Etat des connaissances sur la filière Tsiperifery
Le poivre sauvage de Madagascar
Le Tsiperifery ou Piper sp. [PIPERACEAE] est une liane sauvage endémique de Madagascar produisant une baie fortement demandée à l’international. Il est facilement périssable, surtout quand il est frais car le taux d’humidité s’élève à 80% du poids total (Touati, 2012). Ce caractère intrinsèque du produit exige une coordination de la transaction dans le temps pour ne pas le dévaloriser. A propos de la commercialisation, en ce sens qu’il est un produit de la forêt et faisant l’objet d’une exportation, la filière rassemble plusieurs acteurs, de la récolte en forêt jusqu’à l’exportation. Les acteurs considérés dans cette étude sont les acteurs directement impliqués dans la chaine à l’intérieur de Madagascar.
Résultat préliminaire : Typologie des acteurs de la filière
Chacun acteur de la filière a ses spécificités, ses rôles respectifs, et ses contraintes dans la commercialisation du Tsiperifery. Les types d’acteurs ont été déterminés par rapport à leurs rôles dans le circuit commercial. Les critères de classification reposent sur comment ils s’approvisionnent en Tsiperifery et à qui ils le vendent.
➤ Les cueilleurs
En amont se trouvent les cueilleurs occupant l’espace près des forêts. Ils forment le maillon basal de la filière. Les opportunistes ne ramassent du poivre que lorsque l’occasion se présente lors de leurs déplacements en forêts (cueilleurs occasionnels), tandis que les cueilleurs professionnels consacrent à l’activité un temps important pendant la période de fructification. Actuellement, ces cueilleurs peuvent être membres d’une coopérative ou d’une association paysanne, soit ils agissent individuellement sur le marché dans leur propre intérêt. Pour l’approvisionnement, les cueilleurs libéraux procèdent de deux manières : la collecte « verticale » et la collecte « horizontale » (Razafindrakoto, 2015). La collecte est dite « verticale » lorsque les paysans effectuent la cueillette directe du Tsiperifery en forêt ; tandis qu’elle est qualifiée de « horizontale » lors que les cueilleurs verticaux qui ont obtenu peu de récolte confient leur produit à d’autres cueilleurs pour la vente. Cet arrangement s’observe dans des villages dont les récoltants sont reliés par des rapports sociaux (réseau familial) ou les lignages ou relation amicale (cas d’Ambongamarina – Anjozorobe).
Il est à noter que jusqu’à maintenant la collecte s’effectue à l’état sauvage. Il n’y a pas encore des producteurs proprement dits mais le Tsiperifery reste encore une espèce sauvage. Néanmoins, des essais sur la reproduction végétative ont été déjà menés actuellement dans le but de domestiquer cette liane. La contrainte principale pour les paysans repose sur l’accès à la ressource rare en forêt et l’accès aux marchés, vu que le produit est périssable (80% d’humidité) et que les acheteurs sont peu nombreux.
➤ Les collecteurs
Les collecteurs (et sous-collecteurs) forment les maillons intermédiaires reliant les cueilleurs en brousse et les exportateurs et distributeurs en aval. En fait, les sous-collecteurs, acteurs originaires de la zone de collecte, travaillent pour le compte des collecteurs venant de la ville, en faisant des achats quotidiens dans leur village ou en cours de route le jour du marché. Les intermédiaires effectuent le ramassage du poivre frais et/ou sec au niveau des bassins de collecte et le revendent aux exportateurs dans les grandes villes. A cause de la périssabilité du Tsiperifery, il arrive que ces intermédiaires effectuent le séchage du poivre avant de le revendre. Conséquemment, cela fait augmenter le prix de vente aux exportateurs/distributeurs, et donc la valeur économique du produit. Leur rôle fondamental consiste donc à assurer la continuité du circuit commercial. Dans ce cas, des moyens de transports sont mobilisés (taxi-brousses, camions, motos ou bicyclettes). L’incertitude pour les collecteurs repose sur l’offre sur le marché en amont et l’accès au marché car ils ont un engagement à honorer envers les exportateurs.
➤ Les opérateurs économiques en aval : exportateurs et distributeurs
L’aval de la filière nationale est formé par des sociétés exportatrices et distributrices qui s’installent dans les grandes villes (Antananarivo et Toamasina). Elles s’occupent du conditionnement final du produit (séchage, triage, rinçage, emballage) avant l’exportation ou la vente aux épiceries fines locales. A ce niveau, c’est l’exportation qui intéresse les sociétés commerciales. La quantité de produit distribué localement est négligeable par rapport à celle exportée.
Etat des lieux sur la filière Tsiperifery
L’exploitation du Tsiperifery à des fins d’exportation est relativement récente à Madagascar. Ce n’est que depuis 2008-2009 que les exportateurs et les distributeurs se sont intéressés à ce marché (Bénard et al., 2015). Le poivre sauvage s’exporte à destination des épiceries fines et des restaurants gastronomiques d’Europe, des Etats-Unis, et du Japon (Touati, 2012). L’exploitation du poivre permet aux agents commerciaux de se positionner sur un marché de niche très rémunérateur. Des filières nationales se sont donc développées qui tentent de répondre à la demande croissante des importateurs (Bénard et al., 2015). Elles se caractérisent par deux segments au cours desquels les agents et les prix pratiqués changent sensiblement (Levesque, 2012). Pour le premier, le poivre est vendu à l’état frais du cueilleur jusqu’à l’exportateur. Pour le second, il est transformé par les collecteurs intermédiaires. Selon la destination du produit, la filière se subdivise en filière nationale et en filière internationale (Touati, 2012) et à chaque maillon le produit prend de la valeur économique. La quantité commercialisée au niveau national est négligeable par rapport à l’exportation.
En 2012 (première étude sur la filière Tsiperifery), ce sont les acteurs libéraux qui s’intéressent à la commercialisation du Tsiperifery, tant pour l’approvisionnement du marché national qu’international. Les cueilleurs locaux vendent leurs produits frais à un prix variant d’Ar 800 à Ar 1300/kg. Ce prix va atteindre jusqu’à Ar 30 000 à Ar 120000 le kilogramme (sec) dans les épiceries fines en ville (Touati, 2012). La différence entre les prix aux récoltants et ceux au marché final national est exorbitante. Les produits sont soit vendus par les récoltants eux-mêmes sur les marchés locaux, sans intermédiaire, soit avec intervention des collecteurs qui vendent ensuite les produits sur les marchés urbains ou aux exportateurs/distributeurs.
Concernant la filière internationale, le poivre frais est acheté par les collecteurs aux cueilleurs à Ar 1300 à Ar 2 500/kg. Ce produit, après conditionnement, est exporté à un prix variant d’Ar 50 000 à Ar 100 000/kg. Une fois à l’extérieur, le Tsiperifery prend toujours de la valeur pour atteindre une valeur de 40 € à 400 €/kg dans les épiceries fines européennes.
En somme, la périssabilité du Tsiperifery exige une coordination dans le temps de la transaction, surtout en amont. De son côté, chaque acteur qui intervient dans la chaine se fixe des objectifs économiques, mais des incertitudes persistent. Les contraintes mal gérées par les acteurs entrainent un partage inéquitable des revenus générés de la filière. De par les études déjà effectuées, l’analyse des interactions sociales des acteurs est manquante pour mieux réorganiser la filière et de résoudre le problème de partage inéquitable des bénéfices générés de la commercialisation du Tsiperifery.
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