Etude de la sécrétion régulée par microscopie de
fluorescence à excitation par onde évanescente
La sécrétion régulée
Importance physiologique
La sécrétion régulée, c’est-à-dire déclenchée par un stimulus, est un mécanisme primordial à la base de toute communication intercellulaire au sein d’un organisme pluricellulaire. Elle consiste en une libération contrôlée par des cellules spécialisées de substances messagères à destination de cellules cibles. Ces substances contenues dans la cellule sécrétrice doivent traverser la membrane cellulaire : cela est accompli au moyen d’organites spécialisés appelés vésicules de sécrétion, également délimités par une membrane et contenant les substances à libérer. En réponse à un signal physiologique, ces vésicules de sécrétion viennent fusionner avec la membrane plasmique et libérer leur contenu à l’extérieur de la cellule. Figure 1 : Vue d’artiste d’une synapse. Dans le cerveau, les neurones échangent de l’information en acheminant des vésicules, transportées le long de microtubules (des «rails») jusqu’aux synapses, les espaces entre les neurones. Sur l’illustration, le bouton synaptique mesure environ un dixième de micromètre de largeur. Extrait de (Galli et Paumet 2002). 17 Ce mécanisme, également appelé exocytose (du grec exo « hors de » et kutos « cellule ») régulée, intervient dans la sécrétion des neurotransmetteurs et des hormones. Dans le premier cas, les neurotransmetteurs contenus dans des vésicules synaptiques (VS) sont libérés par un neurone pré-synaptique dans la fente synaptique et permettent la propagation de l’influx nerveux, en venant se fixer sur des récepteurs spécifiques situés à la membrane du neurone post-synaptique (Figure 1). Les hormones, contenues quant à elles dans des granules à cœur dense ou granules de sécrétion (GS), sont libérées dans la circulation sanguine par des cellules neuroendocrines et remplissent une grande variété de fonctions physiologiques en agissant à longue portée. Contrairement à la transmission synaptique chimique qui a lieu sur des échelles spatiales et temporelles très réduites (quelques centaines de nanomètres entre les deux neurones et un délai de quelques millisecondes), la sécrétion hormonale met en jeu des distances entre cellules émettrices et réceptrices pouvant atteindre plusieurs mètres et des délais d’action variant de la seconde à plusieurs jours. Malgré ces différences, la libération de neurotransmetteurs et la sécrétion hormonale sont basés sur les mêmes mécanismes moléculaires. De nombreuses protéines impliquées dans ces mécanismes ont été identifiées au cours des deux dernières décennies. Les interactions entre ces protéines et la façon dont une élévation de la concentration intracellulaire en calcium, [Ca2+]i , provoque l’exocytose des VS ou des GS sont connues dans leurs grandes lignes, mais de nombreux aspects des processus impliqués restent encore à éclaircir.
Le cycle de sécrétion
De nombreuses études ont utilisé des méthodes électriques (voir I.3.1) pour suivre la réponse sécrétrice de neurones ou de différentes cellules neuroendocrines. Ces méthodes ainsi que des données biochimiques et morphologiques ont permis de converger vers un modèle appelé « cycle de sécrétion » (Sudhof 1995 ; Sudhof 2004) dans lequel les VS ou les GS jouent un rôle central. Ce modèle séquentiel comporte plusieurs étapes depuis la formation de ces organites jusqu’à leur fusion et leur recyclage éventuel au niveau de la membrane cellulaire. Nous allons décrire brièvement ces étapes dans le cas particulier des GS (Figure 2) (pour une revue voir (Burgoyne et Morgan 2003)). Notons que notre figure ne comporte pas l’étape d’amorçage (priming) car, comme nous allons le voir, cette étape n’est pas encore clairement délimitée. 18 Figure 2 : Les différentes étapes du cycle de sécrétion. Les GS sont formés par bourgeonnement à partir du réseau trans-golgien. Au cours de leur maturation, les GS sont transportés jusqu’à la périphérie de la cellule. L’accrochage avec la membrane plasmique se déroule alors en deux étapes : l’accostage qui établit un premier lien physique (lâche) entre le GS et la membrane cellulaire ; l’arrimage qui établit un lien plus fort en prélude à la fusion. L’influx de calcium provoque la fusion du GS avec la membrane plasmique et la libération des hormones dans le milieu extracellulaire. Le GS peut alors soit fusionner complètement avec la membrane plasmique, soit se refermer après avoir libéré au moins une partie de son contenu. Enfin, le recyclage du GS se déroule, probablement différemment suivant qu’il a subi une fusion complète ou partielle. Schéma adapté de ((Sudhof 1995)).
Biogénèse et maturation des GS
La biogénèse des GS débute, au niveau de la membrane du réseau trans-golgien, par une accumulation locale de protéines destinées à se retrouver au sein de GS, comme par exemple la chromogranine B. Un granule, dit immature, se forme alors par bourgeonnement à partir du réseau trans-golgien (Tooze, Martens et al. 2001). Ce granule subit ensuite une phase de maturation où il se remplit en hormones telles les monoamines (adrénaline, sérotonine, …), en molécules d’ATP, d’acide ascorbique et en ions Ca2+. Ce remplissage se fait grâce à des transporteurs spécifiques situés sur la membrane granulaire qui accumulent dans le GS les hormones partiellement synthétisées dans le cytoplasme (Henry, Sagne et al. 1998). Enfin, la maturation implique un processus de condensation du contenu des granules. A terme, l’intérieur des granules est ainsi constitué d’une matrice à cœur protéique extrêmement compact. Les protéines constituant cette matrice, en particulier les chromogranines A et B dans les GS des cellules chromaffines, assurent la chélation des éléments accumulés à haute concentration au sein des granules (monoamines, Ca2+,…), permettant ainsi de maintenir l’équilibre osmotique à l’intérieur des granules (Kopell et Westhead 1982 ; Videen, Mezger et al. 1992).
Migration des GS vers la membrane plasmique
Afin de subir l’exocytose au niveau de la membrane cellulaire, les GS sont transportés depuis le réseau trans-golgien jusqu’à la périphérie de la cellule et une partie des GS est retenue dans la zone juxta-membranaire. Ces processus de transport et de rétention des GS en périphérie font intervenir respectivement le réseau de microtubules (Neco, Giner et al. 2003) et de filaments d’actine (Rudolf, Salm et al. 2001), ce dernier étant particulièrement dense en périphérie de la cellule (Nakata et Hirokawa 1992). Le transport des GS se produit alors que ceux-ci semblent encore immatures (Rudolf, Salm et al. 2001), la maturation se produisant alors dans le cortex d’actine.
Accrochage des GS à la membrane plasmique
Le terme anglais docking possède des sens qui diffèrent selon les auteurs. Une première traduction possible est « accrochage » : les vésicules accrochées (docked) sont traditionnellement définies comme les vésicules qui apparaissent accolées à la membrane plasmique sur les clichés de microscopie électronique. Cette définition est donc morphologique. L’accrochage à la membrane peut être décomposé en deux étapes successives. Suivant les auteurs, elles sont nommées tethering et docking (Jahn, Lang et al. 2003; Ungermann et Langosch 2005) ou docking et priming (Sudhof 1995 ; Sudhof 2004) d’où une certaine confusion. Nous les désignerons en français par les termes « marins » d’accostage et d’arrimage. L’accostage correspond à l’établissement du premier lien physique entre le GS et la membrane cellulaire. Ce lien est encore lâche et constitue une première étape dans la reconnaissance entre le GS et la membrane cible. Un lien plus fort est ensuite établi entre la membrane et le GS, en prélude à la fusion : c’est l’arrimage. Ces deux dernières définitions impliquent donc des supports moléculaires de nature différente ou arrangés différemment. Cependant, les acteurs impliqués dans l’accostage et l’arrimage ne sont pas encore complètement identifiés. Parmi les candidats possibles, les protéines SNARE, également impliquées dans la fusion, pourraient intervenir dans ces deux étapes (voir I.1.2.5). Les petites protéines G à activité GTPasique de la famille Rab semblent également jouer un rôle important dans l’accostage. Ces protéines existent sous deux formes : d’une part une forme liée au GDP et inactive, d’autre part une forme liée au GTP, active et associée aux membranes (Takai, Sasaki et al. 2001 ; Zerial et McBride 2001). Ainsi, certaines de ces protéines Rab, présentes sous leur conformation active à la surface des GS, pourraient réguler le recrutement d’effecteurs permettant de lier ces GS à la membrane plasmique.
INTRODUCTION |