Étude de la ressource en éponge Dactylospongia
metachromia pour une production durable
DISTRIBUTION ET MORPHOLOGIE DE L’ESPÈCE
Distribution
La distribution géographique dans l’océan Pacifique de Dactylospongia metachromia s’étend de l’Indonésie à la Polynésie française. Cette éponge inter-tropicale est également retrouvée aux îles Cook, Salomon, Palaos, à Taiwan, au Japon et dans l’archipel des îles Hawaii (Figure 1). Les biotopes mentionnés sont variables au sein d’une même région : à Hawaii, l’éponge a ainsi été trouvée à la fois dans les eaux relativement préservées de la petite île de Lana’i (environ 3 000 habitants) et à proximité immédiate du littoral de l’île la plus peuplée de O’ahu (plus de 980 000 habitants) (Hagiwara et al., 2016). La profondeur des spécimens récoltés, lorsqu’elle est renseignée, s’étend de 3 à près de 80 m sous la surface (de Laubenfels, 1954 ; Kobayashi et al., 1989). Dans les archipels de Polynésie française, de nombreuses observations ont été réalisées au cours de notre suivi, ce qui nous a permis de fournir des caractères intéressants liés à la morphologie et à la distribution in situ de l’espèce pour ces zones insulaires. Figure 1. Cartographie de la distribution de l’éponge Dactylospongia metachromia. Établie d’après les données et références disponibles sur les bases de données WoRMS et World Porifera Database et étoffée par de la littérature scientifique. En Polynésie française, cette éponge semble favoriser les zones hydrodynamiques aux eaux non soumises à l’influence d’effluents d’eau douce, comme dans les îles hautes où elle n’est pas observée (i.e. ruissellement, embouchures de rivière). En effet, elle a uniquement été aperçue sur l’atoll de Tetiaroa pour l’archipel de la Société, tandis qu’elle se manifeste en abondance dans la plupart des atolls des Tuamotu jusqu’aux îles Gambier. On l’y trouve préférentiellement exposée sur la barrière récifale, parmi les roches coralliennes détritiques, bien qu’elle ait également été observée à l’intérieur de certains lagons figurant des récifs affleurants comme Raroia et Makemo (Debitus et al., 2019). Des spécimens ont été rencontrés de 10 à plus de 65 m de profondeur, pouvant atteindre plus de 1 m de long pour les plus grands individus observés.
Aspect macroscopique
Sa morphologie est variable, y compris à échelle géographique réduite comme ce que l’on peut observer dans l’archipel des Tuamotu que nous ciblerons dans cette étude. Dans le lagon de Raroia, elle se présente davantage sous une forme sphérique assez ferme. À Rangiroa, c’est une espèce plutôt massive et digitée avec de nombreuses crêtes qui est visible sur la barrière récifale. Dactylospongia metachromia y recouvre différents substrats, allant des coraux vivants aux roches détritiques colonisées par les algues calcaires. Toujours sur Rangiroa, mais cette fois à l’intérieur même de la passe de Tiputa, nous avons également pu constater la présence de véritables tapis de cette éponge à l’aspect cette fois très encroûtant (Photo 2). Dans cette zone, où la courantologie est nettement plus marquée qu’aux abords extérieurs des passes, ces populations s’étalent sur plusieurs centaines de mètres en l’absence d’autres espèces sessiles benthiques majoritaires comme les coraux toujours dominants Pocillopora verrucosa, Pocillopora eydouxi et Acropora rotumana (Montaggioni et al., 1985). Nous avons enfin constaté au cours de nos plongées la relative résilience de l’espèce sur plusieurs mois lorsqu’elle se trouve placée sur un fond lagonaire sablo-limoneux. De même, cette éponge semble bien s’acclimater lorsqu’elle évolue sur des supports artificiels anciens, tels que des parpaings mis en place dans le lagon ou d’anciens fils de pêche immergés retrouvés colonisés sur la barrière corallienne. Photo 2. Tapis de Dactylospongia metachromia découverts dans la passe de Tiputa (intervalle de profondeur estimé entre 15 et 25 m de fond). ©Mathilde MASLIN (UPF, UMR 241 – EIO) La coloration du pinacoderme varie du vert foncé lorsque l’éponge se trouve exposée sur le récif au jaune vif lorsqu’on la retrouve à l’abri dans les crevasses, loin de l’influence des courants violents comme c’est le cas aux latitudes plus australes des îles Gambier (Maslin et al., 2021). La présence d’éponges à l’intérieur de crevasses peut résulter d’une tentative de protection contre les effets directs de la lumière, voire contre une occupation de l’espace hautement compétitive face aux organismes photosynthétiques comme les algues (Rützler, 1969 ; Ginn et al., 2000). Lors des essais aquacoles, une variation de couleur était parfois également remarquée. Il est à noter que le choanosome de Dactylospongia metachromia devient violet lorsque l’éponge est endommagée ou coupée. En outre, les individus affectés par un encrassement biologique important ou dont le pinacoderme se trouvait endommagé par endroits présentaient souvent une surface beaucoup plus jaune que les explants intacts restés vert olive (Photo 3). Tous se trouvant placées à la même profondeur, aucun effet d’altération directe de la couleur du derme par une variation d’exposition aux rayons UV ne peut être présumé, la photoprotection ayant toutefois déjà été citée comme explication potentielle au phénomène (McClintock et al., 2005). Photo 3. Variation de couleur du pinacoderme retrouvé jaune chez des individus cultivés à Rangiroa et présentant un aspect encrassé ou dégradé. I. 3. Composition du squelette Dactylospongia metachromia est principalement constituée de spongine, un type modifié de scléroprotéine de collagène sécrété par des cellules mésenchymateuses appelées « spongioblastes » (Ehrlich et al., 2007). De petits « conules » ou protubérances de moins d’1 mm hérissent le pinacoderme de manière aléatoire (Photo 4). Photo 4. Détail du pinacoderme de Dactylospongia metachromia figurant les oscules sommitaux et de nombreuses conules. ©Mathilde MASLIN (UPF, UMR 241 – EIO) Dans le cadre de notre étude, le choanosome de l’éponge a pu être examiné sur des spécimens de diverses régions du monde, mais également de différentes îles des Tuamotu (Makemo, Tematangi, Raroia, Rangiroa). Il est partout composé de fibres de couleur ambre ramifiées et densément assemblées en un réseau d’aspect homogène, confortant de précédentes observations (Hooper, 2014). Des images de ces structures tronquées ont pour la première fois pu être obtenues au microscope électronique à balayage (MEB), révélant leur aspect gainé et stratifié (Photo 5). Leur diamètre ainsi calculé a démontré la présence de réseaux primaires et secondaires interconnectés et difficilement distinguable comme cela a également été rapporté pour d’autres Thorectidae du genre Smenospongia (de Cook & Bergquist, 2002). Le diamètre maximal des fibres primaires peut atteindre près de 0.1 mm, tandis que les structures secondaires les plus fines ne dépassent pas les 15 µm de diamètre (Annexe 1). Le squelette présente également de grandes cavités sphériques (ou « lacunes ») directement recouvertes de pinacoderme. Ces interstices sont souvent remplis de débris sédimentaires, que l’on retrouve parfois également à l’intérieur des fibres primaires. Photo 5. Détails du réseau de fibres de spongine de spécimens de Dactylospongia metachromia collectés à Rangiroa. Observation au microscope optique (A, modèle Leica DM5500 B équipé avec un appareil photo Leica DFC320) et au microscope électronique à balayage (B, modèle JEOL JSM-6480LV). Ces caractéristiques squelettiques font de cette éponge une espèce ferme et peu compressible. D’un point de vue de mise en aquaculture, il s’agit de spécificités idéales pour la manutention qui viennent s’ajouter au fait que Dactylospongia metachromia soit dépourvue de spicules coupants et reste également très peu déformable.
PHYLOGÉNIE
La taxonomie des spongiaires étant reconnue comme difficilement appréhendable en raison de l’absence de traits hautement spécifiques (Van Soest et al., 2012), des analyses barcoding de spécimens de Dactylospongia metachromia provenant de Polynésie française ont été effectués lors d’un séjour au Naturalis Biodiversity Center de Leiden (Pays-Bas). Les rapprochements au sein de la famille des Thorectidae ont concerné d’autres éponges issues des collections privées du musée, dont certaines avaient précédemment été identifiées comme appartenant au même genre Dactylospongia, voire à la même espèce mais issues de localités géographiquement différentes. La liste des échantillons employés pour le genre Dactylospongia, figurant également leur localisation, est disponible en Annexe 2. Les espèces de Thorectidae affichées dans les arbres phylogénétiques qui n’appartiennent pas aux échantillons de la liste ont été récupérées par leurs identifiants dans la base de données de séquences GenBank® (National Institutes of Health, www.ncbi.nlm.nih.gov/genbank/). Des numéros d’accession ont également été fournis pour nos propres échantillons suite à leur implémentation dans cette plate-forme bioinformatique afin de contribuer à l’enrichir.
Matériels et Méthodes
Les échantillons d’éponges ont été découpés en très petits morceaux (< 0.5mm3 ) contenant uniquement du chanosome afin d’éviter une trop forte contamination avec les bactéries du pinacoderme. Les découpes furent ensuite placées dans des vials de 2 mL remplis d’éthanol à 96 %. L’extraction de l’ADN s’est effectuée manuellement via l’emploi du kit DNeasy® des laboratoires QIAGEN (Qiagen Blood and Tissues Kit 250) en suivant les recommandations du fabriquant. La sous-unité ribosomique 28S et la sous-unité I du gène mitochondrial du cytochrome oxydase (COI) ont été utilisées pour extraire l’ADN (Chombard et al., 1998 ; Meyer et al., 2005). Si la première est très courante et plus largement employée chez les spongiaires, la seconde permet une meilleure détection des variations intraspécifiques. Ces fragments ont été amplifiés à l’aide des amorces suivantes : – pour 28S : 28S-C2-fwd (5′-GAAAAGAACTTTGRARAGAGAGT-3′) et 28S-D2-rev (5′- TCCGTGTTTCAAGACGGG-3′) – pour COI : dgLCO1490 (5′-GGTCAACAAATCATAAAGAYATYGG-3’) et dgHCO2198 (5’-TAAACTTCAGGGTGACCAAARAAYCA-3’) Les paramètres d’amplification sur un total de 40 cycles étaient les suivants : dénaturation initiale à 98 °C pendant 30 s, dénaturation à 98 °C pendant 10 s, appariement à 55 °C (COI) ou 52.5 °C (28S) pendant 10 s, première extension à 72°C pendant 15 s et extension finale à 72 °C pendant 5 min. Le rendement du produit de PCR a été vérifié à l’aide de gels d’agarose (96.2 %) prêts-à-l’emploi (kits E-Gel® d’Invitrogen™). Les produits de PCR ont été envoyés à la société BaseClear B.V. (Leiden, Pays-Bas) pour un séquençage direct et inverse en utilisant les mêmes amorces que celles employées pour l’amplification par PCR. Les séquences de nucléotides ont été éditées et analysées grâce au logiciel Geneious Prime (version 19.2.3). Les blocs de séquence continue ont été débarrassés des portions se référant aux amorces et leur alignement a été effectué à l’aide du programme MAFFT (version 7.017) (Katoh et al., 2002). Les arbres phylogénétiques obtenus à l’issue ont été construits à l’aide des programmes informatiques MrBayes (Huelsenbeck et al., 2001) et PhyML 3.0 (Guindon et al., 2010). II. 2. Résultats et Discussion La Figure 2 ci-dessous nous renseigne sur les affinités génétiques retournées après l’emploi du marqueur COI. La qualité de l’ADN n’ayant pas toujours été jugée exploitable, des retraits d’échantillons ont dû être effectués par rapport au marqueur 28S présenté ci-après. Le degré de qualité des séquences post-extraction est représenté par la longueur des barres relatives à chaque taxon représenté. On constate notamment une absence de clivage entre tous les spécimens de Dactylospongia metachromia investigués, ceci peu importe leurs caractéristiques spécifiques. Le plus fort degré de parenté génétique illustré concerne une autre espèce du même genre, Dactylospongia elegans. Les deux taxa non identifiés, notés sp., appartiennent ainsi probablement à l’une ou l’autre des deux espèces selon l’endroit où ils ressortent parmi les sous-groupe. Aussi, l’arbre renvoie une forte proximité avec le genre Smenospongia, qui est susceptible de présenter un faciès étonnamment similaire à Dactylospongia metachromia pour certaines localités, laissant dès lors planer le doute sur l’identification exacte de l’une ou de l’autre (Photo 6). Ces résultats nous permettent entre autres d’asseoir la preuve d’une bonne identification de l’espèce utilisée pour ces travaux de thèse.
LISTE DES FIGURES |