Etude de stratégies de gestion en temps réel pour des bâtiments énergétiquement performants
THÉORIE DE LA COMMANDE PRÉDICTIVE
La commande prédictive présente l’avantage d’utiliser un modèle dynamique du système à contrôler permettant d’anticiper son comportement futur. Dans cette méthode, la séquence de commande optimale à appliquer au système est déterminée par la résolution, à chaque période d’échantillonnage, d’un problème de commande optimale consistant à maximiser une fonction objectif ou minimiser une fonction coût. Nous allons nous intéresser dans la suite au principe de la commande optimale ainsi qu’aux méthodes de résolution.
La commande optimale
La théorie de la commande optimale propose des méthodes mathématiques permettant d’étudier des systèmes dynamiques. Le problème de commande optimale consiste à déterminer la commande d’un système qui minimise un critère donné (fonction de coût) sous des contraintes d’état et/ou de commande. Dans le cadre de cette thèse, il s’agit de déterminer la loi de commande de chauffage qui Chapitre 1 : La régulation énergétique des bâtiments 33 minimise le coût de la consommation de chauffage sous des contraintes de température (contraintes d’état) et de puissance de chauffage (contraintes de commande). On s’intéresse tout d’abord au problème général de commande optimale (sans contraintes d’état) s’écrivant sous la forme suivante : min 𝑢∈𝑈 �𝐽(𝑢) = � 𝐿�𝑥𝑢(𝑡), 𝑢(𝑡)�𝑑𝑡 𝑡𝑓 0 � (1.2) sous la contrainte de dynamique suivante : 𝑥̇ 𝑢(𝑡) = 𝑓�𝑥𝑢(𝑡), 𝑢(𝑡)� ; 𝑥(0) = 𝑥0 (1.3) où 𝐿 est une fonction à valeur réelle régulière de ses arguments, et où 𝑥𝑢(𝑡) et 𝑢(𝑡) sont respectivement l’état et le contrôle qui satisfont l’équation différentielle (1.3). Dans le cadre de cette thèse, l’équation différentielle (1.3) correspond à la représentation sous forme d’état de la dynamique du bâtiment, 𝑥𝑢(𝑡) représente l’état du bâtiment au temps 𝑡 et 𝑢(𝑡) la puissance de chauffage à injecter dans le bâtiment au temps 𝑡. On peut ainsi agir sur l’état 𝑥 à travers la variable de commande 𝑢 sur l’horizon de temps [0;𝑡𝑓]. L’ensemble 𝑈 représente l’ensemble des commandes admissibles tel que les contraintes de commande soient respectées. Le problème de commande optimale consiste alors à trouver la commande 𝑢 et l’état associé 𝑥𝑢 solution de l’équation différentielle (1.3) et minimisant le critère intégral (1.2). La théorie de la commande optimale comporte deux grandes approches : le principe du minimum de Pontryagin et la programmation dynamique. Nous discuterons des différences entre les deux approches dans les sections suivantes.
Le principe du minimum de Pontryagin
Le principe du minimum de Pontryagin donne une condition nécessaire (mais non suffisante) d’optimalité. Si le contrôle 𝑢∗ ∈ 𝑈 associé à la trajectoire 𝑥∗ ∈ ℝ𝑛 est solution du problème de commande optimale, alors il existe une application 𝑝(. ):�0;𝑡𝑓� → ℝ𝑛 appelée vecteur adjoint telle que, pour presque tout 𝑡 ∈ �0;𝑡𝑓� : 𝑥̇ ∗(𝑡) = 𝜕 𝜕𝑝 𝐻(𝑥∗(𝑡), u∗(t), 𝑝(𝑡)) (1.4) 𝑝̇(𝑡) = − 𝜕 𝜕𝑥 𝐻(𝑥∗(𝑡), u∗(t), 𝑝(𝑡)) (1.5) 𝐻(𝑥∗(𝑡), 𝑢∗(t), 𝑝(𝑡)) = min 𝑢 𝐻(𝑥∗(𝑡), 𝑢(t), 𝑝(𝑡)) (1.6) où 𝐻�𝑥(𝑡), 𝑢(𝑡), 𝑝(𝑡)� = 𝐿�𝑥(𝑡), 𝑢(𝑡)� + 𝑝(𝑡)𝑡𝑓(𝑥(𝑡), 𝑢(𝑡)) est l’Hamiltonien du système. Cette condition nécessaire pour trouver un contrôle optimal nous amène alors à la résolution du système suivant : Chapitre 1 : La régulation énergétique des bâtiments 34 𝑥̇ 𝑢(𝑡) = 𝑓�𝑥𝑢(𝑡), 𝑢(𝑡)� 𝑥(0) = 𝑥0 𝑝̇(𝑡) = − 𝜕 𝜕𝑥 𝐻(𝑥(𝑡), u(t), 𝑝(𝑡)) 𝑝�𝑡𝑓� = 0 𝑢(𝑡) ∈ 𝑎𝑟𝑔 min𝑣 𝐻(𝑥(𝑡), 𝑣(t), 𝑝(𝑡)) (1.7) La méthode de résolution de ce système est présentée dans le §3.2.2. L’extension du problème de commande optimale à des contraintes d’état (contraintes de température) est possible par l’utilisation de méthodes de points intérieurs par exemple (Malisani, et al. 2014). Cette méthode sera présentée dans le chapitre 5.
La programmation dynamique
Cette approche est basée sur le principe d’optimalité de Bellman (1957) qui stipule : « Une suite de commande est optimale si, quels que soient l’état et l’instant considérés sur la trajectoire qui lui est associée, les commandes ultérieures constituent, pour le problème ayant cet état et cet instant comme conditions initiales, une suite de commande optimale ». On considère ici le système : 𝑥̇(𝑡) = 𝑓�𝑥(𝑡), 𝑢(𝑡)� ; 𝑥(𝑡0) = 𝑥0 (1.8) et on s’intéresse au problème de commande optimale : min 𝑢∈𝑈 �𝐽𝑥0,𝑡0(𝑢) = � 𝐿�𝑥(𝑡), 𝑢(𝑡)�𝑑𝑡 𝑡𝑓 𝑡0 � (1.9) On définit alors la fonction valeur 𝑉 sur ℝ𝑛 × [0;𝑡𝑓]. Il s’agit de la fonction ayant pour valeur la valeur optimale pour le problème (1.8)-(1.9) avec pour condition initiale (𝑥0, 𝑡0) : 𝑉�𝑥0, 𝑡0� = inf 𝑢∈𝑈 �𝐽𝑥0,𝑡0(𝑢)� (1.10) D’après le principe de Bellman, il est possible d’établir que la fonction valeur 𝑉 du problème de commande optimale est solution d’une équation aux dérivées partielles non linéaire appelée équation d’Hamilton-Jacobi-Bellman (HJB) : 𝜕 𝜕𝑡 𝑉�𝑥0, 𝑡0� + inf 𝑣∈𝑈 𝐻 �𝑥0, 𝑣, 𝜕 𝜕𝑥 𝑉�𝑥0, 𝑡0�� = 0 (1.11) Cette approche a l’avantage d’être nécessaire et suffisante, mais présente des inconvénients en termes de temps de calcul et d’encombrement de mémoire.
Les méthodes de résolution
Il existe deux types de méthodes numériques de résolution en commande optimale : les méthodes directes et les méthodes indirectes (Trélat 2005).
Les méthodes directes
Les méthodes directes consistent à discrétiser l’état et le contrôle et à ramener le problème à un problème d’optimisation non-linéaire en dimension finie (ou problème de programmation non-linéaire). La résolution numérique peut être effectuée par une méthode de pénalisation ou par une méthode SQP (Sequential Quadratic Programming) par exemple. Pour accélérer la résolution numérique du problème, des méthodes d’inversion peuvent par exemple être employées dont l’objectif est de ne paramétrer que les états minimaux et d’en déduire les autres états et les commandes par dérivées (Petit et al. 2001 ; Chaplais et Petit 2008, ; Petit et Sciarretta 2011). Les méthodes directes ont l’avantage d’être simples à mettre en œuvre et d’être peu sensibles au choix de la condition initiale. En revanche, elles ont l’inconvénient d’être peu précises et d’être gourmandes en mémoire. Betts (2010) présente une étude complète sur les méthodes directes et leur mise en œuvre numérique.
Les méthodes indirectes
Les méthodes indirectes consistent à résoudre par une méthode de tir un problème aux valeurs limites obtenu par l’application du principe du minimum de Pontryagin. Ce dernier donne les conditions nécessaires d’optimalité et permet d’exprimer la commande comme une fonction de l’état et de l’état adjoint (𝑢(𝑡) = 𝛤�𝑥(𝑡), 𝑝(𝑡)�). Ces conditions nécessaires d’optimalité amènent alors à résoudre un problème aux deux bouts (avec une condition initiale sur l’état et une condition finale sur l’état adjoint). L’idée de l’algorithme de tir est alors d’introduire une inconnue, à savoir la valeur initiale de l’état adjoint 𝑝0 et de considérer la fonction de tir qui à 𝑝0 associe la condition finale 𝑝(𝑡𝑓), où (𝑥, 𝑝) est solution du problème de Cauchy (permettant d’établir l’existence et l’unicité d’une solution) sur [0,𝑡𝑓] : 𝑥̇(𝑡) = 𝑓 �𝑥(𝑡), Γ�𝑥(𝑡), 𝑝(𝑡)�� , 𝑥(0) = 𝑥0 𝑝̇(𝑡) = − 𝜕 𝜕𝑥 𝐻�𝑥(𝑡), Γ�𝑥(𝑡), 𝑝(𝑡)�, 𝑝(𝑡)�, 𝑝(0) = 𝑝0 (1.12) On se ramène donc à chercher un zéro d’une fonction, ce qui peut être réalisé par une méthode de Newton. La méthode de tir a l’avantage d’être très précise et d’avoir un coût numérique faible. Cependant, la convergence de la méthode nécessite une bonne initialisation de p0, ce qui peut être difficile à obtenir en pratique.
APPLICATION À L’EFFACEMENT DE LA CONSOMMATION ÉLECTRIQUE DE POINTE
L’utilisation d’un système de régulation anticipatif prend toute son importance lorsque le système doit anticiper des variations brusques des sollicitations ou des contraintes. C’est en particulier le cas pour des politiques d’incitation à l’effacement de la consommation électrique de pointe où la grille tarifaire de l’électricité peut subir des variations importantes. Dans la suite de ce chapitre, on se propose Chapitre 1 : La régulation énergétique des bâtiments 36 de faire un rapide état de l’art des différentes stratégies de régulation existantes appliquées à l’effacement de la consommation électrique de pointe.
Contexte : déséquilibre du réseau électrique
Les caractéristiques actuelles de la production d’électricité positionnent le secteur électrique au cœur des tensions énergétiques et plus précisément de l’enjeu sociétal qu’est l’équilibre de la production et de la consommation électrique. En effet, dans le « bilan prévisionnel » publié en 2012 (RTE 2012), RTE observe que sur les dix dernières années la pointe électrique a augmenté 2,5 fois plus vite que l’énergie consommée. A titre d’exemple, lors de la vague de froid de février 2012, la France a connu une pointe de consommation à 102,1 GW. Ainsi, RTE prévoit que la sécurité d’alimentation électrique devrait être assurée jusqu’en 2015 mais qu’à partir de 2016, elle devient plus difficile en raison notamment de la fermeture de certaines centrales thermiques à énergie fossile. La puissance manquante est alors estimée à 1,2 GW en 2016 et à 2,1 GW en 2017. Ces pointes de consommation électrique sont de différentes natures et dépendent de la période (journée, saison) et de la zone géographique. Il en existe deux types : – La pointe journalière : elle correspond au moment où la consommation électrique totale en France est la plus importante de la journée. Elle est caractérisée par une hausse importante de la consommation pendant quelques heures. En hiver, cette pointe est observée à 19 h et correspond à la mise en service simultanée de plusieurs appareils électriques (chauffage, éclairage, télévision, cuisson, etc.). En été, la pointe est plutôt observée à 13 h. – La pointe saisonnière : elle correspond à une augmentation de la consommation électrique pour répondre aux besoins de chauffage des bâtiments lors de la période hivernale. Cette consommation est très sensible à la température en raison du fort équipement en chauffages électriques des bâtiments français. Ainsi RTE (2014) estime la thermosensibilité de la consommation électrique à 2400 MW par degré Celsius à 19 heures (c’est-à-dire que la baisse d’un degré Celsius entraîne une croissance de la puissance appelée de 2400 MW). Par exemple lors de la vague de froid de l’hiver 2011-2012, 40 % de la consommation d’électricité appelée était due au chauffage électrique. La Figure 4 illustre le phénomène de la pointe saisonnière.
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