Etude de l’influence des déterminants climatiques et environnementaux sur la bio-écologie d’Anopheles arabiensis (Diptera : Culicidae)
La transmission vectorielle du paludisme
La transmission des Plasmodium et la biologie des principaux vecteurs en Afrique sont connues dans leurs grandes lignes depuis plus de 50 ans et est assurée par une soixantaine de vecteurs. Chaque espèce a une aire de distribution bien délimitée.
Les facteurs de la transmission
La transmission du paludisme implique 3 acteurs que sont : (i) le parasite (genre Plasmodium) qui est l’agent de la maladie, un protozoaire ; (ii) l’insecte, l’anophèle femelle vecteur qui assure la transmission, et (iii) l’homme qui est l’hôte intermédiaire du parasite (Thomas et al., 2010). La transmission est plus intense aux endroits où les espèces de vecteurs ont une durée de vie relativement longue (ce qui permet au parasite de compléter son cycle de développement à l’intérieur du moustique) et piquent plutôt l’homme que les animaux (anthropophilie). L’évaluation de la transmission dépend impérativement des paramètres entomologiques (densité, longévité, fréquence, taux de parturité, taux d’agressivité, indice sporozoïtique, et taux d’inoculation entomologique). L’évaluation de ces paramètres entomologiques permet d’avoir une idée sur la nature de la transmission qui sévit dans chaque localité définie. Parmi les facteurs pouvant influencer la transmission, les paramètres climatiques particulièrement le régime des précipitations, la température et l’humidité, constituent les prépondérants. Ces facteurs ont d’ailleurs permis de décrire plusieurs faciès épidémiologiques en Afrique (Mouchet et al., 1993) qui sont des zones où le paludisme est caractérisé par un certain mode de transmission qui se traduit par un certain niveau d’endémie de la maladie et une incidence particulière de ses manifestations cliniques modulées par l’acquisition d’une immunité (Faye, 1994). Au niveau local, d’autres facteurs comme les types d’occupation des sols, l’irrigation, l’urbanisation ou la déforestation entre autres, peuvent influencer la transmission. 4.2. Influence des facteurs environnementaux et climatiques sur la transmission D’une manière générale, les facteurs climatiques et environnementaux influencent considérablement la distribution géographique et l’épidémiologie du paludisme (Lindsay et al., 1998). Cet influence peut s’effectuer principalement à divers niveaux avec des conséquences variées : (i) la distribution spatiale et l’abondance relative des espèces vectrices, (ii) la durée de l’incubation extrinsèque des Plasmodium transmis, (iii) le contact homme-vecteur. Il est cependant important de relever que cette influence est assurée par les paramètres impliqués (pluviométrie, température, humidité et type d’occupation des sols entre autres) dont chacun assure un effet particulier et spécifique sur le vecteur.
La température
Elle influence principalement la durée du cycle d’incubation extrinsèque du Plasmodium mais également la durée du développement pré-imaginal. Chez P. falciparum, on estime que la durée du cycle de développement sporogonique est impossible au-delà de 35°C et en deçà de 18°C alors que P. vivax supporterait des températures plus modérées jusqu’à 15°C. Chez P. falciparum, la durée du cycle d’incubation extrinsèque est estimée respectivement à 20, 11 et 9 jours à 20°C, 24°C et 30°C alors que chez P. vivax la durée est de 16, 9 et 7 jours aux mêmes températures. 17 Chez les vecteurs, le développement des phases aquatiques dure une dizaine de jours chez An. gambiae s.l. et une vingtaine de jours chez An. funestus à la température de 25°C. La température est en fait un facteur critique du fait de son rôle sur le taux de développement des stades aquatiques aux stades adultes (Lassiter et al., 1995). Chez An. gambiae, des études ont montré que la température de l’eau a un effet marqué sur la longévité (Bayoh et Lindsay, 2004). En effet, aux températures extrêmes de 10-12°C et 38-40°C, les stades aquatiques meurent en quelques jours. De plus, les taux de mortalité larvaire les plus élevés sont observés en deçà de 18°C et au-delà de 32°C. Il faut cependant souligner que si des températures basses sont rarement observées en Afrique tropicale, les températures élevées sont souvent observées durant la saison sèche pendant laquelle, l’abondance des vecteurs est faible voire nulle dans plusieurs zones.
La pluviométrie
Elle joue un rôle important dans la disponibilité et la qualité des gîtes larvaires. Du fait qu’elle est caractérisée selon la zone par un rythme et une abondance particulière, elle détermine la faune anophélienne présente, leur abondance ainsi que leur dynamique saisonnière. Chez les espèces du complexe An. gambiae (particulièrement An. gambiae et An. arabiensis) dont certains gîtes caractéristiques sont constitués par de petites collections d’eau claire, l’absence de pluies est caractérisée par une diminution de l’abondance des vecteurs et de la transmission (Gage et al., 2008). Dans la partie sahélienne de l’Afrique, des sécheresses répétées ont été associées à une diminution de la transmission (Mouchet et al., 1996 ; Julvez et al.,1997). C’est ainsi que dans ces zones, on estime que les diminutions répétées de la pluviométrie augmentent la possibilité de manifestations épidémiques du fait de l’augmentation de la proportion de personnes non-immunes. Concernant la dynamique des populations, les densités des populations d’An. gambiae suivent en général les pics de pluviométrie (Kabbale et al., 2013) alors que chez des espèces comme An. funestus, les pics de densités maximales sont observés en fin de saison des pluies et en début de saison sèche. Bien qu’il existe une relation directe entre la pluviométrie et la transmission, celle-ci n’est 18 pas toujours linéaire puisque de fortes pluies sont souvent associées à une diminution de la transmission (Lindsay et al., 2000). Parmi les explications possibles, on peut citer particulièrement le lessivage des gîtes (Najera et al., 1998). Sur un autre plan, le profil pluviométrique affecte l’humidité relative, qui a un impact sur la survie des populations adultes.
L’humidité relative
Comme la température, l’humidité relative est un des facteurs climatiques qui influence la physiologie et ainsi la distribution des moustiques (Wigglesworth, 1972). L’humidité est étroitement liée à la température de sorte que l’effet individuel de chacun de ces deux facteurs est difficile à mettre en évidence. Cependant, l’un des rôles prépondérants de l’humidité relative est son implication dans la survie des populations adultes et en particulier sur la longévité des vecteurs. L’humidité relative intervient également dans le rythme et la dynamique des piqûres des vecteurs. Il a été en effet observé chez l’espèce An. gambiae que le rythme des piqûres suivait une évolution nycthémérale de l’humidité relative (Haddow, 1945). On estime d’ailleurs que l’activité diurne de nombreuses espèces d’insectes a lieu pendant la nuit, du fait que l’humidité relative atteint son maximum durant cette période (Barrozo et al., 2004). Sur un autre plan, l’association de l’humidité relative avec la température permet de prédire la distribution des espèces sur la base de l’indice de saturation (Lindsay et al., 1998). En effet, dans les régions où coexistent An. gambiae et An. arabiensis, il est généralement observé que la dernière prédomine dans les zones plus chaudes et plus sèches, ce qui a été soutenu par plusieurs études. C’est ainsi que An. arabiensis est souvent l’espèce prédominante durant les mois les plus sèches de l’année (White, 1972 ; Rishikesh et al., 1985) ; ce qui n’est pas le cas durant la saison des pluies où presque tous les moustiques collectés en zone de sympatrie sont représentés par An. gambiae
Les types d’occupation des sols
De tous les facteurs environnementaux, c’est celui dont l’influence sur la distribution des espèces est la plus remarquée. Il est en effet bien connu que la distribution des espèces au niveau 19 macro et micro-géographique est liée aux grands domaines phytogéographiques. Chez les vecteurs majeurs du paludisme, il est bien connu qu’An. gambiae, An. arabiensis et An. funestus ont des zones de répartition liée à la végétation. An. gambiae prédomine dans les zones humides, An. arabiensis dans celles plus arides alors que An. funestus est inféodé aux zones avec de la végétation aquatique émergente ou flottante (Coluzzi et al., 1985 ; Gillies et De Meillon, 1968). D’autres espèces comme An. melas, An. merus, An. nili ou An. moucheti sont prédominantes dans des zones de mangroves ou de cours d’eau à courant (Akogbeto et Yakoubou, 1999, Nkondjio et al., 2009). L’influence d’autres facteurs agissant sur l’occupation des sols a été mise en évidence (Ijumba et al., 2002 ; Keiser et al., 2005). Au niveau micro-géographique, des études récentes ont montré que des différences pouvaient être attribuées à l’occupation des sols (Jacob et al., 2007 ; Mwangangi et al., 2010). Il a d’ailleurs été mis en évidence un lien direct entre l’augmentation ou la baisse du risque paludéen en fonction du type d’occupation des sols (Krefis et al., 2011). 5. Stratégies de lutte contre les vecteurs Le contrôle des vecteurs fait appel à plusieurs stratégies de lutte en fonction des espèces, leurs comportements et leurs stades de développement. Les nombreuses méthodes utilisées présentent pour chacune un impact spécifique puisque leur efficacité et leur sélection dépendent à la fois du comportement du vecteur, de sa bio-écologie mais également du contexte épidémiologique. En fonction de la méthode utilisée et de la stratégie sélectionnée, la lutte peut s’appliquer à différents stades.
La lutte anti-larvaire
Cette méthode est difficile à appliquer dans le cadre de la lutte contre les vecteurs du paludisme. Son application nécessite que les gîtes des vecteurs soient limités dans l’espace, facilement repérables et accessibles. C’est le cas particulièrement des zones urbaines et périurbaines. Il existe des méthodes alternatives à efficacité localisée qui nécessite une bonne connaissance du comportement des vecteurs ainsi que sa biologie (poissons larvivores, champignons, bactéries).
La lutte anti-adulte
Cette méthode fait appel principalement à l’utilisation d’insecticides (pulvérisation intra domiciliaire avec un insecticide rémanent, moustiquaires ou matériaux imprégnés). La pulvérisation a été pendant longtemps l’une des méthodes de choix pour la lutte contre les vecteurs du paludisme du fait du comportement endophile notée chez la plupart d’entre eux. La découverte de l’effet toxique et efficace des insecticides a par la suite été associée à la barrière physique constituée par les moustiquaires imprégnées pour lesquelles un intérêt particulier leur a été accordé depuis les années 90. Cet outil constitue maintenant un moyen efficace de réduction de la morbidité et la mortalité palustres. Il permet en effet de diminuer le contact homme-vecteur par un effet répulsif ou d’éliminer les vecteurs en les empêchant d’atteindre les hôtes. En plus de cet outil, un intérêt particulier a été accordé à la lutte génétique basée sur l’utilisation de vecteurs à compétence vectorielle altérée suite à une manipulation génétique. Le principe de cette méthode repose sur la diffusion d’un ou plusieurs gènes pouvant bloquer le développement du parasite au sein de populations naturelles.
Présentation du modèle d’étude : l’espèce Anopheles arabiensis
Il est l’un des membres du complexe An. gambiae et un des plus importants vecteurs du paludisme en Afrique sub-saharienne et dans les îles voisines. Comparé au membre le plus étudié du groupe (An. gambiae), il est considéré comme une espèce zoophile, exophage et exophile caractérisée par des comportements trophiques et de repos variables et largement dépendants de la localisation géographique.
Distribution géographique et habitats préférentiels
An. arabiensis est l’espèce ayant la répartition géographique la plus large parmi les espèces du complexe An. gambiae. Il est trouvé dans presque toute la région subsaharienne d’Afrique, à Madagascar et dans les îles avoisinantes (Ile Maurice, Ile de la Réunion). En Afrique de l’Ouest, il a été retrouvé dans des zones côtières en zone de savane guinéenne au Bénin où seule l’espèce An. gambiae était connue auparavant (Djogbénou et al., 2010). Il est considéré d’une manière générale comme une espèce de savanes sèches et souvent de savanes boisées. Ses habitats aquatiques sont similaires à ceux de l’espèce An. gambiae : gîtes 21 d’eau douce claire de petite taille temporaires et ensoleillés. Cependant, il est capable de se développer contrairement à An. gambiae dans une large gamme d’habitats y compris des gîtes à courant lent, partiellement ombragés et une variété de gîtes naturels ou anthropiques. Des stades aquatiques ont été retrouvés dans des eaux turbides et parfois saumâtres. Les aires de riziculture sont parfois aussi favorables au développement des stades aquatiques. Dans ces environnements, leurs densités sont largement dépendantes de la taille des plants, les densités les plus élevées étant observées bien avant la maturité du riz.
Préférences trophiques et comportement de piqûre
An. arabiensis a un comportement alimentaire variable selon la disponibilité de l’homme et d’autres hôtes alternatifs, puisque plusieurs études ont mis en évidence soit un comportement anthropophile ou zoophile. D’ailleurs, certains auteurs ont mis en évidence l’association entre le contexte écologique, la disponibilité des hôtes et la structuration génétique des populations. Une analyse relativement exhaustive de Tirados et al., (2006) a permis de suggérer l’existence d’un gradient Est-Ouest avec les populations d’Afrique de l’Ouest caractérisées par des niveaux élevés d’anthropophilie et une préférence endophage et endophile, alors que les populations d’Afrique de l’Est seraient caractérisées par un comportement zoophile et exophage. Il est à ce titre à relativiser puisque selon le contexte, des populations zoophiles sont présentes dans l’une ou l’autre partie de ces deux zones d’Afrique (Lemasson et al., 1997 ; Fontenille et al., 1997a, Fontenille et al., 1997b). Le comportement de piqûre est également très variable, mais l’activité alimentaire se passe d’une manière générale au cours de la nuit. Les pics d’agressivité les plus élevés sont observés soit en début de soirée ou dans la seconde partie de la nuit (Tirados et al., 2006 ; Oyewole et Awolola, 2006 ; Lemasson et al., 1997 ). Des cas d’exophilie ont été rapportés chez An. arabiensis et ont été associés à la présence d’inversions chromosomiques spécifiques (Coluzzi et al., 1979 ; Ralisoa et Coluzzi, 1987 ; Petrarca et al., 2000).
Susceptibilité aux insecticides et contrôle anti-vectoriel
D’une façon générale, les études réalisées sur la sensibilité des populations d’An. arabiensis aux insecticides ont montré que la résistance est moins fréquente que chez An. gambiae s.s. 22 Jusqu’à récemment, cette espèce a été complètement sensible au DDT et aux pyréthrinoïdes dans plusieurs pays au Sud de l’Afrique (Botswana, Namibie, Swaziland, Zambie, Zimbabwe) (ANVR, 2005). Cependant, la résistance au DDT a été signalée en Afrique du Sud. Des indications de résistance au DDT ont été décrites en Erythrée et en Ethiopie ainsi qu’une résistance croisée au DDT et aux pyréthrinoïdes au nord Cameroun (Ndjemai et al., 2009). Des phénomènes de résistance multiple ont été mis en évidence chez cette espèce. Il s’agit plus explicitement des organochlorés BHC (benzene hexachloride) et DDT (Haridi, 1972), à l’organophosphate malathion (Hemingway, 1983) et à plusieurs pyréthrinoïdes (Abdalla et al., 2008). Plusieurs mécanismes ont été mis en évidence et associés aux résistances observées. C’est en particulier la mutation kdr leucine-phénylalanine (kdr-Ouest) au Burkina Faso (Diabate et al., 2004), au Togo et en Afrique de l’Est (Kulkarni et al., 2006 ; Matambo et al., 2007 ; Himeidan et al., 2007). De plus, depuis sa première mise en évidence en Afrique de l’Ouest, la résistance kdr (kdr-Est) a été mise en évidence chez An. arabiensis (Djegbe et al., 2011 ; Ochomo et al., 2015). D’autres mécanismes ont été mis en évidence. Il s’agit en particulier de phénomènes d’élévation d’antioxydants à la suite de pratiques agricoles (Muller et al., 2008) ou à des phénomènes de détoxification métabolique due à des monooxygénases ou des estérases (Cisse et al., 2015). Chez les autres classes d’insecticides, la mutation ace-1 responsable d’une résistance croisée entre carbamates et organophosphates a été récemment mise en évidence au Burkina Faso (Dabiré et al., 2014). Au Sénégal, les études réalisées jusqu’ici ont permis de démontrer la présence des deux mutations kdr chez An. arabiensis dans deux quartiers de la ville de Dakar (Pagès et al., 2008, Ndiath et al., 2015).
An. arabiensis au Sénégal
Au Sénégal, la présence d’An. arabiensis a été signalée dans toutes les zones climatiques avec un gradient de distribution croissante du sud vers le nord. C’est ainsi qu’en zone sahélienne, elle a été l’espèce prédominante mais également dans la zone des Niayes (Vercruysse et Jancloes, 1981, Petrarca et al., 1987, Faye et al., 1992, 1993). La même observation a été faite dans la zone centrale du Ferlo (Lemasson et al., 1997 ; Dia et al., 2005) mais également dans la zone de Niakhar (Robert et al., 1998). Dans la partie nord du pays, elle est l’espèce prédominante dans la vallée du fleuve Sénégal (Carrara et al., 1990, Faye et al., 1993). Des études récentes conduites dans la basse vallée du fleuve Sénégal, la zone du lac de Guiers et la basse vallée du Ferlo ont 23 confirmé ces résultats (Dia et al., 2008). Dans la région du Saloum, elle reste également l’espèce prédominante (Fontenille et al., 1997a, 1997b, Niang et al., 2013). Au sud du Sénégal, c’est plutôt An. gambiae qui a été l’espèce prédominante dans les années 80 (Bryan et al., 1982, 1987, Faye, 1987, Faye et al., 1992, 1993), mais les observations faites depuis quelques années mettent en évidence une prédominance d’An. arabiensis (Caputo et al., 2008 ; Niang et al., 2014).
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