Etat de l’art et stratégie d’approche
Des premières descriptions de jaunisse 2 000 ans avant notre ère à la caractérisation des hépatites virales au XXème siècle, l’histoire des hépatites est longue. Dès 1947, McCallum différencie deux grands types d’hépatites : l’une transmissible par voie orale, l’autre par voie parentérale, qu’il nomme respectivement hépatite A et hépatite B. L’identification du virus de l’hépatite B (HBV) par Baruch Blumberg dans les années 1960 et du virus de l’hépatite A (HAV) par Stephen Feinstone dans les années 1970 permet de mettre en évidence l’existence de cas d’hépatites virales causés ni par le HAV ni par le HBV (Feinstone et al., 1975). Ces hépatites dites « non A – non B » se présentent elles-mêmes sous deux formes différentes : (i) les hépatites non A – non B à transmission parentérale et à évolution chronique, présentes dans les pays industrialisés et dans les pays en voie de développement, et dont l’agent responsable, le virus de l’hépatite C, est identifié en 1989 ; (ii) les hépatites non A – non B à transmission féco-orale, circulant majoritairement sous forme de larges épidémies dans les pays en voie de développement, et dont l’agent responsable, le virus de l’hépatite E (HEV), est décrit en 1983 par Mikhail Balayan (Balayan et al., 1983). Virologiste russe, Balayan conduit une expérience consistant en l’ingestion volontaire d’un filtrat de selles provenant d’un patient ayant présenté une hépatite de type épidémique non-A à Tashkent en Asie centrale. Balayan développe alors une hépatite aiguë et observe des particules de 27 à 32 nm de diamètre en microscopie électronique dans ses propres selles. Il classe alors le virus dans la famille des Picornaviridae, en le décrivant comme filtrable et transmissible. Un modèle animal est alors développé, avec transmission de l’agent infectieux chez des primates non humains (PNH) (Abe et al., 1986). En 1989, l’équipe de Daniel Bradley, qui avait développé le modèle animal d’infection du virus non A – non B chez le macaque, publie la découverte de l’agent viral responsable des hépatites non A – non B de type entérique : le virus de l’hépatite E (Krawczynski et Bradley, 1989; Purcell, 1993). C’est en 1991 que la structure génomique du HEV est caractérisée par des techniques de clonage et de séquençage par Tam et al. (1991). En 2002, éclairée par la structure et l’organisation génomique du virus, l’équipe d’Emerson classe le HEV dans la famille des Hepeviridae (Emerson et Purcell, 2004).
Si la caractérisation moléculaire et génomique du HEV a été tardive, le virus était déjà responsable à la fois d’épidémies d’hépatites aiguës mais également de cas sporadiques depuis plusieurs décennies (Kamar et al., 2014). Les zones dites « endémo-épidémiques » se caractérisent par un faible niveau d’hygiène et un accès rare à l’eau potable. Par exemple, en octobre 1955, des pluies diluviennes entraînèrent une contamination d’une station de pompage de la banlieue de New Delhi, alimentant un million d’habitants en eau potable. Entre décembre 1955 et janvier 1956, 29 300 habitants de la région développèrent une hépatite aiguë (Viswanathan, 2013). Rétrospectivement, il a été montré qu’il s’agissait d’un virus d’hépatite non A – non B, probablement le HEV (Chuttani et al., 1966; Wong et al., 1980). Le HEV a ensuite été incriminé dans d’autres épidémies, notamment au Cachemire, en Afrique et au Mexique. Plus récemment, en 2004, une épidémie d’hépatite E a eu lieu au Soudan et au Tchad, avec 6 861 cas et 87 décès, et 1 442 cas et 46 décès, respectivement.4 Des cas sporadiques importés ont également été décrits dans les pays industrialisés, généralement liés aux voyages et à l’immigration depuis les zones endémiques (Kamar et al., 2014).
Des cas sporadiques autochtones ont également été rapportés en Europe, au Japon et aux Etats-Unis (Kamar et al., 2014). Des souches génétiquement différentes des souches endémiques ont été isolées et des souches animales ont été caractérisées. En particulier, en 1995, des anticorps anti-HEV et des ARN (acide ribonucléique) du HEV ont été mis en évidence chez des porcs au Népal (Clayson et al., 1995), puis une souche animale du HEV a été isolée et caractérisée chez un porc aux Etats-Unis (Meng et al., 1997). C’est dans ce contexte que l’hypothèse de « maladie exotique » a progressivement été remise en cause, pour laisser place à celle de « maladie émergente ». Ainsi, alors que les épidémies d’hépatite E dans les pays en voie de développement sont liées à l’eau souillée, les cas sporadiques semblent s’expliquer par la présence d’une transmission inter-espèces du virus et l’existence d’un ou de plusieurs réservoirs animaux (Pavio et al., 2017).