Étude chémobiologique de sondes magnétogènes et fluorogènes pour l’imagerie moléculaire
Intérêt des sondes magnétogènes pour la détection de biomarqueurs enzymatiques
L’utilisation de nanoparticules pour coupler la présence d’un biomarqueur à un signal mesurable d’ordre magnétique permet de bénéficier d’une sensibilité importante. Cependant, la détection d’activités enzymatiques par cette voie est peu évidente. Très peu d’exemples ont été réalisés[252] ; ils mettent à profit l’agrégation des nanoparticules déclenchées par l’action enzymatique pour entraîner un abaissement local du T2 proportionnel à la concentration en enzyme. Mais la sensibilité est toujours faible ; de plus, les enzymes pouvant être ciblées sont peu nombreuses et d’un intérêt limité pour le diagnostic de pathologies. Or, la quantification efficace et sensible d’activités enzymatiques dans un échantillon biologique est un objectif hautement intéressant d’un point de vue médical (voir page 19), et nos sondes magnétogènes comportant une amidine sont un excellent outil pour y parvenir. En effet, grâce à un bruit de fond minimal et un écart maximal entre les formes non activée et activée par l’enzyme, elles permettent une détection optimale : une simple incubation de la sonde avec l’échantillon suivie d’une acidification du milieu et de la lecture directe de T1 rendrait accessible la concentration de l’enzyme ciblée. Aucune étape supplémentaire de préparation de l’échantillon, de lavage, ou aucun autre réactif ne sont utiles, ce qui simplifie grandement le protocole d’analyse par rapport aux stratégies décrites plus haut. Avant d’envisager l’application de nos sondes pour accomplir le diagnostic de pathologies à l’aide de dispositifs µRMN de type Point-of-care, il serait intéressant d’apporter une preuve de concept de la détection d’une activité enzymatique dans un petit volume grâce à l’utilisation de nos complexes. Afin de simplifier la démarche, nous nous restreindrons d’abord au ciblage d’enzymes modèles dans des milieux simples (par exemple de l’eau tamponnée ou du sérum). J’ai décrit plus haut (voir parties 1 et 2) la synthèse et l’étude de sondes adaptées à cet objectif ; en ce qui concerne l’appareillage, nous n’avons malheureusement identifié aucun dispositif commercial satisfaisant pour réaliser la mesure du T1 dans un volume de l’ordre de la dizaine de µL. Il nous a donc fallu en imaginer un nous-même et le réaliser. Je vais maintenant présenter les deux tentatives que nous avons ou sommes en train de mener, les équipements mis au point et les résultats obtenus.
Première tentative de preuve de concept
Pour réaliser la première preuve de concept de la détection in vitro d’une enzyme dans un microvolume à l’aide de nos molécules, nous nous sommes tournés vers nos collaborateurs du laboratoire CREATIS de l’INSA de Lyon. Spécialistes d’imagerie médicale, et en particulier d’IRM, ils réalisent les images permettant de caractériser nos sondes depuis que l’équipe a commencé à travailler sur ce projet en 2006-2007. Ils disposent en effet d’un appareil d’IRM de recherche dédié au petit animal et de toutes les facilités de traitement des données. Ils bénéficient de plus d’une expertise dans le développement d’antennes IRM de tailles et formes variées pour réaliser l’imagerie d’éléments divers. Nous avons demandé à l’équipe d’Olivier Beuf de réaliser un dispositif permettant la mesure du T1 d’une solution aqueuse d’un volume de l’ordre de 50 µL et contenue dans un tube interchangeable. En réponse, ils ont conçu une antenne émettrice-réceptrice installée sur un lit servant à coucher les souris lors de leur examen (voir Figure 4.16A). L’antenne consiste en un solénoïde en cuivre d’une longueur d’environ 5 mm et de diamètre 1,2 mm lié à une électronique sommaire, et dans lequel un tube en verre de diamètre 1 mm peut être inséré (Figure 4.16B). La bobine permet l’imagerie d’un volume long de quelques mm de la solution présente dans le tube. Ce dispositif est destiné à être glissé dans le conduit de l’appareil IRM et relié à l’amplificateur par un câble coaxial (Figure 4.16C) ; une séquence d’inversion-récupération permet alors l’acquisition du T1. L’intérêt est de permettre la mesure pour de petits volumes (le remplissage du tube requiert une quarantaine de microlitres pour éviter les effets de bord sur l’image), mais sans avoir besoin de concevoir un microaimant spécifique et l’antenne adaptée, ce qui aurait demandé un investissement beaucoup plus conséquent. De plus, le champ magnétique de l’IRM étant de 4,7 T, il est relativement proche de celui avec lequel nos molécules ont été caractérisées (7 T). A Lit pour souris Antenne Tube B Solénoïde Tube Vers câble coaxial Carte électronique C Appareil IRM Conduit Figure 4.16 : Antenne IRM conçue au laboratoire CREATIS pour la mesure de T1 de microvolumes à l’aide d’un appareil IRM dédié au petit animal. A. Vue générale. B. Agrandissement de la région du solénoïde et du tube contenant l’échantillon. C. Appareil IRM utilisé. Je me suis rendu à plusieurs reprises au laboratoire CREATIS pour réaliser les expériences avec les ingénieurs Sophie Gaillard et Denis Grenier. Nous avons d’abord commencé par caractériser l’antenne : le rapport signal sur bruit a été estimé en réalisant successivement l’image de deux tubes, l’un contenant 40 µL d’eau distillée, l’autre contenant le même volume d’une solution commerciale de nitrate de fer(III), et en comparant les niveaux de gris des deux images. Avec un rapport de 56, notre dispositif est très sensible. Malheureusement il est délicat de comparer ce résultat avec ceux décrits dans la littérature : les auteurs mentionnent rarement ce paramètre et ne le calculent pas tous de la même manière. Puis j’ai réalisé la mesure du T1 d’un tampon phosphate pur ou de solutions de concentration 4 mM du complexe paramagnétique 30 (voir Figure 4.14 page 74) dans ce tampon. Le protocole de mesure est le suivant : une image grossière est d’abord acquise à l’aide d’une séquence de pondération T1 rapide, afin de déterminer précisément la localisation du tube dans l’aimant. Puis une coupe très précise (quelques mm de largeur et de longueur pour une épaisseur de l’ordre de 100 µm) est sélectionnée et une image est acquise avec une séquence de type inversion-récupération spécialement adaptée à la mesure précise du T1. Enfin, la sélection d’une région d’intérêt et le calcul des niveaux de gris des pixels compris dans cette zone permet l’obtention de la valeur du temps de relaxation longitudinale de l’échantillon (voir Figure 4.17). L’ensemble du processus nécessite environ 25 minutes, soit trois fois le temps requis pour une mesure à l’aide du spectromètre RMN du laboratoire. Figure 4.17 : Exemple d’image obtenue lors de l’utilisation d’une séquence de mesure du T1 ; l’ovale jaune au centre de l’image délimite quels pixels sont utilisés. Les stries observées semblent correspondre aux spires du solénoïde. Malheureusement, les résultats obtenus n’étaient pas du tout reproductibles : les valeurs oscillaient pour le tampon pur entre 4,1 s (ce qui est l’ordre de grandeur attendu) et 154 ms, et entre 256 ms et 430 ms pour les solutions de 30. Or, si une variation de l’ordre de 10% est habituelle (les valeurs sont très dépendantes des fluctuations de température et de champ magnétique notamment), de tels écarts ne peuvent s’expliquer que par un problème d’instrumentation. Nous avons successivement identifié plusieurs causes, et les moyens de les résoudre : — La séquence d’acquisition des images utilisée n’était pas optimisée pour la mesure de T1, mais pour l’obtention d’images nettes. En effet, la mesure absolue du T1 n’intéresse pas la majorité des utilisateurs de la plateforme IRM, qui recherchent quant à eux des images bien définies. En modifiant les paramètres d’acquisition pour obtenir une mesure plus précise de T1 au détriment de la qualité de l’image, nous avons pu réduire cette première source d’erreur. — La mesure du T1 à partir des images obtenues doit se faire rigoureusement à partir des mêmes régions d’un tube à l’autre, car les variations de niveau de gris au sein du tube sont grandes. Une zone d’intérêt a ainsi été définie et employée pour tous les tubes. De plus, nous avons veillé à sélectionner dans chaque cas la même coupe transverse. Cependant, comme le solénoïde n’est pas totalement fixé par rapport au lit supportant l’antenne (il subsiste toujours un degré de liberté de l’ordre d’un mm dans les trois directions de l’espace) et que le lit n’est pas inséré exactement de la même manière pour chaque expérience, il est délicat avec notre dispositif de garantir un positionnement identique du tube au cours d’acquisitions répétées. — La mesure est plus fiable si le tube est disposé le long d’un gradient de champ, c’est-à-dire dans notre cas s’il est placé rigoureusement à l’horizontale. À l’issue de ces optimisations, nous avons pu obtenir des valeurs de T1 relativement reproductibles. Cependant, le fait que, d’une mesure à l’autre, l’échantillon ne soit pas fixé par rapport à l’aimant et aux gradients de champ est clairement un handicap. Avant de tenter une expérience de magnétogénèse à l’aide de 19, j’ai tenu à réaliser une gamme de solutions de concentration en complexe 30 croissante pour vérifier la linéarité de la relaxivité absolue R1 = 1/T1. En effet, comme il apparaît dans l’équation présentée à la page 32, R1 est normalement proportionnelle à la concentration en agent de contraste ; un écart à la linéarité proviendrait donc d’un problème d’équipement. Les mesures seraient alors imprécises et rendraient la quantification de l’activité enzymatique ciblée impossible. Les résultats sont présentés à la Figure 4.18 ; le coefficient de corrélation r 2 indique une relative linéarité qui n’est pas satisfaisante. De plus, la valeur de r1 obtenue (0,696 mM−1 .s−1 ) est assez éloignée de celle qui avait été mesurée de façon très satisfaisante avec le même appareil IRM et une antenne éprouvée (0,59 mM−1 .s−1 ).[231] Nous avons alors cherché l’origine du problème : il apparaît que l’amplificateur n’est pas adapté pour notre antenne spécifique. Ses caractéristiques sont optimisées pour l’imagerie de souris entières : la puissance émise est forte (de larges zones doivent être couvertes dans toute leur profondeur), et le signal acquis est faible, donc nécessite d’être amplifié de façon importante. Dans notre situation, les besoins sont inverses : comme l’échantillon et la bobine, qui ne sont séparés que par une très fine épaisseur de plastique, sont très proches, seule une très faible puissance d’émission est nécessaire et le signal acquis a une amplitude telle qu’il ne requiert que peu d’amplification. La conséquence directe est une saturation à la fois de l’échantillon (l’excitation est trop forte et inadaptée) et de l’unité de détection, ce qui résulte en des images dont les niveaux de gris sont anormaux et en une mesure faussée du T1. 1 2 3 4 Concentration (mM) 0 1 2 3 R 1 (s − 1 ) r 2 = 0,982 Figure 4.18 : Relaxivité absolue de solutions de 30 de différentes concentrations mesurée à l’aide de l’antenne présentée ici et régression linéaire. Malgré une optimisation des paramètres de l’amplificateur, il est malheureusement impossible de l’utiliser de façon satisfaisante avec notre antenne ; il faudrait en concevoir un nouveau qui corresponde spécifiquement à nos besoins. Cette difficulté s’ajoute aux problèmes de positionnement de l’échantillon dans l’appareil IRM dont j’ai parlé plus haut. Au final, les nombreux obstacles techniques que nous avons rencontrés et qui semblent difficilement surmontables nous font douter de la capacité à mesurer le T1 de façon fiable avec ces équipements. 4.4 Deuxième tentative de preuve de concept Notre première preuve de concept s’est soldée par un échec pour une raison matérielle : notre nouvelle antenne, spécialement conçue pour l’imagerie de petits volumes, n’est pas adaptée à la fois à l’aimant et à l’amplificateur radiofréquence de l’appareil IRM dédié au petit animal. Afin de parvenir à des mesures de T1 fiables, nous avons besoin d’un dispositif dont tous les éléments sont entièrement compatibles. En particulier, il est primordial qu’au sein du système retenu l’échantillon et le solénoïde de l’antenne soient toujours positionnés au même endroit par rapport à l’aimant. C’est d’ailleurs le cas pour les appareils DMR que j’ai présentés plus haut (voir Figure 4.15). Nous avons consulté les docteurs Michel Bardet, Matthieu le Prado et Jacques Reverdy, chercheurs spécialistes des équipements de mesure magnétique travaillant au Laboratoire d’Électronique et de Technologie de l’Information (LETI) du CEA de Grenoble. Ils nous ont orientés vers deux équipes allemandes pouvant nous apporter leur expertise technique. L’équipe de Bernhard Blümich travaillant à Aix-la-Chapelle est reconnue pour la conception de microaimants[213, 214] ; ils s’intéressent à l’élaboration de spectromètres RMN miniaturisés. Le groupe de Jan Korvink établi à Karlsruhe est quant à lui spécialiste de la réalisation d’antennes de petite taille pour la RMN. Ces deux équipes de haut niveau ont accepté notre idée d’une collaboration pour concevoir un dispositif de type Point-of-Care pour la mesure de T1 au sein de petits échantillons. Au cours d’une réunion à Karlsruhe, nous avons défini le cahier des charges de l’appareil : — L’aimant doit permettre de générer un champ magnétique d’environ 1 T sur un volume cylindrique d’une hauteur de 5 mm et de diamètre de l’ordre du mm. L’homogénéité du champ n’est pas un critère essentiel car nous ne recherchons pas une grande résolution spectrale (le seul signal attendu est celui, très massif et élargi, des protons de l’eau). L’aimant doit être assez compact et bon marché pour une utilisation Point-of-Care. — L’antenne doit être adaptable au champ (tuning et matching) et permettre un réglage fin pour chaque échantillon (shimming). Seule la bobine devra être insérée dans l’aimant, le reste de l’électronique sera déporté sur une carte annexe. — L’aimant doit pouvoir contenir le solénoïde de l’antenne dans lequel l’échantillon aura été glissé, et l’échantillon doit être toujours positionné au même endroit par rapport à l’aimant. Nous avons choisi d’utiliser un aimant de type Halbach[213] : ces assemblages de barres ferromagnétiques hexagonales en nid d’abeille simples à construire et peu onéreux permettent généralement d’obtenir des champs magnétiques satisfaisants dans la région centrale. Le diamètre externe retenu pour les tubes contenant l’échantillon est 2 mm, ce qui rend la conception de l’aimant et de la bobine plus aisée. Le volume mesuré sera d’environ 50 µL, dans le même ordre de grandeur que précédemment. Un premier prototype d’aimant a été réalisé par Christian Rehorn, doctorant dans l’équipe de Bernhard Blümich ; il est présenté à la Figure 4.19 (une couverture est prévue pour protéger l’aimant mais a été enlevée ici pour montrer la structure). Une simulation réalisée à l’aide du logiciel COMSOL (Figure 4.19F) montre que le champ généré est très homogène dans la zone de mesure, où il vaut environ 1 T. Ce dispositif a été envoyé à Karlsruhe où l’antenne est réalisée et où les premières mesures de T1 seront menées très prochainement. Si les résultats sont satisfaisants, nous envisageons la conception d’un deuxième dispositif doté d’instruments de microfluidique, ce qui permettra de simplifier l’analyse : l’échantillon ne devra plus être introduit dans un tube, ce qui est toujours une opération délicate, mais pourra être déposé sur une surface puis aspiré directement par l’appareil. A B C D E F Figure 4.19 : Aimant réalisé par l’équipe de Bernhard Blümich pour réaliser la mesure de T1 dans de petits volumes. Schémas vus de côté (A) et de dessus (B), photographies vues de côté (C et D) et de dessus (E) ; les unités sont des millimètres. F. Simulation du champ magnétique généré vu de dessus réalisée à l’aide du logiciel COMSOL. La preuve de concept d’une mesure efficace de T1 dans un petit volume reste donc toujours à accomplir, mais je suis très optimiste pour qu’elle soit réalisée dans un court délai à l’aide de ce nouvel appareil de pointe. En effet, il résout tous les problèmes que nous avons rencontrés avec l’antenne conçue à CREATIS ; les cas de saturation du signal devraient ainsi être évités et la reproductibilité améliorée.
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