Etude des manifestations cliniques des crises
psychogenes non epileptiques
LES CRISES PSYCHOGENES NON EPILEPTIQUES
GENERALITES
Le concept de crise psychogène non épileptique n’est pas encore établi de façon consensuelle [8]. Certains auteurs préfèrent le terme de crises non épileptique, que d’autres considèrent comme englobant toutes les manifestations paroxystiques qu’elles soient d’origine organique, physiologique ou psychogène pouvant être confondues avec des crises épileptiques [9,10]. Les termes retenus dans la littérature anglo-saxonne sur le sujet sont indifféremment psychogenic nonepileptic seizures, psychogenic seizures, nonepileptic seizures [11,12]. Nous retiendrons dans le cadre de cette étude le terme de crise psychogène non épileptique (CPNE). Le terme de « crise », dans une acception purement descriptive (sens phénoménologique) traduit la survenue d’un changement brutal de comportement externe ou interne de durée variable, dont un sujet a ou non connaissance. Le développement de l’enregistrement vidéo-EEG a permis de distinguer 4 grands cadres diagnostiques de crises, qui représente autant de diagnostics différentiels les uns par rapport aux autres : 1-Crises d’origine neurologique : • Crises épileptiques • Crises neurologiques non épileptiques : – migraines avec aura – ictus amnésique – accidents ischémiques transitoires 2-Crises cardiovasculaires : Syncopes 3-Crises métaboliques : hypoglycémie, porphyries aigues xxxv 4-Crises psychogènes : – Crises de conversion – Attaques de paniques – Crises simulées – Crises induites par substances toxiques (alcool, drogues…) – Autres crises psychogènes Nous ne nous intéresserons dans le cadre de ce travail qu’aux crises psychogènes, à l’exclusion des crises neurologiques, cardiovasculaires et métaboliques.
EPIDEMIOLOGIE
Vingt à 30% des patients adressés dans les centres d’exploration de l’épilepsie pour épilepsie pharmacorésistante ont des CPNE [13]. L’incidence des CPNE a été déterminée dans deux études récentes, en Islande et aux Etat unis (dans l’Ohio) [14-15]. L’incidence est de 3,03 pour 1000 dans l’étude Américaine et de 1,4 pour 1000 dans l’étude islandaise, ce qui correspond à environ 4% de l’incidence de l’épilepsie. Une très forte prédominance féminine est notée (respectivement 73 et 78%). La prévalence exacte des CPNE n’est pas connue. Une estimation qui tient compte de la prévalence de l’épilepsie, du pourcentage d’épilepsies pharmacorésistantes, du pourcentage des patients pharmacorésistants adressés à des centres spécialisés et du pourcentage de CPNE dans cette population la situe entre 2 et 33 pour 100 000 .
HISTORIQUE
Les premières descriptions de manifestations d’allures convulsives mais d’origine non épileptiques remontent à Hippocrate, 200 ans avant Jésus-Christ [17]. Ces crises, qui survenaient préférentiellement chez des femmes, ont contribué à développer le concept d’hystérie (étymologiquement utérus en Grec). Ce concept a été réinventé en France par Jean-Martin Charcot [18] à la fin du XIXe siècle qui a proposé le terme d’hystéro-épilepsie, en séparant l’hystérie à crises distinctes et l’hystérie à crises combinées, selon l’association ou non à des crises xxxvi réellement épileptiques. Le caractère anorganique de l’hystérie a ensuite «été détaillé par Janet [19]. Cette entité aux confins de la neurologie et de la psychiatrie n’a probablement du fait de cette dichotomie, été que peu étudiée au XXe siècle jusqu’à l’avènement de la vidéo-EEG, qui lui a permis de retrouver un second souffle. Son appellation a alors évolué. Le terme hystéroépilepsie est tombé en désuétude et a été remplacé par les qualificatifs de pseudo-crises ou crises pseudoépileptiques, eux mêmes abandonnés du fait du caractère supposé péjoratif du préfixe « pseudo », bien que certains préfèrent garder ce terme [20]. Les deux termes consacrés par l’usage restent donc crises psychogènes non épileptiques ou crises non épileptiques.
PSYCHOPATHOLOGIE
(La genèse et la signification des CPNE) Les CPNE ont d’abord été considérées comme des crises hystériques. Le Diagnostic of Statistical Manucure of Mental Disorders (DSM) IV [21] a remplacé ce terme par celui de troubles somatoformes. Suivant ces critères diagnostiques, les CPNE sont classifiées dans les troubles somatoformes dans le sous-groupe de troubles de conversion. Dans la classification internationale des maladies (CIM-10) [22], les CPNE sont classées dans les troubles dissociatifs, ce qui, d’un point de vu psychopathologique, parait plus pertinent pour de nombreux auteurs [23,24]. La définition des troubles dissociatifs est la suivante : « Les divers troubles dissociatifs (ou de conversion) ont en commun une perte partielle ou complète des fonctions normales d’intégration des souvenirs, de la conscience de l’identité ou des sensations immédiates et du contrôle des mouvements corporels…Ces troubles ont été classés psychogènes, dans la mesure ou ils surviennent en relation temporelle étroite avec des événements traumatiques, des problèmes insolubles et insupportables, ou des relations interpersonnelles difficiles. Les symptômes traduisent souvent l’idée que se fait le sujet du tableau clinique d’une maladie physique. L’examen clinique et les examens complémentaires ne permettent pas de mettre en évidence un trouble physique (en particulier neurologique) connu. Par ailleurs, on dispose d’arguments pour penser que la perte d’une fonction est, dans ce xxxvii trouble, l’expression d’un conflit ou d’un besoin physique. Les symptômes peuvent se développer en relation étroite avec un facteur de stress psychologique et ils surviennent souvent brusquement. La possibilité de survenue, à une date ultérieure, d’un trouble physique ou psychiatrique grave, doit toujours être gardé à l’esprit. » Cette définition englobe les antécédents, les hypothèses psychopathologiques, les facteurs déclenchants et certaines caractéristiques cliniques. La description sémiologique des CPNE est ainsi beaucoup mieux comprise à la lumière de la phrase : « les symptômes traduisent souvent l’idée que se fait le sujet du tableau clinique d’une maladie physique ». Si par souci d’harmonisation, le terme de CPNE devrait être réservé à ces troubles dissociatifs, trois autres entités peuvent être responsable de manifestations paroxystiques pouvant donner le change avec les crises épileptiques : les troubles factices dont le syndrome de Münchhausen, la simulation, et les attaques de paniques. La pathogénie des CPNE « pures », d’origine dissociative, n’est pas clairement élucidée [25]. Le mécanisme proposé est le suivant : A la suite d’un événement traumatisant, violence physique ou sexuelle dans la petite enfance le plus souvent, un premier processus de dissociation est généré. Il s’agit d’un processus de défense qui entraîne un clivage de la mémoire et de la conscience permettant de supprimer du champ de la conscience le souvenir de ces événements, et les sentiments qui s’y rapportent. Une fois initié, ce mécanisme de dissociation est ensuite pérennisé comme mécanisme de défense contre les situations stressantes ou conflictuelles. Dans ce contexte, les CPNE peuvent être considérées comme le témoignage non verbale d’un contenu mental dissocié pouvant exprimer des affects (peur, colère, tristesse), des conflits psychologiques ou le rappel comportemental d’expériences traumatiques (par exemple, mouvements d’antépulsion pelviens chez les victimes d’abus sexuel) [26-27]. Quatre types principaux d’événements sont incriminés dans l’apparition des CPNE : • Violences physiques et sexuelles dans l’enfance : c’est l’événement le plus fréquemment rencontré (jusqu’à 50%) [28]. On peut y ajouter l’abandon ou le rejet parental ; xxxviii • Traumatismes à l’âge adulte : il peut s’agir de violences physiques ou sexuelles ou de traumatismes même minimes ; • Deuil ou anniversaire de décès ; ont également été incriminés les divorces ou le départ d’enfants de la maison ; • Stress aigus ou situationnels. Cela concerne les conflits familiaux, domestiques, professionnels ou scolaires, les affections médicales ou chirurgicales, les problèmes judiciaires, etc. Ces différentes situation peuvent déclencher des CPNE, soit isolement, soit en réactivant les émotions liées à un traumatisme ancien. Il peut s’agir d’un événement n’ayant aucun contenu émotionnel particulier (par exemple l’anniversaire d’un enfant correspondant à l’âge auquel sa mère a vécu un événement traumatique, etc.) [29]. Enfin, les patients présentant des CPNE ont fréquemment une comorbidité psychiatrique. Il peut s’agir de troubles affectifs, anxieux, dépressifs, ou d’un Stress post-traumatique [30]. Les troubles de personnalité seraient plus fréquents en cas d’association CPNE-épilepsie [31]. Il est probable que ces mécanismes psychopathologiques soient facilité par la coexistence d’anomalies cérébrales organiques, ce dont atteste chez ces patients non seulement la prévalence supérieure à la moyenne de la population de l’épilepsie, mais aussi des anomalies à l’Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) encéphalique [32]. Dans un quart à un tiers des cas [33], les CPNE font suite à un traumatisme crânien. Contrairement à l’épilepsie post-traumatique, ces traumatismes sont le plus souvent minimes ou modérés. Cette notion doit être connu pour éviter de débuter des traitements antiépileptiques inutiles en cas d’apparition de manifestations paroxystiques après un traumatisme crânien sans gravité.
DIAGNOSTIC POSITIF
Les manifestations cliniques des CPNE sont de deux types principaux : • Mouvement anormaux des quatre membres avec chute pris à tord pour des crises tonico-cloniques généralisées d’emblées ou secondairement ; • Des états de non-reponses isolés ou avec « automatismes » pris à tord pour des absences ou des crises partielles complexes. xxxix Des CPNE avec symptômes focaux moteurs ou sensitifs sont plus rares [34]. Le diagnostic de CPNE est d’abord un diagnostic d’exclusion d’une crise épileptique [35]. Or, le diagnostic de crises épileptiques est en règle générale basée sur la description de témoins plus ou moins directs, et conforté – mais dans 60 à 80% des cas seulement – par la présence de graphoéléments paroxystiques à l’EEG [36]. Il est rare que le médecin assiste à la crise, le diagnostic repose donc sur la pertinence et la précision de sa description par les témoins. Or, cette description est souvent imprécise et incorrecte, qu’elle soit faite par l’entourage du patient [37] ou même par des étudiants en médecine et des internes [38]. Dans cette dernière publication, 20 volontaires dont dix étudiants en médecine et quatre internes en neurologie ont dû décrire une crise partielle secondairement généralisée qu’ils avaient vue en vidéo. Cette crise avait huit caractéristiques principales. Chaque item comptait pour un point. Un point était retiré en cas de description erronée. Le score maximal pouvant être obtenu était de 8. Les résultats allaient de -2 à 6, le score le plus faible était obtenu par un interne en neurologie. A la lecture de ces résultats, chez des professionnels de la santé, on imagine facilement les erreurs, les imprécisions, les approximations que peut rapporter le témoin d’une crise qui est survenue de façon impromptue, qui avait de plus des caractéristiques motrices bruyantes. Les mêmes réserves peuvent être faites pour l’EEG, qui n’est pas spécifique. Il a ainsi été retrouvé des graphoéléments paroxystiques à l’EEG focaux ou généralisés chez 2,6% des candidats à l’entrée de US Air Force. Le pourcentage de sujets sains ayant à l’EEG des activités paroxystique varie, suivant les études entre 0,2 et 6,4% [39]. Les éléments anamnestiques, cliniques et paracliniques faisant évoquer les CPNE sont les suivants : ¾ Eléments anamnestiques [40] : • Fréquence élevée des crises souvent pluriquotidiennes. • Pharmacorésistance malgré une bonne observance attestée par les taux sériques d’antiépileptiques. • Réponse paradoxale aux antiépileptiques (la fréquence des crises augmente avec l’augmentation du nombre ou de la posologie des antiépileptiques). xl • Survenue systématique des crises en société, ou à l’inverse en l’absence de témoins. • Relative indifférence vis-à-vis de la sévérité de son affection et du handicap qu’elle occasionne. • Antécédents de violences physiques ou sexuelles. • Notion d’épilepsie dans l’entourage familiale ou professionnel (patient souvent témoin de crises épileptiques). Il s’agit d’une notion qu’il est important de rechercher de façon systématique. • Multiples hospitalisations aux urgences pour crises ou états de mal épileptiques [41]. • Rareté des lésions occasionnées par les crises. La sévérité des lésions est un bon indicateur de celle de la pathologie. ¾ Critères cliniques et électroencéphalographiques : Aucun de ces signes n’est spécifique, mais leur association peut constituer un bon élément d’orientation. L’interrogatoire des témoins permet de préciser les circonstances d’apparition et les séquences cliniques pendant et après la crise. L’interrogatoire du patient permet de détailler les facteurs déclenchants, la présence de signauxsymptômes, et les symptômes postcritiques. L’étape suivante est celle de l’observation directe chez un patient enregistré en vidéo-EEG. L’EEG percritique a un intérêt majeur car ne montre aucune anomalie électrique évoquant une crise d’épilepsie ni une souffrance postcritique. En revanche, il peut être non informatif du fait de la présence d’artefacts mécanographiques qui gênent l’interprétation [42]. Si le gold standard du diagnostic de CPNE est l’observation directe d’un épisode en vidéo-EEG, il arrive qu’aucun épisode ne soit enregistré spontanément, y compris au cours d’hospitalisation prolongée. Il est dans ce cas tentant de provoquer une crise par l’injection d’un placebo. L’utilisation de cette technique reste débattue. Certain sont contre pour des raisons éthiques [43] ou pratique (peu de rentabilité, risque de provoquer une crise généralisée tonicoclonique). La plupart des auteurs sont pour, le plus souvent par pragmatisme ou xli souci d’efficacité [44, 45], voir meme à but thérapeutique en permettant de mieux préciser les modalités de prise en charge psychothérapique ultérieure [46]. Bien sur cette procédure n’a d’intérêt qu’en cas de déclenchement du type de crise habituellement présentée par le patient. Si pour diverses raisons, ce type de procédure n’est pas retenu, il est possible d’employer de simples techniques de suggestion associées à l’hyperpnée et la stimulation lumineuse intermittente (SLI), qui donneraient des résultats tout aussi probants [47]. On peut en rapprocher l’hypnose qui peut déclencher des CPNE ou permet un rappel de leur contenu. Les principales différenciations entre CPNE et crises généralisées tonicocloniques sont résumé dans le tableau 1, celles entre CPNE et les absences ou crises partielles complexes dans le tableau 2. Il faut rappeler qu’aucun des signes pris séparément n’a de valeur spécifique ; ainsi par exemple, des CPNE ont été enregistrées pendant le sommeil (sous contrôle vidéo-EEG) [48] alors que cette caractéristique était jusqu’alors considérée comme pathognomonique de l’épilepsie. L’interrogatoire de ces différentes données doit toujours tenir compte des imprécisions ou inexactitudes du témoignage de l’entourage et si possible d’éléments objectifs concernant le patient (constatation d’une morsure de langue, d’une plaie, d’un hématome, etc.). Pour exemple, la notion d’une morsure de langue dans les CPNE est très souvent rapportée mais rarement constatée.
I-INTRODUCTION |