Au quotidien, nous rencontrons et utilisons de nombreux matériaux qui ne sont ni simplement liquides, ni simplement solides mais qui peuvent se déformer à l’envi pour peu qu’ils soient suffisamment sollicités. Ils interviennent dans des domaines variés : cosmétique (crèmes, gels, mousses, dentifrice…), agroalimentaire (sauces, compotes, purées,…), génie civil (mortiers, bétons, peintures,…), nature (boue, magma, sable mouillé…),… Une partie de cette matière molle regroupe les fluides à seuil. Il s’agit des matériaux qui s’écoulent comme des liquides visqueux lorsqu’ils sont soumis à une contrainte suffisante, dite seuil de contrainte, et qui restent au repos sinon. Leurs propriétés physiques, physico-chimiques et mécaniques sont alors intermédiaires entre celles des liquides et des solides. Différentes miscrostructures peuvent être à l’origine de cet effet de seuil, comme par exemple certaines mousses, émulsions, polymères, suspensions, granulaires,…
La rhéologie, du grec rhéo qui signifie « couler », et logos, « étude », est l’étude de l’écoulement et de la déformation de cette matière complexe. Au cours des trente dernières années, le comportement rhéologique intrinsèque des fluides à seuil a été largement étudié. Pour les fluides à seuil simples, en particulier non thixotropes, c’est-à-dire dont le comportement ne dépend pas de l’histoire des déformations appliquées, il est possible de déterminer expérimentalement la relation qui lie la contrainte de cisaillement appliquée au taux de déformation du matériau qui en résulte. Cette relation, appelée loi de comportement, caractérise le matériau. Dans l’industrie, la plupart des procédés repose sur l’interaction entre fluides à seuil et outils, que ce soit pour la fabrication de ces matériaux (malaxage), leur transport (écoulement en conduite) ou pour leur mise en œuvre (étalement). Il est alors utile de connaître cette réponse intrinsèque du matériau à une sollicitation extérieure pour comprendre et caractériser ces méthodes. Récemment, de nombreuses recherches expérimentales, numériques et théoriques se sont intéressées à l’écoulement généré par le déplacement de solides compacts et à symétrie de rotation, comme les sphères ou les cylindres. Les objets assimilables à des plaques, plus utilisés en pratique, commencent eux à être étudiés. Parmi les techniques industrielles, on peut distinguer celles qui requièrent de déposer une épaisseur déterminée de fluide sur un solide. Celles-ci sont largement connues et théorisées lorsqu’elles utilisent des fluides newtoniens ou très visqueux mais leur transposition directe aux fluides à seuil est contrariée par la présence d’un état solide.
L’objectif de ce travail est de mieux comprendre l’étalement des fluides à seuil dans deux configurations expérimentales différentes, issues de procédés industriels courants. Il s’agit de l’enduction par trempage et de l’étalement à l’aide d’une lame. L’enduction par trempage, appelée dip-coating en anglais, consiste à immerger verticalement un objet dans un bain de fluide puis à le retirer afin de le recouvrir de ce matériau. Elle est utilisée par exemple pour le traitement anti-corrosion de surfaces, pour la fabrication de verres optiques, pour le nappage de chocolat dans l’industrie alimentaire,… Dans ce contexte, les propriétés des fluides à seuil sont extrêmement intéressantes à coupler à cette technique, car le caractère liquide du fluide permet de l’étaler sur un objet et ses propriétés plastiques permettent au matériau de rester solidaire de l’objet, aucun drainage n’étant observé si la contrainte est en dessous du seuil. Ce procédé a été étudié en premier lieu par Landau et Levich [1] pour l’enduction d’une plaque mince et d’un cylindre par des fluides newtoniens, afin de prédire l’épaisseur de matériau enduit. De nombreux travaux expérimentaux puis numériques ont ensuite été proposés pour étendre cette théorie à des fluides non newtoniens, avec plus ou moins de succès. Cependant, jusqu’à présent, aucune théorie n’a été développée pour les fluides à seuil, hormis pour les très faibles seuils [2]. Il est pourtant très important de maîtriser l’épaisseur de fluide déposé, que ce soit pour optimiser la fonction de l’objet, pour assurer la stabilité de l’enduit ou pour des questions de coût, ce qui passe par une bonne compréhension de l’écoulement en jeu.
L’étalement horizontal d’un fluide à seuil par une lame mince sur une surface plane, appelé blade-coating en anglais, intervient lui aussi dans de nombreux domaines, en génie civil avec les mortiers, ou les peintures, dans l’industrie cosmétique avec les crèmes ou le vernis, dans l’industrie alimentaire avec les préparations culinaires ou même au quotidien avec la confiture ou la pâte à tartiner. Il consiste à déposer une couche uniforme de matériau sur un substrat en imposant et contrôlant son épaisseur avec un outil. Il apparait notamment que l’épaisseur effectivement enduite est différente de celle imposée par la lame, et qu’elle peut dépendre de la loi de comportement du matériau selon les configurations expérimentales. Là encore, ce procédé est relativement bien connu pour les fluides newtoniens, en particulier dans l’industrie textile, et plusieurs études s’intéressent à des fluides plus complexes sans toutefois concerner les fluides à seuil.
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