Étude de l’extension des cœurs convectifs par la
sismologie des étoiles sous-géantes
La problématique de la taille des cœurs convectifs
Nous allons dans ce chapitre nous intéresser d’abord aux propriétés des processus de transport dans les cœurs, puis voir comment leurs limites sont classiquement définies. Ensuite, nous étudierons quels phénomènes peuvent étendre ces cœurs au delà des ces limites et comment nous pouvons les contraindre observationnellement.
Les méchanismes de transport à l’intérieur des cœurs
On peut distinguer les cœurs des étoiles en deux catégories, selon le mécanisme de transport de l’énergie. On trouve ainsi des cœurs dits radiatifs, au sein desquels l’énergie est transportée par le rayonnement, et des cœurs dit convectifs où les mouvements de fluide sont en partie responsables du transport de l’énergie. Ces processus sont les principaux moyens de transport d’énergie dans les étoiles. Dans le premier cas, ce sont les photons qui vont transporter l’énergie. La matière stellaire étant, en dehors de l’atmosphère, très opaque, leur libre parcours moyen (∼ 2 cm d’après Kippenhahn et al. 2012) est extrêmement petit par rapport au rayon de l’étoile. Le transport par rayonnement est donc généralement modélisé comme un processus diffusif. On en déduit le gradient de température dans un cas de transport uniquement radiatif : ∇rad ≡ ∂ ln T ∂ ln P ! rad = 3 64πσG κLrP mT4 (1.1) où σ est la constante de Stefan-Boltzmann, G la constante de gravité universelle, κ l’opacité moyenne de Rosseland, Lr la luminosité au rayon considéré, P la pression, m la masse contenue dans la sphère au rayon considéré et T la température. L’autre mécanisme, la convection, repose sur des mouvements de fluide instables, entraînés par la poussée d’Archimède. Ces mouvements représentent un mécanisme de transport efficace dans les régions profondes de l’étoile. Dans le cœur et dans les enveloppes stellaires, le temps de retournement est considérablement plus court que celui de la diffusion thermique : les mouvements convectifs établissent une stratification adiabatique (Biermann, 1932). On définit alors, classiquement, ∇ad ≡ (∂ ln T/∂ ln P)ad le gradient adiabatique, qui représente le changement en température lors d’une contraction adiabatique. Ce gradient, défini par l’équation d’état de la matière, représente donc la stratification en température dans les zones convectives. On peut noter que cela n’est pas entièrement vrai dans les zones les plus superficielles de l’étoile (e.g., Maeder 2009, chap. 5.4), principalement à cause de 15 1. La problématique de la taille des cœurs convectifs l’ionisation partielle en hélium et hydrogène qui provoque une forte hausse de l’opacité et donc une augmentation de la diffusivité thermique.
La théorie de la longueur de mélange
Dans les étoiles, les mouvements de fluide sont hautement turbulents : un rapide calcul montre ainsi des valeurs typiques du nombre de Reynolds de l’ordre de 1016. Or la turbulence représente, encore à l’heure actuelle, un des problèmes non résolus majeurs de la mécanique des fluides (e.g., Rieutord 1997). En conséquence, celle-ci doit être modélisée de façon approchée si l’on veut comprendre les caractéristiques des zones convectives. En physique stellaire, l’approche la plus communément utilisée est celle de la théorie de la longueur de mélange (MLT) qui a été initialement proposée par Prandtl (1925) puis adaptée à la question stellaire par Biermann (1932). Cependant, le formalisme communément utilisé, et que nous allons développer dans la suite, est celui développé par Böhm-Vitense (1958). Cette approche modélise la convection de la façon suivante : un élément de fluide, avec un excès de température DT par rapport à son environnement, monte du fait de la poussée d’Archimède sur une distance lm appelée longueur de mélange avant de se mélanger à son environnement. On note ∇ ≡ ∂ ln T/∂ ln P le gradient de température de l’environnement, et ∇B ce même gradient, mais à l’intérieur de l’élément de fluide. On peut donc calculer son évolution radiale comme : ∂(DT) ∂r = − T Hp (∇B − ∇) (1.2) avec Hp = −dr/d ln P l’échelle de hauteur de pression. De plus, selon l’hypothèse de longueur de mélange, cet élément de fluide voyage sur une longueur lm, on peut donc dire qu’en moyenne, les éléments se trouvant à un rayon r ont parcouru lm/2. On en déduit alors la valeur moyenne de DT : hDTi T = lm 2Hp (∇ − ∇B) (1.3) Si on définit δ = −∂ ln ρ/∂ ln T à pression constante, ρ étant la densité, alors on en déduit la variation de densité hDρi/ρ = −δhDTi/T. On prend hDPi = 0 car l’élément de fluide est à la même pression que son environnement, la vitesse de convection étant généralement sub-sonique dans les étoiles de séquence principale. De plus, on néglige les variations de composition (i.e. hDµi = 0), le mélange convectif étant estimé efficace et donc la région homogène. On déduit de hDρi le travail Wconv exercé par la poussée d’Archimède. Chaque élément de fluide se trouve au rayon r ayant parcouru en moyenne lm/2, on en déduit : Wconv = gδ(∇ − ∇B) l 2 m 8Hp (1.4) 16 1. La problématique de la taille des cœurs convectifs avec g la gravité au rayon r. En théorie de longueur de mélange, on estime qu’environ la moitié du travail est transformé en énergie cinétique. On en déduit alors la vitesse du fluide v : v 2 = gδ(∇ − ∇B) lm 8Hp (1.5) Maintenant que l’on connaît la vitesse du fluide, on peut en déduire le flux d’énergie convectif : Fconv = ρvcpDT = ρcpT q gδ l 2 m 4 √ 2 H −3/2 p (∇ − ∇B) 3/2 (1.6) avec cp la capacité thermique massique à pression constante. À noter que, hors régions superficielles de l’étoile, l’évolution de la température à l’intérieur de l’élément de fluide est adiabatique. On a en conséquence ∇B = ∇ad.
Les limites de la MLT
On peut déduire des équations ci-dessus que la théorie de longueur de mélange est une théorie locale, c’est-à-dire que les caractéristiques d’un élément de fluide ne dépendent que des conditions au rayon r auquel il se trouve. Or, cela représente une première limite de cette théorie : un élément de fluide traverse un milieu stratifié, et ses caractéristiques propres dépendent donc de celui-ci. De plus, la MLT, simpliste, ne prend pas en compte toutes les caractéristiques du fluide. Notamment, la multiplicité des tailles et énergies des tourbillons turbulents (Kolmogorov, 1941) est ignorée, ce qui peut fortement sous-estimer l’efficacité du mélange. Canuto & Mazzitelli (1991), dans un modèle prenant en compte un spectre de Kolmogorov, trouvent un flux convectif plus de 10 fois supérieur aux valeurs prévues par la MLT. En outre, ignorer la non-localité de la convection amène à mal estimer les frontières des zones convectives : ce point sera développé dans la Section 1.2.2 et est à l’origine de la question centrale de cette thèse. Enfin, la longueur de mélange lm est un paramètre libre. Celui-ci est alors souvent paramétré de la façon suivante : lm = αMLTHp, (1.7) αMLT étant choisi ad-hoc. Ce dernier a notamment un impact important sur la détermination du rayon d’un modèle d’étoile avec enveloppe convective. En effet, un αMLT élevé assure un transport plus efficace (voir Eq. 1.6), réduisant de ce fait l’épaisseur de l’enveloppe et donc le rayon de l’étoile. Si une calibration sur le Soleil est en conséquence aisée, il est difficile de pouvoir assurer qu’une valeur similaire soit compatible avec des étoiles aux caractéristiques ou stade évolutif différents (e.g., Tayar et al. 2017). L’utilisation de simulations numériques des zones les plus superficielles de l’étoile représente cependant une possibilité de calibrer ce paramètre pour des étoiles aux caractéristiques variées (Magic et al., 2015; Trampedach et al., 2014).
I. Introduction |