ETUDE COMPARATIVE DE LA COSMETOPEE DES PEUL ET DES WOLOF DU FERLO NORD (SENEGAL)
Usages Vétérinaires
Fourrage
Gning et Tluczykont (1985) ont montré qu’à Widou tout comme à Labgar, le régime alimentaire des animaux variait en fonction de la période et de l’espèce animale. Ces travaux sont confirmés par les résultats de Koutodio (2005) dans la zone de Vélingara (Ferlo). Pendant la 38 saison des pluies, les animaux consomment peu de feuilles d’arbres. En revanche, le pâturage aérien devient important pendant la saison sèche, et les bêtes consomment pratiquement la majeure partie des repousses des arbres et des arbustes. Ce type d’alimentation caractérise plus particulièrement les ruminants (Koutodio, 2005). D’après les estimations de Diop (1989), les caprins consomment plus de feuilles que les ovins et, ces derniers en consomment plus que les bovins qui en consomment plus que les équins. Les plantes les plus appétées sont : Balanites aegyptiaca, Acacia tortilis, Grewia bicolor, Adansonia digitata. (Niang, 2009). Ces résultats confirment ceux de Diop (1989), qui rajoute à la liste précédente Sclerocarya birrea et Ziziphus mauritiana. Depierre et Gillet (1991) renchérissent que Maerua crassifolia est une des plantes fourragères les plus connues qui renfermerait une forte proportion de matières azotées à l’image de la plupart des Capparaceae connus pour leurs valeurs nutritives élevées. Il a par ailleurs été confirmé que les feuilles de M. crassifolia apparaissent comme un fourrage de haute qualité nutritive et une excellente source de protéine et de minéraux (Houmey et al., 2012). La teneur en matières azotées de Maerua crassifolia serait comparable à celle de certaines plantes de la zone sahélienne jugées fourragères telles que Balanites aegyptiaca (Kabore-Zougrana et al., 2008), Acacia senegal (Ickowicz et al., 2005) et Calotropis procera (Fall, 1993).
Médicinal
Très peu d’études sont consacrées à la médecine vétérinaire traditionnelle alors que le faible revenu des populations pratiquant l’élevage extensif, et l’accès difficile aux vétérinaires ne permettent pas toujours une prise en charge médicinale moderne. La médecine vétérinaire traditionnelle est alors toujours très largement recourue en première instance. Les pathologies les plus courantes dans la zone sont : fièvre aphteuse, botulisme, pasteurellose, trypanosomoses des ruminants, charbon symptomatique, clavelée, piétin, parasitoses internes, stérilité mammite… (Kassé, 2015). Certaines de ces pathologies sont traitées à base de végétaux alors que d’autres restent mal connues des populations locales. La fièvre aphteuse semble être très bien connue et dans près de 97% des cas, un traitement traditionnel à base de plantes est proposé (Kassé, 2015). Dans le traitement de cette maladie, quatre plantes ont été indiquées : Acacia nilotica subsp adstringens, Waltheria indica, Jatropha chevalieri, Combretum glutinosum (Kassé, 2015). Acacia nilotica subsp adstringens (gawdé) a été de loin la plus utilisée (90%) dans le traitement 39 du botulisme. Elle a par ailleurs un bon niveau de fidélité de 78,5% et serait peut-être plus efficace que les autres pour le traitement du botulisme (Kassé, 2015). Le piétin est également très bien connu par les populations locales. 100% des personnes enquêtées ont proposé un traitement à base de plantes. Il s’agit de gawdé (Acacia nilotica sub sp adstringens), de koylé (Mytragina inermis) et d’endignewo (Cissus quadranguaris) (Kassé, 2015). Dans la société peule, le lait occupe une place de choix aussi bien dans l’alimentation que dans le revenu des ménages. En effet, pendant les périodes de fortes productions, le lait occupe une place considérable dans les menus des familles, et l’excédent laitier est vendu. Les femmes vendent le lait à 350 F CFA le litre. Une bouteille de beurre vaut 1200 et 1500 FCFA (Cesaro, 2009). La production de lait est marquée d’une très forte saisonnalité, de ce fait le prix des produits laitiers est très instable. En saison sèche, le prix du lait augmente car la production est relativement faible, alors qu’en saison humide, le lait de la traite est abondant et son prix chute considérablement (Ninot, 2000). Ainsi, pour pallier au manque d’herbes fraiches et de bonne qualité, synonyme de bonne production laitière, des alternatives sont mises sur pied, et ce, avec des plantes. C’est pourquoi certaines plantes sont dites galactogènes dont les plus populaires sont : Balanites aegyptiaca, Acacia tortilis var. raddiana, Adansonia digitata et Grewia bicolor (Kassé, 2015). Certaines plantes seraient toxiques pour le cheptel et, leur toxicité causerait de sérieux ennuis. La plupart des plantes citées n’existent plus dans la zone ou sont rares. Toutefois, lors des transhumances les bergers les reconnaissent parfaitement. Les espèces les plus dangereuses seraient le teydoumwar (Euphorbia sp) et le darbogel (Adenium obesum) (Kassé, 2015). Ces deux espèces causeraient un fort taux de mortalité subite. D’ailleurs, d’après les autochtones, les bêtes en reconnaissent certaines comme Adenium obesum et ne s’en approchent jamais. D’autres espèces provoquent des troubles digestives modérées à mortels en fonction du niveau de consommation, de la résistance individuelle de l’animal de l’âge de celui-ci (Kassé, 2015). C’est les cas des feuilles de Datura metel, Cissus populnea, Calotropis procera, Corchorus tridens. La consommation de feuilles de Leptadenia hastata provoquerait des avortements (Kassé, 2015). 1.6.3.2 Usages humains Les plantes au Ferlo sont essentiellement exploitées à des fins médicinales aussi bien chez les Peul (41%) que chez les Wolofs (45%) (Niang, 2014). D’après Diop (1989) et Koutodio 40 (2005), les plantes au Ferlo sont respectivement plus utilisées à des fins médicinale, alimentaire, énergétique, construction, artisanale et commerciale.
Usage médicinal
L’emploi des végétaux à des fins thérapeutiques concerne surtout Balanites aegyptiaca et Grewia bicolor avec des proportions de 41% et 32% respectivement (Niang, 2009). L’utilisation des plantes à des fins thérapeutiques est de 20,57% (Diop, 1989). La prédominance de l’usage médicinal sur les autres catégories d’usages est très largement rapportée dans différentes communautés (Diatta, 2016 ; Guèye, 2012). Les pathologies dominantes au Ferlo, d’après les Peul, sont respectivement : les douleurs abdominales, l’HTA (Hypertension Artérielle), les ulcères. Selon les Ouolof, les asthénies sont majoritaires, suivies par l’HTA (Hypertension Artérielle), puis les rhinites en troisième position (Niang, 2014). Les fruits de Balanites aegyptiaca seraient utilisés au Ferlo dans le traitement de la tension artérielle, l’écorce de Grewia bicolor contre la fatigue, les feuilles de Guiera senegalensis contre le rhume et les feuilles de Boscia contre les parasites intestinaux et les maux de ventre (Diop, 1989). La saponine et la diosgénine issues de la pulpe et de l’amande du Balanites aegyptiaca, sont utilisées dans la pharmacie moderne et auraient un effet contraceptif et un pouvoir molluscicide très fort (AlFutuh, 1989). Nous ne connaissons pas d’études à l’état actuel concernant les plantes aphrodisiaques alors que les Malinké de Tomborokoto exploitent 16 espèces végétales dans ce sens (Guèye, 2012). Les fruits de Balanites aegyptiaca servant au traitement de la tension artérielle sont avant tout utilisés à des fins alimentaires.
Usage alimentaire
L’usage des plantes à des fins alimentaires est très répandu au Ferlo (Belemvire et al., 2008 ; Diop, 2009 ; Niang, 2014). Les espèces les plus consommées sont Balanites aegyptiaca, Ziziphus mauritiana (photo 3) et Adansonia digitata dont les fruits font également objet de commerce (Niang, 2009). Chez les Peul, la partie des plantes la plus consommée est la feuille et les plantes les plus prisées sont : Adansonia digitata, Leptadenia hastata et Cassia italica (Niang, 2014). Les feuilles d’Adansonia digitata et de Ziziphus mauritiana sont, en fait consommées sous forme de condiments ou comme légumes séchées souvent moulues dans certains pays comme le Burkina (Belemvire et al., 2008). En milieu Wolof, le fruit est en revanche l’organe le plus 41 consommé. Les espèces les plus appréciées sont : Adansonia digitata, Zizyphus mauritiana, et Boscia senegalensis (Niang, 2014). Au niveau de l’Herbier IFAN, les fruits directement utilisés sans aucune transformation sont plus consommés en Afrique de l’Ouest (30%) suivis par les légumes (27%) et les organes dont les formes de consommation ne sont pas précisées (26%) (Guèye, 2012). Au Ferlo, Diop (1989) et Belemvire et al., (2008) signalent par ailleurs que les fruits de Sclerocarya birrea, riches en vitamine C, sont très appréciés des enfants. Effectivement, d’après les résultats de Sène et al., (2018), la teneur en acidité des fruits issus des zones AmalyWidou (150,1 meq/l) et 199 meq/l pour ceux issus de Linguère-Dodji est relativement supérieur à celles trouvée dans les fruits d’Adansonia digitata lui-même 6 fois plus riche en acide ascorbique que les agrumes (Guiro et al., 2012). Photo 3 : Commerce de Ziziphus mauritiana à Labgar (auteur : DIATTA, 2017)
Usage commercial
La gomme arabique tirée d’Acacia senegal serait le premier produit non ligneux commercialisé au Ferlo (Niang, 2009). Cependant, la contribution des fruits de plantes telles que Balanites aegyptiaca, Ziziphus mauritiana, Adansonia digitata et Boscia senegalensis au pouvoir d’achat des populations locales n’est pas négligeable (Diop, 1989). La réduction de la population d’Acacia senegal résultant des aléas climatique a naturellement baissé les quantités de gomme arabique vendues. Le kilo gomme arabique coûtait, en 2017, 600 FCFA (planche 3 b) et celui de C. africana était vendu au prix de 400 FCFA (planche 3 a). Les fruits d’Acacia tortilis, et de Faidherbia albida, destinés à l’alimentation du bétail, sont également bien commercialisés (Diouf et al., 2002). 42 Planche 3 : Commerce de gomme au Ferlo (auteur : DIATTA, 2017)
Usage artisanal
L’activité artisanale est peu courante dans la zone et le niveau d’exploitation des plantes dans cette activité reste faible avec comme principales espèces, Sclerocarya birrea (5%) et Pterocarpus lucens (1%) (Niang, 2009) (planche 4 a). L’artisanat au Ferlo est en fait une activité réservée aux Loabé qui confectionnent des ustensiles de cuisine : calebasse (planche 4 C), mortiers, pilon… (Ka, 2017). Les Laobé fabriquent également les diapou (le diapou est une sorte d’écumoire en bois). Ils confectionnent aussi d’autres objets utiles comme les bassins, les manches d’hache et d’hilaire, les tabourets etc. et connaissent tout l’arbre généalogique de la fraction à laquelle ils sont rattachés… (Ka, 2017). Des couvercles faits à base d’Andropogon sp. et d’Eragrotis tremula habilement tissés servant à fermer les calebasses contenant le lait (planche 4 b) ont aussi été rapportés. Planche 4 : Illustration de l’usage des plantes à des fins artisanal (auteur : DIATTA, 2017). a) Commerce Gomme de C africana (Labgar) b) Commerce de gomme arabique (A. senegal) (Labgar) a)Confection de banc chez les Laobé (Widou) b) Couvercle de calebasse de lait (A. gayanus) (Widou) c) Calebasse en bois (Widou)
Usage énergétique
L’emploi des plantes comme source d’énergie concerne surtout le bois de chauffe destiné à la cuisson (planche 5). Les bois de Balanites aegyptiaca, Grewia bicolor et Acacia tortilis sont les plus utilisées (Niang, 2009). Par contre, Adansonia digitata et Boscia senegalensis sont très faiblement utilisés en raison respectivement de la légèreté du bois et de la fumée produite (Diop, 1989). Les plantes préférées en milieu Ouolofs sont : Grewia bicolor, Acacia tortilis et Dalbergia melanoxylon (Niang, 2014). Certaines de ces plantes telles que Grewia bicolor interviennent également dans la construction d’abris essentiellement faits de végétaux au Ferlo. Planche 5 : Cuisine dans un campement (Widou) (auteur : DIATTA, 2017)
Construction
Grewia bicolor apparaît comme la principale espèce utilisée en construction mais, les usages de Balanites aegyptiaca et d’Adansonia digitata en la matière ne sont pas négligeables (Niang, 2009). Selon Diop (1989), le bois de Grewia bicolor, Pterocarpus lucens et la tige de Guiera senegalensis et Calotropis procera sont plus utilisés. L’emploi de Pterocarpus lucens comme principale espèce dans le domaine de construction dans les localités de Labgar à Barkédji en passant par de Loughéré-Thiolly serait dû à la présence de l’espèce dans cette zone. En revanche, vers Widou, Tessekéré et Amaly, l’usage de Grewia bicolor est beaucoup plus courant que celui de Pterocarpus lucens qui n’y existe presque plus. Aussi, les vingt (20) années d’intervalle séparant 1989 à 2009, suffisent-elles pour occasionner la disparition d’espèces dans cette zone soumise aux pressions climatiques et anthropiques. Les espèces disparues sont évidemment remplacées par d’autres plus adaptées au milieu même si elles ne sont pas les 44 meilleures en la matière. Ainsi, certaines espèces adaptées comme Balanites aegyptiaca et Calotropis procera servent pratiquement à tout (planche 6 a et b). Planche 6 : Illustration de l’usage des plantes en construction (auteur : DIATTA, 2017)
Usages médico-magiques
Selon les croyances populaires peules, toutes les plantes en général, et les plantes médicinales en particulier, abritent des génies qui confèrent aux plantes leurs fonctions soignantes. Ainsi, l’efficacité d’un remède est conditionnée par un procédé que le guérisseur doit suivre minutieusement avant et après l’extraction des racines, l’écorçage ou la cueillette des feuilles d’une plante médicinale pour ne pas froisser la sensibilité des génies et manquer la fonction thérapeutique de la plante (Ka et al., 2016). Selon Niang (2014), la nudité du récolteur est incontournable pour la guérison de certaines pathologies. Les plantes hérissées d’épines se font appelées nam niass et celles non épineuses, nam ley (Niang, 2014 ; Ka et al., 2016). Par conséquent, avant de couper une plante, on la salue par « Salamalaikoum nam niass » ou « Salamalaikoum nam ley », c’est le salminaari (salutation) (Ka et al., 2016). Une autre condition nécessaire à cette efficacité d’après le même auteur est la contrepartie que le cueilleur doit laisser à la plante en échange de ce qu’il lui a pris, le dieynaari. Les maladies ciblées dans ces pratiques sont majoritairement celles qui sont causées par des génies, suite au maraboutage, à la sorcellerie anthropophage… Nous avons observé que beaucoup de ces produits sont commercialisés sous a) Femmes construisant une case avec du C. procera (Widou) b) Chaume de case en construction avec du bois de C. proceraC. Procera (début) c) Chaume en construction (fin) (Widou) 45 forme de poudre, de racines en association avec des objets mystiques dans les marchés hebdomadaires (photo 4). A Tomboronkoto, certaines espèces culturelles (dont Borassus aethiopum que l’on retrouve au Sud Est du Ferlo), utilisées dans la confection des masques sont potentiellement associées à des représentations médico-magiques lors de cérémonies telles que : la fête des moissons mais aussi certains rites initiatiques (Guèye, 2012). En effet, il est formellement interdit aux jeunes filles impubères de voir de près ces masques si bien qu’à leur vue de loin, la place publique se vide des jeunes filles n’ayant pas encore enfanté au risque de demeurer stérile toute leur vie (Guèye, 2012). D’ailleurs, selon Karadimas et Goulard (2011), le mode de fabrication des masques suit des codes, depuis la collecte des matériaux jusqu’à la mise en scène du masque, en passant par son montage.
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