Généralités sur l’endommagement
Un projectile, en pénétrant dans la matière, en phase solide ou gazeuse, interagit simultanément avec un grand nombre de particules qui sont elles-mêmes en interaction. Lorsqu’une particule énergique pénètre dans la matière condensée, elle cède son énergie en interagissant avec les noyaux atomiques, les électrons de cœur et dans le cas des métaux les électrons de conduction. L’interaction avec les noyaux se fait via des chocs élastiques nucléaires qui peuvent conduire directement à la création de défauts. L’excitation électronique des atomes est un processus inélastique qui peut conduire ou non à la formation de défauts en fonction de la nature de la cible, métal, semiconducteur ou isolant. L’importance relative des processus de ralentissement nucléaire et électronique dépend de la vitesse et de la masse du projectile. A basse énergie, ce sont les processus de ralentissement nucléaire qui l’emportent. Dans le cas des ions, le ralentissement inélastique devient important lorsque leur vitesse s’approche de celle des électrons orbitaux.
Endommagement par collisions balistiques
Pouvoir d’arrêt nucléaire : Dans une expérience d’irradiation aux ions, si l’on veut calculer, même de façon très grossière, la perte d’énergie élastique due aux chocs nucléaires, on ne peut utiliser l’expression classique de la section efficace de diffusion coulombienne, valable pour des ions nus. Il faut prendre en compte l’effet d’écran par le nuage électronique de l’atome cible, ce qui complique l’expression du potentiel d’interaction ion projectile – ion cible, puis le calcul de la section efficace de diffusion, et in fine celui de l’énergie moyenne transférée à la cible.
Création de défauts par collisions balistiques : Lors d’une collision nucléaire élastique, on assiste à un transfert direct d’énergie cinétique du projectile à un atome cible qui, déplacé de son site d’origine, peut alors donner naissance à une paire lacune – auto-interstitiel, ou paire de Frenkel. Pour ce faire, il suffit de lui céder une quantité d’énergie importante, au moins égale ou supérieure à une énergie seuil de déplacement, Td, de l’ordre de 25 eV et au plus de quelques dizaines d’eV [Dun93].
Corrosion sous irradiation
Le sujet est vaste, puisque l’on entend ici par corrosion sous irradiation l’ensemble des mécanismes de dégradation, localisée ou uniforme, qui se produisent en surface des matériaux oxydables (métaux et alliages métalliques, semi-conducteurs, céramiques, verres…) au contact d’un milieu corrosif (aqueux, gazeux, métallique liquide…) sous rayonnement (électronique, ionique, neutronique…).
Depuis plus de 50 ans, c’est-à-dire depuis la mise en service des premiers réacteurs nucléaires à eau bouillante et/ou sous pression, il a été largement traité afin d’assurer le bon fonctionnement des installations en service et d’optimiser leur durée de vie. En allant du cœur à la périphérie d’un réacteur, on rencontre :
des oxydes (le combustible) soumis, à haute température, à des flux intenses de neutrons et de produits de fission de haute énergie et à des modifications de composition par transmutation; des métaux (gaines isolant le combustible, structures du cœur du réacteur) soumis à des flux élevés de neutrons à des températures élevées;
le métal constituant la cuve, soumis à de faibles flux de neutrons, à des températures plus faibles, mais devant garder ses performances pendant plusieurs décennies; des matériaux divers (organiques, semi-conducteurs, etc.) dans les installations périphériques ou de contrôle, soumis essentiellement à un rayonnement électromagnétique.
Dissolution d’oxygène dans le titane et le zirconium
L’oxydation thermique d’un certain nombre de métaux de transition se caractérise par deux processus concomitants :
La dissolution d’oxygène dans la matrice métallique et formation d’une solution solide d’insertion, dite phase alpha);
La formation et le développement d’une couche d’oxyde au moins initialement compacte, c’est-à-dire d’une nouvelle phase. Dans la classification périodique des éléments, la dissolution d’oxygène est plus importante dans les métaux 3d que dans les métaux 4d ou 5d. Elle est nettement plus importante pour les métaux du groupe IVB (Ti, Zr, Hf) que pour ceux du groupe VB (V, Nb, Ta), alors qu’elle est quasiment nulle pour ceux du groupe VIB (Cr, Mo, W). De plus, elle augmente avec la température. L’oxygène dissout, sous forme d’atomes en sites interstitiels, peut être mis en ordre en augmentant la teneur en oxygène et en abaissant la température. L’oxyde commence à former lorsque la solubilité maximale de l’oxygène dans le métal est atteinte.
Oxydation thermique du titane
A la pression atmosphérique, le dioxyde de titane, TiO2, existe sous trois variétés allotropiques, anatase, brookite et rutile. Le rutile est la variété le plus stable thermodynamiquement.
Et de fait l’oxydation thermique du titane, non seulement sous oxygène mais aussi sous vapeur d’eau, conduit généralement à la formation de rutile [Fel77, Wou96, Wou07] .
A notre connaissance, la présence de sous-oxydes, et notamment Ti2O3 et Ti3O5, n’a été détectée au voisinage de l’interface oxyde/métal que pour une oxydation thermique réalisée sous vapeur d’eau ou sous atmosphère mixte O2/H2O [Wou07]. On se reportera à l’Annexe I pour informations complémentaires concernant la structure cristalline de TiO2, le diagramme de phases Ti – O et les sous-oxydes de titane. De manière générale, nous dirons qu’à chaque domaine de température correspond un mécanisme d’oxydation du titane et une loi cinétique plus ou moins bien identifiée, et ce pourvu que l’oxydation soit réalisée sous oxygène sec et au-dessus de 650°C. Sous vapeur d’eau, sous atmosphère humide et dans tous les cas aux températures inférieures à 500°C, il y a peu de données et donc pas de mécanisme(s) d’oxydation rigoureusement établi(s).
Table des matières
Introduction
Chapitre I – Introduction à l’étude de la corrosion sous irradiation aux ions
I.1 – Introduction
I.2 – Généralités sur l’endommagement
I.3 – Endommagement par collisions balistiques
I.3.1 – Pouvoir d’arrêt nucléaire
I.3.2 – Création de défauts par collisions balistiques
I.4 – Endommagement par excitations électroniques
I.4.1 – Pouvoir d’arrêt électronique
I.4.2 – Création de défauts par excitations électroniques
I.4.2.a – Cas général
I.4.2.b – Création de défauts par fortes excitations électroniques dans les métaux
I.4.2.c – Création de défauts par fortes excitations électroniques : cas du titane et du zirconium
I.5 – Pouvoirs d’arrêt et taux de pulvérisation : cas du titane et du zirconium sous irradiation aux ions d’argon
I.5.1 – Calcul des pouvoirs d’arrêt avec le code SRIM-2011
I.5.2 – Estimation du taux de pulvérisation avec le code SRIM-2011
I.6 – Corrosion sous irradiation
I.6.1 – Cratérisation sous irradiation aux ions
I.6.1.a – Domaine du keV
I.6.1.b – Domaine du MeV (≤ 15 MeV)
I.6.1.c – Domaine des hautes énergies
I.6.2 – Oxydation sous irradiation aux ions
I.6.2.a – Cas du zirconium sous irradiation aux fragments de fission à l’ILL
I.6.2.b – Cas du zirconium sous irradiation aux ions xénon au GANIL
I.6.2.c – Cas du zirconium sous irradiation aux ions d’argon à l’IPNL
Chapitre II – Etude bibliographique sur l’oxydation thermique du titane et du zirconium
II.1 – Introduction
II.2 – Dissolution d’oxygène dans le titane et le zirconium
II.3 – Oxydation thermique du titane
II.3.1 – Effet de la température sur la cinétique d’oxydation du titane
II.3.2 – Effet de la pression d’oxygène sur la cinétique d’oxydation du titane
II.3.3 – Effet de la teneur en vapeur d’eau sur la cinétique d’oxydation du titane
II.4 – Oxydation thermique du zirconium
II.4.1 – Effet de la préparation de surface sur la cinétique d’oxydation du zirconium
II.4.2 – Effet de la température sur la cinétique d’oxydation du zirconium
II.4.3 – Effet de la pression du milieu oxydant sur la cinétique d’oxydation du zirconium
II.5 – Etude comparée de l’oxydation thermique du titane et du zirconium
II.6 – Résumé
Chapitre III – Détermination de l’épaisseur et de la composition chimique des oxydes de titane formés sous irradiation : une étude par XPS
III.1 – Introduction
III.2 – Description de la technique XPS et d’analyse en profondeur
III.2.1 – Principe de l’XPS
III.2.2 – Limite de détection en profondeur
III.2.3 – Méthode d’analyse des spectres XPS
III.2.4 – Décapage ionique : pulvérisation préférentielle
III.3 – Etudes bibliographiques sur les énergies de liaison du titane et de ses oxydes par XPS
III.3.1 – Energie de liaison du titane à l’état métallique
III.3.2 – Spectre XPS de niveau de cœur Ti2p dans Ti et TiO2
III.3.3 – Energie de liaison du titane à l’état Ti4+
III.3.4 – Détermination des valeurs d’énergie de liaison des états de charge intermédiaires du titane
(Tin+, n = 1 à 3)
III.4 – Conditions expérimentales
III.5 – Déconvolution & interprétation des spectres de titane oxydé – irradié
III.5.1 – Détermination de la nature des oxydes de titane formés sous irradiation
III.5.1.a – Décomposition des spectres
III.5.1.b – Cas de l’échantillon témoin TiO2/c-Si
III.5.1.c – Effets de l’irradiation aux ions Arn+ dans le domaine du MeV et du décapage aux
ions Ar+ de 2 keV
III.5.2 – Détermination de l’interface oxyde/substrat (c-Si, Ti)
III.5.3 – Détermination de la vitesse de décapage
III.5.4 – Détermination de l’épaisseur des oxydes de titane formés sous irradiation et de l’épaisseur
de l’oxyde natif
III.5.5 – Variation de la stœchiométrie des oxydes de titane avec l’énergie d’argon
III.6 – Résumé
Chapitre IV – Propriétés optiques et l’épaisseur optique des oxydes de titane formés sous
irradiation : une étude par Ellipsométrie Spectroscopique
IV.1 – Introduction
IV.2 – Généralités sur la technique d’Ellipsométrie Spectroscopique
IV.2.1 – Principe physique de l’Ellipsométrie Spectroscopique
IV.2.2 – Principe de fonctionnement de l’Ellipsométrie Spectroscopique
IV.2.3 – Détermination de Psi et Delta
IV.2.4 – Détermination de l’indice de réfraction, du coefficient d’extinction et de l’épaisseur optique de la couche d’oxydes
IV.3 – Principe et outils de modélisation en Ellipsométrique Spectroscopique
IV.3.1 – Principe de modélisation
IV.3.2 – Outils de modélisation
IV.3.2.a – Cas du titane et du dioxyde de titane TiO2
IV.3.2.b – Cas des sous-oxydes de titane TiO2-x
IV.4 – Conditions expérimentales
IV.4.1 – Préparation des échantillons de titane et de zirconium au LSI
IV.4.2 – Expériences d’oxydation – irradiation à l’argon du titane et du zirconium à l’IPNL
IV.4.3 – Expériences d’irradiation à l’argon sous vide secondaire du titane pré-oxydé au
CEA/SRMA auprès de l’accélérateur Epiméthée de la plateforme JANNuS
IV.4.4 – Caractérisation par Ellipsométrie Spectroscopique au LPICM
IV.5 – Modélisation et interprétation des résultats expérimentaux
IV.5.1 – Titane poli et TiO2 témoin
IV.5.1.a – Titane poli recouvert de son oxyde natif
IV.5.1.b – TiO2 témoin
IV.5.2 – Oxydes de titane formés sous irradiation à l’argon entre 1 et 9 MeV à l’IPNL
IV.5.2.a – Effet de l’énergie du projectile d’argon sur l’épaisseur et les propriétés optiques des
films d’oxyde
IV.5.2.b – Effet de température d’oxydation – irradiation.
IV.5.3 – Irradiation du titane pré-oxydé sous faisceau d’ions Ar2+ de 4 MeV et Ar
3+ de 9 MeV à JANNuS – Epiméthée
IV.5.3.a – Pré-oxydation du titane au CEA/SRMA à 500°C sous mélange d’argon hydrogéné et
de vapeur d’eau
IV.5.3.b – Après irradiation du titane pré-oxydé sous faisceau d’ions Ar2+ de 4 MeV et Ar3+ de 9 MeV à JANNuS – Epiméthée
IV.6 – Oxydation du titane sous irradiation à l’argon dans le domaine du MeV : épaisseur d’oxydes et propriétés optiques
IV.6.1 – Effet de l’énergie d’argon sur l’épaisseur d’oxydes de titane formé en conditions d’oxydation – irradiation sous air sec à l’IPNL
IV.6.2 – Oxydation sous irradiation à l’argon de quelques MeV : vers une augmentation du pouvoir
oxydant du milieu
IV.6.3 – Propriétés électro-optiques comparées des oxydes de titane en fonction des conditions
environnementales et d’irradiation
Chapitre V – Détermination des profils de concentration de l’oxygène et de l’épaisseur
d’oxydes de titane et de zirconium formés sous irradiation : une étude par NBS
V.1 – Introduction
V.2 – Description des techniques RBS et NBS
V.2.1 – La RBS (‘Rutherford Backscattering Spectrometry’)
V.2.1.a – Principe de la RBS
V.2.1.b – Description des spectres RBS
V.2.2 – La NBS (‘Nuclear Backscattering Spectroscopy’)
V.2.2.a – Principe de la NBS
V.2.2.b – Description des spectres NBS
V.2.3 – Méthode de décomposition et de quantification des spectres NBS
V.3 – Conditions expérimentales
V.4 – Analyse des spectres NBS
V.4.1 – Analyse des échantillons de titane et de zirconium massifs oxydés – irradiés à l’IPNL
V.4.2 – Analyse des échantillons de titane en feuille mince oxydés – irradiés à l’IPNL
V.5 – Discussion
V.6 – Résumé
Chapitre VI – Endommagement superficiel du titane et du zirconium sous irradiation à
l’argon dans le domaine du MeV
VI.1 – Introduction
VI.2 – Conditions expérimentales
VI.3 – Etat de surface du titane après oxydation – irradiation à l’argon : Analyse d’images par AFM
VI.3.1 – Effet de l’énergie du projectile d’argon vis-à-vis de la cratérisation
VI.3.1.a – Observation d’une cratérisation superficielle et transition de morphologie de surface
VI.3.1.b – Cratérisation : analyse statistique et morphologique
VI.3.1.c – Oxydation du titane sous irradiation à l’argon : statistiques et tailles des grains d’oxyde
VI.3.2 – Effet de la température d’oxydation – irradiation vis-à-vis de la cratérisation
VI.3.3 – Effet de l’état de surface vis-à-vis de la cratérisation
VI.3.3.a – Irradiation du titane poli sous faisceau d’ions Ar3+ de 9 MeV à JANNuS – Epiméthée
VI.3.3.b – Irradiation du titane poli sous faisceau d’ions Ar6+ de 15 MeV à JANNuS – Epiméthée
VI.3.3.c – Irradiation du titane pré-oxydé à l’IPNL sous faisceau d’ions Ar3+ de 4 MeV à JANNuS – Epiméthée
VI.3.3.d – Irradiation d’échantillons de titane pré-oxydés au SRMA sous faisceau d’ions Ar3+ de 9 MeV à JANNuS – Epiméthée
VI.3.3.e – Rôle de l’oxyde de titane vis-à-vis de la cratérisation
VI.3.4 – Cratérisation du titane sous faisceau d’ions d’argon: bilan
VI.4 – Etat de surface du zirconium après oxydation – irradiation à l’argon : Analyse d’images par AFM
VI.4.1 – Préparation et contrôle de l’état de surface des échantillons de zirconium
VI.4.2 – Effet de l’énergie du projectile d’argon vis-à-vis de la cratérisation
VI.4.2.a – Oxydation – irradiation du zirconium poli sous faisceau d’ions Ar2+ de 4 MeV à
l’IPNL
VI.4.2.b – Oxydation – irradiation du zirconium poli sous faisceau d’ions Ar3+ de 9 MeV à
l’IPNL
VI.4.2.c – Irradiation du zirconium poli sous faisceau d’ions Ar6+ de 15 MeV à JANNuS –
Epiméthée
VI.5 – Cratérisation du titane et du zirconium sous irradiation à l’argon
Conclusions générales et Perspectives
Références bibliographiques