Etude de l’émission cathodique sous vide en présence d’un champ électrique intense
Généralités sur le courant noir
Le courant noir peut se décomposer en plusieurs parties. On pourra considérer d’une part l’émission primaire et d’autre part l’émission secondaire [1], [2]. Lors de l’application d’un champ électrique suffisamment élevé, la cathode commence à émettre des électrons, ce qu’on appelle l’émission primaire ou l’émission par effet de champ. Ces électrons émis vont, sous l’action du champ électrique, bombarder l’anode. De cet impact résulte une émission d’ions et d’atomes neutres. Les atomes neutres peuvent être à leur tour ionisés par des électrons se déplaçant dans l’espace inter-électrodes. Les ions positifs résultants se déplacent alors et viendront frapper la cathode. Sous l’action de ce bombardement, celle-ci pourra émettre de nouveau des électrons. On appelle cette émission, l’émission secondaire ou l’émission par l’impact de la cathode par les ions positifs. Le cycle continue pour former le courant noir.
L’émission primaire
Extraire un électron d’un métal nécessite le franchissement d’une barrière de potentiel dont la hauteur à température nulle correspond au travail de sortie (φ sur la Figure 1). Dans un métal, à température nulle, les électrons d’un métal occupent des niveaux d’énergie jusqu’à un niveau d’énergie maximal appelé niveau de Fermi (le travail de sortie sera la différence entre le niveau de Fermi et le niveau du vide). Cependant si le métal est excité thermiquement, les électrons gagnent une énergie suffisante pour occuper des énergies supérieures. Si ce gain en énergie est supérieur au travail de sortie du métal, les électrons peuvent quitter le matériau même en absence de champ électrique élevé: il s’agit de l’émission thermoïonique. Si le champ applique est très intense (de l’ordre de quelques gigavolts par mètre), la barrière de potentiel est considérablement abaissée et amincie et les électrons peuvent alors passer directement du métal vers le vide, même à température faible. Ceci est décrit sur la Figure 1. Dans ce cas l’émission se fait par effet tunnel à travers la barrière. Ainsi plus le champ est intense, plus la barrière est fine et abaissée et donc plus la probabilité qu’un électron traverse la barrière est élevée. Pour résumer, l’existence d’un champ électrique suffisamment élevé permettra une émission primaire des électrons de la cathode en particulier sur les sites de la cathode où le champ électrique sera le plus important. Vide φ e e e e e e e e e Cathode Distance Energie Niveau de Fermi Sans Champ φ e e e e e e e e e Cathode Distance Energie Niveau de Fermi Avec Champ e Effet Tunnel Vide Cathode Anode e e e e Vide Figure 1. Abaissement de la barrière de potentiel par effet de champ électrique
L’émission secondaire
Les électrons émis par l’émission primaire s’accélèrent vers l’anode et comme la plupart d’entre eux ne subissent pas de collisions lors de leur trajet vers l’anode, ils gagnent lors de leur parcours une énergie proportionnelle à la tension totale appliquée entre les deux électrodes. Lors du bombardement de l’anode une émission d’ions et de particules neutres va pouvoir se produire. Une partie des neutres sera également ionisée. D’une façon générale, les ions positifs seront à leur tour accélérés vers la cathode et la bombarderont. Ce bombardement aura plusieurs conséquences : il contribuera au chauffage local de la cathode, à la déformation de la surface et à l’émission électronique, soit en arrachant des électrons de la surface lors de l’impact, soit, avant l’impact par transitions résonnantes et émission de type Auger. L’ensemble des phénomènes est schématiquement représenté sur la (Figure 2). Anode Cathode e _ e _ e _ + + – + _ (1) Émission par effet de champ (2) Désorption des ions et molécules (3) Ionisation par impact électronique par bombardement électronique (4) Emission secondaire des électrons accélération Figure 2. Emission secondaire et tertiaire par bombardement [1]. (1)Emission primaire de courant noir, (2) désorption des ions et des molécules par bombardement d’électrons, (3) ionisation par impact d’électrons, (4) Emission secondaire des électrons Tous ces processus dépendent de nombreux paramètres tels que l’énergie cinétique des électrons arrivant sur l’anode, celle des ions positifs accélérés en retour vers la cathode, les matériaux d’électrode (rendement d’électrons secondaires à la cathode et taux de pulvérisation d’ions à l’anode). Il est prévu que si le gain dépasse l’unité, une augmentation rapide du courant noir se produit conduisant à un claquage. A champ électrique moyen constant entre les deux électrodes, l’intensité du courant émis dépendra donc de la distance inter-électrodes.
Les principaux modèles d’émission électronique
C’est Wood en 1897 qui donna le premier une description du phénomène d’émission électronique dans le cas d’électrodes « froides » placées dans le vide. Les premiers travaux concernant la théorie de l’émission électronique (froide) furent effectués en 1923 [4] alors que la théorie des bandes décrivant la structure électronique d’un métal, n’existait pas encore. L’émission électronique fut alors interprétée en termes d’abaissement de la barrière de potentiel, ceci a bien sûr conduit à une forte surestimation du champ électrique nécessaire à l’émission d’un courant donné. Le développement de la mécanique quantique a permis ensuite d’expliquer des phénomènes liés par exemple à l’effet tunnel (qu’il s’agisse de l’émission de particule alpha, de l’ionisation de l’hydrogène atomique ou de l’émission électronique d’un métal [5], [6]). Ainsi, en 1928, un modèle théorique décrivant l’émission électronique par effet de champ a été proposé par Fowler et Nordheim. En quelques années, deux expressions furent établies selon la forme de l’énergie potentielle électronique devant le métal. Dans un premier cas la barrière de potentiel a été considérée comme étant de forme « triangulaire ». Cathode Distance Energie Niveau de Fermi Effet de champ avec la force d’image Cathode Distance Energie Niveau de Fermi Effet de champ sans la force d’image e Effet Tunnel Vide Figure 3. Effet de la force d’image sur la barrière de potentiel Une forme plus réaliste de cette barrière tenant compte de la force image est présentée sur la Figure 3. L’introduction de la force image dans le développement théorique sera discutée plus loin.
Description du calcul proposé par Fowler-Nordheim
Dans le cas de l’émission électronique d’un métal, le modèle proposé considère le métal comme un gaz d’électrons libres régi par la distribution de Fermi – Dirac. En quelques années, deux expressions donnant la densité de courant émise par un métal soumis à un champ électrique furent établies selon la forme de l’énergie potentielle électronique devant le métal. Dans un premier cas [5] la barrière de potentiel a été considérée comme étant de forme « triangulaire » (voir Figure 4) et résultant donc de l’unique existence d’un champ électrique constant en surface de l’électrode. Le métal quant à lui est un puits de potentiel « plat » dont les propriétés électroniques sont décrites par le modèle classique de Sommerfeld. Distance à la surface Energie potrentielle électronique Métal Vide Figure 4. Exemple de forme de barrière de potentielle utilisée dans [5] : barrière « triangulaire » Dans ces conditions l’expression trouvée pour la densité de courant émise est donnée par la formule (1) : ቌ ቍ (1) Où F est le champ électrique local au niveau de la surface et φ est le travail de sortie du métal considéré. Les deux constantes A et B sont calculées à partir des expressions suivantes [7] : ሺ ሻ (2) Où e est la charge d’un électron, me est la masse de l’électron et hp est la constante de Planck. Une amélioration a été proposée [6] en considérant que la barrière de potentiel devant la surface résulte de l’addition de l’action du champ électrique et du potentiel de force image et prend ainsi l’expression suivante : ሺ ሻ (3) Où z est la distance à l’électrode, F est le champ électrique local (le plus souvent supposé constant), q est la charge élémentaire et est la constante électrique. Un exemple d’énergie potentielle « vue » par l’électron est donné sur la Figure 5. Une approximation de type BWKJ (Brillouin Wentzel Kramers et Jeffreys) permet dans ce cas d’obtenir l’expression suivante pour la densité de courant émise (en A/m²): ሺ ሻ ቌ ሺ ሻቍ (4) Où la variable y est égale à Δφ/φ où Δφ est l’abaissement de la barrière de potentiel ainsi, √ où t et v sont des intégrales elliptiques. Métal Surface du métal Energie potentielle de l’électron (eV) Distance de la surface de l’électrode (angströms) z Figure 5. Exemple de forme de barrière de potentielle dans le cas classique où la barrière résulte de deux contributions : énergie potentielle liée au champ électrique et potentiel image On peut noter que jusqu’en 1953 [8] une erreur dans l’article de Nordheim concernant l’expression de la fonction v n’avait pas été détectée. Plusieurs expressions ont été proposées [9] et nous proposons ici l’approximation précise récemment proposée par Forbes [10] : ሺ ሻ ሺ ሻ ሺ ሻ [ ሺ ሻ] (5) Figure 6. Evolution de t et v en fonction du champ pour un travail de sortie de 4,5 eV Sur la Figure 6 nous avons représenté pour un travail de sortie de 4,5 eV les deux fonctions t et v en fonction du champ électrique (ici noté E).
Renforcement local du champ
Dans la pratique la présence de rugosités en surface de l’électrode engendre un renforcement local du champ électrique moyen. Ainsi il est important de donner quelques explications sur la façon dont on traduit généralement ce renforcement. Définitions : – Dans une géométrie plan / plan le champ électrique macroscopique FM est donné par : où d est la distance entre les deux plans et V est la tension appliquée. – Le champ local Floc est le champ à proximité (quelques nanomètres à quelques dizaines de nanomètres) de la surface et qui détermine la forme de la barrière de potentiel. Ce champ peut être très différent du champ macroscopique et notamment significativement supérieur. Pour quantifier cette différence plusieurs propositions ont été faites : – Une première méthode consiste à comparer le champ local à la tension V appliquée entre les deux électrodes . On écrit ainsi : (6) L’avantage d’une telle formulation est qu’il n’y a pas besoin de déterminer ce qu’est le champ macroscopique, notion qui n’est pas facile à définir dans les géométries générant un champ électrique fortement inhomogène (pointe / plan). L’inconvénient est que dans ce cas a une dimension (m -1) et est fonction non seulement de la rugosité à l’échelle « microscopique » mais aussi de la géométrie des électrodes à l’échelle macroscopique, du support des électrodes, bref de tout l’ensemble… Une seconde méthode consiste à comparer le champ local au champ macroscopique. On écrit alors : ȕ = Floc / FM. Cette formulation est bien plus pratique que la précédente dans le cas d’un champ homogène mais dans le cas du Chapitre IV (configuration pointe / plan), il sera utile de définir avec précision ce que nous avons appelé champ macroscopique. Parmi les représentations les plus courantes des « micro-protrusions », on peut distinguer les quatre présentées sur la Figure 7. Dans certains cas des expressions exactes ont pu être obtenues pour . Par exemple dans le cas d’une demi-sphère (a) de la Figure 7, =3. Pour les formes (b) et (c) la formule suivante a longtemps été utilisée [12] : ȕ = m + L / ρ où est le rayon à la base de la rugosité et m est une constante qui dépend de la façon dont on a considéré la hauteur L. Des calculs numériques ont cependant montré que cela conduisait à une surestimation du facteur d’accroissement du champ dès lors que le facteur d’aspect ( ⁄ ) devenait important. Un résumé sommaire des formules proposées ces dernières années et issues de « fit » de calculs numériques pour les géométries (c) et (d), c’est à dire une demisphère « posée » sur un cylindre et une demi-ellipse, est proposé. Ces formules sont extraites de Forbes et al.
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