ETUDE DE L’HYDROPHOBIE DE PETITS PEPTIDES FLUORES
Etat de l’art sur les méthodes de mesure de l’hydrophobie des aminoacides et des peptides
Partage entre deux phases liquides Le partage entre deux phases liquides non miscibles est la méthode la plus communément employée pour mesurer l’hydrophobie d’une molécule. Généralement, il s’agit d’étudier la partition d’un composé entre l’eau et un solvant organique non miscible (très souvent l’octanol) et de mesurer les concentrations du produit dans les deux phases après agitation du mélange. Cette mesure mène alors à la détermination d’un indice, le logP (coefficient de partage) ou le logD (coefficient de distribution) dont les valeurs reflètent l’hydrophobie du composé. Ces dernières sont le rapport des concentrations des solutés étudiés en phase organique sur leur concentration en phase aqueuse (Équation 1). 𝑙𝑜𝑔𝑃𝑜𝑐𝑡/𝑒𝑎𝑢 = log ( (𝑠𝑜𝑙𝑢𝑡é)𝑜𝑐𝑡𝑎𝑛𝑜𝑙 (𝑠𝑜𝑙𝑢𝑡é)𝑒𝑎𝑢 𝑛𝑜𝑛 𝑖𝑜𝑛𝑖𝑠é ) 𝑙𝑜𝑔𝐷𝑜𝑐𝑡/𝑒𝑎𝑢 = log ( (𝑠𝑜𝑙𝑢𝑡é)𝑜𝑐𝑡𝑎𝑛𝑜𝑙 (𝑠𝑜𝑙𝑢𝑡é)𝑒𝑎𝑢 𝑛𝑜𝑛 𝑖𝑜𝑛𝑖𝑠é + (𝑠𝑜𝑙𝑢𝑡é)𝑒𝑎𝑢 𝑛𝑒𝑢𝑡𝑟𝑒) Équation 1 : Calculs des logP et logD Le logP n’est valable que pour un composé non ionisé et représente le logarithme du rapport de la concentration du soluté étudié dans l’octanol sur sa concentration dans l’eau après partage. Le logD est l’équivalent du logP, pour un composé ionisable. Ainsi, il est généralement donné pour un pH donné, où le soluté étudié est présent en phase aqueuse sous ses deux formes ionisée et non ionisée, dont les proportions dépendent du pKa des fonctions concernées. Il représente donc le logarithme du rapport de la concentration du soluté non ionisé dans l’octanol sur la somme des concentrations dans l’eau du composé sous sa forme neutre et sous sa forme non ionisée. La valeur du logP d’un composé est un critère important en chimie médicinale pour apprécier s’il possède la capacité à devenir un bon médicament. En effet, il permet notamment de prédire si le composé pourra interagir facilement avec les membranes et les traverser ou combien de temps il restera dans l’organisme sous forme active. Ainsi, si le logP est positif et très élevé, la molécule considérée est plus soluble dans l’octanol que dans l’eau ce qui reflète son caractère hydrophobe. Typiquement, pour un médicament, le logP représente sa capacité à être absorbé par le corps humain : Absorption orale : 1,8 Pénétration dans le cerveau : 2,0 Absorption percutanée : 2,6 Absorption sub-linguale : 5,5 Une grande majorité des échelles qui découlent de ce principe de partage liquide-liquide implique l’utilisation de divers solvants organiques choisis pour mimer l’intérieur d’une protéine et l’eau. Néanmoins, le problème souvent rencontré est que la plupart de ces solvants sont partiellement solubles dans l’eau ce qui ne permet pas d’obtenir des valeurs représentant réellement l’hydrophobie. La première échelle majeure d’hydrophobie répertoriée et qui est la plus citée est sans aucun doute celle mise en place par Nozaki et Tanford en 1971.132 Leur théorie repose sur l’observation de la capacité de certains solvants organiques à dénaturer une protéine. En effet, si, en présence d’un solvant organique, les parties d’une protéine présente dans l’eau et jusqu’alors repliées à l’ « intérieur » s’exposent au solvant et interagissent plus facilement avec lui, celui-ci dénaturera la protéine. Pour expliquer ce phénomène, les auteurs mesurent la solubilité de divers aminoacides dans deux solvants organiques : l’éthanol et le dioxane à des pourcentages de 0 % à 100 % en proportion par rapport à l’eau. De ces mesures ont été calculées les énergies libres de transfert Δft de l’eau vers le solvant de quelques aminoacides d’après l’équation suivante (Équation 2). ∆𝑓𝑡 = 𝜇𝑖 0 − 𝜇𝑖,𝑒𝑎𝑢 0 = 𝑅𝑇𝑙𝑛 ( 𝑁𝑖,𝑒𝑎𝑢 𝑁𝑖 ) + 𝑅𝑇𝑙𝑛( 𝛾𝑖,𝑒𝑎𝑢 𝛾𝑖 ) Chapitre III : Étude de l’Hydrophobie de Petits Peptides Fluorés 136 Équation 2 : Calcul des énergies de transfert des aminoacides de l’eau vers un solvant organique où 𝜇𝑖,𝑒𝑎𝑢 0 et 𝜇𝑖 0 sont les potentiels chimiques standards dans l’eau et dans le solvant de transfert du soluté i étudié. 𝑁𝑖,𝑒𝑎𝑢 et 𝑁𝑖 sont les solubilités du produit i dans l’eau et le solvant de transfert et 𝛾𝑖,𝑒𝑎𝑢 et 𝛾𝑖 sont les coefficients d’activité à saturation du produit i dans l’eau ou le solvant de transfert Cette grandeur représente donc la variation du potentiel chimique des aminoacides étudiés en passant d’un solvant organique (éthanol ou dioxane) à l’eau. Le Tableau 10 résume les mesures effectuées par les auteurs ainsi que d’autres extraites de la littérature en classant les aminoacides étudiés en fonction des énergies de transfert calculées.
Partage entre une phase stationnaire et une phase liquide : utilisation de la chromatographie liquide en phase inverse (RP-HPLC)
L’intérêt que représente la HPLC et plus particulièrement la RP-HPLC pour Reverse Phase High Performance Liquid Chromatography, comme méthode d’étude de l’hydrophobie de petits peptides réside dans la nature apolaire de la phase stationnaire utilisée. Le principe de cette méthode repose sur la mesure des temps de rétention, plus ou moins importants, des molécules étudiées, en l’occurrence des peptides, sur cette phase stationnaire.. Hodges et al. 138 expliquent que ces phases représentent mieux les systèmes biologiques que les solvants organiques et sont de bons mimes de membranes biologiques. Ainsi, les interactions des chaînes latérales avec ces phases peuvent bien refléter les interactions présentes entre chaînes latérales apolaires d’aminoacides au sein de peptides. Le plus souvent, ces techniques chromatographiques sont appliquées à l’étude de l’hydrophobie de petits peptides de moins de 15 résidus afin d’éviter la formation de structures secondaires comme les hélices α ou les feuillets β qui peuvent avoir un impact important et délétère sur la rétention.134 Individuellement, les aminoacides libres sont rarement utilisés et des dérivatisations sont souvent nécessaires pour pouvoir les employer dans ce type d’étude par RPLC à cause de leur manque d’affinité pour les phases apolaires inverses dû à la présence de charges terminales
Prémices de l’utilisation de la HPLC pour la mesure de l’hydrophobie de peptides naturels
Meek est le premier à avoir montré l’intérêt de la RPLC pour la mesure de l’hydrophobie de peptides. 139 Ce dernier se base sur la capacité des phases stationnaires apolaires C18 à séparer des peptides contenus dans des mélanges et permettre leur purification. Pour son étude, il utilise un gradient eau/acétonitrile tamponné à deux pH (pH 2,1 et pH 7,4) et dont les proportions s’étendent de 0% à 100% d’acétonitrile, pour éluer un mélange de 26 peptides naturels de tailles et compositions en aminoacides différentes. La Figure 41 représente le chromatogramme obtenu à pH 2,1. 138 Hodges, R. S.; Zhu, B.-Y.; Zhou, N. E.; Mant, C. T. J. Chromatogr. A 1994, 676, 3-15. 139 Meek, J. L. Proc. Natl. Acad. Sci. 1980, 77, 1632-1636. Chapitre III : Étude de l’Hydrophobie de Petits Peptides Fluorés 140 Figure 41 : Chromatogramme de l’élution du mélange de 26 peptides à pH 2,1 139 Il remarque alors que les peptides de courte taille et neutres sont les moins retenus par la colonne et sont élués en premier (triglycine, pentaalanine). Les petits peptides incorporant des aminoacides à chaînes latérales hydrophobes (triphénylalanine) ainsi que les peptides de taille supérieurs nécessitent une proportion en acétonitrile dans la phase mobile plus importante pour être élués. Des temps de rétention obtenus pour ces peptides, il déduit alors par régressions informatiques répétitives, la contribution de chaque aminoacide sur la rétention des peptides étudiés. Le Graphe 2 suivant corrèle ainsi les temps de rétention mesurés aux sommes respectives des temps de rétention de chaque aminoacide des chaînes peptidiques, obtenus par calcul. Il remarque ainsi que ceux-ci corrèlent parfaitement.