État actuel des connaissances océanographiques de la baie d’ Hudson

Les changements climatiques dans l’Arctique

La tendance contemporaine à l’ augmentation des températures de l’air n’est pas un phénomène récent et mêle processus naturels et anthropogéniques (Johannessen et al., 2004). Ainsi, les augmentations naturelles des températures observées au début du XXe siècle, (période durant laquelle le développement industriel était encore limité) auraient eu pour cause des changements de régimes de circulation atmosphérique, apportant de l’ air et des masses d’eau plus chaudes des régions nord-atlantiques vers les régions arctiques (Bengtsson et al. , 2004). D’ autres phénomènes naturels sont responsables de la variabilité observée de la circulation atmosphérique aux hautes latitudes et des températures de l’air et de l’eau. Ainsi, l’ oscillation Arctique (c.à.-d, la variation de la différence de pression entre les régions polaires et les régions tempérées) joue un rôle considérable dans la variabilité du climat à l’ échelle de la décelmie, de l’ année mais aussi de la saison (Rigor et al., 2002). Superposée à ces processus naturels, l’augmentation récente et importante des concentrations de gaz à effets de serre (principalement le CO2 , IPCC, 2007) semble jouer un rôle important dans l’ augmentation des températures telles qu’ observées ces dernières décennies.

Ce réchauffement semble se faire de façon non uniforme dans l’espace et dans le temps, avec des tendances plus prononcées dans l’ hémisphère nord que dans l’hémisphère sud (Cavalieri et al., 1997) et plus en hiver qu’en été (Boer et al., 2000). Selon la synthèse des différentes études établies par l’IPCC (2007), le réchauffement hivernal aux hautes latitudes devrait être de 40% supérieur à la moyenne globale d’ ici la fin du siècle. Dans le cas de l’océan Arctique et de ses mers ancillaires, le constat du réchauffement est déjà bien établi (Budikova et al., 2009; Comiso et al., 2008). Les modèles numériques utilisés à des fins de prédiction, c.-à-d., les modèles de circulation générale (MCG), supposent également une augmentation importante des températures de l’air pour le siècle à venir (1,5 à 5,5 oC) en réponse à un scénario de doublement des concentrations actuelles en CO2 . Ces MCG servent également de conditions aux frontières pour les modèles à plus forte résolution spatiale que sont les modèles régionaux climatiques (MRC), qui permettent de générer des séries de champs climatiques à haute résolution avec des caractéristiques climatiques plus précises que celles des MCG (Barrow et al., 2004).

Ces modèles permettent d’affiner les connaissances du climat local afin de mieux anticiper les réponses physiques et a posteriori biologiques des milieux particulièrement sensibles aux contraintes du réchauffement. Le Canada possède le MRCC (modèle climatique régional canadien, Caya et al., 1995), utilisé depuis plusieurs années pour l’étude du climat en Amérique du Nord (Laprise et al., 2003). La sensibilité accrue de ces zones marginales au réchauffement climatique serait liée à leurs caractéristiques particulières (zones côtières, semi-fermées, couvert de glace saisonnier). Le couvert de glace joue un rôle fondamental pour le climat des régions polaires, influençant les échanges d’énergies entre l’eau et l’atmosphère. Des changements dans la couverture de glace peuvent donc avoir des effets importants pour le bilan énergétique, et, à plus long terme sur la circulation thermohaline aux hautes latitudes (Aagaard et Woodgate, 2001).

Les premiers effets du réchauffement en Arctique: la glace en changement

Le rétrécissement de la banquise arctique et sub-arctique depuis les années 1970 (Cavalieri et al., 1997 ; Rothrock et al., 1999), à un rythme d’environ 2,9% par décennie, est un indicateur majeur du réchauffement. Ces chiffres concordent avec les estimations de l’IPCC (2007) pour les 50 dernières années indiquant un retrait de 10 à 15% des glaces au printemps (et dans une moindre mesure l’été) (fig. 2). Les observations satellites (ligne noire, fig.2) semblent indiquer que depuis les années 1990, la diminution est encore bien plus dramatique que celle jusqu’alors envisagée par les MCG. À cette diminution du couvert de glace est généralement associé un décalage dans la prise ou la fonte de la glace (Martini, 1986 ; Stroeve et al., 2007; Comiso et al., 2008). Le changement d’albedo (le rapport entre l’énergie solaire réfléchie par une surface et l’énergie solaire incidente) lié à la diminution progressive du couvert de glace dans ces régions apparaît comme la principale raison de l’asymétrie polaire du réchauffement actuellement observée (Barrow et al. , 2004). La diminution de l’albedo en réponse à l’augmentation des eaux libres de glace et de neige, influencerait l’équilibre énergétique entre l’océan et l’atmosphère (Johannessen et al. , 2004) ainsi que la circulation atmosphérique et océanique aux hautes latitudes. Les conséquences sont nombreuses et les rétroactions de ces changements du milieu sur le climat local-régional importantes (Lengaigne et al., 2009). En particulier, ces changements pOUlTaient altérer la stratification de la colonne d’eau au printemps en favorisant, de manière plus précoce, la pénétration de l’éclairement solaire ainsi que le mélange vertical (par les vents et les remontées d’eau à la côte) de la couche supérieure de la colonne d’eau (Carmack et al., 2004). L’augmentation des apports d’eau douce par les différents tributaires causée par l’augmentation des précipitations sous forme de pluie et la fonte des glaces plus intense pourraient également agir sur la stratification de la colonne d’eau.

Les écosystèmes polaires

Le cycle du carbone et plus spécifiquement la pompe biologique, principalement contrôlée par la production primaire via la photosynthèse (et l’ export de matière vers le fond), est très sensible aux variations des facteurs du milieu. Le rôle de cette composante biologique du cycle du carbone reste encore toutefois mal connu. Il est donc nécessaire de comprendre les processus liés à la production primaire et leur importance relative pour le fonctionnement de l’écosystème. Dans les milieux polaires où le couvert de glace est complet au moins une partie de l’année, cette production repose sur deux composantes: le phytoplancton et les algues de glaces. Les microalgues qui colonisent les glaces pluri-annuelles (Wheeler et al. , 1996 ; Gosselin et al., 1997) et les glaces saisonnières aux plus basses latitudes (Cota et Smith, 1991a ; Cota et al. , 1991) ont un rôle important dans la production primaire en terme de biomasse de carbone apportée au système. La composante glacielle peu représenter jusqu’à 25 % de la production primaire annuelle (Legendre et al. 1992), soit une production de carbone estimée entre 5 et 15 g C m_2 an-1 (Arrigo, 2003), pour une production primaire totale variant de 30 à plus de 300 g C m_2 an-1 selon les régions (Gosselin et al., 1997; Sakshaug, 2004 ; Tremblay et Smith, 2007).

Le bloom (efflorescence) d’ algues de glace est le plus souvent dominé par des espèces de diatomées pennées (Hegseth, 1992). Incorporées dans la glace au moment de sa formation (durant l’automne) les algues sont ensuite réparties sur toute l’ épaisseur de la colonne de glace. Les plus forte concentrations sont toutefois trouvées dans les quelques centimètres du bas de la glace (Smith et al. , 1990), du fait des échanges physico-chimiques à cet endroit entre le compartiment de glace et la colonne d’eau, favorisant les échanges de sels nutritifs essentiels à la croissance des algues (Smith et al., 1990 ; Monti et al., 1996). Associés aux algues de glace, les producteurs secondaires dans la glace sont nombreux (Schnack-Schiel, 2003). Souvent inclus lors de la formation de la glace dans les zones peu profondes, les organismes benthiques comme les nématodes, turbellariés ou copépodes harpacticoides représentent une composante importante des métazoaires de glace. Par ailleurs, la production secondaire relative au broutage sur les algues de glace est également associée aux copépodes calanoides ou rotifères s’alimentant à l’ interface glaceeau (Gradinger, 1999; Werner, 2006). La glace (et dans certains cas les algues de glace elles-mêmes) peut servir de substrat pour des bactéries. De provenances diverses, ces organismes hétérotrophes s’alimentent des produits dérivés de la décomposition de la matière particulaire ou dissoute (Lizotte, 2003). Ces bactéries sont souvent trouvées associées aux algues de glace, du fait de leur production respective de substance exopolymériques (EPS) agissant directement sur la texture « collante » de ces organismes (Lizotte, 2003 ; Riedel et al., 2006, 2007).

État actuel des connaissances océanographiques de la baie d’Hudson

Les propriétés hydrologiques de la baie dépendent principalement de ses échanges avec le bassin de Foxe et le détroit d’Hudson, ainsi que des apports d’eau douce par les rivières et la fonte des glaces au printemps et en été (Prinsenberg, 1988). Au nord de la baie d’ Hudson, les eaux arctiques homogénéisées par la marée dans les détroits de Fury et de Hecla pénètrent dans le bassin de Foxe. Moins denses, elles s’écoulent au-dessus des eaux du bassin de Foxe en direction de la baie d’Hudson (Ingram et Prinsenberg, 1998). Les eaux denses du bassin de Foxe semblent être produites pendant l’hiver dans les polynies ouest du bassin (Desfossez et al., 2008). Au moment de la formation des glaces, les rejets de saumure entraînent une densification des eaux sous-jacentes qui plongent en direction des eaux de même densité et s’écoulent vers la baie d’Hudson. Pour compenser cette sortie d’eau du bassin de Foxe, il y a formation d’ un courant entrant qui longe la côte est du bassin, et renforce la circulation cyclonique interne au bassin de Foxe en partie due aux entrées d’eaux arctiques. La circulation des masses d’eau dans la baie d’ Hudson est elle aussi cyclonique et dépend principalement des entrées et des sorties d’eau du système (bassin de Foxe et détroit d’Hudson). Les vents, les apports d’eau douce par le bassin versant (contribuant à la formation d’un courant quasi-constant) et la marée semi-diurne (qui pénètre par le détroit d’Hudson) sont autant de contraintes qui forcent le régime de circulation cyclonique de la baie (Ingram et Prinsenberg, 1998). La masse d’eau intermédiaire de la baie est formée par la rencontre des eaux de la mer du Labrador (eaux atlantiques) et les eaux superficielles douces et froides de la baie d’Hudson.

Table des matières

REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
LISTE DES ABRÉVIA TIONS
Chapitre 1 INTRODUCTION GÉNÉRALE
1. Problématique générale
2. Les changements climatiques dans l’ Arctique
3. Les premiers effets du réchauffement en Arctique : la glace en changement
4. Les écosystèmes polaires
5. État actuel des connaissances océanographiques de la baie d’ Hudson
6. Les objectifs de l’étude
CHAPITRE II ARTICLE 1
Spatial and temporal variability of ice algal production in a 3D ice- ocean model of the Hudson Bay, Hudson Strait and Foxe Basin system
Résumé
Abstract
INTRODUCTION
MATERIALS AND METHODS
1.1. Hudson Bay sea-ice-ocean model
1.2. Hudson Bay ice-alga model
1.3 . Setup forcing and coupling with the 3D sea-ice-ocean model..
RESULTS
1.4. Seasonal cycles of ice-algal production from the setup simulations
1.5. Spatial variability of the simulated seasonal cycle over the Hudson Bay System
1.6. Simulated release of the organic matter produced by the sea ice ecosystem and
its potential fate in the ocean
DISCUSSION
ACKNOWLEDGEMENTS
CHAPITRE III
ARTICLE 2
3D bio-physical model of the sympagic and planktonic production in the Hudson Bay System
Résumé
Abstract
INTRODUCTION
Model description and setup
2.1. 3D sea-ice-ocean model
2.2. Biological model
2.2.1 Sea-iee eeosystem model
2.2.2 Pelagie eeosystem model
Results and discussion
3.1. Spatially-averaged ice and planktonic ecosystems annual cycle
3.2. Deep chlorophyll a maximum and vertical stratification of planktonic production
3.3. Ice dynamics and the timing of primary production events
3.4. Sub-regional variability of the regime ofplanktonic primary production
3.5. Associated secondary production and carbon fluxes
Conclusions
Acknowledgements
CHAPITRE IV ARTICLE 3 Étude de sensibilité dES productions glacielle et pélagique du système de la baie d’Hudson à l’augmentation des températures de l’air au moyen d’un modèle couplé 3D bio-physique
Résumé
INTRODUCTION
MÉTHODOLOGIE
RÉSULTATS
3.1 Réponse moyenne du système au scénario de réchauffement climatique
3.2 Sensibilité de la production des algues de glace
3.3 Réponse de la production planctonique aux nouvelles contraintes du réchauffement
Discussion
CONCLUSION GÉNÉRALE
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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