Etude de la nature des rayons cosmiques d’ultra haute énergie

Les réseaux de détecteurs au sol

Une première méthode consiste à évaluer le nombre de particules secondaires de la gerbe qui atteignent le sol. Plus l’énergie de la particule initiale est grande, plus la surface de la gerbe au niveau du sol est étendue. Une gerbe de 1016 eV va avoir une extension au sol de quelques centaines de mètres alors qu’à 1020 eV elle peut atteindre plusieurs kilomètres de diamètre (cette extension dépend également de l’angle d’incidence du rayon cosmique). Il est donc impossible d’observer toutes les particules d’une même gerbe dans un seul et même détecteur. On échantillonne alors le nombre de particules secondaires en répartissant un grand nombre de détecteurs suivant un réseau. Les caractéristiques du réseau dépendent principalement de l’énergie que l’on veut étudier :
plus l’énergie est grande, plus la surface de la gerbe, au niveau du sol, est importante. On choisit donc l’espacement des détecteurs en fonction de l’énergie que l’on veut étudier;
plus l’énergie est grande, plus le flux est faible. Il faut donc couvrir une plus grande surface de détecteurs pour les observer;
il ne faut pas que les particules de la gerbe soient absorbées avant leur arrivée au sol. On choisit donc l’altitude du site de manière à optimiser le nombre de particules au sol pour l’énergie que l’on veut étudier.
On s’intéresse généralement aux particules secondaires les plus nombreuses dans les gerbes : photons γ, électrons/positons et muons. Le pouvoir de pénétration de ces différentes particules permettent d’étudier séparément les composantes de la gerbe. Pour n’étudier que les particules chargées, on utilise des scintillateurs. Pour ne voir que la partie muonique, on se sert de ces mêmes scintillateurs en les couvrant d’un bouclier de plomb, l’épaisseur du bouclier fixant le seuil minimal en énergie des muons. Enfin, on utilise l’effet Cerenkov, généralement dans l’eau, des particules chargées pour voir les composantes muoniques et électromagnétiques des gerbes (les photons étant également visibles par les électrons qu’ils créent (création de paires) en traversant l’eau).

Les détecteurs de fluorescence

Lorsque les particules de la gerbe traversent l’atmosphère, elles excitent les molécules de diazote de l’air.
L’émission spontanée du diazote se faisant de façon isotrope (fluorescence de l’azote), on peut observer le développement de la gerbe en détectant les photons ultra violets émis. L’installation se compose d’une série de petits télescopes surveillant différentes régions du ciel, analogues aux facettes d’un œil de mouche, d’où le nom Fly’s Eyes donné au premier détecteur de ce type. Deux télescopes peuvent être installés à quelques kilomètres l’un de l’autre pour permettre une observation stéréoscopique.
L’axe de développement de la gerbe donne une information sur la direction d’arrivée du cosmique. L’intensité de la fluorescence, fonction du nombre de particules dans la gerbe, lui même fonction de l’énergie du primaire, va permettre d’estimer l’énergie du cosmique. Enfin, la nature du rayon cosmique est identifiée par la position dans le ciel du maximum de développement (altitude où le nombre de particules est maximum). En effet, un noyau lourd atteint son maximum plus tôt et donc plus haut qu’un noyau léger de même énergie et de même incidence, qui atteint lui même plus haut son maximum de développement qu’un photon.
Cette méthode a comme désavantage d’être très sensible aux variations atmosphériques (nuages, dépression…) et d’avoir un cycle utile de fonctionnement relativement faible (10% du temps). En effet, l’observation n’est possible que par nuit de beau temps en l’absence de Lune.
Cette méthode ouvre aujourd’hui de nouvelles voies de développement pour la détection des rayons cosmiques. Notamment l’expérience EUSO qui va tenter de détecter les gerbes atmosphériques depuis un satellite en orbite.

Les télescopes Cerenkov

La lumière Cerenkov est émise dans l’atmosphère par les particules chargées dont la vitesse est supérieure à celle de la lumière dans l’air. L’indice de l’air variant avec la densité de l’air, les seuils d’émission et l’angle θ du cône de lumière varient avec l’altitude. Au niveau de la mer, θ est de l’ordre du degré et les seuils en énergie sont de 22 MeV pour les électrons/positons et de 4,5 GeV pour les muons. Une gerbe de particules va émettre cette lumière tout au long de son développement dans des directions proches de son axe. Elle va ainsi éclairer le sol sur une zone de plusieurs dizaines de mètres (la taille dépendant de l’énergie du primaire).
Un ou plusieurs télescopes situés dans cette zone concentrent la lumière captée par leur miroir dans le plan focal où sont placés des photo-détecteurs. Cette technique est particulièrement adaptée à l’étude des gerbes engendrées par des photons γ de haute énergie (E > 1010 eV). Il existe deux approches différentes pour étudier les gerbes électromagnétiques :
L’imagerie : L’image de la gerbe en lumière Cerenkov est formée dans le plan focal d’un grand miroir et est analysée par une caméra de haute définition, constituée de nombreux photomultiplicateurs. La forme en « épi » caractéristique d’une gerbe de photon est un bon facteur de rejet des gerbes hadroniques. Une étude stéréoscopique améliore nettement ce rejet mais également l’analyse des gerbes elle-même. Aujourd’hui l’expérience HESS, installée en Namibie, utilise cette technique afin d’étudier les photons cosmiques de 100 GeV à 10 TeV, provenant des restes de supernovæ et de sources galactiques.
Échantillonnage spatio-temporel du front lumineux : De nombreuses stations balisent une surface plus grande que celle de la tache Cerenkov. On mesure avec précision les temps d’arrivée du signal lumineux pour reconstituer le front d’onde Cerenkov. Cette technique permet d’atteindre les énergies les plus basses dans ce domaine (autour de quelques dizaines de GeV). A ces énergies, les gerbes hadroniques émettent beaucoup moins de lumière Cerenkov que les gerbes électromagnétiques. De plus, la distribution de photons au sol fournit des critères supplémentaires pour rejeter les événements hadroniques.
L’expérience CELESTE , utilisant cette technique, récupéra les héliostats d’une ancienne centrale solaire comme balises au sol. La lumière qu’ils recevaient, était réfléchie vers une tour centrale qui enregistrait séparément les signaux grâce à des photomultiplicateurs.

Une nouvelle astronomie : les neutrinos

En ce qui concerne l’astronomie neutrino, le défi est double puisqu’à un faible flux, comparable à celui des photons γ, se combine la difficulté de détection des neutrinos due à leur très faible section efficace (de 10−11 à 10−9 barns pour des énergies comprises entre le TeV et le PeV). La détection « directe » des neutrinos étant impossible, on cherche à détecter soit le muon qu’il peut engendrer (cas des neutrinos muoniques), soit la gerbe qu’il peut générer (cas d’un neutrino tau) :
L’étude d’un neutrino muonique νµ se fait donc par la détection du muon qu’il va produire en traversant la matière. Pour que cette interaction ait lieu, il faut que le neutrino traverse une grande quantité de matière (du fait de sa section efficace très faible). On va donc chercher à détecter des muons de haute énergie qui sembleraient provenir de la Terre. L’étude de ces muons dits « ascendants » permet également de se débarrasser du principal bruit de fond : les muons secondaires provenant des gerbes atmosphériques quise forment au dessus du détecteur. Reste alors comme bruit de fond à basse énergie, les muons générés par les neutrinos des gerbes atmosphériques qui se sont développées de l’autre coté de la Terre. Un télescope à neutrinos consiste en une série de lignes immergées en eau profonde ou dans la glace sur lesquelles sont fixées des modules optiques (photo-multiplicateurs et électronique) regardant vers le bas. Ces derniers vont enregistrer la lumière Cerenkov émise par le muon lors de son passage. La trajectoire reconstruite du muon permet alors d’estimer la direction de provenance du neutrino incident. Son énergie est estimée en à partir de la quantité de lumière Cerenkov enregistée par photo-multiplicateurs.
Le choix de la profondeur est un compromis entre la difficulté technique de descendre en profondeur, et l’obligation de diminuer le bruit de fond des muons « descendants » qui empêche la prise de données. On cherche donc à se placer le plus profondément possible quelque soit le milieu choisi (entre 1 et 2 km de profondeur). Pour obtenir cette profondeur, les détecteurs sont placés soit dans les abîmes de la mer soit dans la glace aux pôles. L’eau et la glace présentent chacun des avantages et des inconvénients. L’eau offre une plus grande longueur d’atténuation de la lumière, ce qui permet une meilleure résolution angulaire, mais la présence de bioluminescence dans la mer ajoute une forte lumière parasite.
L’expérience ANTARES, en construction dans la mer Méditerranée, devrait permettre l’étude du ciel visible depuis l’hémisphère sud, alors que l’expérience AMANDA[26], installée en Antarctique donne déjà des résultats sur l’hémisphère nord.

LIRE AUSSI :  Effets du cardiolipide dans la résistance des membranes lipidiques à un stress oxydant

Le mystère des ultra hautes énergies : les RCUHE

On appelle rayons cosmiques d’ultra haute énergie10 ou rayons cosmiques d’énergie extrême, les particules cosmiques dont l’énergie est supérieure à 1019 eV. A ce jour, seulement deux expériences ont étudié ce rayonnement, toutes les deux dans l’hémisphère nord : l’expérience AGASA (réseau de détecteurs au sol) et l’expérience HIRES (détecteurs de fluorescence). Les deux expériences n’ont malheureusement pas observé le même spectre de RCUHE . L’expérience AGASA enregistre un flux sensiblement plus important que l’expérience HIRES. Cette différence pourrait être due à une erreur de calibration d’une des deux techniques. De plus, HIRES voit dans le spectre, une forte chute au dessus de 4.1019 eV alors qu’AGASA ne semble pas l’observer. C’est précisément ce point qui pose problème.
En effet, avant d’arriver dans l’atmosphère terrestre, les rayons cosmiques doivent traverser une partie de l’Univers. Durant leur voyage, ils vont perdre leur énergie en interagissant avec les particules présentes dans l’espace :
Les protons ou les noyaux vont interagir avec le fond diffus cosmologique (CMB). Après un parcourt de 100 Mpc (20 Mpc pour les noyaux), leur énergie ne peut plus excéder 4.1019 eV.
Les photons vont interagir avec le fond radio de l’espace et perdre également très rapidement leur énergie. Si les RCUHE sont principalement des protons, des noyaux, et des photons, et que leurs sources sont réparties uniformément dans l’Univers, une forte chute, appelée coupure GZK (Greisen, Zatsepin et Kuzmin), dans le spectre est attendue à partir de 4.1019eV. Elle est observée par l’expérience HIRES, mais pas par l’expérience AGASA .
Si la mesure du flux par l’expérience AGASA est correcte, soit les sources de RCUHE sont proches de nous (à moins de 100 Mpc), soit la nature des rayons cosmiques est telle qu’ils n’interagissent pas avec les particules de l’Univers. Cela pose alors le problème de l’origine de ces particules et de leur nature. A ce jour, le ou les sources de ces rayons cosmiques ne sont pas déterminées. On sait cependant, qu’à ces énergies, les rayons cosmiques ne sont plus confinés dans la Galaxie. Les sources peuvent donc se trouver dans d’autres galaxies. De nombreux modèles existent pour tenter d’expliquer l’existence de telles particules. On peut les classer en deux catégories :
les mécanismes « Bottom-Up », où l’on part d’une particule « peu » énergétique que l’on accélère dans des phénomènes astrophysiques violents (AGN, Supernovae…). Dans ce cas, les RCUHE seraient composés de particules chargées (protons, noyaux).
les mécanismes « Top-Down », où l’on part d’une particule « massive » qui se désintègre en particules plus élémentaires à haute énergie (défauts topologiques, cordes cosmiques…). Dans ce cas, les RCUHE seraient composés de protons, mais aussi, et dans une forte proportion, de photons et de neutrinos. Dans ce cas, la coupure GZK ne serait pas forcement visible.

Table des matières

Introduction 
1 Les rayons cosmiques 
1.1 Les premières découvertes 
1.2 Méthodes de détection
1.2.1 Ballons et satellites
1.2.1.1 Les rayons cosmiques chargés
1.2.1.2 Les photons
1.2.2 Un calorimètre géant : l’atmosphère
1.2.2.1 Les réseaux de détecteurs au sol
1.2.2.2 Les détecteurs de fluorescence
1.2.2.3 Les télescopes Cerenkov
1.2.3 Une nouvelle astronomie : les neutrinos
1.3 Spectres et composition 
1.3.1 Protons et noyaux
1.3.2 Électrons et positons
1.3.3 Anti-matière
1.3.4 Photons
1.4 Le mystère des ultra hautes énergies : les RCUHE
1.5 Conclusion 
2 Les RCUHE : de la « source » à la Terre 
2.1 Les sources possibles 
2.1.1 Les modèles astrophysiques : bottom-up
2.1.1.1 Les mécanismes d’accélération classiques
2.1.1.2 Les sites potentiels
2.1.2 Les modèles top-down
2.2 Propagation des rayons cosmiques 
2.2.1 Les interactions
2.2.1.1 Des photons
2.2.1.2 Des protons
2.2.1.3 Des noyaux
2.2.2 Les modèles hybrides
2.2.3 L’effet des champs magnétiques
2.2.3.1 Le champ magnétique Galactique
2.2.3.2 Les champs magnétiques extragalactique
2.3 Intérêt de déterminer la nature des RCUHE et conclusion
3 Les grandes gerbes de l’atmosphère 
3.1 Les gerbes électromagnétiques 
3.1.1 Formation de la gerbe
3.1.2 Sections efficaces d’interaction des photons d’ultra haute énergie dans l’atmosphère
3.1.3 L’effet LANDAU-POMERANCHUK-MIGDAL
3.1.4 L’effet de preshower des photons dans le champ magnétique terrestre
3.2 Les gerbes hadroniques 
3.2.1 Formation de la gerbe
3.2.2 Simulations des cascades hadroniques
3.2.2.1 Programmes de simulation
3.2.2.2 Modèles d’interactions hadroniques à basse énergie
3.2.2.3 Modèles d’interactions hadroniques à haute énergie
3.2.3 Propriétés des gerbes hadroniques
3.2.3.1 Profils longitudinaux
3.2.3.2 Distributions latérales
3.3 Conclusion
4 L’Observatoire Pierre Auger 
4.1 Le choix d’un détecteur 
4.1.1 Motivations et contraintes physiques
4.1.2 Le site Sud : la Pampas Amarilla
4.2 Le détecteur de fluorescence 
4.2.1 Description
4.2.2 Calibration et monitoring de l’atmosphère
4.2.3 Principe de la reconstruction des événements
4.3 Le réseau de détecteurs
4.3.1 Description d’une station Cerenkov
4.3.2 L’acquisition temps réel
4.3.2.1 L’électronique
4.3.2.2 Les différents niveaux de déclenchement : triggers
4.3.2.3 Auto-calibration du VEM dans les cuves
4.3.2.4 La surveillance du réseau
4.3.3 Principe de la reconstruction des événements
4.3.4 Installation des stations locales dans la Pampas
4.4 Conclusion 
5 Critères physiques pour la détermination de la nature des RCUHE
5.1 Étude de la simulation des gerbes atmosphériques 
5.1.1 Simulation
5.1.2 Méthode d’étude
5.2 La densité de muons au niveau du sol 
5.3 Le maximum de développement de la gerbe : le Xmax 
5.4 Les critères géométriques : le front de gerbe 
5.4.1 La courbure de la gerbe
5.4.2 Les temps de montée du signal
5.5 L’influence de l’asymétrie de la gerbe 
5.5.1 Asymétrie : la courbure de la gerbe
5.5.2 Asymétrie : les temps de montée du signal
5.6 Comparaison des différentes méthodes
5.7 Corrélation des paramètres
5.8 Conclusion 
6 Reconstruction des événements du réseau de surface 
6.1 Simulation du détecteur 
6.2 La reconstruction standard 
6.3 La fonction de distribution latérale « photon » 
6.3.1 La forme des distributions latérales des gerbes EM
6.3.2 Paramétrisation obtenue de la LDF “photon”
6.3.3 Initialisation de la procédure d’ajustement (modifications des étapes 1, 2 et 5)
6.3.4 Résolutions obtenues
6.4 Application aux données
6.4.1 Exemples d’événements
6.4.2 Répartition des impacts au sol
6.4.3 Distribution des angles d’arrivée
6.4.4 Histogramme des énergies reconstruites
6.5 Conclusion 
7 Composition hadronique des RCUHE : analyse statistique 
7.1 Dégénérescence des critères de discrimination dûe aux hypothèses de reconstruction
7.2 Discrimination par la densité de muons estimée à partir des traces de FADC 
7.2.1 Principe du paramètre de forme
7.2.2 Une forme ajustable : la fonction Landau
7.2.3 Mesure du nombre de muons
7.2.4 Discrimination
7.2.5 Application aux données et discussion
7.3 Discrimination à partir du front de gerbe
7.3.1 Interpolation des rayons de courbures
7.3.2 Analyse statistique des données et discussion
7.4 Conclusion 
8 Recherche de photons dans les RCUHE 
8.1 Etude des événements autour de 1019 eV
8.1.1 Le rayon de courbure des gerbes électromagnétiques
8.1.2 Limite supérieure sur la fraction de photons
8.1.2.1 Méthode probabiliste
8.1.2.2 Méthode statistique
8.1.2.3 Tests des méthodes sur les simulations
8.1.2.4 Application aux données
8.1.3 Compatibilité avec une distribution de hadrons seuls
8.1.4 Influence de l’acceptance et de l’hypothèse de reconstruction
8.1.5 Discussion sur l’influence de la section efficace photon-proton
8.2 Etude des énergies extrêmes
8.2.1 Manifestation de l’effet de preshower au niveau du site Auger Sud
8.2.2 Recherche d’une asymétrie azimutale dans les premiers événements Auger
8.2.3 Interprétations possibles
8.3 Discussion et conclusion 
Conclusion

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *