Généralités sur la L-lysine
Définition de la L-lysine
La L-lysine (acide 2,6-diaminohexanoïque), de formule brute C6H14O2N2 est exclusivement sous la forme isomérique lévogyre, et fait parti des acides aminés essentiels non biologiquement synthétisés par notre organisme [6]. Elle est nutritionnellement importante pour l’homme et pour de nombreux animaux, d’où son utilisation comme additif alimentaire aux produits céréaliers afin d’améliorer la qualité des protéines [7].
Elle est également le troisième acide aminé produit à l’échelle industrielle. La L-lysine à quatre vingt pour cent (80%) est produite par fermentation et vingt pour cent (20%) par synthèse chimique. Dans le processus de fermentation, le milieu de culture est le principal apport financé et la source d’azote comprend divers composés inorganiques (sel d’ammonium ou sel de nitrate) ou organiques (extrait de levure, hydrolysat de protéines de soja) et divers autres extraits de tissus végétaux et animaux [8].
Elle joue plusieurs rôles biologiques importants [1 ; 4 ; 9]. Durant la digestion, elle est sous forme libre par diverses voies métaboliques possibles. Quelques unes des principales caractéristiques de la L-lysine sont énoncées ci-dessous :
– Le plus important est de fournir l’acide aminé indispensable pour la synthèse de protéines.
– La L-lysine est un acide aminé à la fois glycogénique et cétogénique. Ainsi, elle peut être métabolisée pour produire du glucose ou de la cétone lorsqu’il y a déficit d’hydrates de carbone.
– La L-lysine est une source importante d’énergie surtout dans les périodes de privation de nourritures ou dans certains types de diabètes.
– La L-lysine est aussi un précurseur de la carnitine, protéine importante pour le métabolisme des acides gras. La carnitine est un constituant essentiel d’une enzyme associée aux membranes mitochondriales, et cette enzyme permet à la longue chaine d’acides gras de pénétrer la membrane mitochondriale et d’être ensuite oxydée pour produire de l’énergie.
– L’excès en L-lysine peut être utilisé comme source de carbone (environ 4600 kcal/kg).
La partie non-azotée de la L-lysine entre dans le cycle de Krebs et est éventuellement oxydée en dioxyde de carbone et en eau pour fournir de l’énergie sous forme d’ATP.
– La L-lysine joue un rôle important dans la formation d’histones, notamment dans la formation de desmosine et isodesmosine trouvées dans l’élastine, constituant essentiel des fibres tissulaires jaunes élastiques.
Commercialement, les plus grandes quantités de L-lysine sont produites par des mutants des souches Corynebacterium glutamicum, Brevibacterium flavum et Brevibacterium lactofermentum. Cependant, l’optimisation de sa synthèse par le contrôle de l’environnement cellulaire est d’une importance primordiale afin de définir les meilleures conditions pour améliorer la productivité en L-lysine [10]. Les milieux de culture utilisés pour la production de L-lysine contiennent des sources de carbone et d’azote. Les sources de carbone appropriées sont des hydrates de carbone tels que le glucose, le fructose, le saccharose, l’hydrolysat d’amidon, la mélasse et les acides organiques. Comme sources d’azote, nous avons des composés inorganiques et organiques, du sel d’ammonium et composés similaires, de l’urée, des substances organiques protéolytiques naturelles telles que la peptone, l’hydrolysat de caséine, l’extrait de levure, l’hydrolysat de protéine de soja, et autres extraits de tissus végétaux et animaux pouvant être employés.
Microorganismes producteurs de L-lysine
Les métabolites microbiens d’origine azotée furent discernés il y a plus d’un siècle par Thénard, Pasteur, Duclaux et autres au cours de leurs études sur la fermentation par les levures [21]. De nombreuses protéines de cellules microbiennes ont été analysées pour déterminer leur composition en acides aminés essentiels. La production microbienne de L-lysine a été possible du fait que celle-ci est synthétisée à partir de l’acide α-aminoadipique par les levures surtout le genre Neurospora [22 ; 23]. En effet, une forte teneur en L-lysine est constatée, ainsi qu’un faible taux en tryptophane, en thréonine et un taux extrêmement faible en méthionine. La teneur en L-lysine chez de nombreuses bactéries, levures et moisissures a été étudiée par de nombreux chercheurs [24 ; 25 ; 26].
Une bactérie auxotrophe pour l’homosérine, Micrococcus glutamicus, a été cultivé pour la première fois et jugé capable d’accumuler de grandes quantités de L-lysine dans le milieu de culture [27]. Les principaux ingrédients de ce milieu sont le glucose (2,5%), le chlorure d’ammonium (0,5%) et des sels minéraux.
Corynebacterium glutamicum comme bactérie productrice de L-lysine
La souche Corynebacterium glutamicum et d’autres souches appartenant au groupe des corynébactéries sont largement utilisées pour la production industrielle d’acides aminés, en particulier du L-glutamate et de la L-lysine [31 ; 32 ; 33]. Les matières premières et sousproduits agro-industriels sont utilisés comme sources de carbone et d’azote dans la production de L-lysine [34].
La biosynthèse de la L-lysine par Corynebacterium glutamicum est principalement contrôlée par une inhibition rétroactive de la L-lysine et de la L-thréonine sur l’aspartate kinase [35]. En effet, les systèmes d’excrétion de la L-lysine de trois souches mutantes de Corynebacterium glutamicum ont été mis en évidence. Il s’agissait des souches « DG 52-5 et MH 20-22B » qui sont super-productrices de L-lysine, elles ont été produites par mutagenèse classique et ont une activité aspartate kinase résistante. La troisième souche « KK 25 » a été conçue par introduction du gène de l’aspartate kinase de la souche MH 20-22B dans le génome de la souche sauvage. Ces trois souches possèdent alors des systèmes d’excrétion différents.
Corynebacterium glutamicum appartient au sous-ordre des Corynebacterineae, anciennement désigné « CMN » pour Corynebacterium, Mycobacterium, Nocardia et Rhodococcus, et ce, malgré quelques caractéristiques distinctes [36]. Ils appartiennent à l’ordre des actinomycétales (figure 3), sont caractérisés par un ADN génomique riche en guanine et en cytosine (% G+C : 53 à 58%), et se distinguent des autres taxons bactériens par la présence dans leur enveloppe d’acides gras spécifiques, les acides mycoliques (figure 4). Ces derniers sont des acides gras α-ramifiés et β-hydroxylé dont la longueur des chaînes carbonées varie selon l’espèce considérée (22 à 99 atomes de carbone). En raison de sa proximité phylogénétique et de sa non-pathogénicité, C. glutamicum est aujourd’hui, un modèle d’étude pour la recherche de nouvelles cibles thérapeutiques contre les bactéries pathogènes telles que Mycobacterium tuberculosis.
Méthodes de production de la L-lysine
La majeure partie de la L-lysine est produite par fermentation. Bien d’autres méthodes comme la synthèse chimique, l’extraction à partir d’hydrolysat de protéines, la méthode enzymatique, la technique de fusion de protoplastes et la technologie d’ADN recombinant ont également été utilisées [45 ; 46].
Synthèse chimique
La première synthèse de la L-lysine a été réalisée en 1902 et dans la même période la position du groupe carboxyle dans la molécule fut également connue. Ce qui met fin à des investigations concernant principalement la structure de cet acide aminé [47]. Cette synthèse se fait par condensation de l’ester Malonique (I) avec du γ-chlorobutyronitrile (II), suivie d’un traitement de l’ester γ-cyanopropyl-malonique (III) avec du nitrite d’éthyle en présence d’éthylate de sodium formant l’éthyle α-oximino-δ-cyanovalorate (IV), qui subit ensuite une réduction avec du sodium dans une solution d’éthanol suivie d’une hydrolyse du produit in situ conduisant à 15,5% de L-lysine (V) (figure 5).
Méthode de synthèse enzymatique
La production de L-lysine à partir du D,L-α-amino-𝓔-caprolactame a été étudiée chez le champignon Aspergillus ustus, qui n’hydrolyse que la forme L de l’α-amino-𝓔-caprolactame. Le reste (Forme D) est recyclé après racémisation. Néanmoins, le taux de L-lysine par cette méthode est faible [48].
Technique de fusion de protoplastes
Des investigations sur les avantages de la technique de fusion de protoplastes chez Brevibacterium lactofermentum ont été memées afin d’améliorer le taux de consommation du glucose chez les producteurs de L-lysine [6]. Les souches productrices d’acide glutamique et résistantes à la decoyinine (DC) ainsi qu’à la kétomélonate (KM) consomment efficacement le glucose. Par contre celles productrices de L-lysine ont un faible taux en consommation du glucose. En effet, une souche productrice de glutamate utilise environ 130 g/L de glucose en 30 heures avec une production en L-lysine largement supérieure à celle d’une souche productrice de L-lysine.
Technologie d’ADN recombinant
L’objectif majeur de la technologie d’ADN recombinant dans l’industrie de la fermentation d’acides aminés est d’augmenter le nombre de gènes codant pour l’enzyme clé entrant dans la biosynthèse d’un acide aminé. Une telle augmentation du nombre de gènes (réalisée sur plasmides) conduirait à la production d’un acide aminé si la synthèse de l’enzyme augmente significativement avec le nombre de copies de gènes, et si la réaction qu’elle catalyse est l’une des étapes limitant la synthèse de cet acide aminé.
Le principe de l’amplification de gène a déjà été utilisé pour la production de L-lysine, ainsi que pour la L-thréonine. Plusieurs gènes de la voie de biosynthèse de la L-lysine ont été clonés sur un grand nombre de copies de plasmide PBR322. Cette technique a été utilisée pour transformer une souche d’Escherichia coli (TOCR21, super-productrice de L-lysine). Seuls les plasmides portant le gène DAPS (encoding dihydrodipicolinate synthetase) ont entrainé une productivité importante de L-lysine.
Cela indique clairement que l’étape limitant la synthèse de la L-lysine chez E. coli est celle de la condensation catalysée par cette enzyme. Une amélioration supplémentaire est effectuée chez cette souche par amplification du gène Lys (aspartate kinase) et du gène Lys A (DAP décarboxylase) tout en réduisant l’activité de la lysine décarboxylase. Cependant, la production de L-lysine par les mutants d’E. coli est bien inférieure à celle des mutants des genres Brevibacterium et Corynebacterium [6].
Voies de biosynthèse de la L-lysine
Chez les microorganismes, la L-lysine peut être synthétisée selon 2 voies bien distinctes : soit à partir du 2-oxoglutarate et de l’acétyl-CoA dans la voie α-aminoadipate, soit à partir de l’aspartate dans la voie diaminopimélate. La voie α-aminoadipate s’observe chez les champignons supérieurs, chez les archées comme Neutrophilus thermophilus et chez la bactérie Thermus thermophilus [73]. Les molécules 2-oxoglutarate et acétyl-CoA sont converties en L-lysine par les enzymes α-aminoadipate réductase, saccharopine réductase et saccharopine déshydrogénase.
Voie de biosynthèse chez Corynebacterium glutamicum
Corynebacterium glutamicum, y compris Brevibacterium flavum, Brevibacterium lactofermentum est le microorganisme le plus important pour la production industrielle de L-lysine [86]. L’autre espèce utilisée pour produire de la L-lysine est Escherichia coli [87 ; 88]. La capacité de C. glutamicum à sécréter des acides aminés a été découverte dans les années 1950 [89]. C’est une bactérie à gram-positif, en forme de tige, non mobile, aérobique avec une paroi cellulaire comprenant de l’arabino-galactane et des acides mycoliques avec 26 à 36 atomes de carbones et une saccule muréine avec du peptido-glycane reticulé par l’intermédiaire de l’acide meso-diaminopimelique [90]. Les études biochimiques des dernières décenies sur Corynebacterium glutamicum et le dénouement recent de la sequence du génome [91 ; 92 ; 93] ont contribué à une connaissance détaillée des reactions biosynthétiques de L-lysine et du métabolisme central chez ce microorganisme (figure 7).
Le microorganisme
Le microorganisme utilisé au cours de ce travail est la bactérie Corynebacterium glutamicum LMG 3652, mutante de la souche KY 534 (LMG 3730). Cette souche lyophilisée appartient à la collection de la division Biotechnologie de l’I.T.A. et provient de l’université de Gand en Belgique.
Revivification de la souche
La revivification de la souche est réalisée par ajout d’un milieu de culture dans l’ampoule de lyophilisat sachant que les souches lyophilisées sont fournies dans des ampoules en verre scellées sous vide à environ 4°C – 6°C dans le noir. Généralement, elles demeurent viables pendant plusieurs années. Ces ampoules doivent être ouvertes dans une cabine de sécurité biohazard (hotte) avec beaucoup de précaution.
Méthode de culture
Le milieu de pré-culture est inoculé avec une colonie de la souche Corynebacterium glutamicum préalablement cultivée sur boites de pétri incubées depuis 48 heures. Le tout mis sur agitateur à environ 200 rpm à température ambiante (30° C) pendant au plus 96 heures. Le fermenteur de 2 L contenant le milieu de fermentation est inoculé avec 100 ml de la préculture.
Le fermenteur est lancé à 400 rpm pendant 36 heures.
Le bioréacteur du laboratoire de capacité de 2 L stérilisable à l’autoclave comprend :
– une cuve en verre de 2 L
– un bouchon
– une seringue
– une pompe péristaltique
– un système d’agitation
– un compresseur d’air
– des sondes pour la mesure de la température, du pH et de la concentration en oxygène dissous.
Le procédé utilisé est de type « discontinu » ou « batch ». Il est réalisé dans un système clos dans lequel un même volume de milieu non renouvelé est utilisé pour la croissance des microorganismes ; la quantité de nutriments est donc limitée. La production de mousses, inévitable dans de telles conditions opératoires, est contrôlée par l’ajout d’un agent antimousse efficace et non toxique (silicone par exemple). Le moussage conditionne également le taux de remplissage des fermenteurs.