Estimation de paramètres et filtres particulaires

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Passage aux systèmes quantiques

Lorsque nous considérons des systèmes où les phénomènes de la mécanique quantique sont sensibles, les propriétés que nous venons d’énoncer ne s’appliquent plus. Les états quantiques ont une interprétation naturellement probabiliste. Ainsi, ils ne sont pas repré-sentés de la même façon que les états de systèmes classiques. Leur évolution n’est pas toujours déterministe, puisque les mesures qu’on peut effectuer sur un système quantique renvoient la réalisation d’une variable aléatoire, et altèrent en retour l’état du système.
Dans ce chapitre, nous commençons par détailler la représentation par fonction d’onde permettant de décrire l’état d’un système quantique isolé, ce qui désigne ici un système qui n’interagit avec des systèmes extérieurs que lors de réductions du paquet d’ondes dont le résultat est parfaitement connu. L’étude des caractéristiques des systèmes quantiques ouverts, ou dont le résultat des mesures est imparfaitement connu est l’objet de la section suivante, avec l’opérateur densité comme représentation de l’état qui remplace et étend la notion de fonction d’onde.

Systèmes quantiques isolés

Pour une très bonne introduction à la notion d’état quantique, voir [CTDL77]. La nature d’un état quantique est intimement liée à celle de probabilité. La notion de probabilité est à la base de la représentation d’un état quantique, à cela près que nous nous attachons, dans ce cas, à des amplitudes de probabilité ; celles-ci font apparaître une phase dans le plan complexe qui permet de traduire dans l’état quantique le caractère ondulatoire des particules étudiées au sein des systèmes quantiques.
L’état d’un système quantique isolé, appelé fonction d’onde, est donc un vecteur d’un espace de Hilbert complexe noté H, muni du produit scalaire Euclidien. Chaque dimension de cet espace correspond à un état physique possible du système quantique, et la composante qui lui est associée dans la fonction d’onde détermine l’amplitude de probabilité correspondant à cet état possible. L’espace de Hilbert H peut donc être, selon la nature des états physiques considérés comme possibles, de dimension finie ou infinie- nous travaillons ici avec un espace de Hilbert de dimension finie NH. Cette fonction d’onde est souvent notée |ψi, ou |ψ(t)i lorsque la dépendance en temps doit être soulignée : nous adoptons le point de vue de Schrödinger, et c’est l’état et non les observables qui dépendent du temps. La notation |ψi représente un vecteur colonne, et hψ| le vecteur ligne qui en est l’adjoint. Le produit scalaire entre deux états |ψi et |φi est donc hψ|φi. La norme d’une fonction d’onde est toujours égale à 1.
Nous prenons trois exemples pour illustrer la façon avec laquelle est construite cette fonction d’onde 2, puis nous donnons l’équation de Schrödinger qui permet de représenter l’évolution, déterministe, des systèmes isolés.

Fonction d’onde et système à deux niveaux

Ici, le système est une particule qui ne peut prendre que deux états physiques différents. Souvent, ces deux états correspondent à deux niveaux d’énergie, et on note ces deux états |ei = (1, 0)T et |gi = (0, 1)T, l’état excité et l’état au repos respectivement. L’espace de Hilbert du système H est donc isomorphe à C2. L’ensemble des états possibles |ψi s’écrit donc :
n|ψi = ce|ei + cg|gi/ |ce|2 + |cg|2 = 1o
D’un point de vue informationnel, ces systèmes sont appelés qubit, par analogie au bit classique qui stocke une information binaire.

Fonction d’onde et population

Un autre type habituel de systèmes en physique classique consiste à modéliser une population de particules identiques. Dans ce cas, l’espace de Hilbert associé est alors CN, chaque dimension représentant un nombre différent de particules.
La fonction d’onde associée au nombre n > 0 de particules est notée |ni. L’ensemble de fonctions d’onde (|ni)n≥0 constitue une base orthonormale de l’espace de Hilbert associé, appelée base de Fock. On note a l’opérateur d’annihilation associé au système, vérifiant a|ni = √n|n − 1i : X √
a = n|n − 1ihn|  n≥1
L’opérateur création est simplement a†. Enfin, l’opérateur N = a†a est l’opérateur population, qui vérifie N|ni = n|ni.
Pour analyser numériquement ces systèmes, l’espace de Hilbert est la plupart du temps tronqué à un nombre maximal Nmax de particules, la base orthonormale en résultat étant (|0i, . . . , |Nmaxi).

Fonction d’onde et position dans l’espace

Supposons ici que le système quantique étudié est une particule isolé (au comportement ondulatoire), et que nous souhaitons décrire l’évolution de sa position. Ainsi, l’information que la fonction d’onde correspondante contient est l’amplitude de probabilité de telle ou telle position x, vecteur à trois dimensions appartenant à S, l’ensemble des positions autorisées.
Chaque position possible est ici représentée par un vecteur normé |xi différent, chacun de ces vecteurs étant orthogonal à tous les autres. L’ensemble de ces vecteurs représente une sorte de base de l’espace de Hilbert H, lequel est donc de dimension infinie. On peut donc écrire la fonction d’onde correspondant à l’état de la particule comme :
ZZZ
|ψi = ψ (x) |xidx
S
où x 7→ψ (x) est une fonction complexe sur S.
La densité de probabilité d’observer la particule en position x est alors ψ(x) . Cette notation impose donc à la fonction d’onde d’être toujours un vecteur normé, puisque :
ZZZ ZZZ
hψ|ψi = ψ∗ (x) hx|dx ψ (x0) |x0idx0
S S
ZZZ ZZZ
= ψ∗ (x) ψ (x0) hx|x0idxdx0
S S
ZZZ 2
AAAA
= ψ (x) dx = 1
S
car hx|x0i = δ (x − x0).
Si nous voulons maintenant considérer, non pas la position de la particule, mais sa quantité de mouvement, il nous faut introduire une autre base orthonormale de l’espace de Hilbert, constituée des vecteurs |pi, pour tout vecteur p de R3. La reparamétrisation de la fonction d’onde se fait à l’aide du produit scalaire :
e~i x.p
hx|pi = (2π~)3/2

Évolution déterministe : l’équation de Schrödinger

Au sein des systèmes quantiques isolés, l’évolution est fondamentalement déterministe. Cette évolution est décrite par l’équation de Schrödinger, et conserve certaines propriétés des évolutions classiques. Cette équation fait intervenir à tout instant t un opérateur H ˆ
Hermitien de , noté H(t), qui décrit l’évolution infinitésimale de la fonction d’onde à cet instant. Cet opérateur est appelé Hamiltonien du système, et l’évolution qui en découle est souvent appelée évolution Hamiltonienne.
L’équation de Schrödinger s’écrit alors :
d|ψ(t)i = −i H(t) |ψ(t)idt (2.1)
Il est facile de constater que cette équation préserve la norme de |ψ(t)i, ce qui est requis par la nature même de la fonction d’onde, puisque :
d (hψ(t)||ψ(t)i) = (d|ψ(t)i)† |ψ(t)i + hψ(t)| (d|ψ(t)i)
= hψ(t)| i Hˆ(t) − i Hˆ(t) ! |ψ(t)idt
= 0
Pour un système quantique ne subissant que l’influence d’un Hamiltonien, décrite par l’équation (2.1), entre deux instants successifs t0 et t1, il peut être intéressant d’introduire un opérateur de H appelé opérateur d’évolution du système entre ces deux instants, noté U (t0, t1), qui permet d’obtenir :
|ψ(t1)i = U (t0, t1) |ψ(t0)i (2.2)
Cet opérateur est obtenu en intégrant l’équation de Schrödinger entre ces deux instants, en remarquant que celle-ci impose :
U (t, t + dt) = IH − i H(t) dt
On obtient alors :
U (t0, t1) = IH − i Zt0t1 Hˆ(s)U (t0, s) ds (2.3)
Entre autres propriétés de cet opérateur (décrites plus en détail dans [CTDL77, III, D-1-b]), nous insistons sur le fait que son existence implique la réversibilité de toute évolution
Hamiltonienne : pour tout U (t0, t1) généré par t ∈ ˆ
[t0; t1] 7→H(t), il est possible de
construire, pour un instant t > t 1, une autre trajectoire Hamiltonienne t t 1; t Hˆ0 t )
2 ∈ [ 2] 7→ (
construisant l’opérateur d’évolution U (t1, t2) permettant d’obtenir :
|ψ(t2)i = U (t1, t2) U (t0, t1) |ψ(t0)i = |ψ(t0)i
L’évolution Hamiltonienne est donc, en tout cas théoriquement, toujours réversible, et aucune perte d’informations n’en découle.
Remarquons également que, puisque :
U† (t, t + dt) = U (t, t − dt) = U−1 (t, t + dt) , un opérateur d’évolution est unitaire.

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Systèmes ouverts à mesures parfaites

L’évolution Hamiltonienne n’apporte en elle-même aucune information à l’expérimen-tateur. Lorsque celui-ci cherche à connaître l’état du système, il doit lui appliquer ce qu’on appelle une mesure quantique. Le système devient alors un système quantique ouvert. La valeur du résultat tiré de cette mesure est la réalisation d’une variable aléatoire dont la loi de probabilité dépend de l’état du système au moment de cette mesure. En retour, puisque l’état d’un système quantique a une nature probabiliste, ce processus de mesure l’altère de façon irréversible, et cette évolution dépend du résultat de la mesure obtenue.
Lorsque le résultat de ces mesures est parfaitement connu, le système peut être décrit par une fonction d’onde. C’est ce cas de figure que nous étudions dans cette sous-section, pour introduire ensuite le cadre plus général des mesures quantiques. Nous présentons d’abord le cas où la mesure est un processus discret, puis celui où le phénomène de mesure est continu et accompagné d’un bruit diffusif.

Mesure parfaite discrète

Notion d’observable Chaque mesure quantique est représentée mathématiquement
ˆ ∈ H. Notons que nous utilisons dans par un opérateur de H appelé observable, noté A cette thèse le point de vue de Schrödinger ; les opérateurs de mesure A ne dépendent donc pas du temps. Une observable, en dimension finie, peut toujours être choisi Hermitien. Le troisième postulat de la physique quantique impose que la valeur d’une telle mesure soit ˆ H
nécessairement une valeur propre de l’opérateur A dans . Une première conséquence de ce postulat est que le nombre m de mesures possibles ne peut excéder NH, la dimension de l’espace de Hilbert.
Notons (λj)j=1…m ces valeurs possibles de mesure, formant le spectre de A. Une propriété fondamentale des opérateurs hermitiens est que leurs sous-espaces propres respectifs sont orthogonaux deux à deux. Nous notons Pj le projecteur orthogonal associé à la valeur propre λj, ainsi :
ˆ m
X
A = λjPj
j=1
ˆ | i
Supposons que nous appliquions l’observable A ainsi définie sur l’état ψ , et notons λµ le résultat de mesure ainsi produit. La probabilité d’obtenir ce résultat λµ est l’objet du quatrième postulat de la physique quantique ; cette probabilité, conditionnée au fait que l’état quantique juste avant la mesure est |ψi, vaut :
P résultat λµ de la mesure Aˆ | état |ψi = hψ|Pµ†Pµ|ψi = hψ|Pµ|ψi (2.4)
Là encore, il est facile de voir que la somme des probabilités de toutes les valeurs mesures est bien égale à un, puisque Pmµ=1 Pµ†Pµ = Pmµ=1 Pµ = IH. Avant de montrer quel est l’effet d’une telle mesure sur l’évolution de l’état, nous donnons ici la formule de la | i ˆ
valeur moyenne de l’observable sur l’état ψ , notée < A >|ψi :
< A >|ψi=
m
X ˆ
λjP (résultat λj | état |ψi) = hψ|A|ψi (2.5)
j=1
Itération de l’état du système Supposons donc que la mesure effectuée par l’expéri-mentateur grâce à l’observable A a produit le résultat λµ associé au projecteur orthogonal Pµ, et que cette mesure a eu lieu entre les instants t et t + Δt, où Δt est un petit intervalle de temps bien inférieur aux temps caractéristiques du système. Ainsi, nous considérons qu’aucune évolution Hamiltonienne n’a eu lieu durant ce processus de mesure. Le cinquième postulat de la mécanique quantique nous indique que la mesure procède, entre ces deux instants, à une réduction du paquet d’ondes sur l’étatmoriginel |ψ(t)i. En effet, on peut toujours décomposer l’état du système en |ψ(t)i = j=1 cj|ψji, où |ψji, vecteur normé, appartient à l’espace image du projecteur P ψ est donc associé au résultat de mesure j. | ji P
λj, et à lui seul, puisque |ψji = Pj|ψji. Lorsque le résultat λµ est tiré lors de la mesure, l’état itéré ne peut plus avoir des composantes sur les sous-espaces images associés à des projecteurs Pj, tels que j 6= µ. L’incertitude est « levée » sur toutes ces dimensions de H. Ainsi, l’état est projeté sur le seul sous-espace image possible, celui de Pµ, et il devient :
| ψ(t + Δt) i = Pµ|ψ(t)i = ψ µi (2.6)
qhψ|Pµ|ψi |
On retrouve au dénominateur, sous une racine carrée, la probabilité qu’on avait a priori d’obtenir ce résultat de mesure, donnée par l’équation (2.4). Ici, cette probabilité vaut |cµ|2.
Généralisation de la mesure discrète La mesure discrète parfaite a été présentée ci-dessus comme un phénomène quasi-instantané (avec Δt très petit), et en l’absence d’évolution Hamiltonienne. C’est ce qui permet aux matrices de mesures Pµ d’être des projecteurs orthogonaux, et donc d’être Hermitiens. Cependant, il se peut que, entre les deux instants t et t + Δt pendant lesquels on veut connaître l’état du système, une évolution Hamiltonienne ait lieu avant, et une autre après le processus de mesure. Ces évolutions sont respectivement représentées par les opérateurs d’évolution U et V . Il est alors simple de remarque que, en notant Mµ = V PµU, le processus de mesure discret est alors défini par
P résultat λµ de la mesure Aˆ | état |ψi = hψ|Mµ†Mµ|ψi
| ψ(t + Δt) i = Mµ|ψ(t)i (2.7)
qhψ|Mµ†Mµ|ψi

Table des matières

1 Introduction
2 Structure des modèles
2.1 Système isolé et mesures parfaites : fonctions d’onde
2.1.1 Propriétés des systèmes physiques classiques
2.1.2 Systèmes quantiques isolés
2.1.3 Systèmes ouverts à mesures parfaites
2.1.4 Ouverture
2.2 Systèmes ouverts à mesures imparfaites : matrices densité
2.2.1 Motivations
2.2.2 Notion d’opérateur densité
2.2.3 Adaptation des équations d’évolution aux matrices densité
2.2.4 Mesures non lues et mesures imparfaites
2.3 Trajectoire quantique et estimation de paramètres
2.3.1 Cadre général de la thèse
2.3.2 Filtre réel et filtres approchés
3 Tomographie d’état
3.1 Introduction
3.2 Préliminaires mathématiques
3.2.1 Notations utilisées
3.2.2 Probabilité des trajectoires de mesure
3.2.3 États adjoints
3.3 Estimation par Maximum de Vraisemblance
3.3.1 Contexte de l’optimisation
3.3.2 Comportement asymptotique et variance d’estimation
3.4 Passage à l’estimation bayésienne
3.4.1 Principe de l’estimation bayésienne
3.4.2 Comparaison avec le Maximum de Vraisemblance
3.5 Validations expérimentales
3.5.1 Cas d’un champ de photons : mesures discrètes
3.5.2 Cas d’un qubit : mesures diffusives
4 Estimation de paramètres et filtres particulaires
4.1 Introduction
4.2 Robustesse des filtres particulaires
4.2.1 Filtres particulaires
4.2.2 Description du système par filtre étendu
4.2.3 Robustesse de l’estimation par Maximum de Vraisemblance
4.3 Généralisation de la notion de robustesse
4.3.1 Extension à un espace de valeurs de paramètre possibles
4.3.2 Extension aux trajectoires de mesure successives
4.4 Filtre particulaire à temps continu et discrétisation
4.4.1 Filtre particulaire continu
4.4.2 Filtre particulaire discrétisé
4.5 Validations expérimentales
4.5.1 Estimation de l’efficacité de détection
4.5.2 Estimation du temps de relaxation
5 Tomographie de processus quantique
5.1 Introduction
5.1.1 Motivations
5.1.2 Cadre de la maximisation
5.2 Optimisation grâce à l’adjoint
5.2.1 Écriture du Lagrangien et optimalité
5.2.2 Lagrangien et conditions d’optimalité
5.2.3 Calcul du gradient et états adjoints
5.3 Validations expérimentales : champ de photons et mesures discrètes
5.3.1 Configuration
5.3.2 Cadre de l’estimation
5.3.3 Résultats
6 Conclusion
Bibliographie
A Systèmes expérimentaux utilisés
A.1 Boîte à photons
A.1.1 Dispositif expérimental
A.1.2 Cadre mathématique
A.2 Qubit supraconducteur
A.2.1 Dispositif expérimental
A.2.2 Cadre mathématique
B Développements mathématiques
B.1 Hamiltonien de trace nulle
B.2 Mesure discrète par un système tiers
B.3 Processus de Wiener
B.4 Schéma de discrétisation des équations de mesures diffusives
B.5 Autour de la fidélité
B.5.1 Cas d’un état pur
B.5.2 Théorème d’Uhlmann
B.5.3 Propriétés de la fidélité
B.6 Maximisation de la fonction de log-vraisemblance pour la tomographie d’état
B.6.1 Projection sur l’ensemble des matrices densité admissibles
B.6.2 Descente par algorithme EM
C Développements asymptotiques de l’estimation Bayésienne
C.1 Introduction
C.2 Développement asymptotique des intégrales de Laplace
C.3 Application à la tomographie d’état quantique
C.4 Conclusion

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