs est la même (environ 60 kJ.mol-1). D’autre part, des verres complexes radioactifs émetteurs α, quels que soient la dose cumulée ou le débit de dose α, ainsi que les verres irradiés aux ions Au, présentent une vitesse initiale d’altération semblable à celle des verres non radioactifs à l’incertitude de mesure près (20 %) (Figure 1.6) (Burns et al., 1982; Fillet, 1987; Menard, 1995; Peuget et al., 2007; Peuget and Tribet, 2016; Wellman et al., 2005). Ceci montre que la radioactivité α ne modifie pas la vitesse initiale d’altération du verre de façon significative. Il peut donc être estimé que les modifications de la structure du verre sous cumul de dose d’une part, ainsi que de la chimie de la solution par radiolyse d’autre part, ne sont pas suffisantes pour influencer la réactivité chimique entre le verre et la solution dans les premiers instants, c’est-à-dire quand l’altération du verre est pilotée par l’hydrolyse du réseau silicaté.
INTRODUCTION GENERALE |