Une grande variété de migrations
La migration cellulaire dans les processus physiologiques et pathologiques
La migration cellulaire est un processus expérimenté par toutes les cellules à un moment donné de leur vie. Au cours du développement, la migration cellulaire est cruciale pour construire l’organisme, les tissus et les organes. Dès le stade de la gastrulation, les mouvements cellulaires collectifs mettent en place les trois feuillets embryonnaires. Plus tard, les cellules de crêtes neurales migrent massivement pour coloniser l’embryon et se différencier en neurones, cellules pigmentaires ou encore myoblastes.
Pour la plupart des cellules constituantes des organismes multicellulaires, les phases de migration restent confinées aux étapes de morphogenèse et cessent avec la différenciation terminale. Chez l’adulte néanmoins, la migration cellulaire reste essentielle pour maintenir l’intégrité de l’organisme, face à des infections ou lésions par exemple. Ainsi, lors d’une blessure, les fibroblastes dans l’épiderme migrent afin de refermer la lésion. Les cellules immunitaires comme les macrophages sont également recrutées et migrent sur le site de l’inflammation. A l’inverse, les cellules présentatrices d’antigènes se déplacent du site d’inflammation aux organes lymphoïdes pour activer les lymphocytes. La migration cellulaire est donc au cœur des processus immunitaires et pour ces cellules, le phénotype migratoire est inhérent à leur fonction et maintenu tout au long de leur vie.
La migration cellulaire et sa dérégulation sont également centrales dans de nombreuses pathologies. A toutes les étapes du développement et dans toutes les fonctions citées précédemment, un défaut de migration engendre des troubles sévères, allant de malformations létales jusqu’à un certain nombre de syndromes (troubles neurologiques, maladies cardiaques, retards physiques et mentaux, etc.). Dans les processus d’immunité, un défaut de migration peut entraîner des pathologies comme l’immunodépression, maladies auto-immunes ou inflammations chroniques. Chez l’adulte, la migration cellulaire peut être réactivée de manière anormale chez des cellules non motiles, comme des cellules épithéliales par exemple. Cette réactivation confère à ces cellules un phénotype invasif au cœur des processus tumoraux, et métastatiques en particulier (pour revues voir Friedl and Wolf, 2003; Kurosaka and Kashina, 2008).
Les différents modes de migration
La diversité des comportements migratoires peut être visualisée au travers de la diversité des formes adoptées par les cellules . Ces critères morphologiques furent utilisés à l’origine pour tenter de classifier différents modes de migration. On y a ensuite intégré des paramètres supramoléculaires comme l’organisation du cytosquelette ou le type d’interaction avec la matrice extracellulaire.
Classiquement, on distingue la migration de groupes de cellules et la migration de cellules individuelles ou isolées, comprenant la migration amiboïde et mésenchymateuse. Ces deux modes de migration, individuel ou collectif, remplissent des fonctions différentes. La migration collective est indispensable pour construire et remodeler des tissus et organes comme les épithéliums, glandes ou vaisseaux. A l’inverse, la migration individuelle permet aux cellules de se déplacer localement pour s’intégrer dans un tissu par exemple (migration des crêtes neurales, ou processus de cicatrisation), ou au contraire de se déplacer plus largement d’un point à un autre dans l’organisme (cellules du système immunitaire).
La migration amiboïde, du terme grec amoibê (« échange »), est sans doute une des formes les plus primitives de migration cellulaire. Ce mouvement récapitule celui de l’amibe Dictyostelium discoideum, qui se déplace en alternant rapidement des cycles d’expansions et de contractions. Chez les eucaryotes supérieurs, la migration amiboïde est observée chez les cellules souches hématopoïétiques, les leucocytes et certaines cellules tumorales par exemple. Ces cellules sont caractérisées par une forme arrondie, un mouvement « rampant » rapide et de faibles adhésions avec la matrice extracellulaire, dans laquelle elles sont capables de se faufiler en se déformant. La migration amiboïde est parfois subdivisée en migration dite « blebby » (formation de « bulles membranaires », observée chez les macrophages par exemple) et une migration amiboïde protrusive pseudopodiale (extensions membranaires) plus intermédiaire dans le spectre (observée chez les leucocytes par exemple) (Friedl and Wolf, 2003, 2010; Yoshida and Soldati, 2006) .
La migration mésenchymateuse est le mode de migration le plus commun, elle englobe un grand nombre de types cellulaires, dont les fibroblastes représentent l’exemple le plus classique. Ces cellules présentent en général une morphologie plus allongée et polarisée, établissent des adhésions avec leur substrat et migrent à des vitesses assez faibles. Une grande variabilité phénotypique, dépendante du contexte de migration, est observée au sein de cette catégorie .
La migration en chaîne, intermédiaire entre migration individuelle et collective, concerne les cellules qui suivent une voie commune de migration et y établissent transitoirement des contacts avec leurs voisines .
La migration collective est quant à elle caractérisée par le mouvement coordonné d’un ensemble de cellules maintenues entre elles par des jonctions intercellulaires. Les cellules se déplacent en une unité cohésive qui peut prendre des formes variées: monocouches ou multicouches en nappes ou colonnes en deux dimensions. En trois dimensions, les multicouches peuvent s’organiser de manière plus complexe, avec une lumière interne qui définit une polarité apico-basale lors de la formation de glandes par exemple. Une migration collective efficace implique une forte cohésion entre cellules, médiée par les jonctions adhérentes cellule-cellule. A l’avant, on distingue des cellules « meneuses » caractérisées par une forte activité protrusive et adhérente pour guider les cellules « suiveuses » en arrière. Cette organisation conduit à un mouvement coordonné et polarisé de l’ensemble des cellules (Friedl, 2004) . Par souci de simplification, on se focalisera pour la suite du propos sur la migration individuelle.
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