Le modèle d’écosystème
Le choix du modèle
Dans cette section, nous nous intéressons à la représentation des communautés planctoniquescaractéristiques du Pacifique Nord-ouest qui sont exposées à la contamination radioactive de l’eau dans laquelle elles vivent. Pour simuler la dynamique spatio-temporelle de ces populations, nous avons choisi le modèle biogéochimique NEMURO (North pacific Ecosystem Model for Understanding Regional Oceanography) développé par Kishi et al. [2007]. Ce modèle a été utilisé à plusieurs reprises dans différentes études concernant la région du Pacifique Nord (Aita et al. [2007], Fujii et al. [2007], Komatsu et al. [2007], Kishi et al. [2009] ) ce qui a permis d’estimer et de valider ses différents paramètres. Toutes ces études ont montré la robustesse de ce modèle et sa capacité à reproduire les cycles biogéochimiques du carbone et de l’azote ainsi que les aspects écologiques des niveaux trophiques inférieurs de l’écosystème pélagique (Kishi et al. [2011]) dans différentes régions du Pacifique nord. Il est donc le modèle le plus adapté à notre étude, d’autant que les paramètres nécessaires sont disponibles, ce qui simplifie davantage son application. Le but principal de l’application de ce modèle est de représenter l’évolution spatio-temporelle des différentes populations planctonique afin d’estimer les différents paramètres écologiques nécessaires pour le modèle radioécologique (les taux de croissance, d’ingestion, de mortalité, etc). Cela permettra alors d’étudier leur contamination en parallèle avec leur fonctionnement écologique dans le milieu.
Présentation, formulation du modèle et choix des paramètres
Le modèle NEMURO (Kishi et al. [2007]) comporte deux classes de taille du phytoplancton à savoir le petit phytoplancton (PS) représenté essentiellement par les dinoflagellés et le gros phytoplancton (PL) associé aux diatomés. Le zooplancton quant à lui est représenté par trois classes : le petit zooplancton (ZS) associé aux ciliés, le gros zooplancton (ZL) associé aux copépodes, et le zooplancton prédateur (ZP) associé aux euphausiacés et aux gélatineux. Le reste des variables représentées dans le modèle sont : les nitrates (NO3), l’ammonium (NH4), l’acide silicique (SiOH4), l’azote organique particulaire non-vivant (P ON), la silice organique particulaire (OP AL), et l’azote organique dissout (DON). Ce modèle s’agence autour de deux cycles biogéochimiques : le cycle de l’azote et le cycle du silicium. L’azote transite dans l’ensemble des compartiments vivants (PS, PL, ZS, ZL, ZP) alors que le silicium intervient dans la croissance des diatomés (PL) et transite dans ses prédateurs (ZL et ZP). Les unités des différentes variables du modèle sont exprimées en µmol N L−1 pour le cycle de l’azote et en µmol Si L−1 pour le cycle du silicium. Les flux de l’azote entre les différentes variables d’états du modèle sont formulés sous forme d’un ensemble de 11 équations différentielles ordinaires impliquant les différents processus de gain et de perte affectant chacune de ces variables :
La croissance du phytoplancton (Photosynthèse)
La croissance du phytoplancton est considérée comme une fonction de sa densité dans l’eau, de la température, de la concentration en nutriments et de l’intensité lumineuse dans la colonne d’eau. Le taux journalier de la croissance phytoplanctonique est alors représenté dans le modèle sous la forme d’un produit de trois termes dont le premier correspond à l’absorption des nutriments, alors que les deux autres termes correspondent à la dépendance du taux de croissance vis-à-vis de la température et de la lumière respectivement. La cinétique d’absorption des nutriments est basée sur l’équation de « MichaelisMenten ». Le processus par lequel le phytoplancton assimile préférentiellement l’ammonium aux nitrates est pris en compte par un terme de limitation de l’assimilation des nitrates en fonction de la concentration en ammonium selon la formulation de (Wroblewski [1977]).
Le terme de dépendance vis-à-vis de la température est basé sur la relation de ”Q10”, alors que le terme de limitation de la croissance par la lumière est exprimé sur la base de la formulation de « Steele » (Steele [1962]).
La formule générale de la croissance du petit phytoplancton est alors donnée par l’équation suivante :
Le broutage du zooplancton
La fonction de nutrition du zooplancton est formulée selon la cinétique d’Ivlev (Ivlev [1961]) et contient un terme de dépendance vis-à-vis de la température. Avec cette formulation, le taux de broutage devient saturé lorsque la concentration de la proie est suffisamment large, et devient nul lorsque cetteconcentration passe en dessous d’une valeur seuil.
Selon la taille du zooplancton considéré, la nature et la taille des proies varient. Le petit zooplancton (ZS) est exclusivement herbivore et ne mange que le petit phytoplancton (PS). Le gros zooplancton (ZL) et le zooplancton prédateur (ZP) sont omnivores et consomment respectivement PS, PL, ZS et PL, ZS, ZL. Les taux de broutage correspondant aux ZS et ZL sont exprimés par les équations suivantes :
L’excrétion et l’égestion
Le métabolisme du zooplancton est gouverné par deux processus essentiels : l’égestion et l’excrétion. L’égestion correspond au processus par lequel une partie de la nourriture ingérée est éliminée sous forme de pelotes fécales, alors que l’excrétion correspond à tous rejets par l’organisme de matière inorganique dissoute dans le milieu ambiant. Ces deux processus sont directement liés au terme de broutage puisqu’ils représentent une fraction de la quantité de proie ingérée :
Le modèle radioécologique du transfert des radionucléides aux organismes marins
Le modèle radioécologique de transfert des radionucléides aux populations du plancton marin développé pendant cette thèse est présenté en détail dans le prochain chapitre. Ce modèle est basé sur certains paramètres radiologiques liés au radionucléide et à la population planctonique en question, tels que le taux d’accumulation du radionucléide directement à partir de l’eau, son taux d’élimination biologique, ainsi que son efficacité d’assimilation par l’espèce planctonique. D’autres paramètres d’ordre écologique, tels que le taux d’ingestion de la nourriture par le prédateur, le taux de production primaire, les taux d’excrétion, d’égestion ou de mortalité des différentes populations, etc, sont obtenus grâce au modèle biogéochimique. Ce modèle permet alors d’estimer, de façon dynamique, les concentrations du radionucléide dans les différentes populations planctoniques en parallèle avec leur fonctionnement biogéochimique dans le milieu. Ici, on appelle « processus radioécologiques » tous les processus d’accumulation et d’élimination du radionucléide par le compartiment biologique en question.
Le couplage des modèles
Nous venons de présenter dans les sections précédentes les modèles numériques de circulation océanique SYMPHONIE et biogéochimique NEMURO, avec une brève description du modèle radioécologique qui fera l’objet du prochain chapitre. Le premier modèle permet de calculer l’évolution spatiotemporelle due à la circulation océanique (advection et diffusion) d’un traceur biogéochimique donné (e.g. PS, PL, ZS, ZL,etc) dans un domaine tridimentionnel. En effet, l’évolution spatio-temporelle liée à la circulation océanique de la concentration dans l’eau d’un traceur biogéochimique, C(x, y, z, t), est donnée par l’équation de conservation suivante :
Les conditions aux limites
A la surface libre et au fond
Dans un souci de simplification, nous négligeons dans ce travail les apports atmosphériques qui sont parfois source de matière organique et inorganique à la surface de l’océan. Par ailleurs, nous négligeons également les apports de sels nutritifs ou de matière organique au fond issus des processus de diagénèse et de resuspension sédimentaires. Les flux turbulents de matière à la surface et au fond sont donc considérés comme nuls.
La configuration numérique
Du fait de leur complexité, les équations du modèle n’admettent pas de solution analytique. Il est nécessaire d’avoir recours à des méthodes numériques d’intégration des équations aux dérivées partielles basées sur l’utilisation de schémas numériques nécessitant une discrétisation spatiale et temporelle. Ces équations sont résolues en chaque maille d’une grille tridimensionnelle qui recouvre la région étudiée, et discrétise l’espace sur la verticale et sur l’horizontale. La grille horizontale du modèle SYMPHONIE utilisée dans cette étude correspond au système curviligne orthogonal (Estournel et al. [2012]),composée de 604 × 332 points. le pôle de la grille qui correspond au centre du cercle illustré dans la Figure 4.2 est positionné à 37.5 oN, 140oE (près de la centrale de Fukushima). La résolution horizontale est variable, elle diminue progressivement en s’éloignant de la centrale, avec une taille de maille d’environ 600 m près de la centrale, et une taille maximale d’environ 5.5 km au niveau des frontières ouvertes (Figure4.2).Les niveaux verticaux de la grille épousent la forme de la topographie grâce à un système en coordonnées sigma (σ). Cette approche permet de reproduire les processus liés à la bathymétrie et d’affiner la représentation des processus côtiers (4.3). On a le choix d’avoir une résolution fine en surface ou au fond selon le phénomène étudié. La conversion de la coordonnée z en coordonnées sigma s’écrit.