ETUDE COMPARATIVE DE LA CONJONCTION EN FRANÇAIS ET EN WOLOF
Définition grammaticale de la notion de « conjonction »
L’importance du critère grammatical dans la définition de la notion de conjonction est perçue par la plupart des grammairiens. Joëlle Gardes Tamine (2001 :43) estime que : « La conjonction est un mot invariable qui, (comme son nom l’indique (jonction), sert à joindre des mots, groupe de mots ou des propositions. ». Jean Dubois et René Lagane (p : 96) semblent apporter plus de précision dans la définition de la conjonction. Ils affirment qu’ « une conjonction est un mot-outil invariable mettant en relation deux segments (mots ou groupes de mots) au sein d’un énoncé. Selon la nature de cette relation, on distingue la conjonction de coordination et la conjonction de subordination. ». Pour Michel Arrivé et al. (1989 :39), « Les conjonctions sont, comme les adverbes, les prépositions et les interjections, des parties du discours invariables.On les divise traditionnellement en conjonctions de coordination (et, ni, mais, car….) et, conjonctions de subordination (que, si, bien que, lorsque….). ». Jean Léopold Diouf (2001 :73), en évoquant la nature des conjonctions en wolof, soutient dans une même approche que : « Les conjonctions sont des parties du discours qui permettent de mettre ensemble des termes d’une proposition ou des propositions elles-mêmes dans une relation de dépendance ou non. ». 58 Nous remarquons, à travers ces différentes définitions, que les conjonctions sont des motsoutils. D’ailleurs, selon Aliou Ngoné Seck, les conjonctions appartiennent à une classe d’outils de liaison très divers qu’il appelle des « connecteurs » (Seck ,1999 :9). On considère que sont des connecteurs les unités linguistiques qui ne font pas partie intégrante des propositions, mais qui assurent exclusivement leur liaison. Il est entendu qu’en tant qu’outils de liaison, ces connecteurs exercent : – soit des rapports de coordination, c’est-à-dire d’une relative« indépendance » grammaticale ; la conjonction de coordination fait partie des connecteurs qui assurent ce rôle ; -soit des rapports de subordination, c’est à-dire de dépendance grammaticale ; on devrait trouver dans ce rôle la conjonction de subordination. Nous constatons donc, en français comme en wolof, que la définition de la conjonction ne pose pas de difficultés. Les conjonctions sont des outils de liaison invariables. Une différence de fonctionnement permet de distinguer deux types de conjonctions : -les conjonctions de coordination que l’on peut appeler coordonnants, -les conjonctions de subordination que l’on peut appeler subordonnants. Ces deux catégories de conjonctions correspondent à deux procédés différents de mise en relation de mots ou de propositions. Notre étude tentera d’élucider, par une comparaison méthodique, les caractéristiques des conjonctions, au niveau des deux langues. 2.2.1. La conjonction de coordination Pierre Brisset, à travers une définition simple, insiste sur la valeur syntaxique de la conjonction de coordination. Il affirme (1970 :97) : « Une conjonction de coordination relie, unit deux éléments (noms, verbes, propositions, phrases…) de même fonction et souvent de même nature. ». Maurice Grevisse dans le Bon Usage (1993 :309) estime qu’ « une conjonction de coordination est un mot-outil invariable, qui unit deux phrases, deux sous phrases ou, à 59 l’intérieur d’une phrase indépendante, deux éléments de même fonction syntaxique et généralement aussi de même nature grammaticale. » Michel Arrivé, Françoise Gadet et Michel Galmiche (1989 :41) semblent avoir le même point de vue de la conjonction de coordination lorsqu’ils soutiennent que : « Le lien de coordination unit deux mots, groupes de mots ou phrases, ayant la même fonction par rapport au même mot, ou le même statut pour deux propositions. » Aliou Ngoné Seck (1999 :15) associe en même temps dans la définition de la conjonction de coordination, l’adverbe de liaison. Il affirme « La conjonction de coordination et l’adverbe de liaison établissent entre les segments qu’ils unissent une relation symétrique fondée sur l’égalité des rôles syntaxiques. Les éléments reliés sont de même statut et occupent le même rang. ». On retient, presqu’exclusivement de ces définitions, le critère syntaxique : la conjonction de coordination est définie comme une marque d’égalité fonctionnelle entre les éléments qu’elle associe. Pour Joëlle Gardes Tamine, il convient plutôt d’adopter une position souple et de définir les conjonctions de coordination comme « des éléments n’ayant pas de rôle par rapport au verbe ou à tout autre élément de la phrase à la différence des adverbes, impliquant la présence d’une unité antérieure et servant d’éléments de jonction. »(Tamine, 2001 :46) Cette définition , selon Tamine , intègre à la liste habituelle des conjonctions de coordination en français des mots comme « puis » , « ensuite » , « pourtant » , « cependant » , « toutefois » etc.Nous notons que cette définition n’est pas totalement satisfaisante pour l’objet de notre étude. Pour notre part, nous considérons, par souci de concision, que la conjonction de coordination, en français comme en wolof, est un mot grammatical qui relie deux éléments placés sur le même plan syntaxique. Instrument de liaison, elle maintient l’égalité syntaxique entre les éléments qu’elle conjoint et garantit leur autonomie syntaxique. 60 En français, on peut trouver les conjonctions de coordination telles que : et, or, ou, ni… 2.20. Exemples : a. « Dans le même élan pieux, hommes et femmes priaient en bordure de la route. (USLL, p.56) Dans cet exemple, le mot et relie les deux mots, hommes, femmes qui sont : deux mots de même nature : des noms deux mots de même fonction : des sujets du verbe « priaient ». Ce mot et qui relie ces deux éléments est une conjonction de coordination. b. Mon frère ou le tien termineront ce travail. Dans cet exemple, le mot ou relie les deux mots, frère, le tien qui sont : deux mots ou groupes de mots de nature différente : un nom : frère un pronom : letien deux mots de même fonction : des sujets du verbe « termineront » Ce mot ou qui relie ces deux éléments est une conjonction de coordination. c. « Je ne t’ai jamais proposé d’éduquer l’une de mes filles.Or les jeunes filles d’aujourd’hui sont difficiles à tenir. ».(USLL, 58) Dans cet exemple, le mot or relie deux phrases qui sont : « Je ne t’ai jamais proposé d’éduquer l’une de mes filles » ; « les jeunes filles d’aujourd’hui sont difficiles à tenir ». Ce mot or qui relie ces deux phrases est une conjonction de coordination. En wolof, on peut distinguer les conjonctions de coordination suivantes : « ak » (et), « te » (et, or), « waaye » (mais), « kon » (donc), « ndaxte (souvent réduit à ndax) » (car)…
Exemples :
« Mu daw waaye mbañ yi jàpp ko. » « Il s’enfuit mais les ennemis le rattrapèrent. » Dans cet exemple, le mot waaye relie deux phrases qui sont : « Mu daw » ; « mbañ yi jàpp ko ». Ce mot waaye qui relie ces deux phrases est une conjonction de coordination. 61 b. « Am naa benn fas ak ñari xar. » « J’ai un cheval et deux moutons. » Dans cet exemple, le mot ak relie les deux mots, fas, xar qui sont : deus mots de même nature : des noms deus mots de même fonction : des compléments d’objet direct du verbe « am ». Ce mot ak qui relie ces deux éléments est une conjonction de coordination. c. « Demu fa ndax amuloon joot. « Il n’y a pas été car il n’avait pas de temps. Dans l’exemple (1.24.c) précédent, le mot ndax relie deux phrases qui sont : « Demu fa », « amuloon joot » Ce mot ndax qui relie ces deux phrases est une conjonction de coordination.
La conjonction de subordination
Les tentatives de détermination de la conjonction de subordination ont donné naissance à de remarquables définitions. Aliou Ngoné Seck, dans « les connecteurs argumentatifs du wolof », définit les conjonctions de subordination à travers leur fonction syntaxique : « Elles établissent à l’intérieur de la phrase, une relation dissymétrique entre les éléments qu’elles réunissent.Ces derniers ne sont pas de même niveau : l’un reçoit sa fonction de l’autre. » (Seck, p10) Maurice Grevisse et André Goosse dans le Bon Usage (2011 :153) affirment que : « La conjonction de subordination est un mot-outil invariable, servant à relier deux éléments syntaxiques, de nature différente, plus précisément,un satellite (une proposition subordonnée conjonctive) au noyau (c’est-à-dire le verbe régissant ce satellite). La relation hiérarchique instaurée par ce mot de liaison s’appelle subordination. » Robert Tomassone (p 37) semble s’inscrire dans le même ordre d’idées lorsqu’il soutient que : « La conjonction de subordination relie deux propositions situées sur des plans syntaxiques différents. Elle intègre dans la phrase la proposition qu’elle introduit et matérialise ainsi le lien de dépendance et la hiérarchisation des propositions, l’une devenant rectrice et l’autre subordonnée. » 62 Nous considérons, selon la définition de ces derniers, que la conjonction de subordination est un subordonnant. Elle rattache une proposition subordonnée à une proposition principale. La définition qui nous semble le plus élargir la notion de conjonction de subordination est celle de Michel Arrivé, Françoise Gadet et Michel Galmiche. Pour ces derniers (1989 :41) « Les conjonctions de subordination unissent des termes fonctionnellement inégaux : il y’a dépendance du second élément par rapport au premier, sans réciproque. Le signe de cette dépendance inégale est la concordance des temps, qui joue toujours du premier élément au deuxième, et la concordance des modes, en fonction de la nature de la conjonction (parce que ou si imposent au verbe qui dépend d’elle l’indicatif, bien que ou avant que, le subjonctif, ou de la nature négative ou interrogative de la principale. » Nous pouvons ainsi retenir, à travers ces différentes définitions de la conjonction de subordination, le critère purement syntaxique. La conjonction de subordination est un outil qui établit et matérialise la dépendance syntaxique d’une proposition par rapport à une autre. Elle transforme la proposition qu’elle introduit en sous-phrases s’intégrant syntaxiquement à une phrase rectrice.
Exemples
français a. « Elle marmonne entre ses dents rouges de cola quand elle croise son regarddésapprobateur. (USLL, p. 18) Ici nous avons deux propositions : (Elle marmonne entre ses dents rouges de cola) : Proposition1. (Elle croise son regard désapprobateur) : Proposition 2. La première proposition est une proposition principale. La deuxième proposition est unie, reliée par « quand » conjonction de subordination qui fait partie de cette deuxième proposition. 63 Cette proposition (quand elle croise son regard désapprobateur) est une proposition subordonnée conjonctive. On dit qu’elle est introduite par la conjonction de subordination « quand ». b. « Si les rêves meurent en traversant les ans et les réalités, je garde intact mes souvenirs (…). » (USLL, p.5) La proposition (Si les rêves meurent en traversant les ans et les réalités) est une proposition subordonnée conjonctive. Elle est introduite par la conjonction de subordination « Si ». 2.22.2. wolof a. « Gaal ga di daw ba masin ba far di sàbbaal. »(Jaza’u sakûr, p.9) « Le bateau roulait à tel point que (jusqu’à ce que) le moteur finit par louer Allah.» Nous avons deux propositions. (Gaal ga di daw) : Proposition1. (Ba masin ba far di sàbbaal) : Proposition 2. La première proposition est une proposition principale (régissante, non dépendante) ou « syntagme principal». La deuxième proposition est reliée par ba conjonction de subordination qui fait partie de cette deuxième proposition dite proposition subordonnée. b. « Ndégem taw bi séwet na, kenn manu ma fee téyeeti. » « Puisque la pluie s’est arrêtée, personne ne peut me retenir davantage. » « Ndégem »est une conjonction de subordination. Elle introduit ici une proposition subordonnée à valeur causale. NB : Nous aborderons les différentes formes des conjonctions de subordination et de coordination dans l’étude morphosyntaxique. Nous avons ainsi défini de manières précises les notions de « conjonction », de « conjonctionde coordination », et de « conjonction de subordination ». Cependant il existe une certaine ambiguïté de la coordination et de la subordination qu’il serait intéressant d’élucider.
Ambiguïté de la coordination et de la subordination
Juxtaposition, coordination et subordination
La coordination et la juxtaposition se rapprochent, et l’on parle même parfois de coordination par juxtaposition. De fait, elles sont souvent associées essentiellement dans les structures énumératives. 2.23. Exemples : 2.23.1. français a. « Chez les femmes, que de bruits : rires sonores, paroles hautes, tapes des mains et stridentes exclamations. »(USLL, p. 14) b. « Je me débrouillais pour n’être pas à court de tomates, d’huile, de pommes de terre ou d’oignons (…) » (USLL, p. 99) 2.23.2. wolof a. « Woowal ma yaayam, jabaram, nijaayam walla doomam. » « Appelle-moi sa mère, safemme, son oncle ou son enfant. » b. « Góor ñi, jigéen ñi, xale yi ak mag ñi, ñépp di fecc. » « Les hommes, les femmes, les enfants et les adultes, tous dansaient. » Des grammairiens comme Joëlle Gardes Tamine (2001 :44) choisissent pourtant de séparer la juxtaposition et la coordination sur la base des trois arguments suivants : -« l’ordre des éléments juxtaposés est généralement interchangeable, du moins sur le plan syntaxique, alors que la proposition introduite par une conjonction a une place fixe ; -les rapports sémantiques dans la juxtaposition sont implicites alors qu’ils sont explicites dans la coordination ; -enfin, les deux propositions sont vraiment indépendantes dans la juxtaposition alors qu’elles ne le sont pas complètement dans la coordination puisqu’elles s’insèrent dans un ensemble où elles sont sur un pied d’égalité. » 65 La juxtaposition s’établit entre éléments semblables : propositions, mots ou groupes de mots ayant : -une même fonction par rapport au verbe ou à la phrase.
INTRODUCTION |