Etude des échanges côte-large au moyen des isotopes du radium
L’estimation satellite des intensités et hauteurs cumulées de pluie
Mesures radiométriques
Comme nous l’avons déjà évoqué, l’estimation de la pluie au sol depuis l’espace repose sur des méthodes très indirectes. Les capteurs passifs embarqués n’observent pas directement la pluie au niveau du sol mais mesurent des radiances liées à des paramètres nuageux. Deux types de capteurs passifs utilisés pour l’observation des précipitations depuis l’espace réalisent des mesures radiométriques dans deux domaines différents : le domaine micro onde (MO) et le domaine optique infrarouge (IR) et visible (VIS). Nous détaillons dans cette partie les spécificités de ces différents capteurs et de leur mesure. Nous évoquerons également les deux seuls capteurs actifs (radars) dédiés aux précipitations à avoir été mis en orbite à ce jour. Figure II.1.1 Emission diffusion et absorption par les nuages dans les domaines IR et MO. (source : article Cloud, Precipitation and Water Vapor, COMET, http://www.meted.ucar.edu) Radiomètres micro onde Le rayonnement microonde (entre 1 et 300 GHz) émis par les surfaces terrestres (océaniques ou continentales) est en partie absorbé et diffusé par les particules d’eau solide ou liquide qui forment les nuages (figure II.1.1). Les radiomètres dédiés à l’estimation de la pluie mesurent ce rayonnement dans diverses bandes de fréquences entre 6 et 166 GHz. Ces radiomètres sont embarqués sur des satellites défilants sur orbite basse (entre 350 et 900 km). Par un balayage mécanique cross-track ou conique [Wessel et Boucher, 1998], chaque instrument a une fauchée au sol comprise entre 800 et 1800 km. Ainsi, en fonction de la configuration de la constellation des satellites considérée, et de l’orbite de chaque plateforme, sur la période 2011-2016, nous 41 pouvons obtenir entre 5 et 10 observations MO par jour pour un point situé entre les latitudes 30°N et 30°S [Chambon et al., 2013]. Les coefficients d’absorption mesurés par les radiomètres MO sont sensibles à la présence des gouttes d’eau liquide dans l’atmosphère. Pour les coefficients de diffusion, aux fréquences inférieures à 40 GHz, c’est également l’effet des particules liquides qui domine. Au-dessus de 80 GHz l’effet diffusif des cristaux de glace est dominant [Ulaby et al., 1981 ; Jobard, 1996]. Plusieurs méthodes ont été développées pour associer un profil d’atmosphère à une signature spectrale micro-onde. Celles-ci sont basées sur des classifications à apprentissage empirique et sur des modèles physiques de transfert radiatif. Parmi les algorithmes de ce type on peut citer GPROF [Kummerow et al., 1996, 2001], BRAIN [Viltard et al. 2006] et GPSMaP [Kaonashi et al., 2009]. Ces méthodes permettent d’associer à chaque profil d’atmosphère un taux de pluie au sol (figure II.1.3). Liste des radiomètres micro-onde utilisés classiquement pour l’estimation de la pluie. Plusieurs autres sondeurs et imageurs micro-onde embarqués sont utilisés pour la détection de la vapeur d’eau, notamment à la fréquence 183 GHz [Chambon et al. 2015]. * : Plateformes faisant partie de la constellation GPM depuis 2011. Pour chaque mesure MO, la forme et la taille de l’empreinte au sol (footprint) dépend de l’instrument, de la bande spectrale et de la géométrie du scan [Kummerow et al., 1998 ; Bauer et Bennartz, 1998 ; Roca et al., 2015]. Elle correspond globalement à une ellipse dont les dimensions varient de 3 km pour les hautes fréquences à 60 km pour les basses fréquences. La figure II.1.2 montre les empreintes au sol pour 6 radiomètres MO embarqués et pour chacune de leurs bandes spectrales. Chaque bande spectrale ayant sa propre résolution, la résolution 42 spatiale effective d’une estimation de l’intensité pluviométrique réalisée à partir d’une signature multi-spectrale MO est toujours problématique à définir [Bauer et Bennartz, 1998 ; Viltard et al., 2006]. Comme pour le radar la durée de chaque mesure radiométrique est inférieure à la milliseconde. Mais là encore, il n’est pas forcément pertinent de considérer la valeur du taux de pluie estimé comme une valeur instantanée. Chaque profil d’atmosphère se voit associer un taux de pluie surfacique à une altitude donnée (au niveau du sol ou dans la couche d’atmosphère la plus proche du sol) alors que les radiances mesurées sont affectées par la présence des hydrométéores sur toute la hauteur de la troposphère. Nous pouvons donc raisonnablement considérer ce taux pluie comme un taux de pluie moyen sur une durée de quelques minutes correspondant au temps de chute des hydrométéores jusqu’au sol. Turk et al. (2009) ont montré que considérer un délai de 5 à 10 minutes par rapport à l’instant de la mesure permet d’obtenir une meilleure corrélation entre une estimation satellite et des donnés sol pour une comparaison entre un réseau dense de pluviomètres (interpolés spatialement) échantillonnés temporellement à 1min et une observations satellite « instantanée » avec une résolution spatiale de 0.25°
Méthodes multicapteur pour l’estimation globale de la pluie : état de l’art
Aucun des instruments que nous venons de présenter ne permet à lui seul de réaliser le mapping des précipitations à une résolution supérieure à 1° × 1° × 1 jour sur l’ensemble de la ceinture tropicale. Les méthodes générant de tels produits d’estimation quantitative des précipitations (QPE) reposent donc toutes sur la combinaison des données de plusieurs capteurs. Ces produits d’estimation, projetés sur une grille spatio-temporelle régulière, avec un taux de complétion proche de 100% sont appelés produits fusionnés (ou produit de niveau 3 et 4 dans le jargon spatial). Il existe une grande variété d’algorithmes et de produits fusionnés utilisant les multiples capteurs MO et / ou les capteurs IR/VIS. Dans cette thèse, nous nous intéressons particulièrement aux méthodes capables de produire des estimations à très fine échelle,c’est-dire mieux résolues que 0.25° × 0.25° × 3h. L’échelle spatiale 0.25° correspond à l’ordre de grandeur des pixels MO. Trois heures est le temps moyen entre deux observations MO avec la constellation disponible sur 2011-2016. Nous choisissons de classer ces méthodes dans deux catégories :
– Les méthodes qui réduisent l’intensité des pluies des observations MO. Ces méthodes se basent sur des observations éparses puisque l’échantillonnage offert par la constellation des capteurs MO est limité. L’intensité de la pluie entre les observations micro-ondes doit donc être interpolée ou simulée par un modèle. Ces méthodes peuvent éventuellement utiliser l’IR géostationnaire pour suivre les déplacements des structures nuageuses entre deux observations MO et réaliser ainsi une interpolation dynamique.
– Les méthodes qui établissent un lien direct entre les températures de brillance IR géostationnaires et l’intensité des précipitations. Ces méthodes peuvent éventuellement utiliser les observations MO comme donnée annexe pour entraîner l’algorithme ou pour ajuster statistiquement les estimations fournies par l’IR. Méthodes s’appuyant sur les observations MO éparses Comme nous l’avons évoqué dans la section précédente, les mesures des radiomètres MO embarqués sur les satellites défilants permettent, grâce à des algorithmes tels que GPROF et BRAIN, d’estimer l’intensité de la pluie sous la trace de chaque satellite. Ces estimés sont des produits dits « de niveau 2 ». Ces estimations sont cependant éparses et même en utilisant l’ensemble des radiomètres disponibles il faut considérer un délai moyen de plusieurs heures entre deux observations en un même point. Considérer la moyenne de plusieurs observations sur une période donnée et dans une aire donnée permet de réaliser une estimation statistiquement fiable à une échelle grossière [Ferraro, 1997]. La variance d’estimation dépend alors du nombre d’observations indépendantes. En revanche, si nous voulons estimer des cumuls sur des périodes relativement courtes (typiquement moins de trois heures), il n’est pas garanti d’avoir au moins une observation par pas de temps. De plus, même dans le cas où nous avons au moins une observation, celle(s)-ci n’est pas (ou ne sont pas) nécessairement représentative(s) de la pluie moyenne sur toute la période considérée.Pour les pas de temps où aucune observation MO directe n’est disponible, le champ de pluie doit donc être interpolé ou simulé. Plusieurs méthodes dynamiques, qui prennent en compte le déplacement des systèmes nuageux entre deux observations ont été développées pour réaliser ces interpolations. L’algorithme CMORPH [Joyce et al. 2004] produit une estimation globale de l’intensité de la pluie toutes les 30 minutes avec une résolution spatiale de 8 km. L’algorithme s’appuie sur l’estimation GPROF pour les pas de temps où une observation MO a été réalisée. Pour les autres pas de temps, le champ de pluie est prédit par l’intermédiaire d’un simple modèle d’advection. Cette prédiction consiste à propager les observations MO dans l’espace selon des vecteurs de déplacement (Cloud System Advection Vectors). Ces vecteurs sont quant à eux calculés à partir de l’observation des déplacements des systèmes nuageux sur les images géostationnaires IR. A partir d’une observation MO à un instant t0 une prédiction est réalisée pour les pas de temps ti>t0 et une rétro-prédiction est réalisée pour les pas de temps ti<. Au final le champ de pluie estimé entre deux observations MO est une combinaison linéaire de la prédiction à partir de l’observation précédente et le la rétro-prédiction à partir de l’observation suivante.L’algorithme GSMaP-MVK [Ushio et al., 2009] repose sur une approche similaire pour produire des estimés avec une résolution de 0.1° toutes les heures. Le champ de pluie est prédit à chaque pas de temps par un modèle d’advection. Comme pour CMORPH, les vecteurs de déplacement (Moving Vectors) sont obtenus à partir des images IR géostationnaires. Chaque nouvelle observation MO est assimilée par un filtre de Kalman.
Méthodes reposant sur une relation pluie / TB IR
Nous avons vu que les images IR géostationnaires offrent une résolution spatiale (entre 2.5km et 8 km à 10.8 μm) et une répétitivité des observations (de 15 à 30 minutes) très supérieures à celles offertes par les mesures MO. C’est là que réside leur principal avantage pour l’estimation de la pluie à haute résolution. Pour réaliser cette estimation à partir d’une image IR, une relation doit être établie entre la pluie et la TB mesurée. L’approche empirique a été très largement utilisée pour tenter d’établir cette relation : les images IR sont co-localisées avec des mesures indépendantes de la pluie, et une relation statistique est établie par régression, histogram matching ou table de concordance [Todd et al, 2001]. La relation la plus simple qui puisse être établie est la probabilité de précipitation en fonction d’une valeur seuil de TB. C’est Généralement le canal IR thermique à 10.8 μm qui est utilisé car c’est celui qui montre la forte corrélation avec la pluie. Les mesures indépendantes de la pluie sont quant à elles fournies soit par des instruments au sol (pluviomètres ou radar), soit par des estimations satellites MO passif ou radar [Todd et al., 2001]. La difficulté principale est d’établir une relation qui soit robuste et adaptée à tout type de climat ou de régime pluviométrique. La robustesse dépend essentiellement du nombre d’observations indépendantes qui forment la base d’apprentissage utilisée pour étalonner la relation TB IR / pluie. La représentativité de cette base d’apprentissage par rapport à chaque scène observée détermine également la qualité de l’estimation. Ainsi considérer plusieurs bases d’apprentissages différenciées en fonction des aires climatiques et des saisons peut rendre l’estimation plus performante. En particulier, l’utilisation d’estimations indépendantes issues d’observations satellites permet de créer un très grand nombre de bases d’apprentissage spécifiques (sur des petites régions et de courtes périodes) ou de générer une base dynamique avec rafraichissement automatique régulier. Une fois la relation entre TB et pluie établie, elle peut être utilisée pour produire une estimation, potentiellement à la résolution même de l’image IR.Les algorithmes NRL-Blended [Turk et Miller, 2005] et EUMETSAT-MPE [Heinemann et al., 2002] par exemple produisent des estimations à la résolution IR. Pour les deux algorithmes la relation TB IR / pluie est obtenue par histogramme matching avec des estimations satellite MO indépendantes. Cependant de nombreux travaux de validation [Turk et al. 209, Sohn et al. 2010] suggèrent que ces méthodes produisent des estimations très incertaines à la résolution IR et qu’il est préférable de ne considérer ces produits qu’agrégés à des résolutions plus grossières. L’algorithme PERSIANN-CCS [Hong et al., 2004] propose une version raffinée de ces méthodes en tentant d’identifier plusieurs classes de nuages et d’associer une relation TB IR / pluie spécifique à chaque classe. Cette classification repose sur un réseau de neurones et utilise des paramètres de texture calculés localement sur les images IR. La classification est entraînée sur les observations indépendantes fournies par le réseau de radars NEXRAD de la NOAA. Ces observations radar servent également à établir la relation TB IR / pluie pour chacune des classes. L’algorithme PERSIANN-CCS utilise également les estimations satellite MO disponibles pour ajuster statistiquement les estimations IR.
Introduction |