Étude de la sensibilité aux antibiotiques et aux peptides antimicrobiens humains de Legionella pneumophila
Mécanismes d’action des antibiotiques et résistance
Mécanismes d’action des antibiotiques
La rifampicine agit en se fixant au niveau d’une poche de la sous-unité β de l’ARN polymérase bactérienne, codée par le gène rpoB. Cette interaction bloque la synthèse de la deuxième ou de la troisième liaison phosphodiester des transcrits, inhibant ainsi l’élongation de la molécule d’ARN (Campbell et al. 2001). Les fluoroquinolones inhibent quant à elles l’activité de l’ADN gyrase et de la topoisomérase IV, deux topoisomérases de type II essentielles à la synthèse de l’ADN bactérien. Ces enzymes sont impliquées dans le superenroulement négatif de l’ADN en catalysant le clivage d’un segment d’ADN doublebrin, nommé segment G (pour gate) afin de permettre le passage d’un second segment d’ADN double-brin, nommé segment T (pour transport), au travers du fragment G (Figure 8). Figure 8. Schéma du mécanisme d’action des topoisomérases de type II (Cozzarelli et al. 2006). (1) La topoisomérase de type II (en rouge et jaune) se fixe au segment d’ADN G (bleu foncé) et eu segment T (bleu clair), (2) Deux molécules d’ATP sont hydrolysées, puis le domaine ATPase (en jaune) se ferme, (3) Le segment G est clivé and le segment T est transporté de la première cavité à la seconde cavité à travers le segment G, (4) Le fragment T est libéré au niveau du domaine C. L’ADN gyrase et la topoisomérase IV sont des hétérotétramères de deux sous-unités différentes. L’ADN gyrase est constituée de deux sous-unités GyrA et de deux sous-unité GyrB codées par les gènes gyrA et gyrB, respectivement ; tandis que la topoisomérase IV est consituée de deux sous-unités ParC et de deux sous-unité ParE codées par les gènes parC et parE, respectivement (Hawkey 2003). Les fluoroquinolones se fixent au complexe ADN/topoisomérase de type II et induisent un changement de conformation de l’enzyme, prévenant la re-ligation du segment d’ADN clivé. Cette action inhibe la réplication de l’ADN Etude bibliographique : Legionella pneumophila 44 et confère une activité bactéricide aux fluoroquinolones (Hawkey 2003). De leur côté, les macrolides inhibent la synthèse protéique en se fixant à l’ARN ribosomal (ARNr) 23S, formant avec l’ARNr 5S et 34 protéines ribosomales (nommées L1 à L34) la sous-unité 50S du ribosome bactérien. En se fixant au niveau du tunnel de cheminement du peptide en cours de formation, les macrolides bloquent l’élongation des peptides par encombrement stérique, entrainant alors la libération du peptidyl-ARNt et l’arrêt de la traduction (Tenson et al. 2003).
Mécanismes de résistance aux antibiotiques
Malgré une prise en charge précoce et l’administration d’un traitement adapté, des échecs thérapeutiques sont régulièrement rapportés (Tan et al. 2001; O’Reilly et al. 2005; Dominguez et al. 2009). Selon une hypothèse actuellement envisagée, ce phénomène pourrait être lié à la présence de résistances aux antibiotiques non détectées du fait de la rareté de la réalisation d’antibiogrammes. Cette théorie est appuyée d’une part par la facilité de sélection de souches résistantes in vitro (Dowling et al. 1984; Nielsen et al. 2000; Almahmoud et al. 2009), et d’autre part par la récente description de la première souche de Legionella résistante aux fluoroquinolones (isolée d’un patient atteint de légionellose traité par ciprofloxacine) et de la détection in vivo par NGS (New Generation Sequencing) de la sélection de deux mutations associées à la résistance aux fluoroquinolones chez deux patients au cours du traitement par fluoroquinolones (Bruin et al. 2014; Shadoud et al. 2015). Les mécanismes de résistance aux antibiotiques de Legionella sont à ce jour encore peu documentés. Certains d’entre eux ont néanmoins été décrits grâce à la caractérisation de mutants résistants à la rifampicine, aux fluoroquinolones ou aux macrolides sélectionnés in vitro (Nielsen et al. 2000; Almahmoud et al. 2009; Descours et al. 2016; Massip et al. soumis en 2016). Chez Legionella, la résistance à la rifampicine peut être acquise suite à l’apparition de mutations dans le gène rpoB codant pour la sous-unité β de l’ARN polymérase. Nielsen et al. ont en effet identifié 6 types de mutations ponctuelles capables d’accroitre entre 200 et 16 000 fois la concentration minimale inhibitrice (CMI) de la rifampicine (Nielsen et al. 2000). De manière analogue, la résistance de L. pneumophila à la moxifloxacine peut être multipliée par 512 suite à l’apparition de mutations par substitutions dans les gènes gyrA, gyrB et parC codant la topoisomérase II (Almahmoud et al. 2009). Les auteurs ont montré que l’augmentation progressive de la résistance est liée à un ordre précis dans l’apparition de ces mutations : la substitution T83I dans GyrA est systématiquement la première à apparaitre, suivie par les substitutions G78D ou S80R dans ParC, puis par la substitution D87N dans GyrA, ou par les substitutions S464Y ou D426N dans GyrB (Almahmoud et al. 2009). De même, la résistance de L. pneumophila à l’érythromycine et à l’azithromycine peut être multipliée par 4096 grâce à l’apparition de mutations dans les gènes codant l’ARNr 23S (rrl) avec ou non des mutations dans les protéines ribosomales L4 (rplD) et L22 (rplV). Isolément, les mutations affectant les protéines L4 et L22 conduisent à un bas niveau de résistance aux macrolides Etude bibliographique : Legionella pneumophila 45 (CMI des mutants 32 fois plus élevée que la CMI de la souche parentale sensible). Les mutations affectant l’ARNr 23S conférent à L. pneumophila un haut niveau de résistance aux macrolides, variable selon la position de la mutation, du type de substitution et du nombre de copies mutées (CMI des mutants 2048 à 4096 fois plus élevée que la CMI de la souche parentale sensible) (Descours et al. 2016). La stratégie de séquençage du génome des mutants résistants aux macrolides utilisée pour identifier ces différentes mutations a par ailleurs permis de détecter chez certains clones résistants à l’azithromycine des substitutions supplémentaires dans la région promotrice des gènes lpeA et lpeB (Massip et al. soumis en 2016). Les travaux de Massip et al. ont montré que ces deux gènes codent pour des composants d’une pompe à efflux impliquée dans la résistance aux macrolides de L. pneumophila. L’exposition aux macrolides induit une surexpression des protéines LpeAB, associée à une sensibilité réduite aux macrolides indépendamment de l’apparition de mutations (Massip et al. soumis en 2016). Chez les mutants résistants à l’azithromycine, la présence des substitutions en amont des gènes lpeAB induit une augmentation de l’expression protéique, sans toutefois modifier le niveau de résistance aux macrolides. D’après les auteurs, la pompe à efflux comprenant LpeA et LpeB constituerait un mécanisme de résistance auxiliaire de bas niveau.
Etude de la sensibilité de Legionella aux antibiotiques
L’activité des antibiotiques sur Legionella peut être évaluée par différentes méthodes extracellulaires : x La méthode de dilution en milieu liquide consiste à inoculer la souche à tester dans une gamme de dilution d’antibiotique réalisée en milieu de culture liquide (BYE) en tube ou en microplaque. Après 48 heures d’incubation, la CMI est identifiée comme la plus petite concentration d’antibiotique pour laquelle aucune croissance bactérienne n’est observée. x La méthode de dilution en milieu solide consiste à incorporer une concentration donnée d’antibiotique dans un milieu (BCYE) gélosé coulé en boite de Petri. La surface de la gélose est ensuite ensemencée sous forme de spot avec les souches à tester. Après 48 à 96 heures d’incubation, la CMI de chaque souche est identifiée par l’inhibition de la croissance sur le milieu contenant la plus petite concentration d’antibiotique. x La méthode de diffusion consiste à déposer des disques de papiers imprégnés d’antibiotiques sur milieu gélosé préalablement ensemencée avec la souche à étudier. L’antibiotique diffuse dans la gélose, créant ainsi un gradient de concentration autour du disque. Après 48 à 96 heures d’incubation, le diamètre d’inhibition est mesuré et comparé à celui d’une souche sensible. Cette technique fournit des résultats qualitatifs et est utilisée pour le dépistage des résistances de haut niveau. Etude bibliographique : Legionella pneumophila 46 x La méthode du E-test® consiste à déposer une bandelette imprégnée d’un gradient continu d’antibiotique sur un milieu gélosé préalablement ensemencé avec la souche à étudier. Après 48 à 96 heures d’incubation, la CMI se lit directement sur la bandelette graduée à l’intersection entre l’ellipse d’inhibition et la bandelette. A ce jour, il n’existe aucune méthode standardisée pour évaluer la sensibilité de Legionella. Les seuils épidémiologiques de sensibilité n’ont été décrits que pour la méthode utilisant un milieu solide au charbon qui adsorbe les antibiotiques (Bruin et al. 2011). I.3 Cycle de vie intracellulaire Lors d’une infection, les bactéries sont ingérées par les cellules phagocytaires et se retrouvent piégées dans une vacuole prise en charge par le système endolysosomale. Les bactéries sont alors digérées dans un phagolysosome, un compartiment acide contenant diverses enzymes hydrolytiques (Scott et al. 2003). Les bactéries à mode de vie intracellulaire se sont adaptées afin d’éviter cette dégradation. L’infection par L. pneumophila débute par l’adhésion et l’internalisation de la bactérie par la cellule hôte (Figure 9). Figure 9. Cycle infectieux de Legionella pneumophila. L. pneumophila est internalisée par la celluleshôte eucaryote dans un phagosome. Les bactéries virulentes bloquent la voie de maturation du phagosome et injectent des effecteurs via leur système de sécrétion de type 4 (TSS4) pour créer une vacuole de réplication (LCV). L. pneumophila recrute rapidement des mitochondries et des vésicules de réticulum endoplasmique (ER) à la surface de sa LCV, puis des ribosomes avant d’entamer sa réplication. Une fois les ressources de la cellule hôte épuisées, les bactéries lyse leur LCV et la cellule pour être libérées dans le milieu extracellulaire afin d’infecter les cellules avoisinantes. Etude bibliographique : Legionella pneumophila 47 Dès les premières minutes de contact, la bactérie injecte toute une gamme de protéines bactériennes dans le cytoplasme de son hôte via son système de sécrétion de type IV (SST4) Dot/Icm (Defect in organelle trafficking/Intracellular multiplcation). Grâce à cette action, Legionella échappe à la voie endosomale et entame la confection d’une niche de réplication dans sa vacuole, aussi appelée « Legionella-containing vacuole » (LCV). La LCV se recouvre alors de petites vésicules de réticulum endoplasmique (RE), de mitochondries et de ribosomes (Figure 10) (Horwitz 1983; Tilney et al. 2001). Lorsque les ressources de l’hôte sont épuisées, les bactéries lysent la LCV puis la cellule pour être libérées dans le milieu extracellulaire, où elles sont libres d’infecter les cellules avoisinantes (Hubber & Roy 2010). Pour s’adapter à ce changement d’environnement, Legionella adopte un mode de vie biphasique alternant entre une phase réplicative intracellulaire et une phase transmissive virulente. Figure 10. Recrutement des vésicules de réticulum endoplasmique (RE) et de mitochondries sur la LCV (Tilney et al. 2001 ; Horwitz 1983). (A) La photo de microscopie électronique a été réalisée après 15 min d’infection de macrophages par L. pneumophila. Le cliché montre une légionelle dans un phagosome, entouré de vésicules de RE. Les flèches indiquent la présence de ribosomes attachés aux vésicules de RE. (B) La photo de microscopie électronique a été réalisée après 1hd’infection de monocytes par L. pneumophila. Le cliché montre une légionelle dans un phagosome entouré de vésicules et de 5 mitochondries (flèches). La partie suivante expose les connaissances actuelles relatives au SST4 Dot/Icm de L. pneumophila, de ses effecteurs et de leurs rôles dans chaque étape du cycle infectieux de la bactérie.
Le système de sécrétion Dot/Icm et les effecteurs bactériens
Le système de sécrétion de type IV Dot/Icm tient un rôle central dans la virulence de L. pneumophila. Tout au long de l’infection, il permet la translocation d’environ 300 protéines bactériennes différentes, aussi connues sous le nom d’effecteurs ou de substrats du SST4. L’échappement à la voie endosomale et la réplication intracellulaire des légionelles dépendent entièrement du SST4, codé par 27 gènes dot/icm exprimés constitutivement (Marra et al. 1992; Berger et al. 1994; Segal & Shuman 1997; Vogel et al. 1998). La mutation de la plupart de ces gènes entraine une incapacité à recruter les vésicules de RE autour de la LCV et aboutit à l’acquisition de marqueurs de la voie endosomale (Sadowsky et al. 1993; VanRheenen et al. 2004). Etude bibliographique : Legionella pneumophila
Structure du système de sécrétion Dot/Icm
A ce jour, l’organisation du SST4 n’est que partiellement élucidée (Figure 11) et la fonction de certaines protéines qui le composent reste à déterminer. Les protéines Dot/Icm peuvent néanmoins être divisées en différentes classes (Isberg et al. 2009) : Figure 11. Schéma du système de sécrétion de type IV Dot/Icm de Legionella pneumophila (Schaik et al. 2013). x Les protéines du core transmembranaire : DotC, DotD, DotF, DotG et DotH Le core du système de sécrétion de type IV Dot/Icm est formé par les protéines DotC, DotD et DotH situées dans la membrane externe, et par les protéines DotF et DotG localisées dans la membrane interne (Vincent et al. 2006; Schaik et al. 2013). Ces composants forment une structure transmembranaire circulaire, observée par microscopie électronique par Kubori et al. (Figure 12A) (Kubori et al. 2014). L’observation microscopique de cette structure chez une souche sauvage et chez des souches mutantes ΔdotG et ΔdotF a permis d’identifier l’organisation spatiale de chaque protéine du core du SST4 Dot/Icm. D’après les auteurs, la protéine DotG formerait le pore central du SST4, traversant à la fois la membrane interne et la membrane externe. Le core apparait alors sous forme d’une structure circulaire d’environ 40 nm de diamètre contenant un pore d’environ 8 nm (Figure 12B, wild-type), les protéines DotC, DotD et DotH étant indispensables à la formation du core. Le core formé chez un mutant ΔdotG présente un pore plus large (Figure 12B, ΔdotG) et ne permet pas la translocation des effecteurs bactériens. Le mutant ΔdotF produit quant à lui 2 types de cores contenant ou non la protéine DotG (Figure 12B, ΔdotF), et présente un défaut partiel de translocation des effecteurs. Les travaux de Kubori et al. suggèrent donc que DotG forme le Etude bibliographique : Legionella pneumophila 49 pore central du SST4 et que DotF, bien que non essentiel, guide l’implantation de la protéine DotG et permet de stabiliser l’ensemble de la structure (Kubori et al. 2014).
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