ÉTABLISSEMENT DE LA VITESSE D’ÉJECTION

ÉTABLISSEMENT DE LA VITESSE D’ÉJECTION.

Contrairement à ce que laissent penser beaucoup de simulations informatiques de la propulsion d’une fusée à eau, la vitesse d’éjection de l’eau à la tuyère ne s’établit pas instantanément au décollage de la fusée. Pas plus qu’une voiture n’atteint tout de suite sa vitesse de croisière. Les lois de la mécanique ne le permettent pas. L’air comprimé qui pousse l’eau vers la tuyère ressent en effet l’inertie de l’eau, tout comme nous ressentons la masse d’inertie d’une voiture lorsque nous devons la mettre en mouvement en la poussant. Cependant, dans le cas de la fusée à eau, ce n’est pas simplement la masse d’eau restant dans le réservoir qui va quantifier l’inertie ressentie par l’air. En effet, lorsque l’on accélère l’arrière d’une voiture à une certaine vitesse, toutes les particules de la voiture sont accélérées à la même vitesse . Il n’en est pas de même dans le réservoir de notre fusée à eau, où la vitesse de l’eau de chaque section horizontale dépend de la largeur du réservoir (la vitesse de ce fluide étant d’autant plus forte que la section est faible, de par la loi de conservation des débits). Il en résulte que l’air comprimé ressent l’inertie de l’eau d’une façon plus compliquée. Tout se passe comme si lorsqu’on pousse une voiture, certaines parties de la voiture étaient plus accélérée que d’autres … Pour mieux s’en persuader, on peut placer par la pensée dans la situation suivante, situation où l’on pousse par l’arrière une voiture qui elle-même tire un chariot par l’intermédiaire d’un palan : La masse ressentie par les personnes qui poussent la voiture est alors la masse de cette voiture augmentée de quatre fois la masse du chariot (car le chariot acquière une vitesse double de celle de la voiture et son inertie a une efficacité double du fait de l’effet du palan). De la même façon, lorsque nous donnons de l’énergie à une voiture-jouet à friction , ce n’est pas uniquement la masse du jouet que nous ressentons, mais bien une masse supérieure… CALCUL DE LA PROPULSION DE LA FUSÉE À EAU EN RÉGIME STATIONNAIRE Lorsque l’on ne tient pas compte des effets de l’inertie de l’eau, on peut baser l’étude du mouvement sur la formulation bien connue de Bernoulli. Cette formule fait état de la conservation de l’énergie totale du système en toute section Sz du flux d’eau dans la bouteille. L’énergie totale du fluide traversant la section Sz est la somme de :  Pz l’énergie de pression (pression de l’eau à l’ordonnée z) ½ ρVz ² l’énergie cinétique (accumulée du fait de la vitesse Vz de l’eau à la même ordonnée z) ρhz (g+γ) l’énergie potentielle appliquée sur la colonne d’eau de hauteur hz (c à d la distance de la section à la surface libre de l’eau) et causée par le concours de la gravité g et de l’accélération γ de la fusée). L’énergie totale du fluide à la section Sz est donc : Pz + ½ ρ Vz ² + ρhz (g+γ) = Cste L’application de cette loi de conservation des énergies aux deux sections particulières que sont la surface libre de l’eau et la section de sortie de la tuyère ainsi que l’application de la loi de conservation des débits donnent, par soustraction, : P – ½ ρ Véject ²[1 – {StuySh}2] + ρh (g+γ) = 0 si h est à présent la hauteur instantanée de l’eau restant au-dessus de la sortie de la tuyère P la pression relative instantanée de l’air comprimé ρ la masse volumique de l’eau (ou du fluide dans le cas général) Véject la vitesse d’éjection instantanée de l’eau à la tuyère Stuy la section de la tuyère Sh la section de la surface libre de l’eau g la gravité et γ l’accélération instantanée de la fusée Dans beaucoup d’applications et de tableaux de prédiction des performances propulsives, le coefficient entre crochets [1- (Stuy/Sh)²] est souvent assimilé à l’unité (du fait que le carré du rapport de l’aire tuyère à l’aire de la surface libre de l’eau est très faible durant la majeure partie de la phase propulsive). Nous conservons cependant l’expression complète de ce coefficient dans notre équation, par soucis d’exactitude et surtout parce que, en fin de phase propulsive, il s’éloigne beaucoup plus de l’unité… Incidemment, on peut songer à lui donner un nom : dans l’ignorance d’une dénomination officielle, j’ai pris sur moi de le nommer coefficient d’hydraulicité, ceci dans la mesure où, lorsqu’il devient nul en fin de propulsion (parce que Stuy est égal à Sh l’aire de la surface libre de l’eau), on quitte le régime hydraulique Stationnaire (mâtiné d’Inertiel) pour un régime Instationnaire purement Inertiel… Cette dénomination est évidemment sujette à votre caution.

Voici la valeur de ce coefficient d’hydraulicité (en jaune) pour une bouteille de forme simplifiée à fond tronconique (silhouette bleue) : Il faut prendre comme abscisse de la courbe montrant ce coefficient d’hydraulicité le rayon de la surface libre de l’eau. La valeur du coefficient d’hydraulicité est alors lue selon la courbe jaune sur l’échelle de droite. On voit que tant que ce rayon est supérieur à 2,5 cm (verticale orange), le coefficient est assez proche de l’unité de (plus de 0,98). Mais dès que le rayon de la surface libre de l’eau s’approche de celui du goulot le coefficient d’hydraulicité plonge vers zéro. Ainsi pour un rayon de 1,185 cm (soit seulement 1 mm de plus que le rayon du goulot) (verticale rouge), ce coefficient est réduit à 0,545. Bien sûr, par définition, lorsque le rayon de la surface libre de l’eau est le même que celui du goulot, le coefficient d’hydraulicité est nul. CALCUL DE LA PROPULSION DE LA FUSÉE À EAU EN RÉGIME INSTATIONNAIRE Si, à présent, l’on décide de tenir compte de l’inertie de l’eau, la fameuse formule de Bernoulli se trouve passablement compliquée. Il faut lui retrancher le produit d’une certaine masse surfacique ρHh par une accélération : – ρHh dVéject dt . L’équation de conservation des énergies de Bernoulli devient alors, en Instationnaire : P – ½ ρ Véject ²[1- (Stuy/Sh)²] + ρh (g+γ) – ρHh dVéject dt = 0 Le terme retranché – ρHh dVéject dt , propre au calcul en Instationnaire a (comme les autres termes) la dimension d’une pression. Il peut donc (il doit ?) être qualifié de Pression Inertielle. Cette Pression Inertielle représente la pression qui va manquer à la tuyère au tout début de la phase propulsive de la fusée du fait que l’eau, malgré la pression de l’air, ne s’est pas mise en mouvement instantanément. Cette même Pression Inertielle est donc immédiatement liée à l’énergie cinétique qui est accumulée dans la vitesse des particules d’eau vers la tuyère lorsque cette vitesse croît (au début de la propulsion) . Cette énergie cinétique (½ MV²) sera d’ailleurs restituée lorsque cette vitesse décroîtra (pendant la plus grande partie du temps de propulsion)… Est-il possible d’expliquer simplement comment naît cette Pression Inertielle ? Oui. Du moins, allons-nous tenter de le faire, d’une façon restreinte, en nous plaçant par la pensée dans une situation particulière : Imaginons de l’air comprimé à la pression relative P poussant un volume d’eau de longueur L dans un tube de section constante S. Considérons une section de liquide de longueur dx tout à fait à droite de la masse d’eau : Ce volume élémentaire de longueur dx et de section S est soumis, de son côté droit, à la pression P de l’air comprimé. Il reçoit donc une force de pression de PS : L’ensemble du volume d’eau, de masse ρLS , reçoit quant à lui de l’air comprimé, la même poussée PS, et cette poussée détermine sur lui une accélération γ = PS/ρLS, soit : γ = P ρL Mettons-nous en mémoire que cette accélération γ est la même pour toutes les sections d’eau. Le volume élémentaire déterminé par dx est donc soumis à la même accélération γ. Comme sa masse ρSdx est soumise à cette accélération γ, son inertie s’y oppose en générant la force ρSdx γ . Représentons cette force d’inertie : Ce premier volume élémentaire dx ne pourra donc transmettre à un deuxième volume élémentaire d’eau situé immédiatement à gauche de lui que la force PS diminuée de cette force d’inertie ρSdx γ. Ce deuxième volume élémentaire sera donc soumis à une force F2 =PS – ρSdx γ. c à d qu’il sera soumis à une pression P2 (appelons-là ainsi) de : P2 = P – ρdx γ. : À ce point, nous avons presque terminé notre démonstration restreinte de l’influence de l’accélération de l’eau sur la pression de l’eau dans tous ces volumes élémentaires (ou plus exactement à toutes les distances x). Il ne nous reste plus guère, en effet, qu’à remarquer que γ peut s’écrire dv dt . Moyennant quoi on obtient : P2 = P – ρdx dv dt et qu’à étendre cette détermination à un troisième volume élémentaire : P3 = P2 – ρ dx dv dt soit : P3 = P – 2ρdx dv dt = La longueur 2dx n’est autre, en fait, que l’abscisse donnant la position de la surface limitant à sa droite le troisième volume élémentaire . Il s’ensuit que, d’une façon générale, on a, pour la pression de l’eau à l’abscisse x : Px = P – ρx dv dt = Le terme négatif ρx dv dt est évidemment à rapprocher, pour ce cas simplifié, de la Pression Inertielle à un niveau h dans l’équation de Bernoulli en Instationnaire : ρHh dVéject dt ( les abscisses x devant se lire comme des hauteurs Hh) C’est ce que nous voulions faire sentir… Pour une explication plus intuitive encore de cette notion de Pression Inertielle, on peut songer à la situation où un malfaisant s’avise de pousser fortement dans le dos la dernière personne d’une file d’attente compacte formée de personnes alignées le long d’un mur : La force perçue dans son dos par le personnage le plus à droite est alors égale à la force qu’applique le malfaisant sur le groupe : il est en effet pris en sandwich entre ce malfaisant et le reste des personnages. Mais à mesure qu’on s’éloigne du malfaisant (en allant vers la gauche) la force ressentie par les membres du groupe est moins forte. En particulier, le premier personnage, celui qui est le plus près du guichet, s’il est bien poussé en avant, ne l’est qu’avec une faible force, du fait de la difficile mise en mouvement de la file des gens qui le suivent (attention : il est soumis à la même accélération que l’ensemble des personnes de la file d’attente, mais la pression à laquelle il est soumis est beaucoup plus faible… Ceci explique sans doute que lors d’un mouvement de panique dans une foule, lorsqu’un groupe compact vient percuter un autre groupe arrêté, les membres du groupe percuté qui sont contre la porte de sortie et qui peuvent actionner rapidement la serrure anti-panique gardent des chances de survivre… Si l’ouverture des portes anti-panique ne peut être déclenchée rapidement, la vitesse dv dt devient nulle, et les pressions s’égalisent : on passe en Stationnaire et toutes les personnes constituant le groupe percuté ressentent la même pression d’écrasement… Trop heureux d’avoir survécu, comparons ces expériences sur la mécanique des foules avec celle, bien connue des pendules de billes : On sait pour avoir manipulé ce dispositif, que contrairement à ce que nous dicte notre intelligence quotidienne, ce n’est pas l’ensemble des billes accolées qui vont se déplacer vers la gauche à la suite de la percussion de la bille de droite, mais que seule la bille de l’extrême gauche va se mouvoir en se détachant de ses paires apparemment immobiles.

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Première remarque : ce jouet scientifique produit un résultat paradoxal justement parce que nous possédons une intelligence quotidienne que nous avons renseignée tout au long de notre existence : un enfant en bas âge ne s’étonnerait en rien du spectacle de ces billes, tout lui semblant naturel… Bien mieux qu’un enfant en bas âge, nous savons pourtant que lorsque l’on percute un groupe d’objet avec un autre, le groupe entier est mis en mouvement (ces objets pouvant être des personnes)… Deuxième remarque : si seules les billes extrêmes effectuent leur ballet en laissant parfaitement placides les billes internes, c’est que le mouvement de percussion de la bille des billes en mouvement se transmet d’une extrémité à l’autre par onde de choc. Nous sommes donc ici dans le cas de solides déformables élastiquement… Ce n’est pas l’hypothèse où nous nous sommes placés dans notre étude (nous considérons l’eau comme un fluide incompressible)… Quelle est la longueur H h figurant dans l’expression de la Pression Inertielle ? Revenons à présent à l’équation de Bernoulli en Instationnaire pour noter que ce n’est pas h, la hauteur d’eau restant dans le réservoir de la fusée, qui intervient dans le terme ρHh dVéject dt pour quantifier la hauteur de la colonne d’eau, mais plutôt une certaine hauteur d’eau Hh , variable à chaque instant mais dépendant de h. Nous appellerons hauteur inertielle cette hauteur d’eau Hh et vous avez compris que c’est cette hauteur inertielle d’eau que la pression de l’air ressent et que conséquemment elle met un certain temps à accélérer. Insistons encore sur le fait que cette hauteur inertielle est différente de la simple hauteur d’eau au-dessus de la tuyère (hauteur que nous nommons souvent hauteur de colonne d’eau)… De la même façon que lorsqu’on pousse une voiture entraînant elle-même un chariot par l’intermédiaire d’un palan la masse ressentie par nous est plus forte que la somme des masses en présence (somme de celle de la voiture et de celle du chariot), dans notre cas la hauteur inertielle Hh ressentie par l’air de la fusée à eau est différente de la simple hauteur d’eau au-dessus de la tuyère. Et ici elle est plus faible (nous le montrerons à l’instant). Cette hauteur inertielle, quoi que non-nommée, apparaît très bien dans le magnifique travail d’analyse de Dean Wheeler sur le régime instationnaire de l’écoulement de l’eau. (cliquer sur thrust_eqns, puis sur thrust_eqns.pdf pour télécharger ce texte en anglais) . C’est cette analyse qui sert de base à la rédaction du présent texte pédagogique. De fait, la valeur de la hauteur inertielle de l’eau est donnée par le grand Dean comme étant, à chaque instant de la phase propulsive : Hh = z=0 h AtuyA(z) dz où : h est la hauteur d’eau restante z l’ordonnée mesurée parallèlement à l’axe du réservoir et qui est la variable d’intégration Atuy et A(z) les aires des sections du réservoir à la tuyère et à la surface libre de l’eau (cette dernière aire est donc variable selon la hauteur d’eau restante h) Dans la pratique et pour une fusée standard de 1,5 L, la hauteur inertielle Hh est un peu supérieure à la longueur de la partie cylindrique de la tuyère (donc du goulot, en général). Voici d’ailleurs (en violet) l’évolution de cette hauteur inertielle Hh en fonction de la hauteur d’eau restante au-dessus de la sortie de la tuyère, pour une bouteille standard de 1,5 L (type Pepsi-Cola ou Schwepps), remplie sur le Pas de Tir d’un tiers d’eau (soit 18 cm depuis la sortie du goulot) : Il faut lire cette hauteur Inertielle sur la même échelle que celle des hauteurs de la bouteille. Nous l’avons attachée, en abscisse, au rayon de la surface libre de l’eau (comme pour le coefficient d’hydraulicité), même si elle est fonction de tous les rayons de l’eau surmontant l’exutoire de la tuyère (on pourrait appeler ces rayons les rayons mouillés). On voit ainsi que lorsque la surface libre de l’eau est à 3cm de cet exutoire, au rayon 1,085 cm = 21,7 / 2, la hauteur inertielle est de 3 cm. Mais quand cette surface libre est à l’épaule de la bouteille (à la hauteur 6 cm et au rayon 4,15 cm) la hauteur inertielle n’est que de 3,75 cm. Le même calcul démontre que quand la hauteur d’eau est à son maximum de 18 cm, la hauteur inertielle n’est encore que de 4,6 cm (c’est le haut de la courbe violette) . Il résulte de tout cela que pendant la plus grande partie de la phase propulsive d’une fusée à eau standard de 1,5 L, la hauteur inertielle ne varie que de 4,6 cm à 3 cm. Ensuite, quand toute l’eau restante est dans le goulot, la hauteur inertielle devient la hauteur réelle de l’eau dans ce goulot… Intuitivement, le temps de montée Tm en Vitesse d’éjection (càd le temps qu’il faut à l’eau pour être éjectée à la vitesse hydraulique calculée en Stationnaire) peut être approché par la formule : Tm =√2 . L ρ √P où : P est la pression de l’air sur le pas de tir ρ la densité de l’eau L la hauteur du col cylindrique de la tuyère (le goulot) majorée d’une petite hauteur représentant le reste de la hauteur inertielle ressenti par l’air comprimé (0,4cm , par ex. pour une bouteille Tintinoïde de 1L) Adaptée, cette formule devient sur une bouteille standard de 1,5 L , pour une hauteur de goulot L exprimé en centimètres et une pression initiale P exprimée en bars relatifs : Tm en millième = 5L√P Une telle formule empirique me paraît assez fidèle pour des petites longueurs de col cylindrique (de goulot). Le graphique ci-dessous montre alors (en violet) la vitesse d’éjection calculée en tenant compte de l’inertie de l’eau (donc en régime Instationnaire), en comparaison avec ce que devrait être la vitesse d’éjection en l’absence de phénomènes inertiels (calculée en régime Stationnaire, donc) (en bleu clair).

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