ETHIQUE DANS LA GESTION DU BIEN PUBLIQUE

Ethique et Politique au Sénégal

Le Sénégal : une démocratie en question

De quoi s’agira-t-il exactement dans ce chapitre ? Pour traiter cette partie, il nous semble nécessaire d’articuler notre réflexion sur les interrogations suivantes : qu’est ce que la démocratie ? Quelle importance revêt-elle ? Qu’est-ce qui la distingue des autres formes de gouvernements ? Comment se porte la démocratie sénégalaise ? Le Sénégal est souvent présenté comme un modèle de démocratie dans le continent noir. S’il en ainsi, qu’est ce qui pourrait justifier qu’elle soit considérée comme une vitrine en Afrique ? Ce qualificatif de chantre de démocratie en Afrique est-il toujours justifiable à tous les niveaux ? Quels peuvent être les paramètres qui permettent de jauger le niveau de démocratie d’un pays ? Voilà autant de questions sur lesquelles nous tenterons de réfléchir dans cette partie.

Qu’est-ce que la démocratie ? La définition la plus simple de la démocratie est celle qui la conçoit comme un régime politique dans lequel l’ensemble du peuple exerce le pouvoir souverain. Ou, pour reprendre André Lalande dans son Vocabulaire technique et critique de la philosophie, la démocratie se conçoit comme un « Etat politique dans lequel la souveraineté appartient à la totalité des citoyens, sans distinction de naissance, de fortune ou de capacité. » 5 C’est un système politique où les droits de l’homme sont bien plus qu’une composante. Ils représentent la condition sine qua non pour le bon fonctionnement de ce système. Le développement et l’évolution des droits de l’homme ne sont possibles que là où les hommes vivent au sein d’une démocratie, puisque ce n’est que dans ce système que la population peut élaborer elle-même les lois qui vont la régir et contrôler publiquement les trois pouvoirs à savoir : le pouvoir exécutif, législatif et judiciaire. C’est en ce sens qu’elle se distingue des autres régimes comme la monarchie, l’oligarchie, le totalitarisme, la ploutocratie, gérontocratie …

En effet, dans une monarchie, il faut noter que les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire sont concentrés entre les mains d’un seul individu. Pour un régime oligarchique, le gouvernement politique ou l’autorité souveraine est entre les mains d’un petit nombre de personnes ou d’une puissante famille. Dans un Etat dit totalitaire, on y retrouve que ce dernier a absorbé la société civile et l’idéologie de l’Etat est transfigurée en dogme imposé aux intellectuels et aux universités. Si on jette un coup d’œil sur ce qui est appelé la ploutocratie, on se rend compte que c’est un Etat dans lequel les plus riches exercent plus ou moins le 5 Op. cit. 1, p. 216. 11 pouvoir politique ou jouissent d’une influence prépondérante.

Et dans une gérontocratie, nous notons que ce sont les plus âgés pour ne pas dire les vieillards qui gouvernent. Et, il faut souligner que pratiquement parmi toutes ces formes de gouvernement que nous avons mentionné, aucun ne prend en charge et de manière globale le peuple. Il y a toujours une partie de la population qui est mise en rade, une frange qui ne s’y retrouve pas. Par contre dans un régime démocratique, dans l’idéal, le peuple est au début et la fin de tout. Toute personne a la possibilité d’accéder dans les plus hautes instances de décision pourvu qu’elle passe par le chemin qui y mène tout en respectant les normes et les lois qu’elle a lui-même fixées. Ainsi, de par son pouvoir, l’Etat démocratique peut garantir à toutes les couches et franges de la population la liberté, la sécurité, la sécurité de leurs biens et le plein épanouissement de chaque individu. C’est la raison pour laquelle ce type de régime semble être la forme de gouvernement la mieux partagée dans monde. C’est ce qui semble expliquer sa prétention d’être un régime politique universellement acceptable.

C’est en ce sens d’ailleurs que résonnent ces propos de Sémou Pathé Guèye : « En réalité il n’y a aucun peuple au monde qui n’aspire à vivre sous un régime politique pouvant garantir à toutes ses composantes les conditions de leur plein épanouissement dans le respect de leur identité, de leur liberté, de leur sécurité et la sécurité de leurs biens. Or il n’y a que la démocratie qui puisse satisfaire une telle aspiration, ce qui fonde sa légitimité de sa prétention à l’universalité en tant que régime politique ». 6 Pour S. P. Guèye, la démocratie est le seul régime politique où la liberté, les droits des individus sans exception aucune sont garantis ainsi que leur sécurité et la sécurité de leurs biens. Et d’ailleurs, selon notre auteur, de par ses valeurs et ses biens qu’elle offre à tous les citoyens, tous les peuples au monde désirent vivre dans un tel régime d’où sa prétention d’être le seul régime universellement valable et acceptable.

C’est dire que parmi tous les types de régimes politiques au monde, la démocratie, de par sa capacité et son pouvoir d’offrir à tous ses citoyens la liberté, la sécurité et la sécurité de leurs biens, reste le seul régime unanimement désirable. Ainsi, la démocratie, à travers ses valeurs (citées ci-dessus) qu’elle véhicule, apparait comme un bien à conquérir par plusieurs peuples. Et d’ailleurs, dans les Etats démocratiques, le niveau de démocratie participe aux indicateurs de développement. 6 Guèye, S. P. Du bon usage de la démocratie en Afrique : Contribution à une éthique à une pédagogie du pluralisme. Les nouvelles éditions africaines, Dakar, 2003, p.9. 12 A l’image de l’indice de développement humain (IDH) ou le produit intérieur brute (PIB) qui sont des critères pour mesurer le niveau développement économique et social, le respect des droits de l’homme dans de tels pays fait également parti de ces leviers. Mais faut-il le rappeler, la démocratie ne saurait être atteinte de façon définitive. C’est une quête perpétuelle. Un long processus ou plus exactement un horizon qu’on ne saurait atteindre de façon définitive. Autrement la démocratie n’est pas donnée encore moins acquise une bonne fois pour toute ; au contraire, elle a besoin d’être perfectionnée ad vitam aeternam. Ainsi, notre pays, le Sénégal, a opté pour un régime démocratique. Mais la question qui se pose est la suivante : comment se porte la démocratie sénégalaise ? Si on jette un regard synoptique sur l’évolution de la démocratie du pays, on risquerait de répondre sans ambages qu’elle se porte bien.

Il en serait ainsi car ce pays a toujours été présenté comme un exemple de démocratie en Afrique et même capable de rivaliser avec ceux qu’on cite comme des exemples dans le monde. Dès lors, l’interrogation suivante retient notre attention et mérite d’être examinée : Qu’est-ce qui pourrait expliquer voire même justifier le fait que la démocratie sénégalaise soit considérée comme une vitrine en Afrique ? Tenter de répondre à cette interrogation revient nécessairement à faire un petit rappel historique de l’évolution de notre démocratie. Dans un continent qu’est l’Afrique minée depuis bien longtemps déjà par des dérives monarchiques, le Sénégal fait office aux yeux d’un grand nombre d’observateurs d’ «exception démocratique». Est-ce à dire que sa démocratie a atteint un tel niveau au point d’être un exemple ou une référence dans le continent ? Ou bien, est-ce parce que le Sénégal est parvenu à tirer son épingle du jeu dans un environnement politique africain très mouvementé que ce qualificatif lui revient ? La réponse, affirmative, à la deuxième interrogation nous semble plus plausible.

En effet, dans les années qui ont suivi la vague d’indépendance de 1960, le Sénégal a été le premier pays d’Afrique noire à permettre le pluripartisme, d’abord en le restreignant à quatre partis (1974). Et chacune de ces quatre formations politiques à créer devait adopter une ligne idéologique en fonctions des idéologies qui dominaient le monde. Il s’agissait d’être : socialiste, conservateur, libéral ou marxiste-léniniste. C’est ainsi que Toumany Mendy d’écrit le processus : 13 « Le courant socialiste étant occupé par le parti au pouvoir, les trois partis à créer devaient impérativement se présenter sous l’un des courants idéologiques suivants : conservateur, libéral ou marxiste-léniniste ».

Démocratie et valeurs culturelles sénégalaises

De quoi est-il question dans cette partie ? Il s’agit, dans cette deuxième partie de notre travail, d’une tentative d’examiner la question de la démocratie et certaines valeurs culturelles qui constituent le ciment de base ou même le fondement de notre pays. La démocratie, telle que théorisée et comprise aujourd’hui, n’est pas née dans nos cieux. Elle semble être donc une valeur ou un bien importée. Et, nécessairement, son intégration ne peut pas être facile. Elle ne manquerait pas de rencontrer certaines valeurs culturelles sénégalaises qui risquent d’entrer en conflits avec elle. Par exemple, réfléchissons sur la question du nomadisme politique pour ne pas dire de la transhumance.

N’est-ce pas, il est possible, dans une démocratie (nous y reviendrons plus loin dans nos analyses pour essayer d’expliquer en quoi la transhumance est une « fenêtre » laisser ouverte par la démocratie), d’avoir l’opportunité ou la liberté de se mouvoir d’un parti à un autre. Et, il faut souligner que notre pays regorge de valeurs cardinales sur lesquelles reposent la cohésion nationale et la stabilité du pays. Le « jom » 35, le « fulla », le « faida » ou le « ngor » 36 étaient des valeurs que la quasi-totalité de notre peuple faisait valoir. L’ensemble de ces vertus précitées peuvent se réduire à une seule à savoir le « ngor ». La dignité était à 35 Le « jom », c’est une vertu sénégalaise que nous traduisons par le sens de l’honneur. 36 Le « ngor », c’est concept wolof qui renvoie à la dignité. 33 préservait à tout prix. Il était impensable de la négliger dans n’importe quelle situation. C’est en sens que la parole donnée était quelque chose de sacrée. C’est ce « ngor » qui a fait naître le courage car, celui-ci devait être préservé au péril de la vie. Trahir un pacte signé, renoncer à ses engagements, s’adonner à la tricherie ! Ces choses étaient les plus horribles et ignobles à commettre.

Elles étaient répréhensibles à tout point de vue. Toutefois, si le « ngor » nous invite ou même nous exige à toujours respecter nos engagements vis-à-vis d’une personne ou d’un groupe quelle que soit la situation, dans le bonheur comme dans le malheur, dans la joie comme dans la tristesse, il nous apparaît donc important d’analyser les rapports qu’il entretient avec le nomadisme politique. Car, ce phénomène ne cesse de faire couler beaucoup d’encre et de salives au niveau des différents composants de notre société. Mais, ce qui nous préoccupe d’abord, c’est essayer de répondre à la question de savoir : qu’est-ce que réellement le nomadisme politique ? Le nomadisme politique n’est rien d’autre que la transhumance. Cependant, nous préférons utiliser le premier au détriment du second. Il en est ainsi car une étude étymologique du concept donne ceci : du latin « trans » c’est-à-dire de l’autre côté, « humus » du latin le pays, est la migration périodique du bétail. A l’origine, le verbe transhumer était usité pour spécifier le mouvement migratoire d’animaux saisonniers entre région de plaines et région de montagnes pour rejoindre une zone de pâturage qui répondrait à leurs besoins biologiques. Autrement dit, la transhumance est la migration périodique d’une part du bétail (bovidés, équidés et ovins) de la plaine vers la montagne ou de la montagne vers la plaine, d’autre part des abeilles d’une région florale à une autre, et ce en fonction des conditions climatiques et de la saison.

Par analogie, la transhumance politique désigne cette attitude individuelle ou collective de se mouvoir d’un groupe politique à un autre, des hommes et des femmes engagés dans la vie politique. Ainsi donc, le nomadisme politique est le fait qu’une « personne quitte son parti d’origine pour adhérer à un autre, généralement au pouvoir » 37 Voilà de nos jours une pratique polémique qui fait couler beaucoup d’encres et de salives. A la question quelles sont les raisons et les véritables motivations des transhumants ? Les réponses, les analyses et les interprétations viennent de partout et se différencient les unes des autres. D’où un foisonnement d’interrogations pour mieux appréhender et cerner ce concept polémique. 37 Niang, Mody. La détestable transhumance : une spécificité bien sénégalaise. http://www.mayajo.com.bmi/, consulté en juin 2016. Le nomadisme politique ne serait-il pas seulement l’expression d’une liberté ? Le nomadisme politique ne serait-il pas l’exercice d’un droit ? Qu’est-ce qui est à l’origine de cette pratique ? Quelles peuvent être les réelles motivations de ce phénomène ? Cette pratique est-elle l’exercice d’une liberté ? Ou bien signifie t-elle la vitalité d’une démocratie ? Ce phénomène ne serait-il pas synonyme d’un manque de démocratie dans les partis politiques ? La recherche d’opportunité peut-elle être considérée comme une des raisons du bohême politique ? La possibilité d’échapper à d’éventuelles poursuites de la justice, après une gestion, motiverait-elle le nomadisme politique ? Est-il possible de l’interdire ou doit-on l’encourager dans une République démocratique ? A première vue, nous pouvons tenter de dire que le nomadisme politique est une opportunité qui nous est offerte par la démocratie.

Il peut être considéré comme une manifestation de la liberté. Il n’est pas aisé de le condamner encore moins de le réprimer. Car, au nom de la démocratie, on doit reconnaître le droit à chacune et à chacun de changer d’opinions politiques et d’adhérer à un autre parti. Il semble pertinent, dans un régime démocratique, que chaque individu aie la liberté d’adhérer dans un parti de son propre choix. De par ses principes, ses convictions, ses visions et ses objectifs, tout citoyen doit pouvoir militer dans une formation politique de son propre choix. Ce choix est libre et volontaire mais ne doit pas avoir comme soubassement des pressions ou des chantages quelle que puisse être leur nature.

Rappelons aussi que c’est cette même liberté qui lui donne la possibilité de se mouvoir, s’il le désire, dans un autre parti qu’il juge être le plus approprié pour servir la nation. Car, la question qui se pose est celle de savoir si on peut continuer à rester militant d’un parti où la liberté d’expression, un des principes essentiels de la démocratie, n’y figure plus ? Peut-on être membre d’un parti qui se déclare démocratique alors que celui, au regard de tous ses procédés, ses démarches et son déroulement n’a rien de démocratique ? Est-il possible de continuer à militer dans une formation politique où aucun autre membre, à part le secrétaire général, n’a la chance de briguer les plus grandes instances de décision ? Egalement, le plus souvent, les cas de bohêmes politiques les plus en vue sont ceux qui consistent à rejoindre le camp au pouvoir. Et, même si on n’en parle pas souvent, il existe aussi des hommes politiques qui rejoignent d’autres formations politiques qui ne sont pas en train d’exercer le pouvoir.

Ces cas aussi sont des formes de nomadismes politiques. Mais ils suscitent moins de polémiques que ceux qui consistent à rejoindre le parti au pouvoir. 35 S’il en est ainsi c’est peut être que dans l’imaginaire des Sénégalais, dans ces cas, le nomade politique ne serait peut-être pas attiré par les prairies vertes qui ne se retrouvent que sur les arcanes du pouvoir. De toute façon, étant une forme de nomadisme politique, elle doit être soumise aux mêmes analyses critiques que celle qui consiste à rejoindre soit le parti au pouvoir soit celle qui consiste également à quitter le parti au pouvoir pour rejoindre un parti de l’opposition. 38 Cependant, dans le cas où c’est le militant opposant qui rejoint les prairies vertes, les raisons avancées le plus souvent, c’est qu’il est venu répondre à l’appel du président de la République. Ce dernier a été élu sur la base d’un programme et d’un projet de société bien définis. Son offre politique est sélectionnée au détriment des autres. Il se trouve donc dans l’obligation de ne pas décevoirs on peuple.

Dans ce cas, le président de la République, n’est-il pas obligé de trouver des voies et moyens pour ne pas dire tous les mécanismes nécessaires pour réussir sa mission ? N’est-il pas une obligation pour le président de la république de rechercher toutes les ressources humaines de qualité lui permettant de réaliser avec succès son projet de société ? En ce sens, il est bien possible de comprendre l’appel qu’il effectue à bon nombre de personnalités pour l’accompagner dans ses tâches ô combien nobles mais aussi très difficiles. Ainsi, l’interrogation qui nous habite est la suivante : est-il louable de ne pas répondre à l’’appel du président de la république dans l’intérêt général de la nation au nom des convictions et des idéologies ? Quand l’intérêt général de sa nation est en jeu, n’est-il pas souhaitable de sacrifier ses propres principes ? Ceci pour dire que le nomadisme politique dans bien des cas peut être compréhensible.

La migration, de son ancien parti vers le parti au pouvoir, pourrait être motivée par le soutient qu’on peut apporter au président de la République au nom de l’intérêt supérieur de la nation. Par contre, il faut noter que la thèse selon laquelle le fait de quitter son parti d’origine pour rejoindre le camp du pouvoir est motivée par une carence de démocratie dans son ancienne formation politique, retient notre attention et mérite d’être bien analysée. A nos yeux, cette justification peut être soumise à une discussion. 

Table des matières

REMERCIEMENTS
SOMMAIRE
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : SITUATION POLITIQUE DU SENEGAL
DEUXIEME PARTIE: ETHIQUE DANS LA GESTION DU BIEN PUBLIQUE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIERES

ETHIQUE DANS LA GESTION DU BIEN PUBLIQUETélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *