Étude de l’interaction plasma-matériau
Description du foudroiement des avions
Le foudroiement d’avion est un événement courant, chaque avion étant foudroyé en moyenne une fois toutes les 1 000 à 10 000 heures de vol. La probabilité de foudroiement dépend de nombreux paramètres, tel que la géométrie de l’avion, la phase du vol ou encore la région géographique. Pour les avions de ligne, cela représente approximativement un foudroiement par an. Afin de s’assurer qu’un avion puisse achever son vol en toute sécurité, même après un important foudroiement, sa conception est réalisée conformément à la norme de certification CS-25 (CS-25 Amendment 24, 2020). Cette norme concerne l’ensemble des avions de type gros porteurs. La probabilité de foudroiement d’un avion dépend aussi des régions survolées. La carte mondiale présentant la densité moyenne d’éclairs (figure 1.7) montre que la probabilité d’observer un éclair est quasiment nulle aux pôles ou au-dessus des océans. Cette probabilité augmente au-dessus des terres et elle est maximale dans les régions chaudes et humides, telles qu’en Afrique centrale. Cette probabilité varie aussi en fonction de la période de l’année et du moment de la journée. Figure 1.7 – Carte de la densité moyenne d’éclair entre 1995 et 2001 en éclair.km-2 .an-1 (source : NASA). Afin d’améliorer la compréhension phénoménologique des conditions de foudroiement des aéronefs, les constructeurs effectuent de nombreuses études statistiques sur leurs appareils en service (Fay & Bigand, 2015; Fustin et al., 2015). L’étude effectuée par Airbus (Fay & Bigand, 2015) sur ses avions en fonctionnement entre 2008 et 2014 montre une forte corrélation entre la taille des avions et le nombre de foudroiements par cycle (figure 1.8). Cette différence entre les modèles d’avion provient aussi de la notion de cycle, qui inclut le décollage, l’atterrissage et le temps de vol. Un avion long-courrier parcourant une distance par cycle plus grande qu’un 1 Introduction – 28 – avion moyen-courrier a logiquement une probabilité plus élevée d’être foudroyé durant un cycle. De même, les avions de court, moyen et long-courriers ne parcourent pas les mêmes régions géographiques lors de leurs vols. Ces différences de plan de vol peuvent aussi expliquer des variations de fréquence de foudroiement entre les modèles. Une seconde étude, effectuée par Dassault Aviation (Fustin et al., 2015) sur les modèles F900, F2000 et F7X en activité durant la période 2003 à 2013 (figure 1.8.b), met en évidence la dépendance entre la probabilité de foudroiement et la phase de vol. En particulier, le risque de foudroiement est maximal durant la phase de descente et d’atterrissage ce qui représente 84 % des cas, le risque est plus faible durant la phase de décollage, correspondant à 10 % des cas et il est quasiment nul durant la phase de croisière, représentant seulement 3 % des cas. (a) (b) Figure 1.8 – Statistiques de foudroiement d’avions en service. (a) Fréquences de foudroiement par cycle de plusieurs modèles d’avion Airbus de 2008 à 2014 (Fay & Bigand, 2015). (b) Nombre de foudroiements en fonction de la phase du vol pour des avions Dassault Falcon (F900, F2000 et F7X) entre 2003 et 2013 (Fustin et al., 2015).
Description du foudroiement des avions
L’électrisation de l’avion
La conductivité électrique d’un avion, qui est supérieure à celle de l’air ambiant, ainsi que sa géométrie, qui comprend de nombreuses courbures, participent à l’amplification du champ électrique proche de l’appareil. Au niveau des zones les plus aiguës telles que le nez, les extrémités de la voilure et des gouvernes, le champ électrique peut atteindre 5 à 10 fois le niveau du champ électrique atmosphérique (figure 1.9), cela étant suffisant pour initier des décharges couronnes et éventuellement des leaders positifs. Figure 1.9 – Simulation indicative 2D du champ électrostatique d’un avion plongé dans un champ ambiant de 100 kV.m-1 (Morgan et al., 2012). D’un point de vue électrique, l’avion est une masse flottante. En conséquence, l’avion est uniquement un élément de passage du courant. Lors du foudroiement, il y a formation d’un point d’entrée et d’un point de sortie courant. De plus, l’avion se charge par friction avec l’air et par accumulation des hydrométéores chargés. Les différentes parties de l’avion peuvent être séparées électriquement, en raison de jonction diélectrique, ce qui peut conduire à une polarisation de l’avion avec des zones chargées positivement et d’autres chargées négativement.
Amorçage de l’arc
Des leaders se forment aux extrémités de l’avion au niveau des régions où le champ électrique est le plus élevé. Un leader positif se forme en premier dans la direction inverse au champ électrique, ce qui a pour effet de charger négativement l’avion et causer la formation d’un leader négatif à l’extrémité opposée de l’avion. Si le champ ambiant n’est pas suffisant, cette double décharge s’éteint spontanément. Ces décharges peuvent se produire plusieurs fois sans pour autant conduire au foudroiement de l’avion. Dans 90 % des cas (Moreau et al., 1992), cette décharge bidirectionnelle permet d’initier l’arc foudre (figure 1.10.a) et dans les 10 % restant, ces 1 Introduction – 30 – leaders permettent d’intercepter un éclair naturel qui se serait développé en l’absence d’avion (figure 1.10.b). Cette phase d’amorçage dure quelques millisecondes. (a) (b) Figure 1.10 – Les deux mécanismes menant au foudroiement de l’avion par la formation d’un leader bidirectionnel. (a) L’avion déclenche la formation de l’éclair. (b) L’avion intercepte une décharge naturelle (Larsson, 2002).
Balayage de l’avion
Une fois le canal de l’arc foudre formé, le chemin du courant est fixé pour la durée de vie de l’éclair. Cependant, la durée de vie de l’éclair étant de quelques centaines de millisecondes et la vitesse de l’avion de l’ordre de 100 m.s-1 , l’avion se déplace par rapport au canal pendant la durée de l’éclair. En conséquence si le point d’attache a lieu sur l’avant de l’avion, le radôme ou les becs de bord d’attaque, ce point d’attache va se déplacer par saut en direction de l’arrière de l’avion (représenté en bleu sur la figure 1.11). Dans le référentiel de l’avion, le point d’attache recule, ce qui est communément appelé le balayage. Lorsque le point d’attache se forme au niveau d’une extrémité regardant l’arrière de l’avion, l’arc ne pouvant pas se déplacer sur la structure de l’avion, c’est la colonne d’arc qui s’allonge pour maintenir l’existence d’un canal conducteur (représenté en rouge sur la figure 1.11). Une fois que les deux points d’attache se sont rejoints, les deux arcs fusionnent en un seul et l’éclair termine son existence à l’extérieur de l’avion (instant t5 de la figure 1.11). Figure 1.11 – Balayage d’un arc foudre sur un avion observé dans le référentiel de l’avion (Chemartin, 2008).
Courant de l’arc
Lors d’un foudroiement, le courant circulant dans un avion se décompose en plusieurs étapes successives (figure 1.12). Pendant les premières millisecondes, des décharges d’amorçage de l’arc génèrent de courtes impulsions de courant, pouvant atteindre 10 kA, qui sont séparées aléatoirement de 5 et 300 µs. Cette étape est appelée Burst. Une fois l’amorçage terminé, des ondes de courant impulsionnelles, de plusieurs dizaines de milliers d’ampères dites arc de retour, et des ondes de courant continu, de quelques centaines d’ampères, se superposent pendant l’étape de balayage. La dernière étape a lieu lorsque l’avion sort du chemin électrique de l’arc. L’éclair termine alors sa vie normalement dans l’atmosphère. Figure 1.12 – Courant typique d’un éclair lors du foudroiement d’un aéronef (Chemartin, 2008).
Les effets de la foudre sur un avion
Une fois l’arc foudre initié, un courant électrique circule dans le fuselage, ainsi que dans les parties internes de l’avion afin de rejoindre les deux points d’attache. La distribution du courant dépend de l’impédance des différents chemins électriques qui varie dans le temps (Parmantier et al., 2012). De par la présence de phases impulsionnelles, l’impédance est la somme des propriétés résistives des matériaux et des effets d’inductance. 1 Introduction – 32 – Le foudroiement d’un aéronef peut engendrer des dommages au niveau des points d’impact, mais aussi le long des régions de circulation du courant. Ces dommages sont classés selon deux catégories : • Les effets directs correspondants à l’ensemble des effets d’endommagement liés à la formation du canal d’arc foudre et au passage du courant dans l’avion. Les contraintes associées sont thermique, électrique et mécanique. • Les effets indirects concernent le couplage électromagnétique des ondes de courant impulsionnelles intenses avec les équipements électriques de l’avion. Des informations supplémentaires sur les effets indirects sont présentes dans les travaux en références (Parmantier et al., 2012; Punekar & Kandasamy, 2011; Thottappillil, 2002). La contrainte thermique s’exerce au niveau des points d’attache de la foudre ainsi que dans les parties de l’avion où circule un important courant électrique. Au niveau des points d’attache la contrainte thermique est due au transfert du flux thermique de la colonne d’arc effectué par conduction et par rayonnement (Chemartin et al., 2012; Sousa Martins et al., 2020), aux recombinaisons des ions du plasma avec le matériau et au chauffage par effet joule. Cela peut provoquer une érosion, une perforation ou une déformation du fuselage. À l’intérieur de l’avion, l’effet joule peut entrainer la formation de points chauds, l’explosion et la vaporisation des conducteurs. Le chauffage par effet joule est d’autant plus important que les matériaux sont résistifs. La contrainte mécanique, principalement présente au niveau des points d’attache de l’arc foudre, est maximale pendant les pics de courant. Au niveau du point d’attache, elle est due à la surpression de la colonne d’arc, qui forme une onde de choc radiale, au confinement de l’explosion des matériaux (Bigand, 2020; Bigand et al., 2019), à l’éjection de la peinture par conservation de la quantité de mouvement et à la force de Laplace engendrée par le passage du courant et de son champ magnétique induit. Loin du point d’attache, seule l’interaction magnétique avec le courant contribue à cette contrainte, qui peut conduire à des ruptures, des percements et des délaminations des matériaux. La contrainte électrique est engendrée par circulation du courant dans l’avion. Au niveau des points de jonction entre des matériaux conducteurs séparés par un diélectrique, tel que des fixations (Layly, 2019), de la résine entre les fibres d’un composite ou de l’oxydation, des arcs de claquage peuvent se former. Ces décharges électriques peuvent délaminer les matériaux composites ou conduire à la perte d’un appareil, si elles ont lieux au niveau d’un réservoir.
Certification foudre pour les effets directs
Les avions sont conçus pour voler par tout temps. Le risque de foudroiement étant important, il doit être considéré lors de la conception des avions. Les directives de développement et de certification sont formalisées par des organismes de 1.3 Certification foudre pour les effets directs – 33 – normalisation, tel que EUROCAE (European Organization for Civil Aviation Equipment) et SAE (Society of Automotive Engineers).
Onde de courant normalisée
Les recommandations ARP5412 (AE-2 Lightning Committee, 2005a) et ED-84 (EUROCAE, 2013a) définissent une forme d’onde de courant normalisée pour les essais foudre, dont le niveau de courant est supérieur à 98 % des valeurs de courant mesurées au sol pour des foudroiements naturels. L’onde normalisée se décompose en une succession de quatre ondes de courant appelées A, B, C et D (figure 1.13). Figure 1.13 – Ondes de courant normalisées pour l’étude des effets directs de la foudre (AE-2 Lightning Committee, 2005a). Les ondes A et D sont des ondes impulsionnelles reproduisant des arcs en retour formés respectivement lors de l’initialisation de l’arc et après l’initialisation. Ces ondes sont définies par une loi bi-exponentielle de la forme suivante : 𝐼(𝑡) = 𝐼0(𝑒 −𝛼𝑡 − 𝑒 −𝛽𝑡) Équation 1.1 Les ondes impulsionnelles se caractérisent par leurs valeurs pics et leurs intégrales d’action (équation 1.2). 𝐼𝐴 = ∫ 𝑖 𝛥𝑡 (𝑡) 2𝑑𝑡 Équation 1.2 L’onde B correspond à une onde de transition entre les ondes impulsionnelles et les ondes continues. L’onde C est une onde continue de quelques centaines d’ampères. L’intensité du courant et la durée des différentes ondes sont présentées dans le tableau 1.1
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