Etude de deux versions du récit de fondation de Nguékokh
LES DONNEES GEOGRAPHIQUES ET ECONOMIQUES
Localisation géographique
La commune de Nguekokh se situe à 80km au sud de Dakar dans le département de Mbour. Il se trouve sur la route allant de Dakar à Mbour, à 15 Km de la zone touristique de la « petite côte ». Au Nord-est se trouve la forêt classée de Bandia d’une superficie de 10750 hectares .
Le climat
Nguékokh se trouve dans une région sahélienne qui subit une forte influence maritime du fait de sa proximité de la côte Atlantique. Elle se situe à proximité d’une impressionnante forêt de baobabs unique en son genre au Sénégal. Son environnement est constitué d’un écosystème peuplé de baobabs qui est l’arbre symbole du Sénégal. Elle est traversée au Nord par un bras de la rivière Somone qui traverse la forêt de baobabs. Cette rivière aujourd’hui est asséchée à cause de la péjoration du climat créé par les sécheresses successives.
Population
La population de la Commune de Nguékokh est estimée à 20031 habitants en 2007 avec une forte densité et un fort taux d’accroissement supérieur à la croissance nationale. La population dans son écrasante majorité, est musulmane. Elle est relativement jeune (65% de la population) et dominée par les femmes qui représentent 55%29 . Les ethnies présentes dans la commune sont les Sérères, les Wolofs et les Peuls, les Diolas, les Balantes, les Bambaras, les Soocés, les Toucouleurs ; bref on retrouve toutes les ethnies du Sénégal. Les Sérères sont historiquement la première ethnie implantée dans la zone. Suite à la recherche de pâturage pour leurs troupeaux, les Peuls se sont installés à proximité de la forêt classée. Les Wolofs se sont ensuite établis à Nguékokh. En dépit de leur emménagement un peu tardive, l’ethnie wolof a connu un accroissement fulgurant dans la commune qu’à la fin sa langue domine. Mais aussi, la domination de la langue wolof est facilitée par la pluralité des ethnies présentes à Nguékokh qui l’utilisent pour pouvoir communiquer. :
Relief et les sols
A quelques mètres seulement au dessus du niveau de la mer, les terres de cette zone sont plates. Elles sont caractérisées par un sol de texture sablonneuse et argilo sablonneuse propices à la culture de mil et d’arachide. Dans la partie Nord-est de Nguékokh, le relief est plutôt accidenté avec un sol latérite ferrugineux dans la forêt classée de Bandia
Situation socio-économique actuel
L’environnement socio-économique de Nguékokh est marqué par la proximité de trois pôles actifs : Mbour, Dakar et les stations balnéaires de la petite côte. Cette position stratégique a permis une bonne accessibilité aux infrastructures routières, électriques, téléphoniques ainsi que les services de santé et d’éducation, favorisant ainsi le développement du commerce, des transports, des activités touristiques et finalement de toute son économie. Le secteur primaire, avec l’agriculture et l’élevage, domine largement les activités de la commune. L’élevage concerne principalement les bovins et les caprins, et l’agriculture, le mil et l’arachide. Développement du tourisme et de l’urbanisation Constituant une bonne étape entre Dakar et l’arrière pays à proximité de la petite côte qui abrite la principale station balnéaire du pays à Saly Portudal, Nguékokh jouie d’une urbanisation galopante, entraînant ainsi une forte spéculation foncière. Dans ce contexte, les terres deviennent de moins en moins accessibles : augmentation du prix de la terre et du fermage, les possibilités d’emprunt sont rares. Attiré par le gain, beaucoup d’agriculteurs ont vendu leurs terres, souvent les plus fertiles. Le développement des activités touristiques dans la zone, a permis de créer des emplois qui ne demandent pas une grande qualification : gardiennage, femmes de chambre, jardinage etc. Du coup, beaucoup de fils d’agriculteurs et d’éleveurs ont abandonné les activités agricoles qu’ils trouvent relativement pénibles et peu rentables. Cette situation pose donc le problème de succession au niveau de certaines exploitations agricoles. D’ailleurs certains agriculteurs ne sont plus motivés pour investir dans l’agriculture et préfèrent vendre leurs terres. Avec l’expansion urbaine, l’habitat a gagné des terres sur les parcelles agricoles. Quant aux agriculteurs, leur demande en champs a augmenté avec l’épuisement des sols. Ces deux phénomènes ont entraîné une diminution des zones de parcours pour les animaux. Ainsi, les éleveurs disposant d’un grand troupeau sont contraints d’aller en transhumance pendant 79 une période de l’année. Les autres par contre, restent sur place et pratiquent la culture d’arachide et de mil Type d’habitat et rapports familiaux des trois premières ethnies implantées à Nguékokh – Sérères et Wolofs L’habitat est collectif et les membres d’un lignage habitent la même concession, bâtie en briques de ciment et couverte de tôle en zinc. Le chef de concession est généralement l’homme le plus ancien. L’agriculture est leur principale activité. Les femmes participent souvent aux travaux des champs (désherbage, opérations post récolte), laissant toutefois aux hommes les tâches nécessitant le plus de force physique (labour). Les femmes n’ont que rarement accès à la terre, l’héritage selon le droit coutumier se faisant de père en fils (pour les Wolofs) et d’oncle en neveu (pour les Sérères). L’homme se charge de la vente des produits et de la gestion de la trésorerie – les peuls L’habitat est collectif. Les membres d’un lignage habitent la même concession, composée de cases. Le chef de concession est généralement l’homme le plus ancien. Les garçons et les filles participent aux travaux d’élevage ou de ménage et sont initiés très tôt au rôle qui leur est dévolu en fonction de leur sexe. L’élevage bovin revêt d’une importance primordiale pour l’organisation sociale et l’identité ethnique des Peuls. Il joue aussi un rôle économique de premier plan puisqu’il fournit aux ménages peuls leur aliment de base, à savoir le lait, ainsi que la plus grande part de leurs revenus monétaires. Contrairement aux Sérères et aux Wolofs, la commercialisation du lait est du ressort des femmes, qui détiennent de ce fait une position importante dans le secteur monétaire de l’économie domestique des Peuls. Le troupeau se compose de bêtes appartenant à divers membres de la concession. Peuvent être propriétaires de bovins, les hommes, les femmes et, dans des proportions limitées, les enfants.
La Municipalité
Créée en 1996 par décret n°96-752 du 05 septembre 1996 en même temps que plusieurs autres communes comme Golléré, Semmé, Kanel etc, la commune de Nguékokh était le siège de l’arrondissement qui regroupait les communautés rurales de Diass, Malicounda et Nguékokh. La population nguékokhoise comptait 10000 habitants en 1996 au moment de son érection en commune. La commune comporte quatre grands quartiers : Keur Sidy, Diamagueune, Ndalor et Pikine.
QUELQUES CARACTERISTIQUES CULTURELLES DES SERERES DE NGUEKOKH
En dépit du fait qu’Omlam Sène a quitté le Cayor (puisque les Dammels n’existaient qu’au Cayor) et que Ndiouma Thimane Sène est venu de Diourbel, des sociétés bien wolofs, ils ont su conserver les caractéristiques de leurs sociétés originelles qu’on peut replacer avec une certaine probabilité, dans la contrée du Sine car leurs patronymes ‘Sène’, leur appartenance à l’ethnie sérère, et la langue du sérère-sine utilisée par les Sérères de Nguékokh, nous permettent de restituer. Ainsi ils parviendront à réinstaurer tous les piliers de cette culture dans ce village qu’ils ont fondé. C’est ainsi que nous en choisirons quelques uns figurant dans les récits.
La matrilinéarité
La matrilinéarité regroupe en son sein la relation avunculaire et l’héritage matériel. La relation avunculaire est une relation qu’entretient l’oncle et son neveu. Elle permet à ce dernier d’hériter son oncle à la mort de celui-ci et même parfois de le succéder au trône s’il s’agit d’un roi. Mais aussi, cette relation le contraint en même temps, à ne jamais se montrer ‘supérieur’ à lui même si l’occasion se présente. C’est pourquoi dans le récit 2, à deux reprises, le neveu a cédé le lamanat de Nguékokh à ses oncles expliquant qu’il ne peut pas les ‘diriger’. « Modou Sène, Samba Faye est son oncle, il lui donna le lamanat car il soutient qu’il ne peut pas le diriger or, Modou Sène et Wali sont de même père mais pas de même mère. Cependant, Hamat est l’oncle de Wali. Baye Modou Sène, le considérant comme son oncle, lui donna aussi le lamanat et lui confia Thiékess. C’est ce qui fait de Hamat, un lamane. C’est pourquoi ce sont les deux dirigeants qui étaient en même temps dans le village ». Ce qui est à retenir sur le fait que Baye Modou Sène céda le lamanat à Khamacone est que cette relation est si sacrée que l’oncle du demi-frère est considéré comme le sien mais aussi cette relation doit être préservée même si elle coutera l’imposition de deux lamanes qui règnent en même temps et que la chefferie soit partagée en deux. En outre, cette relation est si importante à telle enseigne que le neveu ferait tout son possible pour embellir la personnalité de son oncle. C’est ce qui est à l’origine du comportement de Baye Modou Sène face à Khamat après l’avoir donné le lamanat : 81 « Cependant, là où Khamat habitait, et que l’on nomme ‘keur Khamat’, c’est Baye Modou Sène qui scinda son champ et lui donna où résider ». Nous savons que posséder une résidence est une obligation pourqu’un lamane soit respecté puisqu’il est censé être le propriétaire des terres. En plus, dans cette même optique d’embellissement de la personnalité de son oncle, le neveu mettra à sa portée tous les moyens essentiels pour asseoir une autorité comme le confirme cet extrait suivant du récit 2 : « Baye Modou Sène allait à ‘la pierre de Gandigal’. A cette occasion, tous les villages environnants s’y retrouvaient mais Khamat n’y allait pas car on ne convoquait que les fondateurs respectifs de Nguékokh, de Malicounda, de Takhoum, de Djilakh etc. Et ils se regroupaient à cette pierre’ et chacun disait ses prédictions concernant l’hivernage. […] A son retour, on convoquait une réunion, on appelait toujours Khamat et lui donnait la parole. Après avoir parlé, les gens de Nguékokh savaient que Khamat a parlé et ce qu’il disait n’était jamais démenti. Ce qui lui procura une certaine considération auprès des nguékokhois. […] Baye Modou Sène lui considérait comme son oncle c’est pourquoi, dès qu’il revenait de Gandigal, il lui répétait les prévisions conclues lors de cette rencontre ». De plus, ce sont des lois sociales à ne jamais transgresser ni par le neveu encore moins l’oncle. C’est pourquoi d’ailleurs dans le récit 2 Gayti sentant sa mort prochaine, s’arrange de telle sorte qu’il n’ait pas de discorde entre ses fils et ses neveux après sa vie à trépas et essaie que ce qui revient de droit á ses neveux à savoir l’héritage ne soit pas usurper par ses fils. Ce qui le poussa hélas à se séparer de son fils d’après le récit 2 : « Du fait que Gayti avait beaucoup d’argents, Khonit de même, puisqu’en ces temps, chez les Sérères c’est le neveu qui héritait, et lui sachant qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps à vivre, il lui ordonne de déménager ici à Thiékess à cause de son argent. Ainsi, quand ses neveux viendront pour l’hériter, on pourra distinguer les biens ». Toutes ces précautions prises par Gayti sont très compréhensibles puisque chez les Sérères l’héritage matériel est matrilinéaire c’est-à-dire que c’est la lignée maternelle qui a droit aux biens contrairement à ce qui se fait actuellement : les Sérères héritaient non de leurs pères mais de leurs oncles quoique cette héritage fut immense : « C’est pourquoi à la mort de mon grand-père Khonit, ses fils n’ont pas hérités de ses vaches. Toutes les vaches ont été amenées par les neveux et pourtant il en avait tellement que parfois il montait sur son cheval, se promenait jusqu’à voir un troupeau, demanda le propriétaire, on lui répondait que c’était un éleveur tel mais que c’est Khonit qui les confia à celui-ci pour qu’il sache qu’il en est le propriétaire. Pourtant toutes ces vaches, mon père n’en a pas eu une seule car cette richesse appartenait à la lignée maternelle ». Ainsi, nous en déduisons que le Sérère s’occupait plus du bien-être de son neveu que celui de son propre fils. De plus, l’oncle avait le devoir de contribuer à la réussite sociale de son neveu. C’est pourquoi, l’oncle donnait souvent sa fille en mariage à son neveu car, mis à part la consolidation de la lignée de par cette union, le mariage était l’acte par lequel le Sérère se réalisait socialement parce qu’il permet d’accéder au monde des adultes. C’est la raison pour laquelle si l’oncle aide son neveu dans cette entreprise, contribue à son parfait épanouissement dans la société. Dans cette veine d’idée les oncles seront parfois tentés de procurer à leurs neveux une demeure et des champs où cultiver pour nourrir leurs familles comme c’est le cas dans le récit 2 : « Ndew s’est mariée ici à Nguékokh. A l’origine son domicile conjugal était à Malicounda, c’est là-bas qu’elle a été donnée en mariage. Par la suite, mon grand-père est allé les récupérer, elle et son mari, et les a amenés ici. Il leur donna des champs pour cultiver car son mari est le neveu du vieux. » Même en ce qui concerne les choses essentielles de la vie d’un Sérère comme la religion, les oncles l’imposaient à leurs neveux car leurs vies sont intimement liées à un tel point que leurs croyances devaient être communes. Surtout concernant la religion sérère animiste : un Sérère peut donner à ses fils la liberté de choisir la religion qu’ils voudraient suivre mais imposera à son neveu sa croyance pour la bonne pratique de sa religion, surtout lors des célébrations funèbres, le Sérère ‘’ceedo’’ avait besoin de son neveu comme l’affirme le récit 2 : « Khonit n’avait pas mangé le poulet mais il donna la permission à ses fils tels que Baye Modou Sène, mon père, et les autres de se convertir. Néanmoins, il dit à Baye Djibal Ngom, le père de Pape Ngom qui est au dispensaire : – toi tu ne te convertiras point car tu es mon neveu et qu’à ma mort, c’est toi qui fera mon rite ceedo. Si tu te convertis, tu ne pourras point faire mon rituel ceedo par exemple battre les tam-tams et tout ce qui s’en suit ».
INTRODUCTION |