Étude de la luminance dans un milieu purement
absorbant
Le développement de méthodes de Monte-Carlo appliquées à des problématiques de transfert radiatif date des années 1960 avec les travaux de J.R. Howell et de M. Perlmutter [Howell et Perlmutter, 1964a, Howell et Perlmutter, 1964b, Perlmutter et Howell, 1964, Howell, 1969]. Bénéficiant des progrès méthodologiques et informatiques, elles sont aujourd’hui bien maîtrisées dans les applications ayant trait au rayonnement thermique dans les milieux participants [Farmer et Howell, 1998, Howell, 1998, Modest, 2003b] où elles occupent le rôle de méthodes de référence et de validation. Plutôt que de poursuivre la présentation des méthodes de Monte-Carlo en toute généralité, nous allons désormais les appliquer à des problématiques radiatives en présence de milieu participant. Le cas d’étude, simple au début, sera progressivement complexifié dans le but d’introduire les différentes techniques et approches qui seront utilisées dans la suite de ce manuscrit. Pour commencer, plaçons-nous dans le cas particulier d’un milieu semi-transparent purement absorbant (les phénomènes de diffusion sont négligés). Puisque dans une telle configuration, le rayonnement ne se propage qu’en ligne droite jusqu’à ce qu’il soit absorbé, il est possible de ramener ce problème à un cas monodimensionnel.
Approche analogue et réciprocité des chemins
L’algorithme de Monte-Carlo proposé précédemment a été établi à partir d’une formulation statistique de l’équation intégrale du transfert radiatif. Cependant, lorsqu’il s’agit de développer des méthodes de Monte-Carlo, il est courant de rencontrer une autre pratique qui s’appuie presque exclusivement sur des images tirées de la physique du transport. On parle de méthodes de Monte-Carlo analogues. Cette approche consiste à réaliser numériquement et stochastiquement les expériences physiques que subissent les corpuscules d’intérêt à partir de leurs lois de probabilité, supposées connues. Dans le cas du transfert radiatif, cela signifie que l’on va « lancer » un grand nombre Nmc de photons [Starwest, 2014b] ou de « paquets de photons » [Modest, 2013] selon des lois d’émission et suivre leurs interactions avec le milieu et les frontières. Pour appliquer une telle approche au cas d’étude de la section précédente, il convient de s’attarder sur la notion de réciprocité des chemins optiques [Case, 1957] qui joue un rôle important lorsqu’il s’agit de construire des images physiques associées. Cette réciprocité des chemins, faisant appel aux notions de micro-réversibilité, est une condition nécessaire pour garantir le second principe de la thermodynamique. Cela implique au régime stationnaire, qu’un photon dans la direction u1 en x1 a la même probabilité d’atteindre le point x2 dans la direction u2 que celle qu’un photon partant de x2 dans la direction −u2 atteignent le point x1 dans la direction −u1. En d’autres termes, il est possible de « lancer » des photons depuis le point sonde d’intérêt (en le considérant mentalement comme point d’émission) jusqu’à ce qu’ils soient absorbés par le milieu. Ces points d’absorption correspondent alors aux points d’émission du modèle direct. Dans le cas d’un milieu infini, purement absorbant, l’intérêt de la réciprocité des chemins reste limité. Ce ne sera que lorsque des phénomènes de diffusions ou de réflexions multiples seront pris en compte que cette notion de réciprocité prendra tout son sens. Il est donc possible de développer un algorithme de Monte-Carlo en s’appuyant uniquement sur la physique du rayonnement, sur les images qu’elle véhicule et sur ce principe de réciprocité. Pour le cas introduit à la Sec. 3.3 dans lequel on souhaite estimer Lη(x0, u0), cela consiste à émettre un grand nombre de photons depuis le point x0 dans la direction −u0 et à échantillonner un libre parcours selon la loi de Beer-Lambert conduisant à une position d’absorption x1, interprétée comme la position réelle d’émission. L’estimation de la luminance est alors donnée comme la moyenne d’échantillon de L eq η (x1) pour l’ensemble des photons tirés. Un tel algorithme correspond parfaitement à l’algorithme présenté à la section précédente. On trouve dans la littérature internationale ce type d’algorithmes qualifié de backward ou reverse [Walters et Buckius, 1992, Walters et Buckius, 1994, Modest, 2003a, Siegel et al., 2011] que nous traduirons ici par Monte-Carlo réciproque. Dans le cas de l’estimation de la luminance pour une configuration multidimensionnelle, il est nécessaire de recourir à la réciprocité des chemins pour la construction d’images physiques. En effet, si l’on suivait une approche directe, la probabilité qu’un photon passe par le point x0 dans la direction u0 serait nulle, du fait de la ponctualité du point et de la direction d’intérêt. Cependant, pour l’étude de grandeurs intégrées sur l’espace des phases (ex : la puissance radiative absorbée par un élément de surface sur tout l’hémisphère entrant), une vision réciproque n’est plus nécessaire puisque la probabilité qu’un photon soit absorbé par cette surface n’est plus nulle. Toutefois, même dans ces cas, il peut être courant de faire appel au caractère réciproque du rayonnement pour réduire la variance et ainsi les temps de calcul associés par une reformulation intégrale. Il suffit d’imaginer une surface très grande Sg émettant vers une surface Sp très petite devant Sg et de considérer la puissance absorbée par Sp. Lancer des photons de Sg en espérant qu’ils soient absorbés par Sp peut être très coûteux en temps de calcul. En effet, un grand nombre de photons émis n’atteindront jamais la petite surface. Au contraire, il semble plus judicieux d’utiliser la réciprocité des chemins : la grande majorité des photons « émis » par Sp seront « absorbés » par la grande surface. On aura par ce biais, en quelque sorte, sélectionné préférentiellement les chemins optiques dignes d’intérêt par une reformulation intégrale, réduisant ainsi la variance de l’estimation de cette puissance. Dans ce manuscrit, nous faisons le choix de privilégier le développement de méthodes de Monte-Carlo à partir des formulations intégrales et statistiques, qui offrent à nos yeux, les plus grandes libertés d’amélioration. Toutefois, ne pouvant pas nous passer d’images physiques pour accréditer nos propositions, ce ne sera qu’a posteriori que nous ferons appel à cette vision analogue. Celle-ci ne conditionnera pas, à proprement parler, le développement des méthodes, mais offrira les image nécessaires à une bonne analyse des phénomènes en présence et un retour intéressant sur nos propositions méthodologiques.
Prise en compte des frontières du milieu
Considérons à nouveau le cas d’étude introduit à la Sec. 3.3.1 auquel est rajoutée en xw une paroi noire. Les photons peuvent donc désormais être émis par le milieu mais aussi par la paroi (voir Fig. 3.4). La luminance Lη(x0, u0) est donc la somme de la luminance d’équilibre émise par la paroi atténuée exponentiellement sur le chemin [xw, x0] et d’un terme source d’émission du milieu atténué lui aussi exponentiellement et intégré entre xw et x0 où H (a) est la fonction de Heaviside, valant 0 si a < 0 et 1 si a > 0. Cette reformulation revient donc à considérer la paroi comme un milieu semi-transparent infini, purement absorbant, de température uniforme T = T(xw). Une telle expression est souvent rencontrée en transfert radiatif et présente l’avantage d’être plus facilement manipulable (statistiquement et algorithmiquement) que l’Eq. 3.54. Elle requiert cependant une information sans réel sens : le champ de coefficient d’absorption doit être défini sur ] − ∞; x0] et a fortiori derrière la paroi. Dans la pratique, on définit généralement le coefficient d’absorption comme égal à ka,η(x + w) pour x ≤ xw, mais en théorie tout champ strictement positif peut être accepté.
Échantillonnage préférentiel et approche par variance nulle
Échantillonnage préférentiel
Il est fréquent, notamment dans des applications de type combustion, de considérer en première approximation que les parois ont une température fixée à 0K. En d’autres termes, cela consiste à admettre que les parois absorbent mais n’émettent pas de rayonnement : L eq η (xw) = 0. Il peut alors être intéressant, dans une optique de réduction de variance, d’échantillonner les positions d’absorption dans le seul intervalle ]xw, x0] et non sur ] − ∞, x0]. Cette approche d’échantillonnage préférentiel consiste alors à définir sur ]xw, x0] une nouvelle densité de probabilité associée aux positions d’émission p˜X(x).
Étude de la luminance dans un milieu absorbant et diffusant
L’étude d’un milieu purement absorbant a donc permis d’aborder les méthodes de Monte-Carlo réciproques et analogues ainsi que les approches d’échantillonnage préférentiel et par variance nulle. Complexifions désormais ce cas d’étude en rajoutant des phénomènes de diffusions multiples qui vont engendrer une récursivité dans le formalisme statistique et les algorithmes de Monte-Carlo correspondants
Luminance dans un milieu absorbant, diffusant, infini
Concentrons-nous tout d’abord sur un milieu tridimensionnel, infini, absorbant, émettant et diffusant le rayonnement. La luminance au point x0 dans la direction u0 est égale à la somme d’une infinité de composantes Cj , atténuées exponentiellement le long de leur chemin de diffusion entre leur position d’émission et le point sonde x0 : C1 : la luminance associée aux photons émis en x1 dans la direction u0 et atteignant directement la position x0 sans avoir subi d’événement de diffusion (voir Fig. 3.5a). C2 : la luminance associée aux photons émis en tout point x2 de l’espace dans une direction u1 qui atteignent le point x0 dans la direction u0 en ayant subi une unique diffusion en x1 (voir Fig. 3.5b). C3 : la luminance associée aux photons émis en tout point x3 de l’espace dans une direction u2 qui atteignent le point x0 dans la direction u0 en ayant subi deux événements de diffusion en x2 et x1 (voir Fig. 3.5c). Cj≥4 : les luminances associées aux photons émis en xj dans une direction uj−1 atteignant le point x0 dans la direction u0 en ayant subi j − 1 événements de diffusion.