Etude de la compétition entre corrosion uniforme et
localisée par automates cellulaires
Généralités sur la corrosion
Selon la norme ISO 8044 , la corrosion est définie comme “l’interaction physicochimique entre un métal et son milieu environnant entraînant des modifications dans les propriétés du métal et pouvant conduire à une dégradation significative de la fonction du métal, du milieu environnant ou du système technique dont ils font partie.“ Cette interaction est souvent de nature électrochimique, c’est-à-dire une réaction chimique au cours de laquelle se produit un transfert de charges. Cet échange d’électrons est directement lié à la quantité de matière qui réagit. Il est donc possible de relier la perte de masse associée à la corrosion au courant électrique I généré, c’est la loi de Faraday : I = z F dn dt , (I.1.1) où I est exprimé en ampères, F désigne la constante de Faraday (F = 96485 C mol−1 ), z le nombre adimensionnel de charges transférés par molécule et dn/dt représente une vitesse de réaction en moles par secondes. La corrosion en milieu aqueux inclut au moins les quatre phénomènes suivants : • une oxydation du métal, qui a lieu en un site dit “anodique” ; • une réduction d’espèces présentes dans la solution, dont le lieu est appelé site “cathodique” ; • une conduction ionique entre les deux sites anodiques et cathodiques par l’électrolyte ; • une conduction électronique à travers le métal. Sur la Fig. I.1 nous avons représenté les principaux phénomènes mis en jeu dans la corrosion électrochimique : des sites anodiques et cathodiques spatialement sépa1 2 Chapitre I. Analyse bibliographique Métal M+ Cathode: Réduction électrolyte Transfert d’électrons eDifférence de potentiel électrique Anode : Oxydation du métal Électrolyte Transfert d’ions Fig. en milieu aqueux : demi-réactions anodiques et cathodiques, différence de potentiel entre les deux sites associés, transferts d’ions dans l’électrolyte et d’électrons dans le métal, formant ainsi une boucle de courant. rés et une différence de potentiel électrique entre ces sites, qui entraîne un transfert d’ions et d’électrons. Nous utilisons la notion de “demi-réaction” pour faire référence individuellement aux composantes anodiques et cathodiques de la réaction de corrosion. La réaction anodique transforme le métal dans un état oxydé, thermodynamiquement plus stable. L’accumulation des produits de corrosion insolubles peut créer une barrière protectrice entre la surface du métal et l’électrolyte, effet appelé “passivation”. La passivation, qui correspond donc à la formation d’une couche passive stable et adhérente, peut s’accompagner d’une réduction notable de la cinétique de corrosion [4]. Les aciers dits ’inoxydables’ sont justement des aciers qui s’oxydent rapidement, avec création d’un film mince protecteur. Le système demeure ensuite hors d’équilibre thermodynamique, la cinétique de corrosion est ralentie jusqu’à devenir négligeable. La stabilité du métal dans l’électrolyte dépend notamment du pH et du potentiel redox de la solution. Le diagramme potentiel-pH de chaque métal, plus connu sous le nom de diagramme de Pourbaix, indique ces zones de stabilité et de passivation [5]
Types de corrosion
Il existe différents types de corrosion. Une pièce de zinc ou de fer en milieu acide subira par exemple une corrosion généralisée. Dans ce cas la surface entière est le siège de réactions d’oxydation et réduction, il n’y a pas de distinction entre sites anodiques et cathodiques. Un acier inoxydable en milieu neutre chloruré subira quant à lui, le plus souvent, une corrosion localisée de type piqûre. La Fig. I.2 schématise la distribution des réactions anodiques et cathodiques pour une corrosion uniforme et une corrosion localisée.
Corrosion uniforme réduction
Corrosion localisée oxydation (a) (b) Fig. I.2 (a) La distribution homogène des demi-réactions anodiques et cathodiques génère une corrosion uniforme. (b) La localisation d’une des demi-réactions anodique ou cathodique génère une corrosion localisée [6]. I.1.2 Corrosion généralisée De façon globale, la corrosion généralisée progresse sur l’ensemble de la surface du métal exposé au milieu corrosif. Si la progression de cette corrosion généralisée s’accomplit à une vitesse uniforme en tout point de la surface, on parle de corrosion uniforme. Si la progression des vitesses de corrosion est non homogène, on parle de corrosion localisée.
Corrosion localisée
Contrairement à la corrosion généralisée, la corrosion localisée focalise l’attaque dans certains points discrets. L’amorçage est lié à la rupture du film passif [7]. Les différents formes de la corrosion localisée incluent : • la piqûre ; • la corrosion intergranulaire dans des joints de grains ; • la corrosion caverneuse dans une zone confinée ; • la propagation de fissures, en présence des contraintes. Le phénomène de piqûration, de nature stochastique, est souvent difficile à prédire. Sa cinétique peut être élevée. La corrosion par piqûre représente donc un danger important pour le métal et sa fonctionnalité, d’où le grand nombre d’études qui lui sont consacrées. a Corrosion par piqûre L’amorçage de la corrosion par piqûres s’effectue généralement sur des singularités de la surface, comme des inclusions réactives, des précipités ou des défauts consécutifs à la mise en œuvre (rayures, pollution, etc) mais pas exclusivement. Elle peut également s’amorcer suite à une instabilité de la couche passive [8]. La rupture du film est un événement rare qui se déroule très rapidement à une échelle souvent nanométrique en un point difficile à prévoir ce qui rend les observations directes extrêmement difficiles [9]. L’amorçage de la piqûre est ainsi reconnu comme un phénomène ayant une composante aléatoire [10], c’est la raison pour laquelle il est difficile parfois à prédire. On peut distinguer trois régimes dans la corrosion par piqûre : 4 Chapitre I. Analyse bibliographique Couche passive Métal Attaque du metal Métal se repassive Corrosion du métal de base Chlorures Fig. I.3 La piqûre s’amorce par la rupture locale du film passif provoquée par l’accumulation des chlorures. Elle se repassive si l’environnement ne demeure pas suffisamment agressif [7]. • une phase d’incubation au cours de laquelle se développent des conditions locales spécifiques permettant l’amorçage et la stabilisation d’une corrosion active ; • une phase d’amorçage au cours de laquelle la piqûre démarre, liée par exemple à la rupture du film passif pour des alliages passivables. • une phase de propagation au cours de laquelle se produisent les dommages significatifs dus au développement de cette corrosion active localisée dans une zone plus ou moins confinée. La Fig. I.3 schématise les différentes phases du développement d’une piqûre dans un milieu chloruré d’un alliage passivable. La rupture du film passif est liée à la présence de chlorures dans cet exemple. La piqûre continue ensuite à grandir dans un état métastable, pendant lequel les conditions locales à l’intérieur de la cavité évoluent pour conduire à une propagation de la piqûre ou à sa repassivation. Le milieu local dans la piqûre se concentre en complexes chlorures métalliques et son pH décroît de façon parfois très importante. Ainsi le pH en fond de piqûre peut atteindre 0 ou même des valeurs négatives [11], notamment dans le cas des aciers inoxydables. Une piqûre peut avoir des formes différentes selon les conditions expérimentales. Ces formes sont représentées de façon schématique sur la Fig. I.4. Il existe des formes étroites et profondes Fig. I.4(a), des piqûres caverneuses Fig. I.4(b) ou des formes hémisphériques Fig. I.4(c), souvent décrites dans la littérature [12–15]. (a) (b) (c) Fig. I.4 Formes de piqûres (a) cavité profonde (b) cavité caverneuse (c) hémisphérique [16]. Me MeZ+ Dissolution O2- H2O 2 H+ Croissance du film Cl- Cl- Pénétration Métal Oxyde Électrolyte ClMétal Électrolyte ClOxyde (a) Me (b) Z+ Métal Oxyde Électrolyte ClMe Me MeZ+ Z+ ClClClClClCl- (c) Fig. I.5 (a) Mécanisme d’amorçage de la piqûre par pénétration d’ions agressifs, (b) rupture du film passif, (c) mécanisme d’amorçage de la piqûre par adsorption [17]. b Rupture du film passif La rupture du film passif résulte d’une variété de mécanismes [7]. Trois mécanismes principaux sont proposés dans la littérature [17] : • Mécanisme de pénétration par des ions agressifs : Initialement présenté par Hoar et al [18], ce mécanisme implique un transfert d’anions à travers la couche d’oxyde vers l’interface métal / oxyde. Les anions agressifs pénètrent le film d’oxyde par action du champ électrique. L’incorporation de ces ions contamine le film passif, induisant une augmentation de sa conductivité ionique tout au long des parcours de pénétration. Le phénomène apparaît ainsi comme auto-catalytique. Certains auteurs associent la rupture du film à une concentration critique des ions chlorure [19, 20]. D’autres en revanche ne trouvent aucune preuve de la présence d’ions chlorures dans le film passif [21, 22]. L’apparition de fluctuations du potentiel de corrosion après l’immersion de l’échantillon est en accord avec ce dernier mécanisme [17]. Fig. I.5(a) représente schématiquement le mécanisme de pénétration. • Rupture du film : Ce mécanisme suppose un film passif en constante régénération [23–25]. L’abondance d’ions agressifs fait apparaitre des défauts et rend la surface active. L’effet des ions Cl− est de limiter la repassivation et non de promouvoir la rupture du film passif. Dans ce modèle l’amorçage est basé sur la stabilité de la croissance de la piqûre. Fig. I.5(b) schématise ce mécanisme. • Amorçage des piqûres par adsorption : Le mécanisme commence avec une adsorption préférentielle d’anions agressifs à l’interface oxyde/électrolyte. 6 Chapitre I. Analyse bibliographique Métal Îlot Péninsule Solution Fig. I.6 Illustration du “Chunk effect”. Les péninsules de métal sont détachées du front principal de corrosion et des fragments métalliques partent en solution. Ceci provoque une augmentation locale du champ électrique qui accélère la dissolution de la couche d’oxyde. Le résultat est un amincissement du film passif, une possible rupture complète de ce dernier et la formation d’une piqûre [18]. La Fig. I.5(c) schématise ce mécanisme.
Chunk effect
Lors d’expériences de corrosion, différents auteurs ont mis en évidence des différences entre les pertes de masse mesurées et les pertes de masse extrapolées à partir des courants mesurés (loi de Faraday eq. (I.1.1)). Ce phénomène a été mis en évidence la première fois par Thiel and Eckel [26] en 1928 dans le cas de la dissolution d’aluminium dans une solution d’hydroxyde de sodium. En 1958, Straumanis et al. [27] analysent la dissolution de l’aluminium et observent que des îlots métalliques se séparent de la surface du métal sous l’effet de bulles d’hydrogène. La Fig. I.6 représente schématiquement la formation de ces îlots métalliques sur la surface et leur détachement du front principal de corrosion. Ces îlots sont ensuite dissous progressivement en solution. En 1960, Marsh and Schaschl [28] observent à nouveau ce phénomène. Ils citent les travaux de Straumanis et al. en affirmant que les particules détachées sont des fragments d’aluminium. Ils décrivent un détachement de pièces larges qui n’ont pas de forme définie (chunk, en anglais) et qui sont ensuite dissoutes en solution. Le phénomène reçoit ainsi le nom de chunk effect. En étudiant l’influence des valeurs du courant sur ce phénomène, ils trouvent que cet effet apparait même lorsque le métal se corrode librement. En 1964, Straumanis et al. observent également ce phénomène dans le cas du fer [29], qui se dissout de façon plus rapide dans une solution de H2SO4 diluée que dans une solution de HCl à la même concentration. Des particules opaques de fer, de haute densité, ont été trouvées sur la surface et observées par microscopie optique. Les particules apparaissent dispersées de façon uniforme sur la surface, et leurs dissolutions indépendantes. L’apparition de ces particules dépend de la rupture de la couche protectrice d’oxyde et des propriétés intrinsèques de cette dernière, comme I.2. Les automates cellulaires 7 l’adhésion des couches métalliques. James et al. [30] observent aussi le phénomène pour Al, Be, Cd, Ga, Mg, Ag, Zn et Tl. Aida et al. [31] relient l’apparition du chunk effect à des potentiels anodiques plus négatifs et observent, par microscopie électronique à balayage et rayons X, l’apparition des particules métalliques sur la surface. La taille des particules varie de quelques atomes jusqu’à des agrégats de dimensions micrométriques. Lorsque les particules sont de taille micrométrique, l’effet est alors associé à des défauts cristallins (joints de grains, dislocations). Draži´c et al. [32] observent que cet effet est complètement indépendant de la concentration des anions, mais qu’il augmente avec la concentrations des ions H+. Dans des travaux postérieurs, Draži´c and Popic [33] décrivent cet effet dans le cas du Cr dans une solution acide. Ils utilisent le Cr parce qu’ils considèrent que le chunk effect est plus marqué que dans le cas du fer. Guo et al. [34] attribuent ce phénomène aux effets hydrodynamiques (augmentation de la vitesse dans la solution ou diminution de la rugosité de la surface métallique). Ils observent également une augmentation de l’effet avec la densité de courant électrique anodique, ainsi que sa diminution, voir inhibition, dans des zones protégés cathodiquement. Ils comparent le phénomène à la corrosion-érosion en milieu acide. Vautrin et al. [35] montrent à travers des simulations numériques avec des automates cellulaires que le chunk effect est un phénomène général de la corrosion et apparait même pour le cas d’une surface idéale sans défauts. Ils trouvent que les particules détachées sont de taille nanométrique (échelle mésoscopique utilisée par leur modèle numérique). Mendy [36] observe expérimentalement l’influence des propriétés mécaniques sur l’apparition de cet effet. Il lie l’augmentation de cet effet à celle de la rugosité du matériau. Une rugosité élevée favorise en effet la production de particules solides en fragilisant la surface et en la rendant plus sensible aux sollicitations mécaniques. L’apparition du chunk effect n’a été décrite théoriquement qu’à l’aide de modèles numériques discrets utilisant la méthode des automates cellulaires, et prenant en compte la discontinuité et le caractère stochastique de la corrosion [35, 37–39].
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