Etude clinique et moléculaire de patients porteurs de mutations dans des gènes codant

Matériels & méthodes

Les patients ont été inclus dans le cadre d’une collaboration de plusieurs hôpitaux et laboratoires de diagnostic et de recherche français, en grande partie par l’intermédiaire du réseau EPIgene. Ce réseau rassemble des neuro-pédiatres, des généticiens et des chercheurs en neuro-génétique de toute la France qui étudient les épilepsies d’origine génétique. Il s’agit plus particulièrement des formes d‘épilepsie les plus sévères entraînant des encéphalopathies épileptiques ou des syndromes épileptiques graves. Ce travail a permis de rassembler des cas de patients suivis dans plusieurs centres hospitalo-universitaires comprenant les villes de Marseille, Paris, Lyon, Montpellier, Strasbourg, Bordeaux, Nice, Caen et Toulouse.
Le recueil des données a été effectué à l’aide d’un questionnaire complété par le médecin clinicien qui assure le suivi du patient et/ou par l’examen approfondi des dossiers médicaux des patients. Le questionnaire comprenait plusieurs parties permettant de recueillir des informations cliniques précises concernant le patient, ses antécédents personnels et familiaux. Il mettait l’accent sur la description des premières crises, des premiers électroencéphalogrammes (EEG), le développement psychomoteur et l’examen neurologique lors de la première consultation, au cours du suivi et enfin, l’effet des antiépileptiques prescrits. Les comptes rendus des analyses de biologie moléculaire et des différents examens complémentaires réalisés (en particulier les IRM cérébrales et les EEG) étaient recueillis précisément.

L’épilepsie

Dans ce travail, tous les patients sauf un ont développé une épilepsie. Une crise d’épilepsie est définie comme l’ensemble de manifestations cliniques brutales, imprévisibles, transitoires qui résultent de l’hyperactivité paroxystique d’un réseau de neurones corticaux ou cortico-souscorticaux hyperexcitables et de son éventuelle propagation (Livre du Collège des Enseignants de Neurologie, 2016). Elle peut se caractériser par une modification rapide de l’état de conscience et/ou des phénomènes moteurs et/ou sensitifs, sensoriels, psychiques, végétatifs, et/ou cognitifs.

Biologie moléculaire

L’ADN génomique a été extrait à partir des leucocytes d’un prélèvement sanguin à l’aide de méthodes standards. Les mutations ont toutes été identifiées à l’aide du séquençage ciblé de nouvelle génération de panels de gènes. Il s’agissait de panel comprenant des gènes connus pour être impliqués dans la DI ou l’épilepsie. Le nombre de gènes sur chaque panel était variable en fonction du laboratoire ayant fait l’analyse, mais ils comprenaient tous les gènes GABRA1 (NM_000806.5), GABRB2 (NM_021911.2), GABRB3 (NM_000814.4) et GABRG2 (NM_000816.3) codant pour des sous-unités du récepteur au GABAA.
Les critères suivants étaient pris en compte pour considérer un variant comme pathogène :
– variant non présent dans les bases de données de polymorphismes : par exemple, gnomAD (genome Aggregation Database) constitué de données de 123 136 exomes et de 15 496 génomes, ou ExAC (Exome Aggregation Consortium) constitué de données d’exomes de 60 706 individus,
– variant non-sens, faux-sens, non synonyme,
– variant qui entraînait un décalage du cadre de lecture,
– variant qui modifiait le site d’épissage,
– variants prédits pathogènes par plusieurs logiciels de prédiction in silico (par exemple UMDpredictor, SIFT, PolyPhen, Mutation Taster)
– variant déjà décrit pathogène dans la littérature,
– variant observé de novo chez un patient ou transmis par un parent affecté (si variant hétérozygote).
Le séquençage Sanger traditionnel a ensuite été utilisé pour confirmer toutes les mutations, pour préciser le caractère de novo ou hérité du variant en analysant l’ADN des parents, et pour effectuer des analyses de ségrégation familiale.

Résultats

Dans ce travail, 27 patients sont rapportés. Il a été mis en évidence chez chacun d’entre eux unemutation dans un gène qui code pour une sous unité du récepteur au GABAA. Nous rapportons 23 mutations différentes. Les résultats sont présentés en détail dans le tableau 2.
Les mutations génétiques Vingt-deux des 23 mutations sont à l’état hétérozygote, parmi celles-ci, 20 sont survenues de novo et 3 ont été héritées. Une mutation a été identifiée à l’état homozygote dans une fratrie de 3 patients dont les parents (hétérozygotes) sont cousins germains.
Les mutations ont été identifiées dans 4 gènes : 4 dans le gène GABRA1, 5 dans le gène GABRB2, 12 dans le gène GABRB3, et 6 dans le gène GABRG2. Parmi ces mutations, 6 ont déjà été rapportées et 17 sont rapportées pour la première fois par ce travail. Vingt et un des 23 mutations sont faux-sens causées par une substitution d’un nucléotide. Pour les deux autres il s’agit d’une délétion de 4 nucléotides et d’une duplication de 25 nucléotides entraînant un décalage du cadre de lecture et une protéine tronquée prématurément.
Le récepteur au GABAA est un hétéro-pentamère dont chacune des sous-unités est une protéine transmembranaire composée d’une longue extrémité N-terminale extracellulaire et de quatre domaines transmembranaires. Les variants identifiés se situent en majorité au niveau de trois régions (Figures 2a, 2b, 2c et 2d): l’extrémité N-terminale (n=8), le deuxième domaine transmembranaire (n=7) et la boucle extracellulaire entre le deuxième et le troisième domaine transmembranaire (n=5). Seulement quatre variants sont retrouvés sur les autres domaines protéiques (au niveau des premier et troisième domaines transmembranaires, et de la boucleintracellulaire entre TM2 et 3).

Résultats cliniques

Tous les patients rapportés dans ce travail ont présenté une déficience intellectuelle et tous sauf un ont présenté une épilepsie.

L’épilepsie

Les premières crises sont apparues à l’âge médian de 6,5 mois avec une grande variabilité, allant de dès le premier jour de vie à l’âge de 4 ans et demi.
En ce qui concerne le type de crises d’épilepsie : chez 22 des 26 patients présentant une épilepsie, les crises sont généralisées, elles sont majoritairement de types tonico-cloniques, avec absences atypiques et myoclonies chez 17 d’entre eux, ou plutôt de type atoniques avec spasmes chez 5 d’entre eux. Chez les 4 autres patients, les crises sont focales, avec une composante migrante chez 1 patient et exclusivement nocturnes chez 1 autre patient. Les crises étaient clairement favorisées par la fièvre chez 15 patients.

Traitements anti-épileptiques

Pour tous les patients, plusieurs traitements ont été introduits successivement ou en association.
Les traitements les plus souvent retrouvés efficaces sont l’acide valproïque (VPA – n=8), la Lamotrigine (LTG – n=7), le Topiramate (TPM – n=6), la Carbamazepine (CBZ – n=5), le Phenobarbital (PNB – n=4) et le Levetiracetam (LEV – n=4) auquel on peut rattacher le Piracetam (n=1), forme lévogyre du LEV.
Quatre patients présentaient une épilepsie pharmaco-résistante. Le tableau clinique était sévère chez tous ces patients.
D’autres traitements peuvent aggraver des épilepsies comme le Vigabatrin (VGB) chez un patient porteur d’une mutation dans le gène GABRB3 (patient 13), ou l’Ethosuximide (ETX) chez un patient avec une mutation dans GABRA1 (patient 2) alors qu’ils sont efficaces chacun chez un patient.
La déficience intellectuelle (DI) Tous les patients de notre cohorte présentaient une déficience intellectuelle de sévérité variable (hormis un patient pour qui nous n’avons pas de précision). Elle était sévère ou profonde chez 14 patients, parmi lesquels 10 d’entre eux étaient non marchant et n’avaient acquis aucun langage.
Trois de ces patients sont décédés dans l’enfance du fait de la sévérité du handicap. La DI était modérée chez 10 patients ; ces patients avaient présenté un retard de développement psychomoteur avec une marche et un langage acquis avec du retard. La DI était légère chez 2 patients qui s’exprimaient en faisant des phrases, bien que le langage ait été acquis avec du retard.
La scolarisation était en milieu ordinaire avec une auxiliaire de vie scolaire pour un patient (patient 7), et en classe adaptée pour l’autre (patient 13).

Malformations et traits dysmorphiques

Parmi les données cliniques supplémentaires relevées, huit patients présentaient des traits du visage dysmorphiques et/ou des malformations.
Chez des patients porteurs d’une mutation dans le gène GABRB3 (n=4), il existait des anomalies au niveau de l’étage inférieur du visage : deux patients présentaient un micro-rétrognatisme (patients 17 et 21), un patient présentait un prognatisme (patient 16) et deux patients avaient un palais ogival (patients 10 et 17). De plus, un patient avec une mutation homozygote de GABRB3 avait une fente vélo-palatine (patient 20).
Ces patients présentaient d’autres traits dysmorphiques en plus de l’étage inférieur : le patient 10 présentait un épicanthus avec des fentes palpébrales orientées en bas et en dehors et une plagiocéphalie. Le patient 17 présentait une plagiocéphalie, des doigts longs et une asymétrie faciale avec chute de la commissure labiale à droite, l’oreille droite était grande et mal ourlée, et l’oreille gauche était basse en rotation postérieure.
Concernant les autres gènes : le patient 2 (GABRA1) présentait une macrostomie, un hypertélorisme et des fentes palpébrales obliques en bas et en dehors. Le patient 23 (GABRG2) avait un visage allongé avec une enophtalmie. Le patient 26 (GABRG2) avait des oreilles basses, un philtrum court et élargi et une syndactylie bilatérale des deuxièmes et troisièmes orteils.

Différence de sévérité en fonction de la localisation des variants

En analysant ces résultats il existe des différences en termes de sévérité des tableaux cliniques chez les patients ayant des variants au niveau de l’extrémité N-terminale par rapport aux patients ayant des variants dans les autres régions des sous-unités. Leur tableau clinique était significativement moins sévère. Les différences n’étaient pas retrouvées en s’intéressant spécifiquement à chacune des autres régions.
La médiane de l’âge d’apparition des crises chez les patients ayant un variant au niveau de l’extrémité N-terminale était de 11 mois (minimum : 2 mois, à maximum : 26 mois), alors qu’elle était de 1 mois chez les autres patients (minimum : 1 jours, à maximum : 4 ans et demi). De même, 9 patients ont présenté une épilepsie débutée avant l’âge de 1 mois, aucun de ces patients n’avait de variant situé au niveau de l’extrémité N-terminale. Concernant les syndromes diagnostiqués, pour les patients présentant une EEP, aucun des variants n’était situé au niveau de l’extrémité N-terminale, alors qu’il s’agit du domaine protéique porteur du plus grand nombre de variants dans notre cohorte de patients. Pour ces patients, les variants sont situés au niveau des domaines transmembranaires (n=2 pour TM1 et n=2 pour TM2) ou des boucles entre TM2 et TM3 pour 2 patients, et entre TM3 et TM4 pour le variant retrouvé chez 3 patients de la même fratrie (correspondant à la mutation homozygote).

Discussion

Cette étude est la plus importante en termes de nombre de patients décrits porteurs de mutations dans des sous-unités du récepteur au GABAA. Elle permet de rapporter 17 nouvelles mutations et 6 autres qui ont déjà été décrites dans la littérature.
Ce travail a l’originalité de décrire des patients ayant des mutations dans quatre sous-unités différentes. Cela permet de comparer les sous-unités entre elles, alors que la majorité des études ne s’intéressaient qu’à l’une d’entre elles.
Nous mettons en évidence une corrélation génotype phénotype jamais décrite jusqu’alors qui est liée à la localisation de la mutation dans le gène. Les patients porteurs d’une mutation dans l’extrémité N-terminale du gène ont une épilepsie et une DI significativement moins sévères que les patients porteurs de mutations dans d’autres régions du gène.
Les 27 patients rapportés dans ce travail étaient porteurs d’une mutation dans les gènes codant pour l’une des 4 sous-unités des récepteurs au GABAA les plus répandues chez l’homme : GABRA1, GABRB2, GABRB3 et GABRG2.
Tous les patients étaient atteint d’une DI, et tous sauf un ont développé une épilepsie de sévérité variable.
Le patient 24 est le seul qui n’a pas présenté d’épilepsie. Le variant c.926T>C (p.I309T) du gène GABRG2 a été identifié chez ce patient, il est situé au niveau du 2e domaine transmembranaire de la protéine. C’est un variant rare, non retrouvé dans les bases de données de polymorphismes, il n’a jamais été rapporté dans la littérature et est prédit pathogène par les logiciels de prédiction in silico. Il a été classé variant de signification inconnu du fait de l’absence d’épilepsie rapportée chez le patient (âgé de 4 ans actuellement). Il présente une DI modérée associée à un TSA et à des troubles neuro-visuels avec strabisme et amblyopie, ce sont des symptômes rapportés dans les mutations des gènes GABRAA. Ce patient est à priori, à risque de développer une épilepsie.

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