La cause est à la fois ce par quoi un événement, une action humaine arrivent, se font. C’est également le principe d’où une chose tire son existence. C’est aussi ce pour quoi on fait quelque chose. Ainsi, la définition de la notion de cause inclut à la fois l’idée d’origine et celle de but (Rey-Debove 2004 : 246). En effet, le terme cause désigne aussi bien l’antécédent décrit dans le processus, que le processus même de cause, c’est-à-dire la relation qui se crée entre les deux événements, désignée aussi par le terme causalité. La cause entre les deux événements est posée linguistiquement par les connecteurs de cause, qui ont pour rôle linguistique de réunir l’expression de ces deux événements afin de conférer à l’énoncé une interprétation causale, voir Adeline Nazarenko (2000 : 3 ) et aussi Sophie Hamon (2006 : 49-52).
Pour notre étude comparative, nous avons choisi le français parlé à Paris et l’arabe libyen parlé à Tripoli, le plus documenté par rapport à l’arabe de Benghazi et l’arabe de Fezzân. L’arabe de Benghazi a bénéficié de quelques descriptions ; les plus importantes sont celles d’Elpidio Iannotta (1933), Ester Panetta (1943), celle de Jonathan Owens (1984),et, plus récemment, l’article d’Adam Benkato (2014) qui nous offre une esquisse de description actualisée l’arabe parlé à Bengahazi. Quant à l’arabe parlé à Fezzân, les documents laissés par William et Philippe Marçais, à partir des recherches qu’ils ont effectuées sur le terrain dans les années 1940, ont abouti à une description (qui a été publiée en 2001), mais qui est incomplète. Or l’arabe de Tripoli bénéficie d’études depuis la fin du 19ème siècle avec les travaux de l’allemand Hans Stumme 1898, suivis de nombreuses publications parues pendant l’occupation italienne de la Libye (principalement l’ouvrage d’Alfredo Trombetti 1912, d’Eugenio Griffini 1913 et celui d’Antonio Cesàro 1939). Plus récemment, depuis le début des années 2000, les travaux de Christophe Pereira ont permis de remettre l’arabe de Tripoli à l’ordre du jour.
Dans l’ensemble, ces travaux descriptifs insistent beaucoup plus sur la phonétique, la morphologie et le lexique. Bien que des travaux plus récents aient considéré des éléments de syntaxe (Pereira 2008 et 2010), la syntaxe reste le parent pauvre de la linguistique arabe et les connecteurs de cause n’y sont abordés que sommairement. Afin de combler un tant soit peu cette lacune, nous avons décidé d’étudier les connecteurs de cause arabes, liʔǝnna, ʕlēxāṭǝṛ, māhu, biḥkum en les comparant à parce que pour le français parlé à Paris.
Mais pourquoi uniquement parce que et pas un autre ? Nombreux sont les linguistes qui ont observé que parce que « morphème polyfonctionnel qui possède plusieurs fonctionnements distingués par des propriétés distributionnelles et sémantiques » manifeste une fréquence maximale, dans les corpus oraux, par rapport aux autres connecteurs. Pour sa part, Jeanne-Marie Debaisieux (1994 : 11) confirme cette fréquence : « […] bien que et quoique […] sont pratiquement absents de nos corpus, alors que l’on y relève en moyenne plus d’un parce que par minute ». Lisbeth Degand & Benjamin Fagard (2002 : 120) constatent également que « Les analyses sur corpus confirment que les fréquences des deux connecteurs sont très similaires à l’écrit, alors qu’à l’oral, parce que devient onze fois plus fréquent et que car disparaît quasiment ». De la même manière, Emmanuelle Canut (2013 : 149) affirme que son corpus manifeste une fréquence majeure du morphème parce que par rapport bien que, tandis que, si bien que, ce qui fait que, quoi que…
Le but de la présente étude est de décrire les propriétés syntaxiques et les fonctionnements pragmatico-discursifs des ligateurs de cause dans le discours oral : parce que et de liʔǝnna, de ʕlēxāṭǝṛ, de māhu et de biḥkum. Notre étude contrastive sera centrée sur l’analyse de deux corpus différents. Il s’agit de comparer ces ligateurs dans le français parlé à Paris et dans l’arabe parlé à Tripoli (Libye) afin de mettre en évidence les convergences et les divergences entre ces deux corpus. Il s’agit de préciser leur principe organisationnel. Ont-ils le même principe organisationnel ? Il s’agit aussi de vérifier s’ils ont le même type de fonctionnement.
Le corpus comprend principalement des énoncés descriptifs et narratifs, parfois argumentatifs. Poser des questions et attendre la réponse sont des éléments qui font partie de la méthodologie que nous avons adoptée pour établir le présent corpus, notre objectif étant de recueillir un maximum d’énoncés contenant les équivalent de « parce que ». En ce qui concerne la mise par écrit, elle en est passé par quatre étapes : la transcription écrite , la translittération, la traduction littérale puis sémantique.
Notre corpus est extrait de Discours sur la ville, Corpus du Français Parlé Parisien des années 2000 (CFPP2000). Nous signalons que nous n’avons retenu parmi toutes les données diffusées que les interviews concernant le VIIe arrondissement de Paris. Ce choix est justifié par les deux raisons suivantes :
I) Les enregistrements de cet arrondissement présentent le plus grand nombre d’heures -six- par rapport aux autres enregistrements ce qui permet d’avoir un maximum de parce que.
II) Ce corpus n’a pas bénéficié d’études sur le morphème parce que.
Ont été privilégiés les locuteurs qui ont passé leur petite enfance à Paris ou dans la proche banlieue et, dans un premier temps, les natifs :
[…] … dans le projet initial de CFPP2000, les natifs étaient privilégiés : l’objectif de la première phrase de recueil des données était de constituer une base permettant de décrire les variations de la langue « commune », afin de les distinguer éventuellement des variantes qui résultent de l’impact des langues premières des migrants sur leur français qui reste du « français langue seconde ». Il nous avait paraît important de ne pas rabattre la situation de la langue , pays à idéologie monolingue où l’administration, l’école qui scolarise tous les enfants, les médias, le monde du travail sont massivement francophones, sur la situation africaine où le plurilinguisme n’a pas le même statut. Dans une première étape, seuls ceux qui sont nés ou qui sont arrivés avant l’âge de sept ans dans les zones d’enquête ont donc été pris en compte ».
Entre ces locuteurs, les groupes ont été constitués sur un réseau de connaissances : « Des dyades (couple, amis) ont été enregistrées chaque fois que c’était possible de façon à atténuer l’impact de la situation d’enregistrement. Pour les mêmes raisons, les enquêtés sont contactés à partir d’un réseau de connaissances et non de façon aléatoire. Cependant notre but n’est pas de travailler sur les réseaux sociaux à la façon de Lesley Milroy (1980), mais seulement de faire en sorte que la situation d’enquête n’apparaisse pas comme trop « intrusive » » .
Les enquêtés sont douze personnes au total, dont huit femmes et quatre hommes, résident pour la grande majorité dans le septième arrondissement. À noter qu’un pseudonyme leur a souvent été attribués. Quant aux enquêteuses, elles sont deux.
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