Étude de la morbi-mortalité d’une épidémie de Chikungunya

Étude de la morbi-mortalité d’une épidémie de
Chikungunya

INTRODUCTION

Le chikungunya (CHIK) a été décrit pour la première fois en Tanzanie en 1953 devant une épidémie de fièvre polyalgique et rattaché à son virus éponyme (1), un nouveau membre du genre Alphavirus, de la famille des Togaviridae. Transmis essentiellement par les moustiques Aedes aegypti et Ae. albopticus – communément appelé « moustique tigre »-, le virus du CHIK (CHIKV) a pour principal réservoir l’espèce humaine. Surtout présente sur le continent africain et asiatique (2), cette maladie vectorielle fait des apparitions sporadiques jusqu’au début du XXIème siècle. C’est alors que survient un tournant épidémique majeur avec une expansion massive mondiale et multifocale. Ainsi, à la suite d’une réactivation conséquente sur le continent africain au Kenya dès 2004 et sur les îles de l’Océan Indien notamment à la Réunion de 2004 à 2005 (3) puis en Inde en 2006 (4), des foyers apparaissent massivement sur le continent américain après une introduction dans les Caraïbes (5). Ces récentes épidémies ont touché quelques 10 à 12 millions de personnes à travers le monde, entre 2005 et 2019. Présenté comme un syndrome algo-fébrile en phase aiguë, le CHIK est souvent confondu avec la dengue. Précurseurs, Brighton et coll. sensibilisaient dès 1983 sur la potentielle chronicité de cette arbovirose (6). Effectivement, à la suite de l’épidémie majeure dans l’Océan indien, la communauté scientifique a commencé à décrire et à mesurer l’impact clinico-social du CHIK, avec des propositions d’optimisation de prise en charge (7). Le potentiel de nuisance s’est révélé maximal lors de l’apparition de clusters autochtones en zones tempérées comme en France, à Fréjus (8) ou en Italie en 2007 et 2017 (9). Le CHIK présente un tableau clinique qui le différencie des autres arboviroses connues telles que la dengue ou le Zika (10). En effet, cette maladie est biphasique, ce qui est original pour une arbovirose. Elle provoque d’abord une phase aiguë « algo-éruptive » commune aux arboviroses caractérisées par de la fièvre, une asthénie, parfois l’apparition d’un rash cutané, et des polyarthralgies aiguës, voire des arthrites (11). La phase aiguë est suivie de manifestations 3 cliniques à prédominance générale et articulaires chez un contingent important d’adultes infectés qui souffrent alors pendant des mois, voire des années après la phase aiguë. La phase chronique couvre un vaste champ clinique, allant d’un enraidissement articulaire à une véritable destruction avec un handicap physique important au quotidien. Bien que les connaissances sur l’évolution clinique du post-CHIK soient en expansion et solidement documentées ce jour, il reste des zones d’ombre concernant le retentissement macroscopique psychosocial et sanitaire à long terme. A cause de ses atteintes rhumatismales et générales chroniques, le fardeau fonctionnel et psychique n’est pas comparable aux autres arboviroses pour lesquelles le principal impact sur se limite à la phase aiguë. Il n’est plus inacceptable de comparer le CHIK à la dengue car l’impact clinique et médico-social de ces maladies diffère beaucoup. À la suite de l’augmentation significative du nombre de personnes contaminées et atteintes du CHIK, la communauté scientifique internationale n’a pu que réaliser le constat suivant : nous manquons de données précises sur les retentissements cliniques et médico-économiques d’une épidémie de CHIK, celles-ci étant parcellaires ou incomplètes. La morbi-mortalité, la charge sanitaire de cette arbovirose et le poids socio-économique, appelés par les anglo-saxons le burden, restent à être explorés de manière exhaustive et sur le long terme. A ce jour, quelques dizaines d’études internationales ont livré des résultats parcellaires sur la question épidémiologique (4,12–18). A ce jour, la mesure du poids réel d’une épidémie de CHIK sur un système de santé n’a pas encore fait l’objet d’une étude approfondie, y compris en France qui a déploré deux grandes épidémies affectant plusieurs centaines de milliers de personnes (Réunion-Mayotte 2005-2006 ; Antilles-Guyane 2013-2015). En France, l’Assurance-maladie permet une couverture sociale et un accès aux structures de soins sur l’ensemble du territoire métropolitain et outre-mer (65 millions d’assurés sociaux sur une population totale de 67 millions de Français). Ainsi, le recueil des données des 4 consommations de soins est quasi-exhaustif, ce qui fait du système de santé français une ressource d’études unique. Il a été fait l’hypothèse que l’étude de la base sur une séquence temporelle large dans des régions atteintes par une épidémie de CHIK pouvait fournir des informations permettant d’attester de la réalité de l’impact de l’épidémie sur la consommation de soins pendant et au décours de la période épidémique. L’objectif de notre étude est de caractériser l’évolution de la consommation de soins en France à la suite de cette épidémie de CHIK qui a frappé les départements Français d’Amérique. Pour cette étude exploratoire, nous avons accès à l’échantillon généraliste des bénéficiaires (EGB) qui correspond à 1/97ème de la totalité des bénéficiaires de la Sécurité Sociale. Le défi était d’élaborer un protocole méthodologique de novo qui permette d’interroger directement cette précieuse base de données de santé et qui soit reproductible à terme pour d’autres crises sanitaires. L’innovation de cette étude réside notamment dans la période élargie d’étude, pour coller à la réalité clinique du post-CHIK. Ce travail préliminaire préfigure une analyse plus complète et vaste du Système National de Données de Santé (SNDS) en totalité.

DETERMINATION DES CODES D’INTERET A ETUDIER DANS LE SYSTEME NATIONAL DES DONNEES DE SANTE

 Le travail initial a été d’identifier les sources d’informations concernant la demande de soins pouvant potentiellement évoluer pendant une épidémie de CHIK. Celles-ci ont été de deux sortes, tout d’abord via la recherche bibliographique par mots-clés (séries, méta-analyses, casereports, thèses, revues de la littérature) via les bases de données bibliographiques comme PubMed, et grâce aux avis d’experts par spécialité (médecine générale, rhumatologie, infectiologie, gériatrie…) qui apportent leur point de vue sur la réalité du terrain et leur vision pragmatique et concrète de cette épidémie. Pour caractériser au mieux l’évolution de la consommation de soins provoquée par une épidémie de CHIK, le choix a été fait d’organiser les données en trois grandes catégories : a) par syndromes ou diagnostics principaux et associés, b) par actes diagnostiques et c) par classes thérapeutiques remboursés par la sécurité sociale. Ces trois catégories de données sont exhaustivement rapportées et comptabilisées dans le SNDS et constituent des sources de données permettant du monitorage de la consommation des produits et services de santé (tableau 4).La première catégorie étudiée est celle des actes diagnostiques ou thérapeutiques extraite de la classification commune des actes médicaux (CCAM). Ces actes correspondent aux examens complémentaires (médicaux, chirurgicaux ou d’imagerie) réalisés en libéral ou en hospitalier. Cela concerne à titre d’exemple les attelles de posture, les ponctions intraarticulaires sous échographie ou des radiographies. Pour obtenir la liste des examens complémentaires dont le remboursement était susceptible d’avoir augmenté lors de l’épidémie de CHIK, nous avons extrait les examens complémentaires diagnostiques permettant la recherche de pathologies liées au CHIK et d’actions de soins, touchant principalement l’appareil musculosquelettique. Finalement, nous avons identifié 98 actes diagnostiques ou thérapeutiques.  La deuxième catégorie est celle des médicaments remboursés par l’assurance-maladie, les médicaments délivrés en pharmacie aux patients mais non remboursés ne sont pas analysés dans notre étude. Chaque famille de médicaments est classée selon une nomenclature appelée ATC (anatomique, thérapeutique et chimique), composée de lettres et de chiffres regroupant des ensembles de principes actifs réalisant de véritable ontologie. Cette nomenclature est accessible sur internet, via un PDF disponible sur le site de l’Assurance Maladie (annexe du site : http://www.ameli.fr/fileadmin/user_upload/documents/ald_bizone_atc.pdf). En ce qui concerne les thérapeutiques, nous nous sommes initialement concentrés sur des familles de molécules susceptibles d’être plus prescrite lors ou au décours de l’épidémie, et donc d’être plus consommée. En nous basant sur les données de la littérature et avis d’experts, nous avons extrait les catégories de molécules et avons obtenu 94 familles de médicaments répertoriées par un trigramme composé d’une lettre et deux chiffres (X00). Pour toutes les références pour lesquelles une délivrance en ville était possible, nous avons calculé la dose définie journalière (DDJ) permettant de coller au plus près du volume de consommation, et donc de la consommation réelle (https://www.whocc.no/atc_ddd_index/). Cette dose journalière correspond à la dose moyenne recommandée pour une molécule donnée, pour ses principales indications chez les personnes âgées de plus de 15 ans. A défaut, les autres ont été calculés en quantité (nb de boites x nb de délivrances). Un certain nombre de produits n’ont pas généré de calcul de DDJ : topiques, sérums, vaccins, antinéoplasiques, allergènes, produits anesthésiants locaux et généraux, produits à visée pédiatriques, les produits de contraste ont été exclus. Enfin, la troisième catégorie de données d’intérêt, le codage diagnostique hospitalier, a également été l’objet d’une recherche exhaustive au sein du SNDS. Elle concerne les diagnostics principaux (DP), diagnostics associés (DAS) et des actes classant ou non, présents dans les séjours des GHM (groupes homogènes de malades) sélectionné pour tout séjour hospitalier. La liste exhaustive a été extraite via le site de l’agence technique de l’information 12 sur l’hospitalisation (https://www.atih.sante.fr/regroupements-des-ghm-en-v11e, dans la version 2013) et regroupe 668 groupes de malades ou racines de groupes de malades. Il est rapidement apparu que, du fait du petit effectif de l’EGB sur la période d’étude et des régions étudiées, il était nécessaire de remonter à la racine de groupes de malades pour augmenter la sensibilité, mais au prix d’une perte de spécificité. A titre d’exemple, le diagnostic « diarrhée » qui a été associée à la phase aiguë du CHIK est un événement très rare et il a fallu remonter à la racine « digestif ». Les requêtes ont donc été restreintes à 26 domaines d’activités. Pour ces trois grandes catégories de données de santé, nous avons élaboré une cotation en quatre niveaux en fonction de leur probable association avec le CHIK (tableau 5). Cette classification item par item a été réalisée par deux praticiens (LN, FS). Les trois répertoires ainsi cotés ont été validés en collaboration avec la société eHealth Services Sanoia et le CESPA, dans le but de cibler les demandes pour permettre des réponses statistiquement significatives

Table des matières

1 Introduction
2 Matériels et méthodes
2.1 Cadre de l’étude
2.2 Périmètre régional et temporel de l’étude
2.3 Population étudiée
2.4 Détermination des codes d’intérêt à étudier dans le système national des données de santé
2.5 Méthodes et analyses statistiques
2.5.1 Traitement des séries chronologiques
2.5.2 Traitement des séries chronologiques de consommation de soins : recherche de clusters
de consommation
2.6 Détermination des paramètres spatio-temporels susceptibles de générer des biais d’interprétation
3 Résultats
3.1 Population étudiée
3.2 Identification des séries chronologiques avec variations significatives entre les périodes pré-,per- et post-épidémiques
3.2.1 Biologie
3.2.2 Médicaments
3.2.3 Prestations
3.2.4 Actes diagnostiques et thérapeutiques
3.2.5 Codages diagnostiques hospitaliers
3.2.6 Listes des produits et prestations (LPP)
3.2.7 Mortalité dans l’EGB sur les trois départements, 2010-2018
3.3 Recherche de clusters de consommation de soins
3.3.1 Clusters sur les séries chronologiques (n>=500) étudiées sans a priori
3.3.2 Heatmap des séries chronologiques (n>=500) sans a priori
3.3.3 Clusters sur les séries chronologiques « significatives » (dont n>500)
3.3.4 Heatmap des séries chronologiques significatives 46
4 Discussion
5 Conclusion
6 Bibliographie
7 Glossaire
8 Annexes
Annexe 1 : graphiques des incidences

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