Etude biogéochimique du transfert du sélénium dans un système eau-plante-atmosphère
Le sélénium et la nutrition minérale de la plante
La présence d’éléments traces métalliques affecte l’accumulation de macronutriments et de micronutriments nécessaires au bon fonctionnement métabolique de la plante (KabataPendias and Pendias 2001). Comme présenté dans le paragraphe sur le métabolisme du sélénium dans la plante, le sélénium peut interférer sur le métabolisme d’autres éléments, notamment sur celui du soufre (Cruz-Jimenez et al. 2005, Hopper and Parker 1999, Zayed and Terry 1992, 1994). De plus, le sélénium est un antioxydant chez l’homme. Chez les plantes, le séléniate aurait deux rôles antinomiques selon sa concentration : des études réalisées sur sol avec des apports faibles en sélénium (Hartikainen et al. 2000, Xue et al. 2001) montrent qu’il jouerait un rôle d’antioxydant principalement lors de la sénescence des plantes (Xue et al. 2001) alors que pour des apports plus élevés, le sélénium serait un pro-oxydant (Hartikainen et al. 2000) ; la quantité des dérivés d’oxygène réactifs augmente dans les cellules et provoque l’oxydation des protéines, de l’ADN et des lipides membranaires. La perméabilité membranaire augmente et l’ensemble du métabolisme de la plante est donc modifié. Chapitre 1 : Etude bibliographique 47 Peu d’études ont été réalisées sur l’effet du sélénium sur l’accumulation des cations essentiels à la croissance de la plante et quand ils existent les résultats ne sont pas univoques. Ces différentes études sont réalisées sur des cellules végétales de pervenche (Arvy et al. 1995), sur des plantes herbacées (fétuque, trèfle blanc, moutarde ou fougère) (Fargasova et al. 2006, Feng et al. 2009, Kopsell et al. 2000, Wu and Huang 1992) ou du maïs (Hawrylak-Nowak 2008, Pazurkiewick-Kocot et al. 2003) cultivés en hydroponie. La forme du sélénium source est essentiellement du sélénite (Arvy et al. 1995, Fargasova et al. 2006, Feng et al. 2009, Hawrylak-Nowak 2008, Pazurkiewick-Kocot et al. 2003), dans peu de cas du séléniate (Arvy et al. 1995, Kopsell et al. 2000) et aucune étude n’a été réalisée en présence d’un mélange de sélénite et séléniate ; parfois elle n’est tout simplement pas renseignée (Wu and Huang 1992). Seule l’étude sur des cellules végétales d’Arvy et al. (1995) compare l’effet du séléniate et du sélénite sur l’accumulation des cations essentiels. Pour finir, les expérimentations sont effectuées à concentrations extrêmement variables (de 1 µg/L à 10 mg/L). Pourtant, la forme ET la concentration en sélénium ne sont pratiquement jamais étudiées conjointement. De plus, dans l’ensemble des études citées les plantes ne sont qu’à un stade juvénile de leur développement. Nous allons donc dans un premier temps revenir sur les fonctions et accumulation des différents éléments, tel que les macroéléments (calcium, magnésium) et les micronutriments (fer, zinc, cuivre et manganèse). L’énumération des fonctions ne sera pas exhaustive : uniquement celles pouvant éventuellement interférer avec le soufre et donc le sélénium seront présentées. Puis nous discuterons sur les possibles interactions du métabolisme de ces éléments pour la plante avec celui du sélénium.
Les cations majeurs
Le calcium
Le calcium (Ca) est un cation divalent qui joue un rôle essentiel dans l’intégrité, la stabilité et le bon fonctionnement des membranes et des organites. Il participe donc au maintien structurel de nombreuses enzymes membranaires comme les ATPases. Il participe également à la balance anions-cations et l’osmorégulation des cellules en agissant comme contre-ion des anions organiques ou inorganiques. Le calcium est un messager secondaire dans certaines réponses hormonales et aux facteurs environnementaux. Chapitre 1 : Etude bibliographique 48 Concernant l’effet du sélénium sur le calcium, en présence de séléniate et quelque soit la concentration (entre 1 µg/l et 9 mg/L) dans la solution nutritive, l’accumulation de calcium n’est pas modifiée (Arvy et al. 1995, Kopsell et al. 2000). Il en est de même pour les cellules végétales cultivées avec du sélénite (entre 1 et 100 µg/L) (Arvy et al. 1995). Cependant, une étude effectuée sur la fougère (Feng et al. 2009) montre que lorsque les plantes sont cultivées en hydroponie à des concentrations inférieures à 2 mg/L de sélénite, la teneur en calcium diminue dans les feuilles et les racines. Cependant, lorsque la concentration en sélénite dépasse 2 mg/L, la concentration en calcium augmente dans la plante (Feng et al. 2009, Wu and Huang 1992). Il en est de même dans les parties aériennes de maïs cultivé avec plus de 4 mg/L de sélénite (Hawrylak-Nowak 2008). Cette augmentation s’effectue principalement au niveau des racines de la fougère (cultivée avec plus de 2 mg/L de sélénite) (Feng et al. 2009) et aussi du maïs (cultivée avec seulement 40 µg/L de sélénite) (Pazurkiewick-Kocot et al. 2003). Le sélénium entraine, selon sa concentration en solution nutritive, une modification différentielle de l’accumulation du calcium dans les racines et les feuilles des plantes.
Le magnésium
Le magnésium (Mg) intervient dans l’activité photosynthétique en tant qu’atome central de la chlorophylle et le coenzyme des carboxylases. L’activité de plusieurs enzymes nécessite la présence de magnésium comme par exemple la glutathion synthase responsable de la synthèse du glutathion ou des ATPases responsables de la phosphorylation d’ATP. En effet, il a été mis en évidence que le complexe Mg-ATP, plutôt que l’ATP libre, est le substrat des ATPases. De plus, le magnésium est indispensable à la phosphorylation de l’adénosine diphosphate (ADP) en ATP. Cet élément est donc indispensable pour l’ensemble des processus nécessitant de l’énergie comme la réduction du séléniate ou la synthèse de protéines et d’amidon. Dans la fétuque et le trèfle blanc, la présence de 2 mg/L de sélénium n’entraine pas de modification d’accumulation de magnésium (Wu and Huang 1992). Les cultures de cellules végétales montrent également que pour des concentrations inférieures à 100 µg/L, le séléniate n’affecte pas l’accumulation du magnésium (Arvy et al. 1995). Au contraire, Kopsell et al. (2000) a mis en évidence que la concentration en magnésium augmentait quadratiquement avec la concentration en séléniate (entre 3 et 9 mg/L). L’effet du sélénite sur la concentration du magnésium est aussi divergeant. L’étude de Hawrylak-Nowak (2008) montre que le sélénite n’a pas d’effet sur l’accumulation du magnésium quelque soit sa concentration (entre 0,4 et 8 mg/L). Une autre travail (Arvy et al. Chapitre 1 : Etude bibliographique 49 1995) met en évidence une influence positive d’un faible enrichissement en sélénite (à 20 et 100 µg/L). L’étude de Feng et al. (2009) montre que l’accumulation du magnésium fluctue en fonction de la concentration en sélénite. Dans les racines, elle diminue légèrement pour des concentrations entre 1 et 2 mg/L de sélénite puis remonte à sa concentration initiale en magnésium entre 5 et 20 mg/L de sélénite. Au contraire, dans les feuilles, elle augmente entre 1 et 5 mg/L de sélénite puis décroit jusqu’à sa concentration initiale
Les oligoéléments : fer, zinc, manganèse et cuivre
Les métalloprotéines (MT) sont des protéines contenant un ou plusieurs cations métalliques comme le fer (Fe), le zinc (Zn), le cuivre (Cu) ou le manganèse (Mn). Dans ces complexes, le métal peut avoir trois fonctions : catalytique, co-catalytique et structurale. Il peut se lier à différents acides aminés comme l’histidine, la glutamine, l’asparagine mais principalement la cystéine. Les MT ont de multiples fonctions. La principale est leurs activités enzymatiques dans les réactions d’oxydoréduction. Par exemple, les cytochromes de fer ou de cuivre sont des coenzymes indispensables dans la chaine respiratoire. Une MT très importante est la superoxyde dismutase (SOD) catalysant la dismutation du superoxyde en oxygène et peroxyde d’hydrogène. Elle protège ainsi les cellules des effets néfastes des superoxydes dus à leur caractère très oxydant. Plusieurs ions peuvent être cofacteurs de cette enzyme : le fer, l’association cuivre-zinc et le manganèse (Marschner 1995, Prochazkova et al. 2001). Chez le maïs les trois cofacteurs coexistent au sein des cellules chlorophylliennes : la Fe-SOD est localisée dans le chloroplaste, la Mn-SOD dans les mitochondries et la CuZn-SOD dans les chloroplastes et le cytosol (Alscher et al. 2002, Prochazkova et al. 2001). Certaines MT ont pour fonction de protéger la plante contre l’excès de métaux. Ces molécules sont riches en Cys. Lorsque la molécule est réduite, les complexes tétraédriques (quatre Cys + le cation métallique) se forment : la cellule est ainsi protégée contre la toxicité de ce cation. Cependant, si les MT sont oxydées, un pont disulfure (-S-S-) se forme et libère le cation. Les MT luttent contre la toxicité des cations métalliques mais peuvent servir également à stocker certains de ces cations, zinc ou cuivre, dans les tissus en croissance. Chaque cation métallique possède également des fonctions spécifiques dans la plante.
Le fer
Le fer (Fe) est un micronutriment indispensable aux plantes ; il peut même être considéré comme un macroélément. Le fer a un rôle central et double vis-à-vis des radicaux libres dans les plantes. A l’état libre, il participe à la formation des radicaux hydroxyles et des anions superoxydes via la réaction de Fenton. D’autre part, il est un constituant de nombreuses enzymes antioxydantes : catalase, ascorbate peroxydase ou la ferro-SOD. Le fer est un constituant de groupement catalytique de nombreuses MT enzymatiques dans les processus d’oxydoréduction : dans des enzymes antioxydantes comme catalase, ascorbate peroxydase ou ferro-SOD ou dans les ferrédoxines. Par exemple, les ferrédoxines sont des protéines fersoufre qui participent au transfert les électrons, notamment lors de la réduction du sélénite (ou sulfite) en séléniure (sulfure) via la sulfite réductase (Beinert 2000). L’effet du sélénium sur l’accumulation du fer est différent selon les études. En présence de faible concentration en séléniate (inferieure à 100 µg/L) aucune influence du séléniate sur la concentration en fer n’est observée (Arvy et al. 1995) ; cependant elle diminue si la concentration en séléniate dépasse 3 mg/L (Kopsell et al. 2000). Chez la fougère, en présence de sélénite à une concentration supérieure à 1 mg/L, la concentration en fer dans les racines diminue d’environ 50 % (Feng et al. 2009). Dans les feuilles, où la concentration en fer est beaucoup plus faible que dans les racines, la teneur en fer diminue en présence de 1 et 2 mg/L de sélénite ; puis elle retrouve sa valeur initiale quand la concentration en sélénite augmente (entre 5 et 20 mg/L)(Feng et al. 2009). Au contraire, à 2 mg/L de sélénium chez la fétuque et le trèfle blanc et à moins de 100 µg/L de sélénite chez les cellules végétales de pervenche, le sélénium ne modifie pas l’accumulation en fer (Arvy et al. 1995, Wu and Huang 1992).
Le zinc
Les MT de zinc (Zn) interviennent dans la réplication et la transcription de l’ADN et la régulation des gènes. Par exemple, Le zinc permet la formation d’un motif caractéristique dans les protéines, le doigt de zinc qui est une zone d’interaction protéine/ADN privilégiée. D’autre part, comme pour le magnésium, dans les feuilles il existe des pyrophosphatases inorganiques (pompe à proton) Zn-dépendantes. Le zinc joue également un rôle essentiel dans le maintien de l’intégrité des membranes : le zinc effectue des liaisons des phospholipides et des groupements sulfhydriles des sulfolipides des membranes. Il permet aussi de lutter contre Chapitre 1 : Etude bibliographique 51 les radicaux superoxydes ou les hydroxyles qui provoquent l’augmentation de la perméabilité membranaire (Cakmak and Marschner 1988, Cakmak et al. 1989). Il a été démontré in vitro à partir de MT de zinc animal que les liaisons zinc-soufre peuvent être oxydées par différents composés organiques séléniées, comme par exemple les GPX, chlorure de benzènesélénényle ou d’acide benzènesélénique (Chen and Maret 2001, Jacob et al. 1999). Cependant, aucune expérience n’a encore mis en évidence cette oxydation au sein d’organisme. Dans la littérature (Arvy et al. 1995, Fargasova et al. 2006, Feng et al. 2009, Wu and Huang 1992), l’effet du sélénium sur l’accumulation du zinc est variable. 2 mg/L de sélénium n’affecte pas la teneur en zinc dans la fétuque (Wu and Huang 1992). Entre 4 et 20 µg/L de séléniate, la concentration en zinc dans des cellules cultivées en milieu aqueux augmente ; lorsque la concentration en séléniate augmente (100 µg/L), celle du zinc diminue et redevient identique à une culture contrôle (sans sélénium) (Arvy et al. 1995). A des concentrations en sélénite inférieure à 100 µg/L, l’accumulation en zinc est accrue (Arvy et al. 1995). Au contraire, pour des concentrations supérieures à 1 mg/L, une diminution en zinc est constatée dans la moutarde (Fargasova et al. 2006), le trèfle blanc (Wu and Huang 1992) et dans les racines de la fougère (Feng et al. 2009).
Le manganèse
Le manganèse (Mn) se substitue ou participe aux réactions où le magnésium intervient. Les liaisons ATP-manganèse sont quatre fois plus fortes que celles ATP-magnésium. Il intervient dans les deux phases de la photosynthèse : il participe au transfert d’électrons dans la chaine photosynthétique et à plusieurs réactions du cycle de Calvin. La synthèse de protéines et de lignine a également besoin de cet élément. Les études de Wu and Huang (1992) (à 2 mg/L de sélénium) et d’Arvy et al. (1995) (entre 1 et 100 µg/L de sélénite ou de séléniate), le sélénium ne modifie pas l’accumulation du manganèse dans la plante entière ou dans des cellules végétales. Cependant, dans la fougère, 1 et 2 mg/L de sélénite entraine une diminution de manganèse seulement dans les racines. Pour des concentrations en sélénite supérieures à 5 mg/L, la teneur en manganèse redevient identique aux plantes cultivées sans sélénium (Feng et al. 2009).
REMERCIEMENTS 2.2.3. RUBIC V (Laboratoire BioEMCo, équipe « Impact des changements globaux |