Les tôles courbes sont de plus en plus fréquemment utilisées dans le domaine des ouvrages d’art tant pour raisons esthétiques que pour leurs performances mécaniques et aérodynamiques. On les trouve essentiellement en intrados des ponts à tablier orthotrope, par exemple dans le pont Charles de Gaulle à Paris ou le pont Renault sur l’île Séguin à Boulogne-Billancourt, etc (c.f les figures). Pour le dimensionnement de tels panneaux, l’ingénieur cherche habituellement le meilleur compromis entre l’économie du projet (en jouant sur l’épaisseur et le nombre de raidisseurs) et la sécurité de celui-ci. Ces éléments pouvant être fortement comprimés en particulier au niveau des appuis, il devra vérifier qu’aucun phénomène d’instabilité n’apparaît ou du moins que ses effets sont limités.
Cependant, la vérification de leur stabilité s’avère ardue notamment en raison de l’absence de normes dédiées à l’étude de ce phénomène pour les tôles courbes. En effet, les normes actuelles, notamment les Eurocodes qui sont en vigueur de France depuis plusieurs années, ne sont pas applicables directement aux tôles courbes. A titre d’illustration, l’Eurocode 3 (relatif aux calculs de structures métalliques) possède deux parties qui évoquent le phénomène : – L’EN 1993-1-5 [3] qui ne traite que des plaques planes ou quasi-planes. La note 4 de la clause 1.1 (2) indique que « les plaques simples peuvent être considérées comme planes lorsque le rayon de courbure R satisfait : R > b²/t » où b et t sont respectivement la largeur et l’épaisseur du panneau. Il faut noter ici que la norme anglaise (BS5400 [33]) est plus sévère et fixe cette valeur limite à R > 2b²/t.
– L’EN 1993-1-6 [4] qui ne concerne que les coques de révolution. La clause 1.1 indique que « les panneaux cylindriques, coniques et sphériques ne sont pas explicitement couverts par la présente Partie 1.6 ».
Les panneaux courbes visés par ce travail sont donc situés entre ces deux cas limites et ne peuvent donc être traités directement par l’une ou l’autre partie de l’Eurocode comme l’illustre le cas du pont Confluences sur la Maine à Angers (France), qui est construit pour accueillir principalement le tramway.
Il s’agit d’un pont en arc à tablier intermédiaire de 293 m de long, dont 149 m suspendus. La section transversale de l’ouvrage est un caisson de quatre cellules de largeur constante. Les âmes (longerons) sont verticales. La largeur entre âmes de la cellule est de 5 m. La géométrie de l’intrados est un arc de cercle de rayon de 80 m qui contribue à l’aspect en « aile d’avion » de la structure. Cette forme permet d’avoir un écoulement plus lisse du vent, et par conséquent une portance moins importante sur la structure. Les tôles de fond sont constituées d’une tôle d’épaisseur variable de 12 mm à mi-travée à 20 mm sur appui. Ces caractéristiques géométriques donnent un ratio variant de b²/Rt = 15, 6 à 26, 1 qui est bien situé en dehors du domaine d’application de l’EN 1993-1-5 (l’EN 1993-1-6 n’étant pas non plus applicable car il ne s’agit pas de cylindres de révolution complet).
Les calculs d’exécution de la charpente métallique de ce pont ont été menés par le Département des Ouvrages d’Art de la SNCF, qui a donc été confronté au problème de vide normatif sur le sujet. La solution retenue a été un calcul par éléments finis non linéaire de chaque panneau relativement fastidieux, d’où la volonté d’IGOA (Département des Ouvrages d’Art de la SNCF) de vouloir lancer un travail de recherche sur ce sujet.
Du côté des mécaniciens, les publications académiques relatives aux panneaux courbes ne sont pas non plus nombreuses en comparaison de celles consacrées aux plaques planes ou aux coques de révolution. De plus, la plupart de ces travaux a été menée dans le domaine aéronautique ou celui de la construction navale et très peu dans le domaine des ouvrages d’art. Cela est dû à l’utilisation très tardive dans ce domaine de plaques et de tôles courbes raidies. La nécessité de maîtriser la conception des plaques raidies a été ressentie après plusieurs effondrements d’ouvrages dans les années 70 (Akesson [ ˙ 8]). Les types et les configurations des tôles utilisées dans ces domaines sont assez différentes. En effet, en aéronautique, les tôles sont très minces et très courbées (faible valeur du rayon de courbure) ; elles sont donc limitées à la charge critique de voilement. Aussi, comme les tôles sont notamment en matériaux composites, le mode de ruine est souvent lié à la connexion par rivetage de la tôle de fond et des raidisseurs (différents de la connexion). Dans le domaine de la construction navale, les tôles sont très épaisses de sorte que la ruine est souvent dominée par la plastification des sections avant l’apparition de voilement. Par ailleurs, le mode de chargement est aussi différent notamment à cause de la pression de l’eau. Les théories développées pour l’aéronautique et la construction navale ne sont pas tout à fait applicables aux ouvrages d’art.
En résumé, on constate qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, une expression de la charge ultime des panneaux cylindriques satisfaisante tant pour l’ingénieur que pour le théoricien. Le recours à la modélisation devient alors nécessaire. Le développement d’ordinateurs performants et de méthodes numériques efficaces ces dernières décennies permet aujourd’hui de calculer ces structures de coque, quelle que soit la complexité de leur géométrie. Cependant, la prise en compte de la complexité géométrique de la structure s’avère couteuse en temps de calcul, en particulier lorsqu’une analyse non linéaire est requise. En outre, bien souvent, la qualité et la précision des résultats vont dépendre de l’expérience de l’utilisateur. Zhang et Khan [161] ont d’ailleurs constaté dans leur étude que la différence entre les résultats numériques obtenus par différents utilisateurs pouvait atteindre 15% à 20% pour un même modèle éléments finis avec les mêmes conditions aux limites et les mêmes imperfections initiales.
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