Etude de modèles magnétiques frustrés sous champ en basses dimensions

Etude de modèles magnétiques frustrés sous champ en basses dimensions

Magnétisme 

Modèles pour les systèmes magnétiques

 Au cours de ce manuscrit, nous allons traiter la physique de systèmes magnétiques, c’est-à-dire d’un ensemble de N spins S~ i de longueur S qui sont disposés sur un certain réseau. Afin d’aller plus loin dans l’étude, il faut spécifier le modèle décrivant les interactions entre les spins. Le Hamiltonien utilisé pour cela est le fameux modèle de Heisenberg H = X i,j JijS~ i .S~ j , (I.1) où la somme se fait sur les paires de sites i, j, Jij est appelée l’intégrale d’échange et S~ i = (S x i , Sy i , Sz i ) est l’opérateur de spin-S au site i. Les opérateurs de spins obéissent aux relations de commutation [S α k , Sβ l ] = iǫαβγS γ k δkl. Il est important de remarquer l’invariance de rotation SU(2) de ce modèle, et donc à la fois le spin total ainsi que sa composante suivant l’axe z sont des quantités conservées. Les états propres du Hamiltonien seront donc labelisés par les nombres quantiques Stot et S z tot, et dégénérés 2Stot+1 fois. Nous sommes intéressés par déterminer l’état fondamental de ce type de modèle à température nulle. Généralement, deux cas sont à distinguer. Des termes d’échanges Jij négatifs favorisent des corrélations ferromagnétiques où l’énergie est minimisée en alignant parallèlement les spins, ce qui résulte en un moment magnétique total fini. D’un autre côté, si le terme d’interaction Jij est positif les spins vont préférer une configuration antiferromagnétique en s’alignant antiparallèlement. Il est instructif d’introduire les opérateurs d’échelle S ± i = S x i ± iSy i , qui permettent de réécrire le Hamiltonien comme H = X i,j Jij  1 2 (S + i S − j + S − i S + j ) + S z i S z j  . (I.2) De cette façon, nous pouvons voir que si l’état ferromagnétique | ↑↑↑ …i est bien un état propre du modèle de Heisenberg, ce n’est pas le cas pour un état antiferromagnétique | ↑↓↑↓ …i, dit état de Néel. Cet état reste bien inchangé après application des termes diagonaux Ising S z i S z j , mais est modifié par les termes de saut S + i S − j , que nous interprétons donc comme les fluctuations quantiques. Cela permet de comprendre que pour un modèle antiferromagnétique, ou du moins possédant une partie de ses couplages qui sont antiferromagnétiques, l’état fondamental n’est pas trivial, contrairement à un modèle purement ferromagnétique. De fait, la résolution du modèle de Heisenberg, ou de ses variantes avec par exemple une anisotropie de spin comme le modèle XXZ de symétrie est, malgré sa simplicité apparente, un problème qui n’admet pas de solution générale. A part dans certains cas particuliers, par exemple la chaîne de Heisenberg, où une solution exacte est connue [1], trouver l’état fondamental d’un modèle antiferromagnétique donné, sur un réseau donné et avec des valeurs de couplages données, est une question qui nécessite généralement l’emploi d’approximations et/ou de méthodes numériques adaptées. Quelques résultats généraux sont néanmoins disponibles. Pour les modèles antiferromagnétiques sur un réseau bipartite (i.e. qui peut être séparé en deux sousréseaux A et B tels que les spins sur un sous-réseau n’interagissent qu’avec ceux de l’autre sous-réseau), le théorème de Marshall [2] nous dit que l’état fondamental est un singulet Stot = 0 unique. Malgré tout, l’état de Néel, « habillé » par les fluctuations quantiques, reste une bonne approximation de l’état fondamental pour un certain nombre de modèles antiferromagnétiques. Il est identifié par la présence d’un ordre à longue portée dans les corrélations alternées (−1)rS~ i .S~ i+r, ou, de manière équivalente, par la mise en évidence de la présence de deux sous-réseaux dans lesquels les spins sont, en bonne approximation, alignés antiparallèlement. Par rapport au cas classique, l’aimantation hS~ ii sur chaque sous-réseau (aimantation alternée) est réduite par les fluctuations quantiques mais reste finie. D’une certaine manière, nous pouvons dire que les fluctuations quantiques sont au final négligeables, puisqu’elles n’influent pas directement sur la nature de l’état par rapport au cas classique (comme pour un état ferromagnétique, où le fondamental est le même que classiquement). C’est le cas par exemple dans des systèmes 2D comme pour le modèle de Heisenberg sur le réseau carré avec S = 1/2 (résultats numériques) et S ≥ 1 (résultat exact), ou sur le réseau hexagonal avec S = 1/2 (résultats numériques) et S ≥ 3/2 (résultat exact). En 3D, des résultats rigoureux existent pour différents modèles dont Heisenberg pour S = 1/2, sur le réseau cubique [8, 9]. Tous ces modèles entrent dans le cadre du théorème de Marshall. Remarquons que nous n’avons pas donné d’exemples 1D, puisque le théorème de Mermin-Wagner et sa version quantique interdisent de briser une symétrie continue en une dimension, ou à température finie à deux dimensions, ce qui est le cas de l’état de Néel . Mais même pour la chaîne de Heisenberg de spin-1/2, les corrélations antiferromagnétiques décroissent lentement (loi de puissance) et demeurent les corrélations dominantes . Il faut cependant remarquer le cas particulier des chaînes de spins entiers, pour lesquelles la phase dite de Haldane, gappée et avec des corrélations à courte portée, est très différente de l’état classique . Dans tous ces cas d’ordre antiferromagnétique, au-delà des résultats exacts ou de l’utilisation de méthodes numériques sophistiquées, ces états sont très bien décrits par des méthodes plus simples. L’approche de spin-waves, qui est un développement en 1/S où les corrections à l’état classique par les fluctuations quantiques sont vues comme la création de quasi-particules bosoniques, s’est ainsi révélée relativement précise dans l’estimation de l’aimantation alternée pour le réseau carré ou hexagonal [7]. Une autre méthode est les series expansions, qui est un développement en Jxy/Jz autour de la limite Ising, où l’état de Néel existe puisque c’est l’état classique. 

Frustration 

D’autres états magnétiquement ordonnés, mais cependant légèrement différents de l’état de Néel, existent. Un exemple typique est celui du modèle de Heisenberg sur le réseau triangulaire, qui a pendant longtemps fait débat quant à la nature magnétique ou non de son état fondamental . Il est maintenant bien établi que le système possède un ordre non colinéaire à 120˚, avec donc la formation de trois sous-réseaux. Un tel état peut-être vu comme un état de Néel non colinéaire, et il est évident que les interactions entre spins ne sont alors pas complètement satisfaites. Cette différence entre les réseaux carré et hexagonal d’un côté et le réseau triangulaire de l’autre nous permet d’introduire le concept de frustration. Intuitivement, nous pouvons définir la frustration comme étant l’impossibilité pour le système, au niveau classique, de satisfaire complètement tous les couplages. C’est donc le cas sur le réseau triangulaire, avec l’image habituelle d’un unique triangle pour lequel il est impossible d’arranger les spins pour que les trois liens soient satisfaits : il y a forcément un lien où les deux spins sont parallèles. Plus formellement, nous dirons que le modèle est frustré si le paramètre défini comme le produit des couplages −Jij le long des liens formant un chemin fermé C P = Y (i,j)∈C (−Jij ) (I.4) est négatif [22]. Ce paramètre nous dit bien que de la frustration est présente pour le réseau triangulaire, mais pas pour le réseau carré (avec termes entre plus proches voisins). La frustration peut provenir soit des propriétés géométriques du réseau, comme le réseau triangulaire ou le réseau Kagomé, qui fera l’objet du Chapitre IV et qui constitue sûrement le meilleur exemple des conséquences de la frustration. Une autre possibilité est la présence d’interactions en compétition. En effet, si nous rajoutons un couplage antiferromagnétique entre seconds voisins sur les réseaux carré ou hexagonal (modèle dit J1 − J2), ces nouveaux liens sont frustrés dans l’état de Néel. Sur l’exemple du réseau triangulaire, la présence de frustration ne semble au final pas être si dramatique que cela, puisque l’état fondamental reste quand même magnétiquement ordonné. Cela n’est cependant pas vrai en général, et la frustration a souvent des conséquences très importantes sur l’état du système. Déjà au niveau classique, son effet se manifeste (souvent) par une dégénérescence macroscopique de l’état fondamental, comme pour le modèle de Heisenberg sur le réseau Kagomé [23, 24, 25]. Cela peut se comprendre par le fait que pour un système frustré, il n’est pas possible de satisfaire toutes les contraintes locales, et l’état fondamental résulte donc d’une sélection énergétique globale. De cette façon, nous pouvons imaginer que des modifications locales vont pouvoir être effectuées sans changer l’énergie totale [23]. Nous présenterons au Chapitre III le mécanisme par lequel les fluctuations thermiques peuvent lever, au moins partiellement, cette dégénérescence accidentelle puisque non reliée à des symétries du modèle. Quantiquement, la frustration va favoriser les fluctuations quantiques, et ainsi contribuer à la possible destruction de l’ordre magnétique, c’est-à-dire que l’aimantation locale hS~ ii est nulle, dans de nombreux systèmes. Ce n’est pas le seul ingrédient, d’autres, comme une 13 1 Magnétisme dimensionalité réduite ou une petite coordinence du réseau, jouent également. Si pour certaines de ces phases non magnétiques, par exemple les nématiques [26, 27] (avec des termes supplémentaires par rapport au modèle de Heisenberg), il est quand même possible de trouver un ordre brisant la symétrie SU(2), la frustration va également conduire à des phases où cette symétrie est complètement restaurée. Parmi ces phases non magnétiques se trouvent des phases plus traditionnelles comme des cristaux (de singulets) [7], mais également des états beaucoup plus exotiques, les liquides de spin, qui nécessitent l’introduction de nouveaux concepts et constituent actuellement un champ d’étude très actif. Le modèle de Heisenberg de spin-1/2 sur le Kagomé est un très bon exemple des conséquences importantes que peut avoir la frustration. Son état est bien non magnétique (singulet), et on trouve dans le gap vers le premier état magnétique (un triplet) un nombre exponentiel ∼ 1, 15N d’excitations de singulets [28, 29], à mettre en lien avec ce que nous avons dit juste avant sur la dégénérescence au niveau classique. Dans ces modèles frustrés, de nombreux états de basse énergie sont ainsi souvent en compétition. Nous reviendrons plus longuement dans l’introduction du Chapitre IV sur les idées principales concernant les liquides de spins. Pour résumer, nous pouvons dire que la frustration constitue en fait l’élément clé de l’étude des systèmes magnétiques et participe largement à leur donner toute leur richesse [30]. 

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Modèles sous champ : processus d’aimantation 

Jusqu’à présent, nous n’avons discuté que des systèmes de spins en l’absence d’un champ magnétique externe. Les états que nous avons décrits ont tous une aimantation totale nulle, que ce soient les états magnétiques (Néel) ou les états non magnétiques. Lorsqu’un champ magnétique, que nous prenons parallèle à l’axe z, est présent, il se couple aux spins et le Hamiltonien (I.1) devient H = X i,j JijS~ i .S~ j − h X i S z i . (I.5) Pour minimiser l’énergie, les spins doivent donc s’aligner parallèlement au champ. Lorsque le champ dépasse une valeur critique hsat, ils vont être complètement polarisés le long du champ. D’un autre côté, ce dernier va permettre des comportements intéressants pour les aimantations intermédiaires, et en particulier la présence de plateaux lorsque nous regardons comment évolue l’aimantation en fonction du champ. Pour certaines valeurs particulières de l’aimantation, il est ainsi possible qu’elle reste constante pour une plage de valeurs du champ magnétique, donnant ainsi naissance à un plateau d’aimantation. Nous allons maintenant discuter plusieurs aspects des processus d’aimantation. La présentation que nous allons donner ici s’inspire largement de celle faite par Lhuillier et Misguich . 

Table des matières

Introduction
I Cadre théorique et revue expérimentale
1 Magnétisme
1.1 Modèles pour les systèmes magnétiques .
1.2 Frustration
1.3 Modèles sous champ : processus d’aimantation .
1.4 Des résultats utiles
2 Plateaux d’aimantation : exemples théoriques et expérimentaux
2.1 Systèmes unidimensionnels
2.2 Systèmes bidimensionnels
3 Conclusion
II Tubes de spin triangulaires
1 Présentation des modèles
1.1 Tube triangulaire simple
1.2 Tube triangulaire déformé
1.3 Symétries et observables utiles
1.4 Triangles découplés
2 Petite revue expérimentale
3 Tube triangulaire simple
3.1 Approche par intégrale de chemin
3.2 Limite de couplage fort : modèles effectifs et chiralité
3.3 Résultats numériques pour S = 3/2
4 Tube triangulaire déformé
4.1 Approche par intégrale de chemin
4.2 Limite de couplage fort
4.3 Composé [(CuCl2tachH)3Cl]Cl2
4.4 Résultats numériques pour S = 3/2
5 Conclusion et perspectives
III Tube de spin carré
1 Ordre par le désordre
2 Présentation du modèle
2.1 Symétries
2.2 Configuration classique
3 Approche par intégrale de chemin
3.1 Action de basse énergie
3.2 Energie libre et sélection
3.3 Délocalisation et spin imbalance
4 Approche de couplage fort
4.1 Cas S = 1/2
4.2 Cas d’un spin S : dernier plateau d’aimantation
5 Résultats numériques
5.1 Cas S = 1/2
5.2 Cas d’un spin-S
6 Comparaison avec l’intégrale de chemin
7 Conclusion
IV Modèle étendu de spin-1/2 sur le réseau Kagomé dans la limite Ising
1 Motivations
1.1 Quelques concepts
1.2 A la recherche des phases topologiques
2 Présentation du modèle BFG
2.1 Des spins aux dimères : modèle effectif
2.2 Modèle en champ nul, liquide de spin Z2 et entropie topologique
2.3 Modèle avec champ et plateaux d’aimantation
3 Plateau m = 1/6 : modèle de boucles
3.1 Phase solide
3.2 Entropie de Rényi
4 Discussion et perspectives
4.1 Plateau m = 1/6
4.2 Plateau m = 1/3
4.3 Modification du modèle BFG
Conclusion
A Etats cohérents de spin
B Hamiltonien effectif au deuxième ordre au point symétrique
C Transformation non locale de Kennedy
D Monte-Carlo quantique et entropies de Rényi
1 Principe
2 Mouvements Monte-Carlo
3 Observables
4 Algorithme de plaquettes
5 Entropies de Renyi et SSE
5.1 Replica trick
5.2 Observables SSE
5.3 Ratio trick
5.4 Méthode dynamique : variante
5.5 Exemples
Bibliographie
Publications

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